Mon propos n`est pas ici de caractériser en général la lecture
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Mon propos n`est pas ici de caractériser en général la lecture
L’INTERPRÉTATION DU LOGOS ET LA THÉORIE DE LA PROPOSITION DANS LE SOPHISTE. Mon propos n’est pas ici de caractériser en général la lecture heideggérienne du Sophiste de Platon, telle qu’elle se déploie dans le cours, prononcé à Marbourg en 1924/1925, et publié comme volume 19 de la Gesamtausgabe. Je voudrais plutôt m’attacher, de manière plus détaillée, mais je l’espère, point trop micrologique, à un passage clef du dialogue (261 c - 263 c). Mais c’est aussi un passage particulièrement difficile consacré à l’analyse de la proposition (du lÒgoj comme phrase ou proposition : Aussage, Satz) : il s’agit de cette figure élémentaire du lÒgoj qui se compose d’un nom et d’un verbe, selon l’exemple canonique : ¥nqrwpoj µanq£nei (262 c 9) ; il s’agit donc de la proposition envisagée dans sa double qualification possible : vraie ou fausse (¢lhq»j ½ yeud»j) (cf. Aristote, De interpretatione, ch. 2-5). Pourquoi avoir choisi de concentrer son attention sur ce court passage auquel Heidegger ne consacre par ailleurs qu’un développement relativement bref à la fin de son cours ? Pour plusieurs raisons. Parce qu’en dépit de ce fait, 1) Heidegger souligne clairement que la question posée en 260 a 8 (question dont Théétète reconnaît qu’il ne voit pas la nécessité)– celle d’une définition du lÒgoj (ti d'n tù parÒnti de lÒgon ¹µ©j dioµolog»sasqai t pot'stin)–, est la question fondamentale en laquelle se nouent tous les fils d’un Dialogue dont Heidegger n’aura cessé de souligner la cohérence et l’unité. Cette question en effet fait directement fond sur la discussion dialectique qui s’est ouverte en 253 b 8, et elle répète, en l’appliquant au lÒgoj, entendu comme phrase ou proposition, la discussion antérieure portant sur la communauté et l’entrelacs des formes ou des idées et des genres de l’être. 2) Une telle définition est par ailleurs décisive pour déterminer l’existence humaine, dans sa figure la plus haute, à savoir la philosophie et, par contrecoup, pour discriminer définitivement le philosophe et le sophiste. C’est en effet grâce à cette définition, qu’il sera possible d’enlever la dernière, mais aussi la plus forte défense, le « bastion » (tÕ µgiston tecoj) à l’abri duquel s’est réfugié le sophiste. La définition proposée, en ces moments distinctement articulés – il s’agit de montrer ce qu’est le lÒgoj et qu’il est, grâce à un certain mélange (µexij) dont il importe de donner la règle – doit permettre en effet 2 de reconnaître l’existence du yeàdoj, s’agissant tant lÒgoj que de la dÒxa (261 b 1-2). 3) La dernière raison pour fixer son attention sur ce passage, c’est précisément que l’interprétation heideggérienne s’y montre très généreuse dans son effort de lecture, tout à la fois phénoménologique et herméneutique, de la genèse ou de la généalogie du lÒgoj, sous sa figure élémentaire, mais fondamentale : tîn lÒgwn Ð prîtÒj te ka sµikrÒtatoj (262 c 6-7). Comme je l’annonçais, je vais donc me consacrer à l’examen d’un bref passage du Dialogue qui permet aussi de caractériser plus précisément la lecture heideggérienne : Il s’agit des pages 261 c - 263 d. Le programme de recherche qui occupe ces pages est fixé d’emblée par l’Étranger en 261 c : « Prenons donc d’abord […] le discours et l’opinion (lÒgoj ka dÒxa) pour établir plus clairement si le non-être s’y attache (pÒteron aÙtîn ¤ptetai tÕ µ¾ Ôn), ou bien s’ils sont absolument vrais l’un et l’autre (À pant£pasin ¢lhqÁ µn stin ¢µfÒtera, yeàdoj d oÙdpote oÙdteron), mais faux ni l’un ni l’autre.» (trad. it. 470) On reviendra sur le statut du non-être (µ¾ Ôn) susceptible de s’attacher au lÒgoj et à la dÒxa, sous une forme déterminée, celle de l’altérité. C’est en effet dans cette optique d’un mixte du lÒgoj et du non-être, qu’on pourra enfin envisager que le lÒgoj dise ce qui est « autre qu’il n’est », ie. non pas æj sti. Heidegger situe d’emblée ce propos ou ce programme, défini par l’Étranger, dans le contexte unitaire du Dialogue : « C’est à présent — note-til — le lÒgoj qui se trouve thématisé en fonction de l’arrière-plan fourni par l’investigation dialectique fondamentale. C’est elle qui permet à Platon de saisir conceptuellement pour la première fois les structures fondamentales [les structures syntaxiques] du lÒgoj : Ônoµa et ·Áµa 1. » Si donc Heidegger souligne l’arrière-plan que constitue l’examen dialectique pour l’analyse de la proposition, c’est d’abord parce qu’il suit attentivement la démarche de Platon qui commence en effet sa thématisation du lÒgoj à partir de 261 c, en marquant clairement (259 e) la « transition » avec le passage dialectique : « C’est la manière la plus radicale d’anéantir tout discours que d’isoler chaque chose de tout le reste, car c’est en effet de l’entrelacs des idées les unes avec les autres que le lÒgoj nous est né — telewt£th p£ntwn tîn lÒgwn stn ¢f£nisij tÕ dialÚein kaston ¢pÕ p£ntwn . di¦ g¦r t¾n ¢ll»lwn tîn edîn suµplok¾n Ð lÒgoj ggonen ¹µn. (trad. it. F. Fronterotta, p. 1 . Heidegger, Sophistes, GA. 19, § 80, p. 581. 