Introduction L`ivresse du pouvoir : un film politique ?

Transcription

Introduction L`ivresse du pouvoir : un film politique ?
L'ivresse du pouvoir – Dechanoz C. & Bennet M.
pour le 25/04/06
Introduction
•
•
•
le film présentation rapide : L'ivresse du pouvoir, sortie le 22 février 2006 est un des
nombreux films de Claude Chabrol.
traite de sujets politiques et judiciaires importants : inspiré de l'affaire Elf, plus grosse
affaire financière française, avec des sommes énormes (1 à 2 milliards de francs).
--> C'est un film qui touche des sujets importants pour la justice et la politique, surtout dans
le contexte de l'affaire d'Outreau et la critique du rôle du juge d'instruction dans le système
judiciaire français. Il a suscité des réactions violentes : il est inspiré d'événements réels et
récents, dont les acteurs ont pu voir la traduction à l'écran. Eva Joly, dans un article du
Monde du 16 mars 2006 a violemment critiqué Chabrol pour son irresponsabilité et pour
avoir violé sa vie privée. D'autres critiques trouvent que ce film n'est même pas un film
politique. D'autres enfin, en comparant ce film et la façon dont les films américains traitent
l'actualité, l'ont trouvé frileux : pas assez militant.
Sachant que ce film s'inspire plus que largement d'une affaire extrêmement importante de
corruption, d'obstruction à la justice, et de collusion entre le pouvoir et les affaires, on pourrait
penser qu'il s'agit d'un film militant : il aurait pu dénoncer la corruption et le milieu des affaires, il
aurait pu donner un regard critique ou élogieux sur le milieu judiciaire, poser la question du rôle du
juge d'instruction.
Les réactions sont effectivement avant tout focalisées sur la description de la politique, de la
justice, du pouvoir en général.
Mais est-ce bien le cas, et s'agit-il véritablement d'un film qui traite de politique et de justice ?
Parle-t-il du pouvoir judiciaire, du pouvoir économique et du pouvoir politique ? Est-ce un film qui
dénonce quoi que ce soit sur le milieu de la justice, de la politique et des affaires ?
L'ivresse du pouvoir : un film politique ?
Par son sujet, son titre, le film se présente évidemment comme un film inspiré par des événements
d'importance politique. On présentera le film et l'événement qui l'inspire (A), puis on en verra la
dimension critique (B).
Le film et ses sources
Synopsis
Une juge d’instruction enquête sur un président d’entreprise ainsi que sur les détournements de
fonds dont il est l’initiateur. Au fur et à mesure que l’enquête se poursuit, elle s’aperçoit que
nombre de personnalités importantes telles que des hommes politiques, sont impliquées. Ses
victimes potentielles l'appellent d'ailleurs le piranha. Cette femme audacieuse, sans scrupule, avec
son sourire narquois, empreint de politesses ironiques se réjouit des interrogatoires, perquisitions et
incarcérations. Tout au long du film, on voit l’image de cette femme battante, désireuse de mettre
en prison les « méchants » qu’elle considère comme ses proies, soucieuse du bien de la France au
détriment de sa vie privée. Elle se laisse rapidement griser par le pouvoir, s’implique totalement
dans l’affaire qu’elle instruit et parallèlement délaisse sa famille. Désastre conjugal, son mari
poussé au suicide, son retrait forcé de l’affaire lui fait ouvrir les yeux sur ce pouvoir contraint et
remis en cause par le propre gouvernement français. L'affaire va revenir à son adjointe, sur pression
du Président du tribunal. On comprend que les personnages que l'on a vu ne seront pas condamnés.
Elle-même finit par abandonner le combat après être allée au chevet de son mari à l'hôpital :
L'ivresse du pouvoir – Dechanoz C. & Bennet M.
pour le 25/04/06
« Qu'ils se démerdent ! » conclut le film.
L'affaire Elf
L'affaire Elf commence en 1994.
Elf est une entreprise pétrolière française. Elle est évidemment une entreprise proche du pouvoir
: l'approvisionnement énergétique fait partie des secteurs stratégiques et économiques les plus
importants de l'économie. De plus, son terrain d'action étant international, ce groupe est toujours
confronté aux dirigeants politiques des pays les plus corrompus du monde. Elle éclate en 1994, suite
à la révélation d'un financement douteux : en Allemagne, une entreprise textile est financée par Elf.
C'est le point de départ, sous la direction d'Eva Joly, du démantèlement d'un système entier.
Surfacturations, commissions occultes, emplois fictifs : des millions d'euros sont détournés (des
millions, c'est-à-dire des centaines de millions). Dans ce système, des hommes d'affaires
s'enrichissaient personnellement, offraient des commissions, des pots de vin, finançaient les
hommes politiques, qui en retour bénéficiaient de l'instrument de pouvoir énorme que sont les
entreprises pétrolières. Par ex. R. Dumas, alors Président du Conseil Constitutionnel, a été inquiété
(condamné en 1ère instance mais relaxé en appel), le président de Elf a toujours affirmé avoir eu
l'appui des politiques (présidentiel).
