UNE NOUVELLE SCÈNE LITTÉRAIRE. Rencontre avec les

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Une nouvelle scène littéraire.
Rencontre avec les écrivains de l’aprèsapartheid
Affranchie de la discrimination raciale, l’Afrique du Sud a permis
à de jeunes auteurs noirs de percer. Ils puisent leur inspiration
dans les problèmes sociaux qui demeurent dans cette
société libérée.
Niq Mhlongo figure parmi les nouvelles voix les plus fougueuses de la scène
littéraire sud-africaine de l’après-apartheid. Par un après-midi de printemps,
installé sur le siège avant de la voiture de son ami Gugu, il me montre les hauts
lieux de Soweto. Plein d’entrain, un bonnet mou en tricot couvrant son crâne
chauve et rond, il bavarde avec Gugu en anglais et dans un mélange de zoulou et
de sotho qu’ils appellent le “zoutho” tandis que, au volant, Gugu profite des feux
rouges pour pianoter sur son BlackBerry. Nous passons devant le parc de l’hôpital
Chris Hani Baragwanath, le plus grand du monde, descendons la côte de Vilakazi
Street – où résidaient Nelson Mandela et Desmond Tutu –, dépassons quelques
corps de ferme en brique transformés en chambres d’hôtes pour touristes
nostalgiques de la lutte contre l’apartheid, en longeant des routes bordées de
panneaux publicitaires pour les restaurants Kentucky Fried Chicken (KFC) et de
murets peints de réclames bigarrées pour des services de pompes funèbres : “Les
Vertes Prairies – funérailles abordables et dignes”.
Mhlongo n’a pas de voiture et, craignant que nous ne nous fassions un peu trop
remarquer en nous baladant dans Soweto en taxi, il me demande si je suis
disposée à donner “un petit quelque chose” à Gugu pour qu’il nous serve de
chauffeur. Je n’hésite pas une seconde. Mhlongo et son acolyte ont accompli en
une décennie à peine une ascension sociale et économique qui aurait par le passé
pris plusieurs générations. Né dans une famille pauvre de Soweto à l’époque de
l’apartheid, Mhlongo a grandi dans la culture de l’après-apartheid, où les champs
des possibles se sont élargis, et a rejoint, quoique de façon précaire, une classe
moyenne noire qui représente un segment encore restreint mais en pleine
expansion de la population. A ce titre, lui et d’autres jeunes romanciers noirs
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portent toutes les promesses – et le fardeau – de l’avenir de leur pays. Dans son
premier roman impertinent, publié en 2004, Dog Eat Dog [Le chien est un loup
pour le chien, éd. Kwela Books, non traduit en français], Mhlongo, qui a
maintenant 33 ans, parlait avec verve et candeur des angoisses de sa génération.
Il abordait la question de ces enfants qui sont les premiers de leur famille à
fréquenter l’université, qui se demandent comment ils vont gagner leur vie, ont
peur de décevoir les attentes de leur famille et plus encore de leur pays, et qui ne
craignent pourtant pas de profiter des failles du système. Ecrit à la première
personne, le roman se déroule en 1994, l’année grisante des premières élections
de l’après-apartheid, et raconte l’histoire de Dingamanzi Njomane, un gamin
débrouillard des townships qui s’efforce tant bien que mal de garder la tête hors
de l’eau à l’université de Witwaterstrand, à Johannesburg. Quand l’université lui
fait savoir qu’il ne répond pas aux critères pour bénéficier d’une bourse, il se
précipite au bureau du personnel, hurle à la face de la dame blanche chargée de
ce type de dossiers et va raconter à sa supérieure que sa mère nourrit ses neuf
frères et sœurs avec sa seule pension de veuve et qu’on lui a même coupé
l’électricité.
Aujourd’hui, le racisme existe toujours en Afrique du Sud, assure Mhlongo, “même
s’il n’est plus aussi institutionnalisé ni aussi patent qu’avant”. Mais, comme en
témoigne très clairement son œuvre, l’époque de la littérature militante est révolue
en Afrique du Sud. Le pays doit maintenant affronter les contradictions de la
liberté. Le fossé racial qui était jadis sanctionné par la législation a laissé place à
un fossé économique qui coïncide surtout avec les lignes de fracture raciales.
