Vivre la fin du pétrole avec le sourire
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Vivre la fin du pétrole avec le sourire
Vivre la fin du pétrole avec le sourire Petite introduction aux Villes en transition Effondrement de notre modèle de société, catastrophes naturelles et technologiques, crises écologiques, économiques et sociales… Le ton alarmiste utilisé par les principaux courants écologistes actuels nous inviterait plutôt à mettre la tête dans le sable qu’à passer à l’action. Au lieu de craindre l’apocalypse annoncée, pourquoi ne pas plutôt rêver un avenir meilleur ? C’est cette approche positive qu’adoptent les initiatives de transition en privilégiant la carotte au bâton. Rêver à un monde solidaire et respectueux de l’environnement invite à l’action, pour façonner ensemble une société nouvelle, à notre manière. Crise énergétique et crise climatique : deux enjeux pour une action commune Depuis la révolution industrielle, notre conception du « progrès » est fondée sur l’accumulation de biens matériels. Notre quête de croissance entraîne une surexploitation des ressources naturelles (érosion de la biodiversité, épuisement des ressources énergétiques…) et une dégradation de nos biens communs (pollution de l’eau et de l’air, dérèglement climatique…). ème Depuis le 4 rapport du GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat) publié en 2007, il n’est plus possible de remettre en question le lien entre notre modèle de développement, les émissions de gaz à effet de serre anthropiques et les changements climatiques majeurs que nous traversons. Par ailleurs, notre soif d’énergie toujours plus importante entraîne un épuisement progressif des réserves fossiles d’énergie. Alors que la production de pétrole n’a cessé de croître depuis une centaine d’années, cet âge d’or touche à sa fin. La production pétrolière a atteint son pic en 2007 (voir graphique). Elle ne va désormais que décroître, entraînant une augmentation du prix du pétrole jusqu’à ce qu’il ne soit plus rentable de l’exploiter. Cela va imposer un changement profond de nos modes de vie. Evolution de la production de pétrole et de gaz Source : Association for the Study of Peak Oil & Gas Aucune réponse au changement climatique ne pourra être efficace si elle ne répond pas également aux problèmes liés au pic pétrolier, et réciproquement. Si le stockage du carbone permettrait de réduire le changement climatique, il n’apporterait aucune solution à l’épuisement des stocks pétrolier. A l’inverse, l’exploitation des gaz de schiste permettrait de retarder le pic énergétique mais augmenterait nos émissions de gaz à effet de serre. La transition doit donc répondre à un double objectif : réduire drastiquement nos émissions de gaz à effet de serre et préparer la fin du pétrole abondant et peu cher. Mettre en marche la transition Les grandes conférences gouvernementales sur la crise environnementale pourraient nous faire baisser les bras et perdre tout espoir d’un changement de nos mentalités. Mais d’autres modes d’action existent. Face à l’échec d’une approche top-down classique, l’impulsion de la transition doit venir de la population. De nombreux mouvements défendent une transformation profonde de nos sociétés et de nos modes de consommation et de vie à partir d’actions individuelles et collectives. La transition énergétique défendue par NégaWatt ou Greenpeace consiste à évoluer vers un nouveau modèle énergétique fondé sur : (1) la sobriété énergétique (identifier les usages de l’énergie essentiel au fonctionnement de nos sociétés et supprimer les autres), (2) l’efficacité énergétique (isolation des bâtiments, production énergétique décentralisée…) et (3) les énergies renouvelables. Dans cette approche, tous les acteurs et les échelles d’action sont nécessaires et complémentaires. Le mouvement des objecteurs de croissance, particulièrement dynamique en France, défend l’évidence qu’une croissance infinie dans un monde fini est impossible. Ce constat évident implique d’amorcer la décroissance volontaire de notre consommation et notre production avant de subir une crise involontaire. Cette approche est proche des mouvements de simplicité volontaire, de sobriété heureuse, mais également des Villes en transition étudiés plus précisément ici. 1 A la base des Villes en transition Le mouvement des Villes en transition (VT) prend sa source en Angleterre vers 2005. La première VT, Totnes (Devon, Angleterre) est née lorsqu’un professeur de permaculture*, Rob Hopkins, s’est intéressé de plus près à l’enjeu du pic pétrolier. Depuis, le mouvement s’est étendu dans toute l’Angleterre et a traversé les frontières jusqu’au Canada, au Japon, en Australie … Deux approches sont au cœur de ces initiatives : l’optimisme et la résilience (voir