Elodie LETOUCHE - La force contraignante des avant

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Elodie LETOUCHE - La force contraignante des avant
Elodie LETOUCHE
Lauréate du Prix Meilleur Etudiant Juriste Immobilier 2012
LA FORCE CONTRAIGNANTE DES AVANT-CONTRATS EN MATIERE DE VENTE IMMOBILIERE : EXECUTION
FORCEE OU DOMMAGES ET INTERETS ?
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Si on a pu définir les avant-contrats comme permettant un « accès garanti au contrat préparé » , rien
n’est moins sûr aujourd’hui, suite à des fluctuations incessantes et diversifiées de jurisprudence en la matière,
affaiblissant ou tout du moins rendant plus relative la force contraignante des avant-contrats.
On définit les avant-contrats comme les contrats conclus dans la période dite précontractuelle. En
matière de vente immobilière, ces avant-contrats constituent une étape vers la réalisation effective de la vente.
Ils ont pour effet d’engendrer des droits et des obligations spécifiques distincts de ceux qui naitront plus tard si
les cocontractants conduisent à son terme le processus contractuel engagé.
Ces avant-contrats doivent être distingués des contrats de pourparler qui ont pour objet la seule
négociation et non la conclusion d’un contrat définitif et qui par conséquent seront exclus de la présente
étude.
De plus, un avant-contrat lie les parties qui ne peuvent normalement pas revenir sur leurs
engagements ainsi contractés. Et c’est bien là la distinction principale à effectuer avec le concept d’offre. Ainsi,
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alors que l’offre peut être retirée, le promettant ne peut pas en principe révoquer sa promesse. Ou encore,
alors que le décès du pollicitant rend l’offre caduque, la promesse reste valable et engage les héritiers en cas
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de décès du promettant.
Par conséquent, on reconnaît ici l’efficacité accrue des promesses par principe.
Mais comme nous l’avons dit précédemment, au-delà des principes légaux, la jurisprudence a précisé
le régime des avant-contrats.
Nous sommes alors en droit de nous demander quelles ont été les conséquences des différentes
évolutions de jurisprudence sur la force contraignante des avant-contrats.
Si la jurisprudence a largement consacré la possibilité d’obtenir des dommages et intérêts pour
violation de l’avant-contrat, cette dernière est beaucoup plus restrictive quant à la possibilité de reconnaître
l’exécution forcée de cet avant-contrat voire la substitution du cocontractant au tiers acquéreur.
Dans ce cadre, il est indispensable que la pratique soit préparée à anticiper les différents problèmes
liés à l’exécution de l’avant-contrat.
Ainsi, nous déterminerons dans un premier temps quels sont les avant-contrats pour lesquels la
jurisprudence a admis ou confirmé la possibilité d’une exécution forcée (I) puis nous nous interrogerons sur les
différents avant-contrats se résolvant exclusivement par des dommages et intérêts et la justification de cette
position jurisprudentielle (II).
Dans les deux cas, il sera intéressant de réfléchir aux différentes réponses que la pratique notariale
pourra apporter afin de (re)donner à l’avant-contrat de vente la sécurité que les contractants en attendent.
I. PACTE DE PREFERENCE ET PROMESSE SYNALLAGMATIQUE DE VENTE :
Des avant-contrats dont la violation peut dans certains cas entrainer l’exécution forcée
Si l’on a toujours considéré la promesse synallagmatique de vente comme assurant la possibilité de
l’exécution forcée du contrat en cas de défaillance d’un des cocontractants, force est de constater que cette
efficacité est conditionnée par la volonté des parties d’en faire autrement (B).
La jurisprudence a également admis la mise en œuvre de l’exécution forcée dans le cadre des pactes
de préférence. Mais si cela correspond à une avancée majeure en la matière, les juges n’en ont pas moins
limité la portée par de nombreuses exigences prétoriennes (A).
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JCP E n° 44, 4 Novembre 2010, 1962, « Retour sur l'engagement du promettant dans la promesse unilatérale de vente : la
Cour de cassation souffle le chaud et le froid », Gilles Pillet
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Il s’agit bien ici du principe de la force obligatoire posé à l’article 1134 du code civil.
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On rappelera tout de même que la jurisprudence de la cour de cassation en la matière fut hésitante. Voir
notamment Cass. 3e civ., 9 nov. 1983, Defrénois 1984, art. 33368, p. 1011, note J.-L. Aubert ; puis à l’inverse, Cass. 3e civ.,
10 mai 1989, RTD civ. 1990, p. 69, obs. J. Mestre ; puis encore Cass. 3e civ., 10 déc. 1997, D. 1999, somm. p. 9, obs.
