UNE NOUVELLE SCÈNE LITTÉRAIRE. Rencontre avec les
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UNE NOUVELLE SCÈNE LITTÉRAIRE. Rencontre avec le... http://www.courrierinternational.com/article/2007/05/16/renco... Une nouvelle scène littéraire. Rencontre avec les écrivains de l’aprèsapartheid Affranchie de la discrimination raciale, l’Afrique du Sud a permis à de jeunes auteurs noirs de percer. Ils puisent leur inspiration dans les problèmes sociaux qui demeurent dans cette société libérée. Niq Mhlongo figure parmi les nouvelles voix les plus fougueuses de la scène littéraire sud-africaine de l’après-apartheid. Par un après-midi de printemps, installé sur le siège avant de la voiture de son ami Gugu, il me montre les hauts lieux de Soweto. Plein d’entrain, un bonnet mou en tricot couvrant son crâne chauve et rond, il bavarde avec Gugu en anglais et dans un mélange de zoulou et de sotho qu’ils appellent le “zoutho” tandis que, au volant, Gugu profite des feux rouges pour pianoter sur son BlackBerry. Nous passons devant le parc de l’hôpital Chris Hani Baragwanath, le plus grand du monde, descendons la côte de Vilakazi Street – où résidaient Nelson Mandela et Desmond Tutu –, dépassons quelques corps de ferme en brique transformés en chambres d’hôtes pour touristes nostalgiques de la lutte contre l’apartheid, en longeant des routes bordées de panneaux publicitaires pour les restaurants Kentucky Fried Chicken (KFC) et de murets peints de réclames bigarrées pour des services de pompes funèbres : “Les Vertes Prairies – funérailles abordables et dignes”. Mhlongo n’a pas de voiture et, craignant que nous ne nous fassions un peu trop remarquer en nous baladant dans Soweto en taxi, il me demande si je suis disposée à donner “un petit quelque chose” à Gugu pour qu’il nous serve de chauffeur. Je n’hésite pas une seconde. Mhlongo et son acolyte ont accompli en une décennie à peine une ascension sociale et économique qui aurait par le passé pris plusieurs générations. Né dans une famille pauvre de Soweto à l’époque de l’apartheid, Mhlongo a grandi dans la culture de l’après-apartheid, où les champs des possibles se sont élargis, et a rejoint, quoique de façon précaire, une classe moyenne noire qui représente un segment encore restreint mais en pleine expansion de la population. A ce titre, lui et d’autres jeunes romanciers noirs 1 von 10 25.07.16, 18:38 UNE NOUVELLE SCÈNE LITTÉRAIRE. Rencontre avec le... http://www.courrierinternational.com/article/2007/05/16/renco... portent toutes les promesses – et le fardeau – de l’avenir de leur pays. Dans son premier roman impertinent, publié en 2004, Dog Eat Dog [Le chien est un loup pour le chien, éd. Kwela Books, non traduit en français], Mhlongo, qui a maintenant 33 ans, parlait avec verve et candeur des angoisses de sa génération. Il abordait la question de ces enfants qui sont les premiers de leur famille à fréquenter l’université, qui se demandent comment ils vont gagner leur vie, ont peur de décevoir les attentes de leur famille et plus encore de leur pays, et qui ne craignent pourtant pas de profiter des failles du système. Ecrit à la première personne, le roman se déroule en 1994, l’année grisante des premières élections de l’après-apartheid, et raconte l’histoire de Dingamanzi Njomane, un gamin débrouillard des townships qui s’efforce tant bien que mal de garder la tête hors de l’eau à l’université de Witwaterstrand, à Johannesburg. Quand l’université lui fait savoir qu’il ne répond pas aux critères pour bénéficier d’une bourse, il se précipite au bureau du personnel, hurle à la face de la dame blanche chargée de ce type de dossiers et va raconter à sa supérieure que sa mère nourrit ses neuf frères et sœurs avec sa seule pension de veuve et qu’on lui a même coupé l’électricité. Aujourd’hui, le racisme existe toujours en Afrique du Sud, assure Mhlongo, “même s’il n’est plus aussi institutionnalisé ni aussi patent qu’avant”. Mais, comme en témoigne très clairement son œuvre, l’époque de la littérature militante est révolue