Agir avant qu`il ne soit trop tard
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Agir avant qu`il ne soit trop tard
Dumping social «Agir avant qu’il ne soit trop tard !» Le dumping social poursuit ses ravages: en l’espace de trois ans, le secteur a perdu plus de 17.000 emplois, soit quasi 1 poste ouvrier sur 10 ! Durant cette même période, l’activité des entreprises a pourtant progressé de 1,8%, tout comme… la recrudescence de la maind’œuvre étrangère. «La construction n’est pas loin du point de non-retour», prévient Robert de Mûelenaere, administrateur délégué de la Confédération. L e nombre d’ouvriers de la construction a considérablement reculé au cours des trois dernières années. Plus de 17.000 postes de travail ont été perdus entre la fin 2011 et la fin 2014. La baisse de l’emploi ouvrier (- 9,7% en trois ans), alors que l’activité des entreprises a progressé dans l’intervalle (+ 1,8%), témoigne d’une forte détérioration de l’intensité en main-d’œuvre des activités de construction. risques de distorsion de la concurrence et de dumping social. Le ver était dans le fruit et les dominos tombent aujourd’hui de manière implacable les uns après les autres.» «En permettant l’application des règles du pays d’origine – notamment en matière de sécurité sociale – dans le pays d’accueil, on a créé une machine à détruire l’emploi dans le pays d’accueil. Car ce n’est plus de concurrence entre entreprises dont il s’agit, mais bien entre modèles de protection sociale. L’Europe se construit à coups de canon. Pour créer de l’emploi chez les uns, il faut en détruire chez les autres. Les gens ne vont pas accepter cela. C’est la légitimité de l’Europe qui est en cause aujourd’hui.» Dans le même temps, le nombre d’ouvriers détachés de l’étranger sur des chantiers belges a fortement augmenté. Le nombre de déclarations LIMOSA pour la construction – déclaration obligatoire pour tout travailleur étranger venant travailler dans notre pays – a été multiplié par 2,65, passant de 118.800 en 2010, à 314.924 en 2014. Les travailleurs détachés temporairement dans notre pays représentent ainsi, en équivalents temps plein, un volume de travail de l’ordre de 33.000 emplois! «La forte dégradation de l’emploi dans la construction trouve sa cause première dans l’arrivage accéléré de la maind’œuvre étrangère», analyse Robert de Mûelenaere. «Si rien n’est fait pour enrayer le phénomène, ce sont 20.000 postes supplémentaires qui pourraient membres ont fait le choix de libéraliser le commerce des services, et ce au moment où l’Union s’est étendue à 28 pays présentant des disparités de conditions salariales considérables. R.d.M.: «Le scénario était écrit, il ne fallait pas être devin pour prévoir ce qu’il advien- «Si rien ne change, ce sont encore 20.000 emplois d’ici le terme de la législature qui vont disparaître !» être perdus d’ici la fin de la législature. Ce qui porterait à 40.000 les pertes d’emploi dans la construction en huit ans à peine!» COMMENT EN EST-ON ARRIVÉ LÀ ? Dans le milieu des années 2000, les Etats- 18 construction - juin 2015 drait. L’Europe a ouvert la boîte de Pandore et a sacrifié les secteurs à forte intensité de main-d’œuvre non délocalisables, dont la voix n’a pas pesé lourd face aux différents intérêts en présence. La Confédération avait pourtant dénoncé à l’époque les L’EUROPE EST-ELLE LA SEULE FAUTIVE? R.d.M.: «Quand je compare notre situation avec celle des pays étrangers, j’ai l’impression qu’elle est plus problématique encore. Le politique est resté trop longtemps au balcon. Mais il n’est pas seul en cause. La volonté de faire travailler les acteurs locaux n’existe pas chez nous, comme en France, au Grand-Duché ou au Danemark par exemple. LA BELGIQUE PAIE-T-ELLE SA CULTURE DU PRIX LE PLUS BAS? R.d.M.: «Il y a chez nous effectivement cette culture qui a ouvert grande la porte au moins-disant social. On veut le prix le moins cher, sans se poser d’autres questions, du client privé au bourgmestre qui gère le budget des travaux de sa commune. Les administrations se laissent entraîner dans une spirale sans fin en fermant les yeux sur des manquements caractérisés à la législation, contribuant ainsi au délitement de tout un secteur. Il est dès lors très difficile dans ces conditions pour nos entreprises qui emploient notre main-d’œuvre de rester compétitives.» Les partenaires sociaux ont formulé des propositions radicales et comptent bien qu’elles soient entérinées par le Gouvernement avant l’été : - imposer le port obligatoire du badge d’identification pour tous les travailleurs belges et étrangers; - étendre l’obligation d’agréation à tous les sous-traitants; - limiter à deux niveaux maximum la chaîne de sous-traitance pour la même activité; - renforcer l’efficacité du dispositif de lutte contre les faux indépendants; - étendre la responsabilité solidaire pour les dettes sociales et fiscales au client final; - forcer les donneurs d’ordre public à justifier les offres