3 460) 2 Le lÒgoj, traduit Heidegger, est mit unserem Sein schon da : il est déjà là, présent, avec ou en même temps que notre propre être. Voilà ce qui n’est à son tour possible que di¦ t¾n ¢ll»lwn tîn edîn suµplok»n ; or c’est ce point qu’il importe d’abord d’élucider. Suivons ici la transposition/traduction proposée par Heidegger : « C’est seulement dans la mesure où il y a possibilité de liaison ou de relation de ce qui, dans l’étant, à même l’étant, est visible <à savoir les “idées”>, c’est seulement dans la mesure où l’étant lui-même autorise et rend possible quelque chose comme son propre être-découvert dans le caractère du als – de l’ en tant que –, qu’il y a un lgein, et c’est seulement dans la mesure où lgein il y a, que l’existence humaine est possible. » On voit bien dès lors pourquoi il était essentiel d’assurer préalablement la possibilité du mélange des edh ou des genres comme catégories de l’être. C’est lui qui permet la liaison/dé-liaison d’avec l’autre par où ce dernier atteste sa présence dans l’étant 3 C’est encore de cette possibilité principielle que résulte la possibilité de considérer le lÒgoj lui-même comme un étant, Ôn, abstraction faite de la question de savoir ce qu’il est 4. Dans son commentaire, Heidegger ne laisse pas de souligner l’articulation stricte des déterminations essentielles : logos, philosophie, existence humaine : « Privés du lÒgoj, nous serions privés de ce qu’il y a de plus important, de la philosophie. » – lÒgou sterhqntej, tÕ µn µgiston, filosof aj sterhqeµen. (trad. it. 463-464) Ce que Heidegger commente en ces termes : « C’est ici que vient de nouveau au jour la positivité indirecte de l’enquête concernant le Sophiste. Il est par conséquent superflu, et ce serait un contresens, que d’attendre le dialogue consacré au Philosophe que Platon aurait dû composer ; il se serait ainsi frappé lui-même de plein fouet. Avec la question fondamentale de l’être et du non-être, ce qui vient également au centre c’est la question de l’étant insigne, du philosophe, et respectivement de son négatif, le sophiste. Mais c’est aussi, au sens grec, la question du zùon politikÒn, celle de l’être de l’homme au sein de la pÒlij. S’il n’y a pas de philosophie, c’est-à-dire pas de lgein au sens authentique, alors il n’y a pas non plus d’existence humaine digne de ce nom. La question anthropologique est aussi la question ontologique et inversement, et les deux questions trouvent leur centre dans la question “logique” purement et simplement, par où il faut 2 . Platone, Sofista, a cura di Francesco Fronterotta, BUR, Milan, 2007. . 260 a 2 : ©n teron trJ µe gnujqai : die Anwesenheit des teron im Ôn. 4 . Nur so ist überhaupt zunächst die Möglichkeit des lÒgoj als eines Ôn, noch ganz abgesehen davon, was er selbst ist. 3 4 entendre “logique” comme ce qui a trait au lÒgoj convenablement compris 5. » En mettant en relief la cohérence et l’unité du dialogue (vs. la dissociation de l’écorce et du noyau) et en plaçant au centre l’analyse dialectique, Heidegger souligne en même temps, et de manière tout à fait remarquable, le privilège de la k nhsij dans l’analyse platonicienne. C’est elle, en effet, qui doit fournir le véritable fil conducteur de l’étude anthropologico-ontologique : « Il a été expressément souligné – note Heidegger – que les cinq edh au sein de l’examen dialectique sont d’abord sur un pied d’égalité, aucune n’a un avantage sur l’autre, mais aussi que l’examen est conduit en prenant pour fil conducteur la k nhsij 6. »Et Heidegger demande alors : « Mais qu’est-ce que cela signifie que la k nhsij serve de fil conducteur pour l’analyse dialectique ? [Réponse] Rien d’autre que ceci : ce qui est proprement pris en vue pour la considération dialectique, c’est la yuc», et précisément la yuc» dans son comportement fondamental : le lgein, et en outre que ce lgein de la yuc», à titre de k nhsij, est pris en vue eu égard à la manière dont l’teron peut lui être conjoint. » [il faudrait revenir sur ce point de la centralité de la k nhsij.] Le mouvement de « rétrocession » est ici tout à fait remarquable qui reconduit, dans un premier temps, de l’analytique du lÒgoj au sens strict ou étroit (la proposition, la « phrase ») à la partie dialectique, puis de l’analyse dialectique à ce qui lui servait de fil conducteur : la k nhsij. Celle-ci se donne à connaître ou