en Afrique du Sud. Le pays doit maintenant affronter les contradictions de la liberté. Le fossé racial qui était jadis sanctionné par la législation a laissé place à un fossé économique qui coïncide surtout avec les lignes de fracture raciales. Tout le monde est profondément incertain de sa place. Quatre Sud-Africains sur cinq sont noirs, un sur quatre est au chômage et au moins un sur neuf est séropositif. Les crimes violents sont endémiques, le taux des viols parmi les plus élevés de la planète. L’Afrique du Sud d’aujourd’hui est une formidable expérience de démocratie multiculturelle, où le pouvoir est noir, l’argent essentiellement blanc, et la frontière entre responsabilisation et exploitation toujours mouvante. Le préambule de la Constitution de 1996 – qui est sans doute le document le plus déterminant de l’après-apartheid, sinon de toute l’histoire du pays – proclame : “L’Afrique du Sud appartient à tous ceux qui y vivent, unis dans notre diversité.” Il s’agit d’une unité délibérée qui, sans être véritablement une façade, n’est pas tout à fait non plus une fondation. On ne saurait prétendre que l’état du roman soit l’une des grandes priorités de 2 von 10 25.07.16, 18:38 UNE NOUVELLE SCÈNE LITTÉRAIRE. Rencontre avec le... http://www.courrierinternational.com/article/2007/05/16/renco... l’Afrique du Sud, mais son bulletin de santé reflète à bien des égards celui de la culture dans son ensemble. Vers 1985, J.M. Coetzee affirmait que “le grand roman sud-africain” – celui qui refléterait toutes les couches de la société, comme l’avait fait Guerre et Paix pour la Russie – serait impossible à écrire dans un pays aussi divisé. Douze ans après la fin de l’apartheid, la scène littéraire sud-africaine demeure plus fragmentée que jamais, et ses écrivains explorent surtout leurs propres expériences ethniques. Le pays n’a jamais publié davantage de livres, mais très peu font parler d’eux à l’échelle nationale, ce qui provient en partie du fait que l’Afrique du Sud est passée d’une culture de la résistance à une culture de la consommation – dans laquelle le roman joue un rôle moins vital. Sous l’apartheid, les écrivains luttaient contre un gouvernement qui paradoxalement les mettait en valeur en interdisant leurs livres. Aujourd’hui, comme le confie l’artiste William Kentridge, l’Afrique du Sud se conçoit surtout “comme une société de l’après-apartheid plutôt que comme une société anti-après-apartheid”. Les écrivains comme les citoyens ordinaires cherchent à s’adapter à un nouvel ordre moral. “Quels thèmes pouvons-nous aborder aujourd’hui ?” s’interroge le romancier blanc Damon Gagut, figure de proue de la littérature sud-africaine. “Comment reprendre la main ? La littérature de résistance a disparu, pour la bonne et simple raison qu’il n’y a plus rien contre quoi combattre.” On ne cherche plus à dénicher le grand roman sud-africain, mais le grand romancier noir sud-africain. Depuis la fin de l’apartheid, ce sont effectivement les écrivains noirs qui sont sous les feux des médias nationaux et internationaux, car on part du principe que c’est désormais à leur tour d’écrire un chapitre de l’histoire sud-africaine : celui de la maturité politique, sociale et économique des 80 % de la population qui étaient jusqu’alors dépossédés de leurs droits de représentation. “C’est le moment idéal pour être un auteur noir en Afrique du Sud, convient Mhlongo. La plupart des écrivains noirs qui étaient actifs avant la démocratie s’intéressaient essentiellement à la politique, mais maintenant on peut parler de toutes sortes de choses – de la pandémie du sida, de la pauvreté, de la criminalité, de la xénophobie, du chômage. Mon horizon ne se limite pas à l’apartheid, car il se passe aujourd’hui énormément de choses en Afrique du Sud.” La profusion de nouveaux thèmes a toutefois eu ses effets pervers : la petite poignée de romanciers noirs sortis du lot s’est retrouvée soumise à une intense pression, aggravée par un sentiment de culpabilité des Blancs, qui se demandent pourquoi ils ne