de prix anormalement basses; - renforcer le cadre d’application et le contrôle des réglementations en matière de sécurité et de bien-être; - appeler les autorités locales à investiguer et combattre les pratiques de traite des êtres humains (logement en containers et autres pratiques contraires à la dignité humaine); - offrir aux maîtres d’ouvrage des guidelines concernant les coûts salariaux tout frais compris des travailleurs détachés aux fins de les sensibiliser et les responsabiliser sur le juste coût; - lier l’octroi aux particuliers d’avantages fiscaux ou primes au respect de certaines obligations de contrôle; - approfondir et renforcer le dataminning et le datamatching qui permettent de davantage cibler les contrôles pour les rendre plus efficaces. Les administrations du pays d’accueil sont dans l’incapacité de vérifier si les cotisations sociales dues ont effectivement été payées dans le pays d’origine.» la responsabilité solidaire pour les dettes sociales et fiscales au client final. La Belgique a des possibilités d’agir sans risquer une sanction européenne.» LE CRI DE DÉTRESSE DU SECTEUR EST-IL ENTENDU PAR LES POLITIQUES? R.d.M.: «Les employeurs et les travailleurs ont compris qu’ils devaient se battre ensemble. Avant les élections, COMMENT PEUT-ON AGIR À L’ÉCHELON EUROPÉEN? R.d.M.: «Egalement en front commun, nous demandons e.a. que l’on réduise la durée de validité du formulaire A1 émis dans les pays d’origine lors du détachement, ainsi que la durée autorisée du détachement lui-même (limité aujourd’hui à 24 mois). Pour s’assurer que les charges sociales soient bien payées dans le pays d’origine, nous proposons qu’elles soient payées dans le pays d’accueil, à charge pour ce dernier de les reverser au pays d’origine.» «Nos politiques ont la possibilité d’agir pour enrayer ce fléau, sans risquer une sanction européenne» nous avons signé un plan stratégique de lutte contre la fraude sociale. Un appel entendu par le gouvernement qui depuis le mois de février planche avec les partenaires sociaux pour trouver des solutions concrètes. Cette Table ronde devrait aboutir pour le mois de juillet. Parmi les propositions qui sont sur la table (voir encadré), figurent l’extension de l’obligation d’agréation aux sous-traitants ou la limitation à deux niveaux de la chaîne de sous-traitance pour une même activité. Nous demandons également d’étendre «Tout le monde doit être bien conscient, pouvoirs publics en tête, que la construction est engagée dans une course contre la montre en ce moment. Sans résultats rapides de ces très nombreuses actions qui s’inscrivent dans un plan d’ensemble contre la concurrence déloyale, le combat sera par trop inégal et nos entreprises n’auront d’autre choix que de se diriger vers la main-d’œuvre étrangère pour rester compétitives. Avec à la clé un gâchis économique, social, budgétaire et politique.» n construction - juin 2015 19 PROJETS & ENTREPRISES mum, dépassement de la durée légale du travail, défaut de paiement des cotisations dans le pays d’origine, … En outre, il n’est pas rare que les employeurs qui détachent des travailleurs n’exercent aucune activité économique dans le pays d’origine. On parle aussi de détachement ‘par roulement’, lorsqu’un même travailleur ou des travailleurs différents sont employés de manière récurrente. Ce procédé vide la nature temporaire propre à la notion de détachement. Il manque une coordination des contrôles entre pays européens. SECTEUR & MÉTIERS IL NE S’AGIT LÀ QUE DE LA POINTE DE L’ICEBERG. R.d.M.: «Bien sûr, en cas de fraude au détachement, la différence concurrentielle est d’un tout autre ordre! Les fraudes sont légion: non-paiement du salaire mini- QUE PROPOSENT LES PARTENAIRES SOCIAUX? DOSSIER L’EUROPE NE PRÉVOIT-ELLE PAS DES GARDE-FOUS DANS LE CADRE DU DÉTACHEMENT? R.d.M.: «Une série de dispositions prévoient une protection minimum du travailleur détaché: taux de salaire minimum, périodes maximales de travail, normes de sécurité, … en vigueur dans le pays d’accueil. Quand bien même l’entreprise qui détache ses travailleurs respecte l’ensemble des règles imposées, le maintien de l’assujettissement au système de sécurité sociale du pays d’origine lui permet d’être 20 à 35% moins chère que sa concurrente employant de la main-d’œuvre locale !» VOS INTÉRÊTS LE COÛT SALARIAL BELGE N’AIDE PAS NON PLUS… R.d.M.: «Notre pays est champion du monde du coût salarial. Nos entreprises, les unes après les autres, sont contraintes de se séparer de leur personnel et de faire appel à la main-d’œuvre étrangère, ce que très souvent elles vivent très difficilement. Notre secteur vit d’ailleurs un moment-clé. Sans mesures nouvelles, les entrepreneurs qui ont choisi de ne pas faire appel à de la main-d’œuvre étrangère vont basculer. Les partenaires sociaux, en front commun, ont d’ailleurs exigé du gouvernement une baisse drastique des charges sociales dans la construction, de l’ordre de 6 € par heure de travail prestée.»