Tout le monde est profondément incertain de sa place. Quatre Sud-Africains sur
cinq sont noirs, un sur quatre est au chômage et au moins un sur neuf est
séropositif. Les crimes violents sont endémiques, le taux des viols parmi les plus
élevés de la planète. L’Afrique du Sud d’aujourd’hui est une formidable expérience
de démocratie multiculturelle, où le pouvoir est noir, l’argent essentiellement
blanc, et la frontière entre responsabilisation et exploitation toujours mouvante. Le
préambule de la Constitution de 1996 – qui est sans doute le document le plus
déterminant de l’après-apartheid, sinon de toute l’histoire du pays – proclame :
“L’Afrique du Sud appartient à tous ceux qui y vivent, unis dans notre diversité.” Il
s’agit d’une unité délibérée qui, sans être véritablement une façade, n’est pas tout
à fait non plus une fondation.
On ne saurait prétendre que l’état du roman soit l’une des grandes priorités de
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l’Afrique du Sud, mais son bulletin de santé reflète à bien des égards celui de la
culture dans son ensemble. Vers 1985, J.M. Coetzee affirmait que “le grand roman
sud-africain” – celui qui refléterait toutes les couches de la société, comme l’avait
fait Guerre et Paix pour la Russie – serait impossible à écrire dans un pays aussi
divisé. Douze ans après la fin de l’apartheid, la scène littéraire sud-africaine
demeure plus fragmentée que jamais, et ses écrivains explorent surtout leurs
propres expériences ethniques. Le pays n’a jamais publié davantage de livres,
mais très peu font parler d’eux à l’échelle nationale, ce qui provient en partie du
fait que l’Afrique du Sud est passée d’une culture de la résistance à une culture de
la consommation – dans laquelle le roman joue un rôle moins vital. Sous
l’apartheid, les écrivains luttaient contre un gouvernement qui paradoxalement les
mettait en valeur en interdisant leurs livres. Aujourd’hui, comme le confie l’artiste
William Kentridge, l’Afrique du Sud se conçoit surtout “comme une société de
l’après-apartheid plutôt que comme une société anti-après-apartheid”. Les écrivains
comme les citoyens ordinaires cherchent à s’adapter à un nouvel ordre moral.
“Quels thèmes pouvons-nous aborder aujourd’hui ?” s’interroge le romancier blanc
Damon Gagut, figure de proue de la littérature sud-africaine. “Comment reprendre
la main ? La littérature de résistance a disparu, pour la bonne et simple raison qu’il
n’y a plus rien contre quoi combattre.” On ne cherche plus à dénicher le grand
roman sud-africain, mais le grand romancier noir sud-africain. Depuis la fin de
l’apartheid, ce sont effectivement les écrivains noirs qui sont sous les feux des
médias nationaux et internationaux, car on part du principe que c’est désormais à
leur tour d’écrire un chapitre de l’histoire sud-africaine : celui de la maturité
politique, sociale et économique des 80 % de la population qui étaient jusqu’alors
dépossédés de leurs droits de représentation.