sont pas plus nombreux. Niq Mhlongo est l’un des quelques romanciers 3 von 10 25.07.16, 18:38 UNE NOUVELLE SCÈNE LITTÉRAIRE. Rencontre avec le... http://www.courrierinternational.com/article/2007/05/16/renco... noirs de sa génération à avoir acquis une certaine notoriété. Deux autres membres de cette petite coterie sont morts ces dernières années : K. Sello Duiker s’est suicidé à l’âge de 30 ans et Phaswane Mpe est décédé à 34 ans, probablement du sida. Connus de leur vivant, tous deux ont été encensés après leur mort et considérés comme des martyrs du pays. Dans son roman, publié en 2001, Welcome to Our Hillbrow [Bienvenue chez nous, à Hillbrow], Mpe décrivait le désarroi et le désespoir des individus qui, à la fin des années 1990, avaient quitté les campagnes d’Afrique du Sud pour Hillbrow, un quartier difficile du centre de Johannesburg, avec ses grands ensembles surpeuplés et son immense population d’immigrés venus d’autres pays d’Afrique. Dans l’imaginaire littéraire sud-africain, Hillbrow en est venu à symboliser tout ce qui est terrifiant et prometteur dans la nouvelle Afrique du Sud. C’est tout à la fois un haut lieu de la drogue, de la criminalité et de la xénophobie envers les immigrés, et un exemple de ce que les théoriciens qualifient avec enthousiasme d’espace “afropolitain”, transcendant les frontières nationales. Mpe, qui enseignait au département de littérature africaine de l’université de Witwaterstrand, venait d’un village rural quand il a débarqué à Johannesburg. Son roman abordait le problème du sida et s’intéressait au choc entre la mobilité économique urbaine et les croyances traditionnelles importées par les migrants en milieu urbain. “Différentes traditions se mêlent et il arrive souvent que les nouvelles idées soient supplantées par les anciennes”, déclarait en 2001 Mpe dans une interview au Sunday Times d’Afrique du Sud. A la fin de sa vie (il est mort en 2004), il avait commencé une formation pour devenir sangoma, guérisseur traditionnel. K. Sello Duiker, lui, était un gamin de la ville. Elevé à Soweto par des parents de la classe moyenne qui avaient fait des études universitaires, il a été envoyé à l’école primaire hors de la township dans les années 1980. Il fut par la suite l’un des premiers étudiants noirs à fréquenter un lycée privé progressiste essentiellement réservé à une élite blanche, la Redhill School, mais son parcours n’a pas été sans embûches. Duiker a beaucoup travaillé sur le thème de la sexualité. Son premier roman, Thirteen Cents [Treize cents, éd. D. Philip Publisher, 2000, non traduit en français], met en scène un pédophile qui se prostitue à de riches hommes blancs du Cap. Paru en 2001, son deuxième roman, plus ambitieux et remarquablement mené, The Quiet Violence of Dreams [La violence tranquille des rêves, éd. Kwela Books, non traduit en français], raconte l’histoire de Tshepo, un jeune étudiant noir qui se retrouve en hôpital psychiatrique, où on lui diagnostique une “psychose 4 von 10 25.07.16, 18:38 UNE NOUVELLE SCÈNE LITTÉRAIRE. Rencontre avec le... http://www.courrierinternational.com/article/2007/05/16/renco... induite par le cannabis” et qui est incapable de trouver une cohérence à sa vie, son agitation intérieure reflétant une plus vaste confusion sociétale. Il finit par sombrer dans la prostitution. Le roman examine la façon dont les Blancs et les Noirs se retrouvent à travers la culture consumériste. “Quand vous sortez dans certains endroits du Cap, tout le monde se fiche bien que vous soyez noir ou blanc et que votre mère vous ait envoyé dans une école privée pour que vous puissiez vous exprimer correctement, écrit Duiker. Le fait que vous soyez blanc et que votre père maltraite ses collègues au travail et les traite de kafir [nègres] à la maison n’intéresse personne. Sur la piste de danse… la seule chose qui compte, c’est que vous sachiez danser et que vous ayez belle allure.” Là, poursuit-il, “les grandes marques de mode sont le nouvel espéranto”, et le kwaito – la musique des townships – et la