Ph. Brun.
A. PACTE DE PREFERENCE : L’EXECUTION FORCEE ADMISE SOUS HAUTE SURVEILLANCE
Le pacte de préférence consiste en un avant contrat d’un genre particulier dont les effets et régimes
juridiques sont étroitement liés à sa définition. Il s’agit d’une convention par laquelle le propriétaire d’un bien
s’engage, dans le cas où il l’aliénerait, à donner préférence au bénéficiaire si celui-ci accepte de payer le prix
proposé à un autre ou par un autre.
Si le pacte de préférence n’est pas défini dans le Code civil à ce jour, l’avant-projet de réforme du droit
des obligations avait pris soin de le décrire comme « une convention par laquelle une partie s’engage à
proposer prioritairement à son bénéficiaire de traiter avec lui au cas où elle se déciderait de contracter. Le
contrat conclu en violation d’un pacte de préférence avec un tiers de mauvaise foi est nul. »
Ainsi, en principe le promettant doit pendant la durée du pacte s’abstenir de proposer l’offre à un tiers.
La question se pose alors de savoir ce qu’il adviendra du contrat avec un tiers dans l’hypothèse où le
promettant n’a pas respecté le pacte.
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La cour de cassation dans un arrêt de sa chambre mixte du 26 mai 2006 , confirmé depuis notamment
par un arrêt du 14 février 2007, admet que le bénéficiaire d’un pacte de préférence puisse exiger l’annulation
du contrat passé avec un tiers en méconnaissance de ses droits et obtenir sa substitution à l’acquéreur mais
cela exclusivement sous la condition de la preuve de la collusion frauduleuse.
La collusion frauduleuse se caractérise par deux conditions cumulatives. D’une part, le tiers doit avoir
eu connaissance lorsqu’il a contracté de l’existence du pacte de préférence ; d’autre part, ce tiers doit avoir eu
connaissance de l’intention du bénéficiaire de s’en prévaloir.
Cette jurisprudence est inédite en ce qu’elle inaugure la possibilité d’une substitution du bénéficiaire
d’un pacte dans les droits d’un tiers acquéreur.
Mais la possibilité de cette exécution forcée doit immédiatement être relativisée.
En effet, il faut tout d’abord noter que cette substitution n’est pas automatique mais qu’elle doit au
contraire être demandée par le bénéficiaire.
De plus, bien qu’admise, elle n’en est pas moins contrôlée et la collusion frauduleuse est extrêmement
difficile à démontrer. Ainsi, dans un arrêt du 29 mars 2009, la cour de cassation censure la décision de la Cour
d’appel qui accorde la substitution du bénéficiaire du pacte dans les droits de l’acquéreur aux motifs que, selon
les articles 1583 et 1589 du code civil, la preuve de la mauvaise foi des acquéreurs s’apprécie au moment de la
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signature de la promesse de vente, qui vaut vente, et non lors de sa réitération par acte authentique.
Une confirmation récente de l’arrêt du 26 mai 2006 a été donnée par la troisième chambre civile le 3
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novembre 2011.
Par conséquent, l’exécution forcée du pacte de préférence semble possible mais reste extrêmement
limitée dans son champ d’application tel que déterminé par la jurisprudence. Alors, dans tous les cas où la
mauvaise foi ne peut être prouvée, le bénéficiaire de la promesse ne pourra se voir allouer que des dommages
et intérêts sur le principe de l’article 1142 du code civil.
Il faut cependant noter la force du pacte de préférence hors ces hypothèses.
Par exemple, même après le refus de l’offre formulée par le promettant au bénéficiaire, le promettant
ne peut pas contracter avec un tiers, sans risquer de commettre une faute, à des conditions plus avantageuses
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que celles refusées par le bénéficiaire .
De même, on pourra reprocher au promettant d’avoir conclu avec un tiers un contrat relativement aux
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biens objet du pacte mais qui n’est pas identique dans sa nature ou dans son objet à celui prévu par le pacte.
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JCP N 2006, n° 1256, Cass. mixte, 26 mai 2006 obs. Tullier
En l’espèce, l’existence du pacte de préférence avait été révélée aux acquéreurs peu avant la réitération par acte
authentique.