“C’est le moment idéal pour être un auteur noir en Afrique du Sud, convient
Mhlongo. La plupart des écrivains noirs qui étaient actifs avant la démocratie
s’intéressaient essentiellement à la politique, mais maintenant on peut parler de
toutes sortes de choses – de la pandémie du sida, de la pauvreté, de la criminalité,
de la xénophobie, du chômage. Mon horizon ne se limite pas à l’apartheid, car il se
passe aujourd’hui énormément de choses en Afrique du Sud.” La profusion de
nouveaux thèmes a toutefois eu ses effets pervers : la petite poignée de
romanciers noirs sortis du lot s’est retrouvée soumise à une intense pression,
aggravée par un sentiment de culpabilité des Blancs, qui se demandent pourquoi
ils ne sont pas plus nombreux. Niq Mhlongo est l’un des quelques romanciers
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noirs de sa génération à avoir acquis une certaine notoriété. Deux autres
membres de cette petite coterie sont morts ces dernières années : K. Sello Duiker
s’est suicidé à l’âge de 30 ans et Phaswane Mpe est décédé à 34 ans,
probablement du sida. Connus de leur vivant, tous deux ont été encensés après
leur mort et considérés comme des martyrs du pays. Dans son roman, publié en
2001, Welcome to Our Hillbrow [Bienvenue chez nous, à Hillbrow], Mpe décrivait le
désarroi et le désespoir des individus qui, à la fin des années 1990, avaient quitté
les campagnes d’Afrique du Sud pour Hillbrow, un quartier difficile du centre de
Johannesburg, avec ses grands ensembles surpeuplés et son immense
population d’immigrés venus d’autres pays d’Afrique. Dans l’imaginaire littéraire
sud-africain, Hillbrow en est venu à symboliser tout ce qui est terrifiant et
prometteur dans la nouvelle Afrique du Sud. C’est tout à la fois un haut lieu de la
drogue, de la criminalité et de la xénophobie envers les immigrés, et un exemple
de ce que les théoriciens qualifient avec enthousiasme d’espace “afropolitain”,
transcendant les frontières nationales. Mpe, qui enseignait au département de
littérature africaine de l’université de Witwaterstrand, venait d’un village rural
quand il a débarqué à Johannesburg. Son roman abordait le problème du sida et
s’intéressait au choc entre la mobilité économique urbaine et les croyances
traditionnelles importées par les migrants en milieu urbain. “Différentes traditions
se mêlent et il arrive souvent que les nouvelles idées soient supplantées par les
anciennes”, déclarait en 2001 Mpe dans une interview au Sunday Times d’Afrique
du Sud. A la fin de sa vie (il est mort en 2004), il avait commencé une formation
pour devenir sangoma, guérisseur traditionnel.
K. Sello Duiker, lui, était un gamin de la ville. Elevé à Soweto par des parents de la
classe moyenne qui avaient fait des études universitaires, il a été envoyé à l’école
primaire hors de la township dans les années 1980. Il fut par la suite l’un des
premiers étudiants noirs à fréquenter un lycée privé progressiste essentiellement
réservé à une élite blanche, la Redhill School, mais son parcours n’a pas été sans
embûches. Duiker a beaucoup travaillé sur le thème de la sexualité. Son premier
roman, Thirteen Cents [Treize cents, éd. D. Philip Publisher, 2000, non traduit en
français], met en scène un pédophile qui se prostitue à de riches hommes blancs
du Cap. Paru en 2001, son deuxième roman, plus ambitieux et remarquablement
mené, The Quiet Violence of Dreams [La violence tranquille des rêves, éd. Kwela
Books, non traduit en français], raconte l’histoire de Tshepo, un jeune étudiant noir
qui se retrouve en hôpital psychiatrique, où on lui diagnostique une “psychose
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induite par le cannabis” et qui est incapable de trouver une cohérence à sa vie, son
agitation intérieure reflétant une plus vaste confusion sociétale. Il finit par
sombrer dans la prostitution. Le roman examine la façon dont les Blancs et les
Noirs se retrouvent à travers la culture consumériste. “Quand vous sortez dans
certains endroits du Cap, tout le monde se fiche bien que vous soyez noir ou blanc
et que votre mère vous ait envoyé dans une école privée pour que vous puissiez
vous exprimer correctement, écrit Duiker. Le fait que vous soyez blanc et que votre
père maltraite ses collègues au travail et les traite de kafir [nègres] à la maison
n’intéresse personne. Sur la piste de danse… la seule chose qui compte, c’est que
vous sachiez danser et que vous ayez belle allure.” Là, poursuit-il, “les grandes
marques de mode sont le nouvel espéranto”, et le kwaito – la musique des
townships – et la techno de la culture des boîtes de nuit blanches commencent à
se fondre. “Les gens que je connais n’oublient jamais que, fondamentalement, la
différence entre le kwaito et la techno se résume à une différence de battements
par minute et que la marge se resserre.”