techno de la culture des boîtes de nuit blanches commencent à se fondre. “Les gens que je connais n’oublient jamais que, fondamentalement, la différence entre le kwaito et la techno se résume à une différence de battements par minute et que la marge se resserre.” Durant sa courte vie, Duiker fut une étoile montante, consacré comme porteparole de sa génération insatisfaite. “A 28 ans à peine, il a déjà publié deux romans et prépare le troisième”, s’extasiait en 2002 le Sunday Times. “Et, jour après jour, sa voix se fait de mieux en mieux entendre.” (Le troisième roman de Duiker, The Hidden Star [L’étoile cachée, éd. Umuzi, non traduit en français], une sorte de conte folklorique, a été publié de façon posthume au printemps 2006.) Malgré le combat notoire que menait Duiker contre sa maladie mentale, son suicide a fini par être perçu comme le résultat de pressions accumulées. “Peut-être qu’en un sens nous l’avons tué”, soupire Fred Khumalo, journaliste au Sunday Times, romancier et auteur d’une biographie récente sur ses années de militantisme contre l’apartheid. “Nous l’avons placé sur un piédestal. Nous lui avons mis la pression, car nous attendions beaucoup de lui.” Après la mort de ses deux confrères, Mhlongo sent à son tour cette pression. Mpe et Duiker, me confiait-il, “se sont risqués à aborder de nouveaux thèmes qui ont un sens pour l’Afrique du Sud d’aujourd’hui” – l’homophobie, les SDF et la xénophobie. “Maintenant, les gens attendent de nous (les quelques jeunes écrivains que nous sommes) que nous remplissions le vide qu’ils ont laissé et que nous explorions davantage de thèmes qui étaient relativement rares dans l’écriture sud-africaine d’avant.” Il y a quelques années, Mhlongo a commencé à devenir un habitué du circuit international : il participe à des conférences partout dans le monde et a 5 von 10 25.07.16, 18:38 UNE NOUVELLE SCÈNE LITTÉRAIRE. Rencontre avec le... http://www.courrierinternational.com/article/2007/05/16/renco... bénéficié de résidences aux Pays-Bas, en Belgique, en Allemagne et dans plusieurs pays africains. L’été dernier, il a été invité à la prestigieuse conférence des Bread Loaf Writers dans le Vermont, mais il lui a préféré une autre rencontre, au Kenya. Dog Eat Dog a été traduit en espagnol. Au cours de l’été 2005, Mhlongo s’est rendu en Espagne pour y recevoir un prix littéraire, qui était accompagné d’une lourde statue de bronze. A l’aéroport d’Alicante, “ils ont passé mon trophée au scanner, persuadés que c’était une bombe”, s’amuse-t-il. Mais, si Mhlongo est un auteur à succès à l’étranger, en Afrique du Sud, les gens dont il parle ne lisent pas forcément son œuvre. A sa grande déception, dans tout Soweto, Dog Eat Dog n’est en vente qu’à un seul endroit : la très sélecte librairie du musée Hector Pieterson, dédié à un garçon de 12 ans tué en 1976 dans une manifestation étudiante contre le gouvernement de l’époque, qui souhaitait imposer l’afrikaans comme langue d’enseignement pour toutes les disciplines. Le musée, logé dans un nouveau bâtiment remarquable, propose une exposition photo permanente sur l’histoire politique et sociale de Soweto et s’adresse manifestement plus aux touristes qu’aux gens du cru. Et, en Afrique du Sud, la littérature est encore un produit de luxe. Les livres sont chers – un livre de poche peut coûter 20 dollars [14,8 euros], alors que le revenu moyen annuel per capita est inférieur à 5 000 dollars. Mais le principal obstacle à l’accès à la culture littéraire en Afrique du Sud tient à l’analphabétisme. A Soweto, Mhlongo m’emmène dans la petite maison sombre d’un étage de la township où il a passé son enfance et où habite maintenant sa grande sœur avec ses jeunes enfants. Elle nous reçoit dans sa cuisine dépouillée. Elle n’a pas 50 ans mais fait beaucoup plus âgée et il lui manque quelques dents. Mhlongo m’a avertie : elle ne parle pas anglais et elle n’a jamais appris à lire. Elevé à Soweto, Mhlongo n’avait pas de langue maternelle : il écrit aujourd’hui en anglais, parle zoulou et sotho avec ses amis