6
Dalloz Actualité, 18 novembre 2011, « Sanction de la violation d'un pacte de préférence », G. Forest
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Su ce sujet, il a été jugé par la troisième chambre civile de la cour de cassation le 29 janvier 2003 (Bull Cass Partie III n° 24
p. 23) que la cour juge en fonction de la valeur nominale du bien et non par rapport à sa la valeur économique du marché.
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La jurisprudence a également considéré que la conclusion d‘un bail faisant naitre au profit du preneur
un droit de préemption est de nature à vider le droit de préférence du bénéficiaire du pacte de son contenu et
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par conséquent constitue une violation du pacte .
Ainsi, nous avons pu déterminer la possibilité théorique de mettre en œuvre l’exécution forcée dans le
cadre d’un pacte de préférence mais la difficulté pratique d’une telle opération. Il nous revient à présent
d’analyser la force contraignante du contrat préparatoire par excellence : la promesse synallagmatique de
vente (B).
B. PROMESSE SYNALLAGMATIQUE DE VENTE : LE DOMAINE DE PREDILECTION DE L’EXECUTION FORCEE ?
Un auteur s’était interrogé sur le fait de savoir si le seul contrat préparatoire à la vente qui obligerait
efficacement chacune des parties ne consisterait pas exclusivement en la promesse synallagmatique de vente
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conclue sous conditions suspensives.
En effet, l’article 1589 du code civil dispose que la promesse de vente vaut vente. Mais, il serait faux
de croire qu’il s’agit la d’un principe intangible : si la promesse synallagmatique vaut vente, ce n’est que dans
la mesure où les parties au contrat n’ont pas entendu repousser sa formation à une date ultérieure, dépendant
de la réalisation d’un évènement déterminé.
Ainsi, bien qu’il soit de jurisprudence constante de décrire les conditions suspensives comme des
modalités de l’obligation et non comme des conditions de formation du contrat, cela ne constitue qu’un
principe hors l’exception de la volonté contraire des parties.
Il est vrai que les conditions suspensives sont en général rattachées aux effets du contrat, mais dès lors
que les parties décident d’ériger en condition de formation du contrat un évènement déterminé, alors la vente
devient un contrat formaliste et la promesse devient un contrat autonome.
L’article 1589 du code civil n’a donc qu’un caractère supplétif et la jurisprudence a tiré les
conséquences de ces énonciations en matière d’exécution du contrat.
D’une part, si les conditions sont érigées en condition de formation du contrat, alors le promettant
n’est plus soumis à une obligation de vendre ou de donner mais à une obligation de faire : coopérer pour la
réalisation de l'événement dont dépend la formation du contrat. La cour de cassation dans un arrêt du 27
juillet 1997 a donc considéré que le bénéficiaire de la promesse ne peut se voir allouer que des dommages et
intérêts sur le fondement de 1142 du code civil, comme c’est le cas pour les promesses unilatérales, et toute
exécution forcée est rejetée en cas de rétractation.
En pratique, on suggère souvent que mieux vaut privilégier le consensualisme et donc ériger les
conditions suspensives en tant que modalité de l’obligation et non en tant que condition de formation du
contrat. Et si la promesse contient les éléments essentiels du contrat futur et aucune condition suspensive
concernant la formation du contrat, alors cette dernière vaut vente. Le transfert des risques s’analyse donc au
jour de la promesse, tout comme le transfert de propriété, et l’exécution forcée est possible car le contrat est
valablement formé.
Mais il paraît parfois utile d’écarter le consensualisme en pratique, notamment pour éviter un recours
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en justice en cas de non-paiement du prix.
Enfin, et suite à une jurisprudence récente, la force contraignante des promesses synallagmatiques a
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été bouleversée. Par un arrêt de la cour de cassation du 10 février 2010 , confirmé par un arrêt du 12 janvier
2011, la cour rend propriétaire l’acquéreur ayant publié son avant-contrat en premier, sans égard à la bonne
foi ou mauvaise foi de ce tiers acquéreur. Ainsi, si le second acquéreur a publié son titre, la vente est opposable
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Dans un arrêt de la cour de cassation en 1970, le promettant avait dans un premier temps cédé la nue-propriété de son
bien à titre gratuit puis avait vendu l’usufruit de ce même bien au donataire. La pleine propriété avait été reconstituée sur
la personne du donataire dans un temps relativement cour et les juges ont considéré qu’il y avait eu fraude.