Durant sa courte vie, Duiker fut une étoile montante, consacré comme porteparole de sa génération insatisfaite. “A 28 ans à peine, il a déjà publié deux romans
et prépare le troisième”, s’extasiait en 2002 le Sunday Times. “Et, jour après jour, sa
voix se fait de mieux en mieux entendre.” (Le troisième roman de Duiker, The
Hidden Star [L’étoile cachée, éd. Umuzi, non traduit en français], une sorte de conte
folklorique, a été publié de façon posthume au printemps 2006.) Malgré le combat
notoire que menait Duiker contre sa maladie mentale, son suicide a fini par être
perçu comme le résultat de pressions accumulées. “Peut-être qu’en un sens nous
l’avons tué”, soupire Fred Khumalo, journaliste au Sunday Times, romancier et
auteur d’une biographie récente sur ses années de militantisme contre l’apartheid.
“Nous l’avons placé sur un piédestal. Nous lui avons mis la pression, car nous
attendions beaucoup de lui.”
Après la mort de ses deux confrères, Mhlongo sent à son tour cette pression. Mpe
et Duiker, me confiait-il, “se sont risqués à aborder de nouveaux thèmes qui ont un
sens pour l’Afrique du Sud d’aujourd’hui” – l’homophobie, les SDF et la xénophobie.
“Maintenant, les gens attendent de nous (les quelques jeunes écrivains que nous
sommes) que nous remplissions le vide qu’ils ont laissé et que nous explorions
davantage de thèmes qui étaient relativement rares dans l’écriture sud-africaine
d’avant.” Il y a quelques années, Mhlongo a commencé à devenir un habitué du
circuit international : il participe à des conférences partout dans le monde et a
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bénéficié de résidences aux Pays-Bas, en Belgique, en Allemagne et dans
plusieurs pays africains. L’été dernier, il a été invité à la prestigieuse conférence
des Bread Loaf Writers dans le Vermont, mais il lui a préféré une autre rencontre,
au Kenya. Dog Eat Dog a été traduit en espagnol. Au cours de l’été 2005, Mhlongo
s’est rendu en Espagne pour y recevoir un prix littéraire, qui était accompagné
d’une lourde statue de bronze. A l’aéroport d’Alicante, “ils ont passé mon trophée
au scanner, persuadés que c’était une bombe”, s’amuse-t-il.
Mais, si Mhlongo est un auteur à succès à l’étranger, en Afrique du Sud, les gens
dont il parle ne lisent pas forcément son œuvre. A sa grande déception, dans tout
Soweto, Dog Eat Dog n’est en vente qu’à un seul endroit : la très sélecte librairie du
musée Hector Pieterson, dédié à un garçon de 12 ans tué en 1976 dans une
manifestation étudiante contre le gouvernement de l’époque, qui souhaitait
imposer l’afrikaans comme langue d’enseignement pour toutes les disciplines. Le
musée, logé dans un nouveau bâtiment remarquable, propose une exposition
photo permanente sur l’histoire politique et sociale de Soweto et s’adresse
manifestement plus aux touristes qu’aux gens du cru. Et, en Afrique du Sud, la
littérature est encore un produit de luxe. Les livres sont chers – un livre de poche
peut coûter 20 dollars [14,8 euros], alors que le revenu moyen annuel per capita
est inférieur à 5 000 dollars. Mais le principal obstacle à l’accès à la culture
littéraire en Afrique du Sud tient à l’analphabétisme. A Soweto, Mhlongo
m’emmène dans la petite maison sombre d’un étage de la township où il a passé
son enfance et où habite maintenant sa grande sœur avec ses jeunes enfants.
Elle nous reçoit dans sa cuisine dépouillée. Elle n’a pas 50 ans mais fait beaucoup
plus âgée et il lui manque quelques dents. Mhlongo m’a avertie : elle ne parle pas
anglais et elle n’a jamais appris à lire.