encadré). Alors que les écologistes « classiques » se focalisent sur les risques, le mouvement des Villes en transition s’efforce d’inspirer, d’enthousiasmer et de se concentrer sur les possibilités offertes par la transition. A la question « à quoi ressembleraient nos vies sans pétrole ? », les transitionneurs répondent « à un monde meilleur, où la société serait plus soudée et les écosystèmes préservés. » Se préparer à la fin du pétrole est le seul moyen pour nos sociétés de s’en sortir de manière positive. Pour cela, nous devons nous sevrer du pétrole, accroître notre résilience. Qu'est-ce que la résilience ? En écologie, le concept de résilience fait référence à la capacité d’un écosystème à survivre et à s’adapter à un changement brutal qui lui est imposé. Le mouvement des Villes en transition cherche à appliquer ce concept à nos sociétés, à développer « une culture basée sur son aptitude à fonctionner indéfiniment et à vivre à l’intérieur de ses limites, se trouvant dès lors à même de prospérer pour avoir su y parvenir. » Le choc, ici, est la fin du pétrole abondant et abordable. Pour que nos sociétés ne s’effondrent pas, il est nécessaire de nous préparer à un avenir plus sobre, fondé sur l’autosuffisance et le local. Exemples d’actions qui contribuent à la résilience : plantation d’arbres fruitiers, compostage, utilisation de matériaux de construction locaux, investissements communautaires… * Permaculture : conception et entretien conscients de systèmes agricoles productifs, dotés d’autant de diversité, de stabilité et de résilience que les écosystèmes naturels. C’est l’intégration harmonieuse du territoire et des gens pour satisfaire de façon viable leurs besoins en nourriture, en habitation, en énergie… (définition de Graham Bell) Repenser, relocaliser, diversifier… Construire la résilience de nos sociétés nous impose de réapprendre à nous passer du pétrole. Cette démarche implique d’abord de repenser nos priorités, d’évaluer nos besoins, à l’échelle individuelle et collective. Plutôt que de nous focaliser sur les richesses matérielles, nous pouvons valoriser de nouvelles formes de richesses comme les liens sociaux, la vie culturelle de la ville… Le concept clé de la transition est la relocalisation de l’économie, c'est-à-dire le fait de produire au niveau local l’ensemble des biens et services qu’il est possible de produire ainsi. Il s’agit de « rebâtir une agriculture et une production alimentaire locales, localiser la production énergétique, repenser les soins de santé, redécouvrir les matériaux de construction locaux (…), repenser la manière dont nous gérons les ordures »… (Hopkins, Manuel de Transition) Ce processus permet de se libérer d’une dépendance excessive à l’économie mondiale. La relocalisation nécessite de se réapproprier de nombreux savoirs. Pour cela, les initiatives de transition organisent des formations pour réapprendre à cultiver un potager, tailler les arbres fruitiers, couvrir un toit de chaume, faire du savon ou coudre ses vêtements… Jardin Ecobox, Paris 18ème Par ailleurs, relocalisation de l’économie implique relocalisation de la démocratie. La transition permet le renforcement des compétences des acteurs locaux et du pouvoir des citoyens sur les décisions les concernant directement, comme les modes de production énergétique… Enfin, le renforcement de la résilience passe par une grande diversité de projets. Si les initiatives de transition partagent une même base théorique et cherchent à répondre aux mêmes enjeux, elles proposent une très grande diversité de réponses, développées selon des contextes locaux spécifiques. Monnaies complémentaires et systèmes d’échanges locaux L’un des outils de la relocalisation de l’économie est la création d’une monnaie locale. Il peut s’agir d’une monnaie complémentaire, convertible ou non dans la monnaie nationale, utilisée par les habitants pour régler leurs achats chez les commerçants locaux. Les systèmes d’échanges locaux (SEL) reposent sur l’échange direct de services et de biens, parfois avec l’utilisation du temps comme monnaie intermédiaire. Ces outils ont de nombreux avantages. Ils permettent tous deux de relocaliser l’économie et de contrôler l’utilisation qui est faite de l’argent. Grâce à une date limite d’utilisation, il est impossible de spéculer sur les monnaies locales. Les SEL permettent la réutilisation d’objets et la valorisation des compétences de chacun. Enfin, une monnaie locale est un vecteur de sensibilisation et « d’éveil des consciences ». Loin de se limiter aux Villes en transition, ces monnaies alternatives voient le jour partout dans le monde. On pourrait citer le Palmas brésilien, le Talente allemand, l’Abeille, la sol violette ou les SEL en France, le Totnes Pound ou l’Accorderie québécoise… Ces expériences sont nombreuses et diverses, chacunes adaptées à un contexte local et à des acteurs et des enjeux spécifiques. 