et se débrouille en afrikaans. Il est le septième d’une fratrie de neuf enfants nés entre la fin des années 1950 et la fin des années 1970, “tous de la même mère et du même père”, précise-t-il. Adolescent, il a perdu son père, qui était balayeur dans un bureau de poste et dont le salaire, avec celui des frères aînés, faisait vivre la famille. “Nous avions de quoi manger, mais les boissons fraîches étaient un luxe”, raconte-t-il. Sa mère est originaire de la province du Limpopo, dans le nord-est du pays, et c’est là qu’elle a envoyé Mhlongo terminer ses études secondaires. En octobre 1990, il rate son baccalauréat – un échec qu’il explique par des habitudes de travail différentes et 6 von 10 25.07.16, 18:38 UNE NOUVELLE SCÈNE LITTÉRAIRE. Rencontre avec le... http://www.courrierinternational.com/article/2007/05/16/renco... par le fait que les cours avaient été suspendus quand Mandela a été libéré de prison, en février de cette année-là. Mhlongo a par la suite suivi un cursus universitaire un peu cahotant, mais dans deux des meilleures universités sud-africaines. Il a d’abord étudié la littérature sud-africaine et les sciences politiques à l’université de Witwaterstrand pendant quelques années, puis s’est inscrit en droit à l’université du Cap. Il n’était pas particulièrement brillant et a abandonné. “Je m’ennuyais”, avoue-t-il. Il a donc écrit un roman. “J’ai eu la chance d’être publié par le premier éditeur à qui j’ai soumis le manuscrit.” Son deuxième roman, attendu en 2007, parle des pressions imposées aux aînés d’une fratrie pour entrer à l’université. La famille du protagoniste n’a pas fait d’“études occidentales”, et compte sur lui pour faire bouillir la marmite. Craignant de faire honte à sa famille en avouant qu’il a raté ses examens, il fait semblant d’être avocat et monte un cabinet dans la township. Le titre provisoire du roman, After Tears [Après les larmes], fait référence à un rituel qui est devenu un pilier de la vie sociale dans les townships : une nuit de réjouissances en hommage au défunt que l’on enterre. Après la visite chez sa sœur, Mhlongo m’emmène voir les portes d’Avalon, une immense prairie sans signe distinctif qui est le cimetière principal de Soweto. A l’entrée, une simple pancarte indique les tarifs des obsèques. “Il y a plus d’habitants ici qu’à Soweto”, commente Mhlongo. Contrairement à la génération de ses parents, la sienne n’est plus animée par la colère contre un régime en faillite morale, mais rongée par l’angoissante question de savoir comment profiter de la liberté dont elle a hérité. Les jeunes écrivains vouent une grande admiration à ceux qui ont contribué à démanteler l’apartheid. Pour beaucoup, le parrain de cette génération est Zakes Mda, qui, à 58 ans, est l’un des romanciers noirs les plus marquants de l’histoire sud-africaine. Dramaturge acclamé pendant les années de combat, Mda a publié cinq romans depuis 1995 et a remporté tous les prix littéraires qui existent en Afrique du Sud. (Il est également l’un des rares romanciers sud-africains à être publiés aux Etats-Unis, en l’occurrence par la grande maison d’édition littéraire Farrar, Straus & Giroux.) Mhlongo ne tarit pas d’éloges sur l’œuvre de Mda, qui a bien connu Mpe et Duiker. (Il était particulièrement proche de Duiker, qui, dit-il, l’appelait parfois dans ses moments de désespoir.) Mais, en raison de son âge et peut-être de son tempérament, Mda semble aussi sûr de la place qui est la sienne en Afrique du Sud que Mhlongo et ses contemporains semblent incertains de la leur. Cette assurance ne vas pas toutefois sans certains paradoxes, car Mda a passé une 7 von 10 25.07.16, 18:38 UNE NOUVELLE SCÈNE LITTÉRAIRE. Rencontre avec le... http://www.courrierinternational.com/article/2007/05/16/renco... bonne partie des trente dernières années à l’étranger. Il est sans doute aujourd’hui plus incontournable que n’importe quel autre romancier dans les milieux littéraires et politiques d’Afrique du Sud, mais il vit à Athènes, dans l’Ohio – il enseigne la littérature et