se laisse expliciter à partir de la yuc» qui est ici prise en vue dans son attitude fondamentale : le lgein, lequel renvoie à son tour à la k nhsij et à la question de savoir comment l’altérité se tient dans un rapport essentiel vis-à-vis d’elle. « C’est ainsi que l’avantage, le primat ou le privilège du lÒgoj vient en lumière aussi bien dans le tout du Dialogue que dans l’indication de la structure phénoménale du Sophiste. C’est en effet seulement à partir de maintenant [ie. après coup] que nous pouvons proprement comprendre la considération dialectique fondamentale. Elle ne représente ni quelque chose d’isolé, ni un noyau par rapport à une écorce, ni un développement simplement formel. Car il est frappant en effet que parmi les cinq gnh, autour desquels tourne la considération dialectique, sont nommés, en même temps que le “quelque chose”, “la mêmeté”, l’ “altérité”, le “mouvement” et le “repos” ; k nhsij et st£sij sont en effet, par opposition à l’Ôn, au t¢utÒn, à l’teron, des edh pourvus d’un contenu, d’une teneur réelle, mais pourtant pas n’importe laquelle. […] st£sij et k nhsij sont lues phénoménologiquement et tirées du gignèskein ou, ce qui signifie la même chose, du noen, et, ce qui revient au même, du lgein. Si donc k nhsij et st£sij appartiennent à la 5 6 . Op. cit., p. 577. . Op. cit., p. 578. 5 considération fondamentale, alors le lÒgoj lui-même est déjà présent thématiquement dans l’analyse dialectique. 7» Voilà qui contredit apparemment, mais en réalité complète, ce que j’avais noté plus haut, quant à l’arrière-plan que constituerait l’analyse dialectique par rapport à la théorie de la phrase ou de la proposition. Ce sont les acceptions multiples de lÒgoj qu’il faudrait ici examiner plus en détail : discours, raisonnement, discursivité logique d’un côté, la parole (Rede), l’énoncé, la proposition de l’autre. Mais laissons cela. Le point que je voulais souligner concernait d’abord la circularité remarquable ainsi mise en lumière : yuc», k nhsij, lÒgoj, altérité : « La considération dialectique fondamentale s’achève en effet avec cette indication que le µ¾ Ôn, l’teron est en même temps que la k nhsij (ils vont de pair avec la k nhsij). Dans la considération dialectique qui apparemment est très éloignée de ce dont il est par ailleurs question dans le Dialogue, il ne s’agit donc en fait de rien d’autre que de ce qui constitue l’unique thème du Dialogue : l’existence du Sophiste lui-même. » La fausse « parenthèse » dialectique a donc pour fin de dégager la portée du concept de k nhsij et sa coappartenance avec le µ¾ Ôn, qui a ainsi trouvé son mode d’être (relatif). Et par là la parenthèse dialectique touche le point central du dialogue : la question du Sophiste, de sa possibilité, de son existence. Et Heidegger peut alors conclure sur ce point : « Si donc la k nhsij est bien ici le thème de la considération dialectique, alors son thème n’est rien d’autre que l’être-là humain, la vie elle-même, pour autant qu’elle s’exprime et qu’elle aborde discursivement, qu’elle ad-voque (anspricht) le monde dans lequel elle est. […] La k nhsij se révèle donc à un examen plus pénétrant comme la déterminité a priori de l’étant lui-même, et précisément comme la déterminité qui, en lui, rend possible, grâce au lgein, l’être-découvert, comme ce qui rend possible le connaître. » Corrélativement, la st£sij est maintenant appréhendée comme constance, stabilité, identité de l’étant, susceptible ainsi d’être découvert, dévoilé pour le connaître. « …Dans ce phénomène de la stabilité constante (Ständigkeit), du toujours, de fait, encore que de manière implicite, c’est le phénomène du temps qui surgit, pour Platon, comme le phénomène qui détermine l’étant en son être : le présent, la parous a, ce qui est souvent saisi de manière abrégée comme oÙs a. Et le lgein, l’ouverture ad-vocante, l’adresse ouvrante, l’ouverture qui aborde discursivement (das ansprechende Aufschließen) l’étant n’est rien d’autre que le fait de présentifier la visibilité de l’étant lui-même, et ainsi de rendre présent l’étant lui-même en ce qu’il est 8. » C’est aussi en fonction de cette corrélation remarquable, ainsi déchiffrée, de la st£sij et de la k nhsij que Heidegger peut alors déclarer, dans le cadre, 7 8 . Op. cit., p. 578. . Op. cit., p. 579. 