2 Comment réussir transition ? son initiative de L’approche de transition cherche à agir sur les comportements collectifs. Il s’agit d’une réflexion qui doit être menée à l’échelle d’une communauté, d’un groupe de vie. Si toute initiative est lancée par un petit groupe de personnes motivées, elle doit peu à peu être placée dans les mains de la population. Une attention toute particulière est donc accordée aux actions de sensibilisation (projection de film, débats…), à des méthodes de concertation innovantes (forums ouverts…) et à l’organisation de manifestations festives pour communiquer sur l’initiative et célébrer les différentes étapes. Il est également essentiel d’impliquer les membres de l’administration locale dès les premières étapes du projet. Les 4 prémisses de base des Initiatives de Transition / Manuel de transition, Rob Hopkins 1. Nous ne pourrons éviter de vivre en consommant beaucoup moins d’énergie. Il vaut mieux s’y préparer que d’être pris par surprise. 2. Nos établissements humains et nos communautés manquent de la résilience nécessaire pour survivre aux importants chocs énergétiques qui accompagneront le pic pétrolier. 3. Nous devons agir collectivement et nous devons le faire maintenant. 4. En stimulant le génie collectif de notre entourage pour concevoir en avance et avec créativité notre descente énergétique, nous pouvons construire des modes de vie plus interreliés, plus enrichissants et qui reconnaissent les limites biologiques de notre planète. Après avoir rassemblé des informations de base sur les pratiques actuelles, le travail central du PADE est d’imaginer ce à quoi ressemblerait la communauté dans 15 ou 20 ans si elle était sur la voie de la résilience. Ce travail d’imagination passe par l’organisation de forums ouverts, mais également par les contes de transition, outil pédagogique qui consiste en la publication d’histoires, d’illustrations ou d’articles présentant l’apparence de la communauté dans un avenir résilient. Les groupes de travail thématiques détaillent ensuite cette vision globale secteur par secteur et établissent une planification à rebours qui liste les étapes incontournables pour atteindre cet objectif. Les documents sont regroupés pour constituer le PADE, base de l’action de la communauté pour sa résilience. © Jacqi Hodgson Penser la transition, c’est imaginer l’avenir de sa communauté, de son village ou de sa région. Ce travail d’imagination et de création collective passe notamment par la création d’un plan d’action de descente énergétique (PADE). Le PADE décrit « la vision d’une communauté résiliente, prête pour un avenir relocalisé » et les différentes étapes concrètes à réaliser pour l’atteindre. Contes de transition dans une école de Totnes Si le Manuel de Transition de Rob Hopkins fournit les outils et les étapes clés pour lancer une initiative de transition, il ne doit pas être un carcan. Le modèle des initiatives de transition joue un rôle de catalyseur. Il aide à lancer l’action mais ne propose pas de solution toute faite. Il est important de laisser une grande liberté d’action aux acteurs et de « laisser les choses aller où elles veulent » pour parvenir à un modèle de résilience efficace, adapté aux spécificités locales. Totnes, première Ville en transition Totnes est une petite ville de 8000 habitants située dans le Devon et réputée pour être un lieu de développement d’alternatives, souvent qualifiée de « ville de hippies ». Les écoles et l’université de la ville appliquent depuis les années 60 des méthodes d’apprentissage alternatif. De nombreux commerces sont engagés dans une démarche écologique... Le contexte était donc idéal pour que Rob Hopkins et un petit groupe de personnes, lancent en 2006 la première initiative de transition : Transition Town Totnes (TTT). Dans un premier temps, de nombreux débats ont été organisés autour de la thématique du pic pétrolier afin d’inviter les habitants du village à se poser des questions et à se joindre à TTT en participant à des groupes de réflexion thématiques. Alors que l’Angleterre importe 80% de ses ressources alimentaires, une grosse réflexion a été menée pour redonner à Totnes son indépendance alimentaire. Des jardins partagés ont été aménagés et des arbres fruitiers ont été plantés dans les lieux publics… © Totnes Festival Depuis 2006, la Totnes Pound, monnaie complémentaire, permet aux habitants de régler leurs achats chez les commerçant locaux. En 2008, Totnes s’est lancée dans l’élaboration de son plan d’action de descente énergétique, disponible sur le site : http://totnesedap.org.uk/book/ Symbole de la réussite d’un projet de transition, Totnes est aujourd'hui au cœur du réseau des Transition Towns. 