La somme sur laquelle porte l'affaire, en justice, dépasse les 300 millions d'euros. Les
condamnations ont été exemplaires pour une telle affaire : le procès de 2003 a vu la condamnation
de L. LFP (5 ans ferme + 375 000€ d'amendes), de Sirven (1 millions € d'amende + 4 ans ferme), de
Tarallo (2 millions € + 5 ans ferme) et bien d'autres. Les sommes pour lesquels les dirigeants ont été
condamnés s'élèvent à plus de 175 millions €.
L'aspect critique du film : quelle image des différents pouvoirs ?
constat pessimiste et ironique
•
tous pourris. Ridicule des politiques et des affairistes Mais y a en plus l'aspect malsain de la
juge et des hommes de justice en général : volonté de justice qui écrase des hommes
(Humeau qui se retrouve seul à la sortie de la prison, qui se retrouve à l'hôpital après une
dépression, qui croise la juge alors que son mari vient de faire une tentative de suicide).
Conclusion : galerie de personnages qui ont tous leurs défauts. Et surtout, les corrompus et les
corrupteurs sont ridiculisés, mais du coup humanisés, drôles parfois, et surtout il y a le personnage
de Humeau sur qui on veut presque s'apitoyer.
Une vision ambiguë de l'affaire et de sa signification politique :
•
En fait, l'affaire n'est pas le coeur de l'histoire : on ne connaît pas le dénouement, on ne sait
pas ce qu'il advient de son mari. La façon dont est abordée l'affaire est assez floue : c'est
censé représenter Elf, et jamais il n'est dit que l'affaire concerne du pétrole. C'est traité de
façon persque abstraite : les personnages, relativement nombreux, défilent sans qu'on puisse
tous les identifier. Jamais ceux qui manigancent n'ont l'air de perdre la main. Ils sont juste
énervé par la juge, mais jamais inquiété outre mesure.
•
critique d'Eva Joly : dénonce une indulgence, qui dit que la vision fait le jeu de ceux qui
s'opposaient à ce que l'affaire sorte, qui pourrait attaquer pour atteinte à la vie privée.
Transition : Chabrol voulait-il raconter réellement une histoire sur les pouvoirs politiques et
judiciaire, ou plutôt autre chose ? Ce n'est pas une dénonciation. Les mauvais font pitié ou sourire
alors que les justiciers sont pas du tout attachants.
L'ivresse du pouvoir – Dechanoz C. & Bennet M.
pour le 25/04/06
L'ivresse du pouvoir : une étude psychologique / le portrait
d'une femme ?
Il nous semble que le film est avant tout une comédie qui décrit des personnages qui affirment ou
défendent leurs pouvoirs : on a une galerie de portraits tous plus antipathiques les uns que les autres
(A). Mais le personnage principal, la juge, pose évidemment la question de la position du juge
d'instruction (B).
Une comédie de moeurs sur le pouvoir
Le coeur du film n'est pas une description des structures du pouvoir. On n'aborde les pouvoirs
politiques, économiques et judiciaires que du point de vue de discussions privées : drôles,
grotesques, ennuyeuse (pour la vie de Jeanne). On voit surtout une succession de personnages assez
creux, avec des motivations vulgaires.
Ce n'est pas tant le pouvoir comme institutions qui est dépeint, c'est plutôt l'appétit et la gestion
personnelle du pouvoir : chaque être est motivé par un certain rapport au pouvoir, et en définitive,
aucun de ces rapports individuels n'est vraiment sain, aucun ne crée une forme de beauté à l'écran.
Le personnage de Jeanne
Un personnage double ?
•
volonté de justice : « faire du bien à la France », volonté de pureté : mets toujours des gants
pour ses interrogatoires ; volonté de détruire l'adversaire « on va se faire cette pute » -->
attitudes plutôt à condition que ça serve la justice. Mais on en a vu les conséquences : brise
un homme. Elle met en danger sa vie, et donc aussi celle de son mari, sans jamais reculer.
Tous les côtés nobles sont présentés sous leur mauvais jour.
•
à côté de cette volonté de puissance pour la justice : y a rien. Considérations personnelles
sur le côté ennuyeux du film : on voit le vide de son existence. Discussions insipides avec
son mari ; mari dépressif incapable de ramener Jeanne vers lui ; refuse de faire l'amour ; se
lève la nuit pour fumer des cigarettes en continuant de travailler ; attitude ambiguë avec le
neveu de son mari : seul confident, mais est-ce même un ami ? Même avec lui il ne se passe
rien (alors qu'on attend le moment où ils vont se rapprocher) ; vie de famille inexistante, son
mari essaie de se suicider.