6 par ailleurs récusé, de la distinction : écorce – noyau, « Der lÒgoj ist also das Kernphänomen. » * Revenons à présent à l’acquis de la dialectique dans l’interprétation platonicienne thématique du lÒgoj : « En 259 e l’interprétation du lÒgoj se rattache à la caractérisation que Platon a donnée de la dialectique sur la base de l’teron nouvellement découvert. Et les pages 259 e - 261 c montrent pourquoi dans le contexte thématique du Dialogue il faut expressément élucider ce qu’est le lÒgoj. Précisément cette transition de l’idée de dialectique qui vient tout juste d’être conquise à l’analyse du lÒgoj est capitale pour la compréhension du dialogue en totalité 9. » Ce qui me retiendra d’abord c’est donc ce passage ou cette transition que constitue la recherche ou la « considération fondamentale » consacrée à la dialectique pour l’analyse du λόγος : Elle est en effet ce qui permet de fixer quelque chose comme des règles à la δύναμις κοινωνίας qui doit également s’exercer au sein du λόγος. Car il ne saurait être question (ce serait encore un ultime refuge pour le Sophiste) de permettre que πάντα ἀλλήλοις δύναμιν ἔχειν ἐπικοινωνίας (252 d 2). Se référant à la question réélaborée en 251 d 5-9 : πότερον μήτε τὴν οὐσίαν κινήσει καὶ στάσει προσάπτωμεν μήτε ἄλλο ἄλλῳ μηδὲν μηδενί, ἀλλ᾽ὡς ἄμεικτα ὄντα καὶ ἀδύνατον μεταλαμβάνειν ἀλλήλων οὕτως αὐτὰ ἐν τοῖς παρ᾽ἡμῖν λόγοις τιθῶμεν ; ἢ πάντα εἰς τἀυτὸν συναγάγωμεν ὡς δυνατὰ ἐπικοινωνεῖν ἀλλήλοις ; ἢ τὰ μὲν, τὰ δὲ μή 10 ; il s’agit à nouveau d’exclure deux possibilités antagonistes. Platon souligne en effet d’abord l’impossibilité tant de la séparation absolue que de la complète déliaison (259 d πὰν ἀπὸ παντὸς ἀποχωρίζειν). Celui qui entreprendrait ainsi de fixer dans son isolement chaque chose (διαλύειν ἕκατον ἀπὸ πάντων, 259 e 4) opposée à toutes les autres, serait inculte et dépourvu de toute philosophie (ἄμουσος καὶ ἀφιλόσοφος). Une telle démarche conduirait en effet à la disparition complète de tous les λόγοι. Ce que Heidegger commente en ces termes : Cela conduirait à la disparition de toute possibilité d’« aborder logiquement/discursivement » quoi que ce soit (…zum Verschwinden-bringen jeglichen Ansprechens von etwas) : « À défaut de koinwn a, il n’y aurait aucune possibilité d’indiquer quelque chose, de le montrer (aufzeigen), il n’y aurait aucun accès à une “vue”, aucun accès aux edh, alors le λέγειν et par suite l’être-là de l’homme (zùon lÒgon 9 . Op. cit., p. 573. . « Nous sera-t-il interdit d’unir l’être au repos et au mouvement, aussi bien que d’unir l’une à l’autre aucunes choses qui soient, et, les regardant, au contraire, comme inalliables, comme incapables de participation mutuelle, les traiterons-nous comme telles en notre langage ? Ou, enfin, dirons-nous que les unes ont ce pouvoir, et les autres non ? » 10 7 con) serait aveugle. Et dans la mesure où l’être-là est déterminé comme k nhsij, celui-ci serait un être-là aveugle, l’être-là de l’homme serait livré au chaos. 11» C’est bien ici l’être-là qui se trouve déterminé dans son fond comme k nhsij. Je me borne à rappeler sur ce point l’intitulé très analytique du paragraphe soixante-seize du cours : « La koinwn a des edh à titre de condition de possibilités du lÒgoj en général. K nhsij et st£sij à titre de phénomènes fondamentaux de la connaissance de l’étant. La suµplok» de la k nhsij et de l’teron comme préfiguration, esquisse préalable du lÒgoj yeud»j .» Après ce rappel du rôle fondamentale de la koinwn a au sein des edh, il faut ensuite montrer (260 d 8) que lÒgoj et dÒxa sont au nombre des edh qui ont part au non-être (µetcein toà µ¾ Ôntoj). Telle est en effet la condition de possibilité pour qu’il y ait quelque chose comme un lÒgoj yeud»j : « Nous avons découvert que le non-être est un genre déterminé parmi les autres genres, et qu’il se distribue sur toute la suite des êtres (260 b 7-8 : tÕ µn d¾ µ¾ Ôn ¹µn n ti tîn ¥llwn gnoj Ôn ¢nef£nh, kat¦ p£nta t¦ Ônta diesparµnon). Si, dans l’examen de ce qu’est le lÒgoj et de sa « généalogie », dans les pages qui nous occupent (261 c - 263 c), la première question est de savoir si le lÒgoj est au nombre des genres de l’être, la question connexe qui s’impose immédiatement est la suivante : « Est-ce que le µ¾ Ôn se mêle (µexij) à la dÒxa et au lÒgoj yeud»j », car à défaut d’un tel mélange, tout sera vrai : « Le fait que ce sont des non-êtres qu’on se représente ou qu’on énonce (t¦ µ¾ Ônta dox£zein À lgein), voilà, en somme, ce qui constitue la fausseté, et dans la pensée, et dans les discours. » Reste donc à montrer la présence ou mieux la co-présence (Mitanwesenheit) du non-être dans un étant déterminé : ici le lÒgoj. Ce qui présuppose une possibilité de liaison, une koinwn a entre Ôn et µ¾ Ôn. Pour rendre compte de cette possibilité, il faut d’abord faire ressortir le lÒgoj en ce qu’il est. Il faut, en d’autres termes, reprendre l’analyse du lÒgoj et de la dÒxa, dans l’optique de la question : pÒteron aÙtîn ¤ptetai tÕ µ¾ Ôn ; (261 c 7) : « est-ce que le non-être s’y rattache ? » Par où Heidegger souligne encore une fois, de manière frappante, l’articulation stricte entre analyse du lÒgoj et définition du Sophiste : « le Sophiste est la factualité die (Faktizität) du µ¾ Ôn lui-même. 12 » Telle est la question qui demeure toujours à l’horizon, si l’est vrai que l’objet de l’enquête, ou du moins un des objets de l’enquête, c’est le Sophiste, ou plutôt sa condition de possibilité telle qu’elle se déclare dans la structure même du lÒgoj et dans l’onto-logie qui lui correspond. 