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Civ. 3ème, 10 mai 1984, JCP G 1985 Partie II n° 20328.
10
AJDI 2012, p. 55, 28 janvier 2012, « Promesse unilatérale de vente : la cour maintient le cap », Frédérique Cohet-Cordet
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Sur ce point, voir AJDI 2005, p. 679, « Promesse de vente ne vaut pas toujours vente », Frédérique Cohet-Cordet
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Civ. 3ème, 10 février 2010, JCP N 2010, p. 656.
au premier acquéreur qui ne pourra obtenir que des dommages et intérêts au titre de la garantie d’éviction
contre son vendeur.
Pour la pratique notariale, la décision fait prévaloir la publicité foncière et amène à favoriser la
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publication des avant-contrats.
En conclusion, si l’on pouvait croire que la promesse synallagmatique de vente permettait en toutes
hypothèses d’obtenir l’exécution forcée du contrat en cas de violation de la promesse par l’un des
cocontractants, cela reste vrai seulement dans une certaine mesure, eu égard aux conditions suspensives et, à
présent, à sa date de publication.
Malgré ses limites avérées en termes de pacte de préférence et de promesses synallagmatiques, la
jurisprudence admet l’exécution forcée des contrats qui en découlent dès lors que les conditions pour ce faire
sont remplies. Ce n’est pas le cas en matière de promesses unilatérales et de contrats de réservation (II).
II. PROMESSE UNILATERALE DE VENTE ET CONTRAT DE RESERVATION :
Des avant-contrats dont la violation ne peut être sanctionnée que par des dommages et intérêts
La jurisprudence a mis en exergue deux types d’avant-contrats qu’elle estime devoir se résoudre
exclusivement en dommages et intérêts et cela pour deux raisons : cela découle de la nature d’obligation de
des cocontractants, notamment en ce qui concerne le contrat de réservation (B) mais également de l’absence
de rencontre de volonté formant le contrat en ce qui concerne la promesse unilatérale (A).
A. PROMESSE UNILATERALE DE VENTE : UNE JURISPRUDENCE FLUCTUANTE ?
Une promesse unilatérale est définie comme un contrat par lequel une partie s’engage à contracter
par la suite avec une certaine personne et sous certaines conditions prédéfinies. Il s’agit donc d’un contrat dans
lequel les engagements du promettant d’une part et du bénéficiaire d’autre part sont dissociés dans le temps.
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En terme de promesse unilatérale de vente , du côté du bénéficiaire, tant qu’il ne se prononce pas, il
n’a pas d’obligation à l’égard du promettant. Ce n’est qu’en levant l’option que lui accorde le promettant qu’il
va manifester la volonté de s’engager dans le contrat définitif. Quand au promettant, il s’engage dès la
promesse à vendre et à maintenir son consentement pendant toute la durée de l’option et à ne rien faire qui
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puisse nuire à l’exécution de cette promesse.
En la matière, et comme l’ont affirmé certains auteurs : « La cour de cassation souffle le chaud et le
froid ».
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Il est dès lors opportun d’analyser le cas particulier de la rétractation du promettant. En pratique, que
se passe-t-il si le promettant se rétracte avant la levée de l’option ?
Pour savoir si le promettant sera alors obligé d’exécuter le contrat ou bien seulement contraint à
verser des dommages et intérêts, il faut s’interroger de la même manière qu’a pu le faire la Cour de cassation,
sur la nature de l’obligation qui pèse sur le promettant.
Il est à noter premièrement qu’avant l’arrêt rendu par la Cour de cassation du 15 décembre 1993, le
promettant ne pouvait se rétracter. Le bénéficiaire pouvait donc lever l’option même après la rétractation
puisque cette dernière n’avait aucune incidence pratique. Dès lors, la Cour de cassation admettait que l’on
puisse forcer le promettant à exécuter son obligation.
Mais un chamboulement jurisprudentiel est apparu avec l’arrêt de principe du 15 décembre 1993, dit
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arrêt Consorts Cruz . Depuis, il a été établi que la rétractation empêchant la rencontre des volontés, il n’y
avait pas de contrat.
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Confirmée par Civ. 3ème, 14 avril 2010, N° 06-17347
Nous excluons volontairement de notre étude les promesses unilatérales d’achat, plus rares en pratique.