--> Un personnage, transparent, pas sympathique, à contre-courant du héros : il n'y a rien de
glorieux dans son combat pour la justice. C'est là qu'il faut revenir à la réalité qui sert de prétexte :
c'est quand même la juge qui a permis la plus grande opération de lutte contre la délinquance
financière de tous les temps.
--> chabrol : n'est pas un spécialiste de la critique politique. Ses films traitent plutôt des passions et
des vices humains, de la violence et de la bêtise.
--> On peut penser que le sujet du film est plutôt ce personnage, qui tout en défendant des idéaux
légitimes, courageux, héroïques, est pourtant quelqu'un d'antipathique, voire d'inhumain. Que ce
portrait soit référé à l'affaire Elf, à la personnalité du juge E. Joly n'est finalement pas très
important, à nos yeux : citer Chabrol dans l'interview qui dit qu'il avait le sujet du film avant de
savoir qu'il allait en traiter à travers l'affaire Elf.
L'image du juge d'instruction
Rien ne nous empêche d'en tirer des réflexions sur le rôle difficile du juge d'instruction, même si
nous pensons que ce n'est pas le sujet principal du film.
L'ivresse du pouvoir – Dechanoz C. & Bennet M.
pour le 25/04/06
Le rôle du juge d'instruction en France
juge du TGI. Il est en charge d'instruire un dossier que lui a confié le parquet après enquête
judiciaire, ce dernier estimant qu'il ne peut fair juger le dossier en l'état. Il doit rendre une
ordonnance de non lieu s'il pense que les éléments sont mal fondés ou insuffisants. Dans le
cas contraire : a) si c'est un crime, il rend une ordonnance de transmission au parquet ; b) si
c'est un délit, il renvoie le dossier devant la juridiction compétente. Un juge d'instruction ne
s'occupe que de dossier dont il est saisi. En contrepartie, il est censé ne recevoir aucun ordre,
et agir en toute liberté. Il a donc beaucoup de pouvoirs. Mais la liberté n'est pas la licence :
son activité est contrôlée et encadrée.
•
Il a le pouvoir de « requérir directement la force publique » (art. 49 à 52 CPPénale).
•
Il est tenu d'instruire à charge et à décharge, d'après l'art. 81 al. 1 du Code de procédure
pénale. Il est donc soumis à certaines obligations : l'instruction doit se dérouler dans un délai
raisonnable, il ne peut juger pénalement des affaires qu'il a instruites.
« Le juge d'instruction procède, conformément à la loi, à tous les actes d'information qu'il juge
utiles à la manifestation de la vérité. Il instruit à charge et à décharge. » (art. 81)
•
Mise en question de son rôle : procédure inquisitoire du juge d'instruction
Un enseignement finalement assez léger : le juge est un être humain
Évidemment, le juge est un être humain. Il a des passions, des motivations personnelles qui
peuvent être étranges, ou peu compréhensible. Chabrol parle de la volonté de justice en général sur
laquelle il jette un soupçon : il entache l'image de pureté du juge. On peut penser que ce qui a
choqué, c'est simplement le fait de briser l'image d'une justice parfaite. Mais qui croit à cette image
d'homme parfaits...
Conclusion
La portée réellement critique du film nous semble faible. Les milieux d'affaire et politique sont
mis sur un même niveau de ridicule, ou d'antipathie, quel les représentants de la justice. Il y a une
ambiance de tous pourris, relativement drôle.
La seule part critique, (cf. contexte Outreau) porte sur la responsabilité lourde du juge
d'instruction : son pouvoir est grand, par la nécessité des chose. Et l'homme qui remplit la fonction
peut très bien être décrit comme humainement antipathique. Chabrol nous montre un juge qui fait
bien son travail, mais qui offre un spectacle désagréable.
En ce sens, il attire l'attention sur la difficulté de la tâche : là on insère son opinion sur le juge
d'instruction (schizophrénie d'une personne qui instruit à charge et à décharge).
Mais on ressort du film avec l'image d'une personne qui veut faire le bien, à qui on met des
bâtons dans les roues, et qu'on ne parvient pourtant pas à aimer tant elle semble inhumaine.
Personne ne sort grandi du film.
Documents
•
Articles du Monde des :
•
22/04/06 (articles de Pascale Robert-Diard & Jean-Luc Douin) ;
•
02/03/06 (article de Thomas Sotinel) ;
•
17/03/06 (article d'Eva Joly)
•
Interview de C. Chabrol dans Télérama, version numérique, datée du 23 février, disponible
à : http://cinema.telerama.fr/edito.asp?art_airs=WEB1002368&srub=1
L'ivresse du pouvoir – Dechanoz C. & Bennet M.
•
pour le 25/04/06
Interview d'Eva Joly sur RFI, le 20 juin 2003. Transcription et enregistrement audio (Mp3)
disponible à : http://www.subversiv.com/doc/elf/eva-rfi.htm