3 C’est bien joli tout ça… Bristol, la résilience à grande échelle ? … mais dans les villes comment on fait ? Et mon ordinateur, je dois m’en passer ? Et mon café ? Présenter le concept de la transition implique souvent de passer pour un doux rêveur qui n’a pas conscience des limites de ce qu’il défend. Impossible de lancer une Initiative de Transition à l’échelle d’une grande ville ? Pourtant, Bristol 420 000 habitants, s’est lancé ce défi. En 2008 a été publié le rapport Building a positive future for Bristol after the Peak Oil. Ce rapport s’inspire de la méthodologie des PADE et des contes de transition. Il explore les vulnérabilités de la ville et propose des pistes à suivre pour éviter l’effondrement des secteurs dépendants au pétrole. Reconnaissons-le, il est impossible de produire l’ensemble des biens et services à l’échelle de communale, plus encore dans les grandes villes où l’espace disponible est restreint. Ainsi, si l’on transformait les 45 hectares du Champ de Mars en potagers, il ne fournirait des légumes qu’à 9000 personnes, sans parler des autres besoins alimentaires. La dépendance actuelle de la ville au pétrole pour satisfaire ses besoins de base présente des risques importants pour la cohésion sociale. La reconstruction de la résilience alimentaire et de la résilience des services publics est indispensable. On doit bien garder à l’esprit que relocalisation ne signifie par autarcie. Il s’agit d’être aussi autonome que possible, et, surtout, de se poser les bonnes questions. Les auteurs du rapport proposent d’accroître le nombre de jardins ouvriers et d’AMAP, mais également de dresser une liste des terrains pouvant être réquisitionnés pour la production alimentaire. Un plan de réduction des déchets est proposé et les déplacements doux (vélo, marche, péniches…) doivent être privilégiés… Nos modes de consommation sont surtout affaire de choix, d’arbitrages. Ainsi, un régime végétarien est beaucoup plus économe en espace qu’un régime carné. Sommes-nous près à réduire notre consommation de viande ? La consommation d’alcool importés (vins, spiritueux…) est-elle indispensable ?... Si de nombreuses actions sont encore à l’état de projet, ce rapport innovant a le mérite d’étudier les impacts de la fin du pétrole à l’échelle municipale et les mesures pour les atténuer. La démarche des Villes en transition a donc ses limites. Elle permet toutefois d’inspirer d’autres mouvements, plus adaptés à des contextes différents. La transition en France Si un temps d’acclimatation a été nécessaire pour traduire et adapter le concept anglophone des Transition towns, le mouvement de transition a peu à peu convaincu et fédéré les militants écologistes. Plusieurs éléments ont séduit. Alors que le réchauffement climatique est un enjeu qui peut paraître lointain et flou, le pic pétrolier, ses conséquences et les solutions proposées ont une dimension plus concrète et plus directe. Par ailleurs, cette approche articule catastrophisme et optimisme, faisant de la transition une nécessité, mais aussi un choix. Des groupes locaux de transition se sont créés un peu partout en France et ont pu se former auprès des initiateurs du mouvement en Angleterre. Ces initiatives diverses touchent autant des territoires ruraux que des villes. On peut ainsi citer Tièvres après pétrole, l’une des initiatives les plus avancées en France, mais également Grenoble, Saint-Quentin en Yvelines… Pour plus d’informations : http://www.transitionfrance.fr Article de Clara Coupey Volontaire « Energie » et « Reconsidérer la richesse » à France Libertés Août 2012 Bibliographie : HOPKINS Rob, Le Manuel de Transition : de la dépendance au pétrole à la résilience locale, Les Editions Ecosociété, 2010 (2008 pour l’édition anglaise), 212 pp. NegaWatt, Dossier de synthèse du Scénario NégaWatt 2011, septembre 2011, 28 pp. Disponible en téléchargement sur www.negawatt.org/ SEMAL Luc, SZUBA Mathilde, Dossier « Villes http://www.revuesilence.net/epuises/300_399/silence365.pdf en transition », Silence, n°365, février 2009, p.4-18 SEMAL Luc, SZUBA Mathilde, « Les transition Towns : résilience, relocalisation et catastrophisme éclairé », Entropia, n°7, automne 2009, p. 178-188 SEMAL Luc, SZUBA Mathilde, Dossier « Villes en transition vers le rationnement », Silence, n°379, mai 2010, p.4-16 http://www.revuesilence.net/epuises/300_399/silence379.pdf SEMAL Luc, SZUBA Mathilde, Dossier « Du pic de pétrole à la résilience locale », Silence, n°385, décembre 2010, p.4-17 http://www.revuesilence.net/epuises/300_399/silence385.pdf Transition Town Totnes, Transition in Action, Totnes 2030, an Energy Descent Action Plan, Scénarisé et édité par Jacqi Hodgson et Rob Hopkins, 2010, consultable sur http://totnesedap.org.uk/book/ 4