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Notons à cet égard que si rien n’est prévu dans la promesse unilatérale de vente, alors le promettant peut démembrer,
mettre en garantie, etc. En conséquence, il sera de bonne pratique pour les notaires notamment de prévoir par des clauses
précises ce que le promettant s’engage à ne pas réaliser pour que les droits que le bénéficiaire pourrait acquérir ne soient
pas limités.
16
JCP E n° 44, 4 Novembre 2010, 1962, « Retour sur l'engagement du promettant dans la promesse unilatérale de vente : la
Cour de cassation souffle le chaud et le froid », Gilles Pillet
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Le contrat devenant inexistant, l’exécution forcée de ce dernier paraît donc injustifiée et seuls des
dommages et intérêts peuvent être alloués. Cette jurisprudence a ensuite été confirmée à de multiples reprises
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et notamment par un arrêt de la troisième chambre civile du 26 juin 1996.
De cette position de la Cour, la doctrine a donc tiré comme conséquence que l’obligation du
promettant correspondait à une obligation de faire (de maintenir la promesse) dont la violation est
sanctionnée, conformément à l’article 1142 du code civil par l’allocation des dommages et intérêts.
Outre le problème de la rétractation du promettant, qu’en est-il de la vente par le promettant à un
tiers ? Quelles sont alors les possibilités offertes au bénéficiaire de voir la promesse unilatérale respectée ?
La Cour de cassation assimile la vente à un tiers à une rétraction (confirmation régulière y compris le
11 mai 2011). Par conséquent, on doit en déduire que la vente à un tiers, de la même manière que la
rétraction, ne pourra être résolue qu’en dommages et intérêts et qu’il sera impossible d’engager une exécution
forcée quand bien même serait prouvée la collusion frauduleuse.
Cela entraîne inévitablement une fragilisation de la promesse unilatérale qui ne présente pas plus de
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force juridique qu’une offre de contracter ce qui fut très critiqué en doctrine.
Mais par un arrêt du 8 septembre 2010, la cour de cassation proclamait que « le promettant avait
définitivement consenti à la vente (...) ». De ces quelques mots la doctrine avait pu conclure que « conforme à
la nature de la promesse unilatérale de vente, l'analyse proposée lui restitue la sécurité […], par le simple
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constat que la force obligatoire du contrat rend la rétractation du promettant inefficace. » On crut alors aux
prémices d’un revirement jurisprudentiel.
Mais c’était sans compter sur l’arrêt du 11 mai 2011 par lequel la troisième chambre civile marqua à
nouveau son attachement à la jurisprudence Consorts Cruz de 1993.
Et pourtant, le 6 septembre 2011, quatre mois plus tard, on a bien cru, cette fois-ci apercevoir un
revirement véritablement spectaculaire : la troisième chambre civile affirme, dans cet arrêt, que la levée de
l'option intervenant après la rétractation des promettants doit produire son plein effet. Autrement dit, la
rétractation du promettant avant la levée de l'option peut être sanctionnée par l'exécution forcée du contrat.
Mais à la lecture du l’arrêt du 13 septembre 2011 dans lequel la chambre commerciale a adopté la
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même solution que celle de l’arrêt de la troisième chambre civile le 11 mai 2011 , on reste très dubitatif sur un
éventuel changement de positionnement de la jurisprudence assise par l’arrêt Consort Cruz.
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Si l’on pourrait être tenté de conclure à la fin des promesses unilatérales de vente , elles n’en restent
pas moins intéressantes dans des hypothèses particulières telles que la situation dans laquelle l’acquéreur
souhaiterait garder secret l’évènement conditionnant sa décision, ou encore celle d’un promoteur immobilier
souhaitant dans le délai d’option évaluer la rentabilité de l’opération.
Dans un tel contexte de doute jurisprudentiel, il est important que la pratique puisse apporter des
solutions de sécurité juridique aux contractants d’une telle promesse unilatérale. Entre autres possibilités, on
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citera celle qui consiste à écarter conventionnellement l’application de l’article 1442 du code civil et à
admettre dès le contrat de promesse que le bénéficiaire pourra obtenir l’exécution forcée telle que cela a été
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validé par la cour de cassation dans un arrêt de 2008 . On pourra également proposer de fixer le montant des
dommages et intérêts dus par le promettant dans la promesse unilatérale ou encore insérer une clause de
dédit d’un montant dissuasif.
17
Civ. 3ème, 15 décembre 1993, Dalloz 1994 p. 57.
Civ. 3ème, 26 juin 1996 JCP N 1997, p. 909 et s., note STAPYLTON SMITH.