11 . Op. cit., pp. 576-577. . Op. cit., p. 574. 12 8 S’agissant ici de koinwn a et des termes connexes (pros£ptein, proslgein), Heidegger précise l’enjeu de la question : « Il faut montrer que le lÒgoj peut être lié au µ¾ Ôn non seulement de façon générale, mais que c’est dans la structure phénoménale du lÒgoj comme tel qu’est impliquée la possibilité d’une telle liaison avec le µ¾ Ôn, c’est-à-dire avec l’ teron 13. » Cette liaison, cette connexion est donc tout sauf accidentelle ; elle appartient en principe à la structure du lÒgoj. Une telle possibilité est pour lui une possibilité essentielle. Il importe donc de trancher définitivement, contre Antisthène, la question de savoir si « …à chaque lÒgoj ne peut être associé que l’étant en lui-même, c’est-à-dire, par opposition à l’autre (teron), le même (taÙtÒn). » Ou bien « …si le lgein a pour fonction véritable et propre l’identification ou quelque chose d’autre ; et si c’est l’identification, est-ce seulement au sens où ce qui est abordé discursivement ne peut être identifié qu’avec soi-même (un homme est un homme), ou s’il y a également identification de l’étant eu égard à sa dÚnaµij koinwn aj. » * DIRE ET MONTRER Heidegger ensuite distingue trois étapes dans l’analyse du lÒgoj : 1) la mise en évidence de la structure “onomastique” et “délotique” du ≥Äz|§ν; 2) la mise en évidence de la structure du « ≥|z∫¥|ν∑ν qua ≥|z∫¥|ν∑ν » : « Chaque ≥|z∫¥|ν∑ν est un {ä≥∑Õ¥|ν∑ν. Quelle structure comporte le ≥|z∫¥|ν∑ν qua {ä≥∑Õ¥|ν∑ν ? » 3) l’analyse du “découvrir” lui-même dans le comment de sa possibilité. La première étape, souligne Heidegger, traite du ≥∫z∑» comme √≥Äz¥`, comme entrelacs (Verflechtung). La seconde étape traite du ≥∫z∑» comme ≥∫z∑» …§ν∑» (Die Rede ist Rede von etwas). La troisième étape traite du ≥∫z∑» comme √∑±∑», du lÒgoj envisagé dans le comment, la modalité de son être, eu égard au {ä≥∑◊ν, au “montrer” (im Wie seines Seins, d.h. hinsichtlich des {ä≥∑◊ν). C’est dans les étapes 1 et 3 que ce qui a été obtenu grâce à la considération fondamentale de l’ ºν trouvera son application pertinente. La seconde étape conduit Platon à analyser plus en détail le phénomène qui a déjà été rencontré, mais sans être élaboré conceptuellement : celui du ≥|z∫¥|ν∑ als ≥|z∫¥|ν∑ν. * 13 . Op. cit., p. 581. 9 Dans la première étape, le ≥∫z∑» est envisagé comme √≥Äz¥` à partir de la «υ¥√≥∑≤ç : ºν∑¥` - ῥï¥`. Heidegger (593) met en garde contre la mésinterprétation qui consisterait à croire que le ≥∫z∑» ne peut exercer sa fonction fondamentale, i.e. monstrative ou délotique qu’à partir d’une telle composition ou d’un tel entrelacs, comme si la monstration en était le résultat. (Par parenthèses : on retrouve ici un geste heideggérien assez constant [comme le qualifier ?] : ce n’est pas parce que nous avons des yeux que nous pouvons voir, mais c’est parce que nous voyons que…). En un mot : ce n’est pas la «υ¥√≥∑≤ç, l’entrelacs des noms et des verbes qui rend possible la monstration, mais c’est la monstration, le {ï≥∑υν qui fonde et rend possible l’articulation logico-grammaticale, ou en d’autres termes : le syntaxique est subordonné au « phénoménologique » ou au « sémantique ». Pour Heidegger, la nécessité factuelle de la «υ¥√≥∑≤ç : ºν∑¥` – ῥï¥` ne doit pas être entendue au sens où le ≥∫z∑» serait d’une certaine façon le résultat d’une sommation, d’une intégration d’ºν∑¥` et ῥï¥`, mais c’est le {ï≥∑υν lui-même, comme rendre manifeste (Offenbarmachen), qui est le phénomène primaire ou primordial antérieur à l’un et à l’autre (le “nom”, le “verbe”). Le phénomène primaire (primordial) est donc le {ï≥∑υν, en lequel réside la possibilité du Sprechen, de la parole ; c’est une détermination constitutive (konstitutive Bestimmung) de l’être-là, que j’ai coutume de caractériser par l’inder-Welt-sein, par l’in-sein, ajoute Heidegger. Le {ï≥∑υν est ici envisagé à hauteur de, ou au niveau de l’être-au-monde, ou de l’être-à propre à l’être-au-monde, comme détermination constitutive de l’être-là. Pourquoi retraduire ici, dans le lexique de Sein und Zeit (ou de ce qui sera repris et thématisé par SuZ), la caractérisation du {ï≥∑υν ? S’agit-il de mettre en évidence un trait foncièrement phénoménologique de l’être-là : montrer, dévoiler, rendre manifeste, en-deçà de l’articulation langagière : l’homme comme âÙ∑ν ≥∫z∑ν Çχ∑ν ? Dans l’analyse du ≥∫z∑», le regard doit d’emblée s’orienter sur la structure fondamentale du ≥Äz|§ν au sens du {ï≥∑υν. C’est en fonction de ce phénomène fondamental du {ï≥∑υν que les ºν∑¥`…` sont considérés comme des {ä≥‡¥`…` (introd. Fronterotta, 114-116). C’est seulement, si l’on peut dire, dans un second temps, que Platon distingue au sein des {ä≥‡¥`…` les noms et les verbes ; mais une telle distinction est toujours au service de l’unité ou mieux de l’unicité (Einheitlichkeit) de ce qui est objet possible de l’ouverture primordiale de l’existence humaine, envisagée dans sa dimension « pragmatique »(Gegenstand des Erschließen) à savoir : le couple √ƒkz¥` – √ƒk∂§». 