Elevé à Soweto, Mhlongo n’avait pas de langue maternelle : il écrit aujourd’hui en
anglais, parle zoulou et sotho avec ses amis et se débrouille en afrikaans. Il est le
septième d’une fratrie de neuf enfants nés entre la fin des années 1950 et la fin
des années 1970, “tous de la même mère et du même père”, précise-t-il.
Adolescent, il a perdu son père, qui était balayeur dans un bureau de poste et dont
le salaire, avec celui des frères aînés, faisait vivre la famille. “Nous avions de quoi
manger, mais les boissons fraîches étaient un luxe”, raconte-t-il. Sa mère est
originaire de la province du Limpopo, dans le nord-est du pays, et c’est là qu’elle a
envoyé Mhlongo terminer ses études secondaires. En octobre 1990, il rate son
baccalauréat – un échec qu’il explique par des habitudes de travail différentes et
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par le fait que les cours avaient été suspendus quand Mandela a été libéré de
prison, en février de cette année-là. Mhlongo a par la suite suivi un cursus
universitaire un peu cahotant, mais dans deux des meilleures universités
sud-africaines. Il a d’abord étudié la littérature sud-africaine et les sciences
politiques à l’université de Witwaterstrand pendant quelques années, puis s’est
inscrit en droit à l’université du Cap. Il n’était pas particulièrement brillant et a
abandonné. “Je m’ennuyais”, avoue-t-il. Il a donc écrit un roman. “J’ai eu la chance
d’être publié par le premier éditeur à qui j’ai soumis le manuscrit.” Son deuxième
roman, attendu en 2007, parle des pressions imposées aux aînés d’une fratrie
pour entrer à l’université. La famille du protagoniste n’a pas fait d’“études
occidentales”, et compte sur lui pour faire bouillir la marmite. Craignant de faire
honte à sa famille en avouant qu’il a raté ses examens, il fait semblant d’être
avocat et monte un cabinet dans la township. Le titre provisoire du roman, After
Tears [Après les larmes], fait référence à un rituel qui est devenu un pilier de la vie
sociale dans les townships : une nuit de réjouissances en hommage au défunt
que l’on enterre. Après la visite chez sa sœur, Mhlongo m’emmène voir les portes
d’Avalon, une immense prairie sans signe distinctif qui est le cimetière principal de
Soweto. A l’entrée, une simple pancarte indique les tarifs des obsèques. “Il y a plus
d’habitants ici qu’à Soweto”, commente Mhlongo.
Contrairement à la génération de ses parents, la sienne n’est plus animée par la
colère contre un régime en faillite morale, mais rongée par l’angoissante question
de savoir comment profiter de la liberté dont elle a hérité. Les jeunes écrivains
vouent une grande admiration à ceux qui ont contribué à démanteler l’apartheid.
Pour beaucoup, le parrain de cette génération est Zakes Mda, qui, à 58 ans, est
l’un des romanciers noirs les plus marquants de l’histoire sud-africaine.
Dramaturge acclamé pendant les années de combat, Mda a publié cinq romans
depuis 1995 et a remporté tous les prix littéraires qui existent en Afrique du Sud.
(Il est également l’un des rares romanciers sud-africains à être publiés aux
Etats-Unis, en l’occurrence par la grande maison d’édition littéraire Farrar, Straus &
Giroux.) Mhlongo ne tarit pas d’éloges sur l’œuvre de Mda, qui a bien connu Mpe
et Duiker. (Il était particulièrement proche de Duiker, qui, dit-il, l’appelait parfois
dans ses moments de désespoir.) Mais, en raison de son âge et peut-être de son
tempérament, Mda semble aussi sûr de la place qui est la sienne en Afrique du
Sud que Mhlongo et ses contemporains semblent incertains de la leur. Cette
assurance ne vas pas toutefois sans certains paradoxes, car Mda a passé une
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bonne partie des trente dernières années à l’étranger. Il est sans doute aujourd’hui
plus incontournable que n’importe quel autre romancier dans les milieux littéraires
et politiques d’Afrique du Sud, mais il vit à Athènes, dans l’Ohio – il enseigne la
littérature et anime des ateliers d’écriture créative à l’université de l’Ohio depuis
2002.