19
Voir notamment D. 2012, p. 231, « De la prétendue rétractation du promettant dans les promesses unilatérales de
vente », obs. N. Molfessis
20
JCP E n° 26, 30 Juin 2011, 1504, « L'inefficacité de la rétractation de la promesse unilatérale de vente - Comme un coup
de tonnerre dans le ciel des obligations », Yann Paclot et Emmanuelle Moreau
21
JCP G n° 48, 28 Novembre 2011, 1316, « Promesse unilatérale de contracter : un revirement à petits pas feutrés », Louis
Perdrix
22
Voir notamment Def. 2011, art. 40023, p. 1023 et s, « Faut-il abandonner la promesse unilatérale de vente ? » (À propos
de Cass. 3e civ., 11 mai 2011) , Laurent Aynès
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La cour de cassation a en effet affirmé que l’article 1142 n’étai pas d’ordre public dans un arrêt de 2008.
24
Civ. 3ème, 27 mars 2008 confirmé à plusieurs reprises notamment JCP G, 2008 II, 10147, obs. Pillet
18
Rappelons en guise de conclusion que la vente devient définitive par la levée de l’option qui doit être
l’expression d’une volonté ferme précise et non équivoque, soumise à aucun formalisme.
Après cette levée d’option, la promesse unilatérale se transforme en promesse synallagmatique et, à
défaut de convention contraire, la propriété est transférée au profit du bénéficiaire. Si le promettant venait à
ce stade à se rétracter, le bénéficiaire pourrait demander l’exécution forcée de l’obligation du promettant en
s’adressant au tribunal de grande instance afin de faire constater la formation de la promesse synallagmatique
et d’obtenir un acte authentique qu’il pourra publier aux fins de le rendre opposable aux tiers.
Si la jurisprudence a été très indécise en ce qui concerne la force contraignante des promesses
unilatérales, elle n’a jamais douté quand à la résolution en dommages et intérêts de la violation d’un contrat
de réservation, qui ne contient aucune obligation de vendre (B).
B. LE CONTRAT PRELIMINAIRE DE RESERVATION : L’ABSENCE D’OBLIGATION DE VENDRE
Dans le cadre d’une vente d’immeuble à construire, le contrat préliminaire de réservation correspond
au contrat préparatoire exigé en secteur protégé. Il est souvent défini comme un contrat sui generis
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essentiellement synallagmatique.
Les articles L. 261-15 et R.261-25 du Code de la construction et de l’habitat régisse ce contrat
préparatoire. Ils correspondent au « minimum légal » en matière de contrat de réservation. Dans ce contrat, les
obligations du réservant sont très limitées : il s’agit principalement de ne pas vendre à autrui.
Mais les parties peuvent également décider de faire du contrat de réservation un véritable acte
préparatoire où le réservant s’engage à vendre à un prix ferme et définitif, le contrat a alors pour le promettant
la même force obligatoire qu’une promesse unilatérale.
Entre ces deux hypothèses, existent toutes les situations intermédiaires dans lesquelles on peut
retrouver un contrat de réservation.
De tout cela on peut tirer trois conséquences quand à la force contraignante du contrat de
réservation. Tout d’abord, le réservant n’est pas obligé de construire. Mais s’il construit, il est obligé de
proposer la vente prioritairement au réservataire. Alors, l’offre doit correspondre à des fourchettes
prévisionnelles sauf si sont démontrés des motifs légitimes et sérieux de proposer autre chose.
Comme il n’y a pas d’engagement de vendre, on ne comprendrait pas que le contrat puisse être
exécuté de manière forcée et cela paraîtrait absurde si l’immeuble n’avait finalement pas pu être construit.
Le contrat de réservation se résoudra donc systématiquement par des dommages et intérêts dès lors
que la mauvaise foi du réservant sera prouvé.
Au fil de notre analyse on a donc pu observer les différents degrés de force contraignante des
multiples avant-contrats que l’on est susceptible de rencontrer en pratique. La jurisprudence semble
aujourd’hui se stabiliser et maintenir des décisions en cohérence avec ces premières argumentations dans
chaque situation.
A la pratique cependant de rester vigilante pour que les avant-contrats conservent l’intérêt qui est le
leur en matière de préparation de la vente définitive.
25
RDI 2012, p. 95, « l’intensité variable des obligations du réservant dans le contrat préliminaire » (A propos de Civ 3ème,
30 novembre 2011), Olivier Tournafond