10 Voilà le point assez décisif, sur lequel je reviendrai : l’articulation ici introduite par Heidegger de manière assez curieuse : ºν∑¥` – √ƒkz¥`, ῥï¥` – √ƒk∂§». Heidegger prend acte (596) de la conquête que constitue la distinction platonicienne du ≥∫z∑» (comme √≥Äz¥`) et de l’∏ν∑¥câ|§ν. (Ce qu’Aristote prolonge dans le De interpretatione en distinguant le ≥∫z∑» comme a√∑Ÿ`ν…§≤∫» du ≥∫z∑» «ä¥`ν…§≤∫», et en dégageant la structure catégoriale du ≥Äz|§ …§ ≤`…c …§ν∑» : la « diérèse » et la « synthèse », au-delà de la nomination ou plutôt des « noms » comme des « verbes » employés seuls). La figure platonicienne du √ƒË…∑» ≤`® «¥§≤ƒ∫…`…∑» ≥∫z∑» est donc l’ensemble nom-verbe, par opposition à l’unité nominale ou l’unité du nom. Pourtant dans une note marginale (dont ne connaît pas la date), Heidegger semble revenir sur le bien fondé de cette distinction et de ses acquis : le Nennen lui-même, note-t-il, possède déjà un Auslegungs- und Gegenwärtigungssinn : un sens caractéristique de l’interprétation/explicitation et de la présentation ou présentification. DIRE QUELQUE CHOSE J’ai déjà insisté sur l’importance du {ï≥∑υν, aux yeux de Heidegger, comme détermination essentielle du ≥∫z∑». On peut affirmer aussi, dans le même sens, que Heidegger fonde toute son interprétation sur la détermination platonicienne du ≥∫z∑» comme ≥∫z∑» …§ν∑» (597). Mais la question est alors de savoir quel est le statut de ce …§ : individu, idéalité, état de choses ? Quel est le sens du “génitif” ? Pour commenter cette détermination du lÒgoj comme ≥∫z∑» …§ν∑» (262 e : ≥∫z∑ν aν`z≤`±∑ν, æ…`ν√|ƒ ü, …§νª» |≠ν`§ ≥∫z∑ν, ¥é {Å …§νª» a{Õν`…∑ν), Heidegger souligne que ce trait a été redécouvert par Husserl au titre de l’intentionnalité. Ce qui est assez paradoxal, au moins dans la formulation obvie, puisque précisément l’intentionnalité husserlienne (et aussi bien brentanienne, dans sa référence expresse à Aristote) s’élabore hors de, voire même à l’encontre de toute considération langagière…! Mais laissons cela de côté ! Pour accentuer cette ouverture intentionnelle du λόγος Heidegger reprend curieusement le terme même de ≤∑§ν›νß` en l’appliquant cette fois au ≥∫z∑» et à ce dont le ≥∫z∑» est ≥∫z∑». Il faut prendre ensemble, communautairement, le ≥∫z∑» et son “objet” ou sa “visée” : l’individu ? le “Sachverhalt” ? la “Sachlage”? Là encore, mais j’y reviendrai, ce qui fait l’unité de la ≤∑§ν›νß`, ce qui 11 tient ensemble le Zusammensein, c’est la monstration, le {ï≥∑υν, la dimension “délotique” du ≥∫z∑» comme tel. Le délotique, encore une fois, opposé à l’“onoma(s)tique”. Il s’agit là, dans cette ouverture intentionnelle, d’une détermination fondamentale et structurelle qui appartient intrinsèquement au lÒgoj comme tel : « Cela ne signifie pas que le lÒgoj surviendrait d’abord isolé, comme un “parler” (Sprechen) et qu’ensuite, occasionnellement, surgirait un objet qui, de temps en temps, et pas toujours, pourrait lui être lié, rattaché. Mais toute parole (Rede) est conformément à son sens le plus propre un “découvrir”, le “découvrement” (la “découverte”) de quelque chose. Ainsi se trouve fixée une koinwn a, la koinwn a est donné avec le sens du lÒgoj lui-même. La portée de cette constatation : le lÒgoj est ≥∫z∑» …§ν∑», nous l’examinerons par la suite. Étrange transposition ici, en termes de koinwn a de la question platonicienne du pros£ptein, du µetcein s’agissant d’ºν…∑» - ¥é ºν…∑» qui s’éclaire sans doute quand Heidegger se risque à forger l’expression monstrueuse de koinwn a intentionnelle (p. 601). Heidegger explicite en ces termes les différents moments de l’articulation platonicienne du “…§” comme …§ν∫» du ≥Äz|§ν : 1) das Worüber (√|ƒ® ∑‘) – le « ce sur quoi », à savoir ce « au sujet de quoi » on parle. « Dans l’horizon de ce qui est donné d’avance, quelque chose se trouve mis en relief au sein du lui-même, mis en relief par le lgein. » 2) Als-was (æ…∑υ) – l’en-tant-que-quoi : « ce qui est mis en relief c’est l’Ótou (263a). À même l’étant donné d’avance, mais n’ayant pas encore été mis en relief, se trouve mise en évidence quelque chose, et cela de telle sorte que ce quelque chose est compris comme quelque chose qui détermine ce qui est donné d’avance » (donné d’avance de manière indéterminée) [la « traduction » paraît ici tout à fait invraisemblable : la formule marque plutôt une « appartenance », quelque chose comme un « de qui ? », ce qu’atteste aussi la réponse : per µoà ka µÒj. « à mon sujet et « mien », « à moi »] 3) Wovon (quel serait ici l’équivalent en grec ? Heidegger ne l’indique pas !) Ce qui est ici tout à fait remarquable, c’est que Heidegger envisage dans sa structure le …§ du ≥∫z∑» …§ν∑» : le …§ comme ≥|z∫¥|ν∑ν : etwas-als-etwas. Le …§ du ≥∫z∑» …§ν∑» est un ≥|z∫¥|ν∑ν, ce qui, en un sens, va naturellement de soi, ce qui est même un énoncé tautologique, mais ce qui, d’un autre côté, implique une décision interprétative forte. Reste que c’est à partir de cette tautologie que Heidegger déploie son analyse de l’articulation du ≥Äz∑¥|ν∑ν : 12 La structure sous-jacente à l’effectuation du {ä≥∑◊ν, du “montrer” a été caractérisé et déterminé par le √≥Äz¥` des {ä≥‡¥`…`, de l’ ºν∑¥` et du ῥï¥`. La constitution du …§ en tant que {ä≥∑Õν|µ∑ν, en tant que ≥|z∫¥|ν∑ν est donc : le √ƒkz¥` dans la modalité, le comment de la √ƒk∂§». Le ≥|z∫¥|ν∑ν, en sa possibilité, est donc , conformément à son sens, prédonné comme quelque chose à propos de quoi il s’agit de quelque chose. C’est ce que veulent dire les termes √ƒk∂§» - √ƒkz¥` 14. Ce qui est d’abord à souligner dans cette remarque capitale, c’est le fait que Heidegger introduit quasiment de son propre chef le couple pr©xij – pr©gµa sinon absent du texte platonicien, du moins étranger à son économie interne profonde. Ce qu’il importe de remarquer ensuite, c’est le passage ou le glissement du lgein au dÁloun et surtout du lgein comme plgµa au plgµa des dhlèµata. Quand Platon envisage la συμπλοκή ou le “plegme”, c’est d’abord, semble-t-il, des “termes” qu’il s’agit (noms et verbes), et secondairement (c’est-à-dire aussi bien fondamentalement ou fondativement) des εἴδη mais pas des “choses” manifestées ou “montrées”. Comment comprendre la tournure heideggérienne : pr©gµa im Wie der pr©xij ? Ce “pragme” envisagé dans le “comment” de la “praxis”, est le “quelque chose” à propos duquel il s’agit de quelque chose. Le “quelque” chose pris dans le réseau des renvois de l’en tant que herméneutique, pour employer le lexique de Sein und Zeit. L’insistance de Heidegger sur le “pragme” ou les pr£gµata dans leur référence à une pr©xij en fonction de laquelle ils apparaissent toujours dans un “comment”, selon une modalité, un aspect ou un visage déterminés, est elle-même tout à fait significative : le “pragme”, si l’on peut dire, n’est jamais envisagé abstraitement ou comme tel, mais dans l’horizon herméneutique d’un : es handelt sich um… : il s’agit de…, il est question de… On pourrait ici renvoyer aux analyses du premier Heidegger sur l’appréhension de quelque chose en tant que…, dans l’horizon premier de la Zuhandenheit, de ce qui est sous la main et dont il s’agit de…; eg. la “chaire”, “le pupitre”, etc… On peut également songer aux déterminations husserliennes (Recherches Logiques, V) de l’être donné dans le Wie de sa Gegebenheit, la manière ou la modalité de son être-donné, son mode de . « Die Vollzugsstruktur des {ä≥∑◊ν, des Aufzeigens, wurde gekennzeichnet als 14 bestimmt durch das √≥Äz¥` der {ä≥‡¥`…`, des ºν∑¥` und des ῥï¥`. Die Vefassung des …§ als {ä≥∑Õ¥|ν∑ν, als ≥|z∫¥|ν∑ν, ist also : √ƒkz¥` im Wie der √ƒk∂§». Daher ist das mögliche ≥|z∫¥|ν∑ν seinem Sinne nach vorgegeben als etwas, bei dem es sich um etwas handelt. Das will √ƒk∂§» - √ƒkz¥` eigentlich sagen.» (262 E 12). Voir en sens contraire, F. Fronterotta, op. cit. p. 114. 13 donation, le als was : Napoléon, vainqueur de Iéna, vaincu de Waterloo 15. Heidegger poursuit son commentaire : « Le fait qu’il s’y agisse de quelque chose est donc ce qui est pré-donné à chaque lÒgoj, conformément à son sens le plus propre. Platon désigne cela par le terme √|ƒ® ∑‘. A chaque lÒgoj appartient le √|ƒ® ∑‘ 16. » Ce dont il s’agit, “de quoi” il est question, au sens où l’on demande en français : “de quoi s’agit-il” ? Dans le passage clef (262 a), Platon parle bien de pr©xij mais pas de pr©gµa. L’opposition ici est pr£xeij – prattontej. On touche ici du doigt la violence et les limites de l’interprétation phénoménologique : Dans le nom est découvert et montré le “de” du “de quoi il s’agit, de quoi il est question, tandis que le “verbe” découvre, met en lumière le “il s’agit de…”17 Le “de”, “de quoi”, “avec” quoi l’on a chaque fois affaire, dans l’agir, de manière pratique ou théorique. Le “nom” : le “worum”, de quoi… le verbe : le s’agir de, de cela dont…18 Heidegger franchit encore un pas de plus en mettant en série les deux couples d’opposés complémentaires : “onoma-pragma-stasis”/ “rhèma-praxiskinèsis”. A tout logos appartient, structurellement, un √|ƒ® ∑‘. Celui-ci doit être compris comme moment structurel du ≥|z∫¥|ν∑ν. Le lÒgoj comme Ansprechen von etwas (advocation de quelque chose, abord ou adresse) comporte de prime abord (zunächst) pré-donnée (vorgegeben) l’unité d’un 15 . Cf. aussi, dans un autre registre, G. Frege, Sinn und Bedeutung, ed. Mark Textor, Vandenhoeck & Ruprecht, 2002, p. 24 : « Ein Verschiedenheit kann nur dadurch zustande kommen, daß der Unterschied des Zeichens einem Unterschied in der Art der Gegebenheit entspricht. » . « Das Sich-Handeln-um-Etwas ist also das, was jedem lÒgoj vorgegeben ist gemäß seinem eigensten Sinn. Plato bezeichnet dies durch den Terminus : √|ƒ® ∑‘ (263 a 4). Zum jedem lÒgoj gehört das √|ƒ® ∑‘.» 