En août dernier, quand je suis allée lui rendre visite dans l’Ohio, Mda disait se
considérer plus comme un travailleur migrant aux Etats-Unis que comme un exilé.
Cet homme rondouillard au large sourire rentre plusieurs fois par an en Afrique du
Sud et assure qu’il préférerait y revenir définitivement, mais il reste en Ohio pour
ses deux jeunes enfants, qui adorent leur école. Il est en train d’effectuer des
démarches pour leur assurer une carte de séjour permanente. Dans l’Ohio, Mda
habite une petite ferme sombre en bord de route, à deux pas d’un Wal-Mart. A
Johannesburg, il vit dans une grande villa avec piscine, dans un quartier jadis
réservé aux Blancs. S’il ramenait ses enfants en Afrique du Sud, dit-il, “ce seraient
des enfants gâtés”. Mda reste le dramaturge attitré du Market Theater de
Johannesburg, une institution phare de la scène sud-africaine qui fut en son
temps en première ligne du théâtre antiapartheid. Pour Mda, le roman est un
“luxe” de liberté, tout à fait adapté à l’esprit plus méditatif de l’après-apartheid.
Avant, explique-t-il, “il y avait une nécessité urgente d’écrire des romans qui aient un
impact immédiat sur la lutte. Désormais, nous n’écrivons plus dans un esprit de
combat. Nous écrivons pour nous-mêmes.”
Rachel Donaido
Une présence remarquée en France
On a souvent l’impression, à tort, que les éditeurs français ont
boudé la littérature sud-africaine, alors qu’en réalité ils ont fait
preuve d’une grande activité depuis de nombreuses années.
On compte près de 200 ouvrages littéraires sud-africains
parus en France. Cependant, on constate que le nombre des
auteurs traduits a longtemps été limité. Les “anciens” comme
Alan Paton, Breyten Breytenbach, André Brink, Nadine
Gordimer et John Michael Coetzee ont bénéficié de la plus
grande attention puisque leur production littéraire représente
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actuellement plus de 60 % des ouvrages publiés par les
éditeurs français. Certes, on compte parmi eux deux Prix
Nobel de littérature, Nadine Gordimer et John Michael
Coetzee, qui constituent les locomotives de la présence
littéraire sud-africaine dans l’Hexagone.
Les maisons d’édition françaises cherchent néanmoins à
accorder une place plus grande à de nouveaux auteurs,
comme Rian Malan (Mon cœur de traître, éd. Plon), Marlene
Van Niekerk (Triomf, éd. L’Aube), Gillian Slovo (Poussière
rouge, éd. Christian Bourgois), Achmat Dangor (En attendant
Leïla, éd. Dapper), Ivan Vladislavic (Le Banc réservé aux
Blancs, éd. Zoé) ou encore Lewis DeSoto (Les larmes
viendront plus tard, éd. Plon). Elles commencent également à
sortir de la littérature classique en explorant le roman noir
avec Deon Meyer (Les Soldats de l’aube et L’Ame du
chasseur, parus au Seuil). Ce dernier ausculte sans
concession les méandres de la nouvelle société sud-africaine
où une haine parfois tenace demeure entre certains
membres des communautés blanche et noire. Ce type de
roman met également l’accent sur la culpabilité à fleur de
peau présente dans l’inconscient collectif sud-africain au
moment où le pays poursuit sa reconstruction.
Les éditeurs français n’oublient pas les auteurs noirs comme
Zakes Mda (Au pays de l’ocre rouge, éd. du Seuil), même s’ils
ne bénéficient pas encore de la même attention. Du reste,
des auteurs plus jeunes appartenant à la nouvelle scène
littéraire sud-africaine, tels Niq Mhlongo, K. Sello Duiker ou
Phaswane Mpe n’ont pas encore été publiés en France. Mais
on peut penser que l’intérêt porté à la littérature sud-africaine
ne retombera pas de sitôt et qu’ils finiront par trouver une
maison d’édition en France.
Succès
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Avec Dog Eat Dog, Niq Mhlongo a obtenu la consécration en
Afrique du Sud.
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