anime des ateliers d’écriture créative à l’université de l’Ohio depuis 2002. En août dernier, quand je suis allée lui rendre visite dans l’Ohio, Mda disait se considérer plus comme un travailleur migrant aux Etats-Unis que comme un exilé. Cet homme rondouillard au large sourire rentre plusieurs fois par an en Afrique du Sud et assure qu’il préférerait y revenir définitivement, mais il reste en Ohio pour ses deux jeunes enfants, qui adorent leur école. Il est en train d’effectuer des démarches pour leur assurer une carte de séjour permanente. Dans l’Ohio, Mda habite une petite ferme sombre en bord de route, à deux pas d’un Wal-Mart. A Johannesburg, il vit dans une grande villa avec piscine, dans un quartier jadis réservé aux Blancs. S’il ramenait ses enfants en Afrique du Sud, dit-il, “ce seraient des enfants gâtés”. Mda reste le dramaturge attitré du Market Theater de Johannesburg, une institution phare de la scène sud-africaine qui fut en son temps en première ligne du théâtre antiapartheid. Pour Mda, le roman est un “luxe” de liberté, tout à fait adapté à l’esprit plus méditatif de l’après-apartheid. Avant, explique-t-il, “il y avait une nécessité urgente d’écrire des romans qui aient un impact immédiat sur la lutte. Désormais, nous n’écrivons plus dans un esprit de combat. Nous écrivons pour nous-mêmes.” Rachel Donaido Une présence remarquée en France On a souvent l’impression, à tort, que les éditeurs français ont boudé la littérature sud-africaine, alors qu’en réalité ils ont fait preuve d’une grande activité depuis de nombreuses années. On compte près de 200 ouvrages littéraires sud-africains parus en France. Cependant, on constate que le nombre des auteurs traduits a longtemps été limité. Les “anciens” comme Alan Paton, Breyten Breytenbach, André Brink, Nadine Gordimer et John Michael Coetzee ont bénéficié de la plus grande attention puisque leur production littéraire représente 8 von 10 25.07.16, 18:38 UNE NOUVELLE SCÈNE LITTÉRAIRE. Rencontre avec le... http://www.courrierinternational.com/article/2007/05/16/renco... actuellement plus de 60 % des ouvrages publiés par les éditeurs français. Certes, on compte parmi eux deux Prix Nobel de littérature, Nadine Gordimer et John Michael Coetzee, qui constituent les locomotives de la présence littéraire sud-africaine dans l’Hexagone. Les maisons d’édition françaises cherchent néanmoins à accorder une place plus grande à de nouveaux auteurs, comme Rian Malan (Mon cœur de traître, éd. Plon), Marlene Van Niekerk (Triomf, éd. L’Aube), Gillian Slovo (Poussière rouge, éd. Christian Bourgois), Achmat Dangor (En attendant Leïla, éd. Dapper), Ivan Vladislavic (Le Banc réservé aux Blancs, éd. Zoé) ou encore Lewis DeSoto (Les larmes viendront plus tard, éd. Plon). Elles commencent également à sortir de la littérature classique en explorant le roman noir avec Deon Meyer (Les Soldats de l’aube et L’Ame du chasseur, parus au Seuil). Ce dernier ausculte sans concession les méandres de la nouvelle société sud-africaine où une haine parfois tenace demeure entre certains membres des communautés blanche et noire. Ce type de roman met également l’accent sur la culpabilité à fleur de peau présente dans l’inconscient collectif sud-africain au moment où le pays poursuit sa reconstruction. Les éditeurs français n’oublient pas les auteurs noirs comme Zakes Mda (Au pays de l’ocre rouge, éd. du Seuil), même s’ils ne bénéficient pas encore de la même attention. Du reste, des auteurs plus jeunes appartenant à la nouvelle scène littéraire sud-africaine, tels Niq Mhlongo, K. Sello Duiker ou Phaswane Mpe n’ont pas encore été publiés en France. Mais on peut penser que l’intérêt porté à la littérature sud-africaine ne retombera pas de sitôt et qu’ils finiront par trouver une maison d’édition en France. Succès 9 von 10 25.07.16, 18:38 UNE NOUVELLE SCÈNE LITTÉRAIRE. Rencontre avec le... http://www.courrierinternational.com/article/2007/05/16/renco... Avec Dog Eat Dog, Niq Mhlongo a obtenu la consécration en Afrique du Sud. 10 von 10 25.07.16, 18:38