16 « Wir unterscheiden also : 1. das Worüber der Rede im Ganzen, das Unabgehobene, 2. das Wovon, das thematische Herausgehobene: das, wir in der Grammatik das Subjekt des Satzes nennen.» 17 . « Im “onoma” wird aufgedeckt und gezeigt das “um” was es sich handelt, und das “rhèma” deckt auf das Sichhandeln-um…» . « “um” - “worum” / womit man je, im Tun, praktisch, theoretisch, “zu tun” hat. “onoma” : “das worum” - “rhèma” : das sich Handeln um: das, um was. » 18 14 étant – unité non encore distinguée, où rien ne ressort comme tel (eine unabgehobene Einheit). Par exemple : à un certain moment se fait entendre le grincement (craquement) d’une calèche dans la rue ; Heidegger ajoute (air connu) : « Je n’entends pas des bruits avec un de mes sens pris isolément, comme quand je suis assis dans un Institut de psychologie expérimentale, mais j’entends la voiture dans la rue ». De la même façon, l’Étranger voit devant lui Théétète-qui-est-assis. « Cette totalité unitaire pré-donné est le √|ƒ® ∑‘. » — Dieses Einheitliche des vorgegebenen Ganzen ist das √|ƒ® ∑‘. Le Worum, le pr©gµa : ce qui est pré-donné, c’est donc toujours une totalité unitaire : ce qui d’emblée se présente comme faisant un tout. La perspective est ici, disons holiste et le fil conducteur de l’analyse est méréologique. On peut déterminer cette totalité unitaire, ajoute Heidegger, comme das Worüber des Sprechens : Ce dont on parle, ce « sur quoi l’on parle ». Le lgein est ce par quoi, dans ce cercle du pré-donné, à même le pré-donné, quelque chose est mis en évidence, quelque chose ressort (Das Abgehobene 19). Ce qui ainsi est mis en évidence et ressort comme tel est le æ…∑υ. Ainsi en luimême (à même lui-même), dans l’étant pré-donné, mais qui ne ressort pas comme tel, quelque chose est mis en évidence (est détaché, découpé), et cela de telle sorte qu’il est maintenant compris comme quelque chose, selon une discursivité – celle du « comme » – qui détermine le pré-donné. C’est ainsi par exemple que le « de quoi » (au sujet de quoi) (das Worüber), l’ensemble de ce qui est pré-donné, la voiture qui s’avance, est appréhendée à partir de son grincement. Elle, qui se trouve sur la route, est expérimentée et déterminée comme grinçante dans son passage (comme ce qui grince en passant). Dans ce √|ƒ® ∑‘ se trouve donc impliquée une double structure : 1) Le “ce dont” (ce sur quoi) du discours en général, pris dans son ensemble, le donné pro-jacent et non encore découpé. 2) Dès lors que la découpe (la mise en relief, en évidence) est accomplie sur ce √|ƒ® ∑‘, dès lors que le grincement lui est attribué (zu-sprechen) comme une détermination déterminée, s’accomplit la mise en évidence, ou mieux en relief (Hebung) de la voiture elle-même [cf. Mallarmé : « … se lève, idée même et suave… »], de la voiture elle-même comme ce dont on parle. Le √|ƒ® ∑‘ désigne cette fois, en un sens accentué, cela dont on parle et dont on dit quelque chose de pertinent (wovon die Rede ist) [le Wovon doit être soigneusement distingué du Worüber, qu’il ne faut donc pas traduire par : ce dont on parle…, mais, si c’est possible « ce sur quoi » l’on parle, le « sujet » de l’énoncé.] 19 . Terme technique typique de la phénoménologie husserlienne. 15 Nous distinguons par conséquent : 1) ce sur quoi porte le discours dans son ensemble, ce qui n’a pas encore été mis au jour, fait ressortir; 2) le ce dont, ce qui thématiquement est mis en relief : ce que nous appelons en grammaire le sujet de la proposition. [on dirait plutôt l’objet de la proposition !] 20 Heidegger poursuit : Le ≥Äz|§ν ({ä≥∑◊ν) compris comme processus de mise en évidence, mise en relief (Abhebungsvollzug) n’est pas simplement la liaison de différentes représentations, mais c’est l’Abhebung elle-même (la mise en évidence qui fait ressortir, détache ou découpe), qui fait se “lever” pour la première fois (zur Hebung bringen) le Wovon, le “de-quoi” (au sens du ti du lÒgoj tinoj) : ce « complexe » que sont respectivement la voiture ou Théétète qui est ici assis devant moi. La mise en évidence opère ici à partir de la présence (de l’“avoir-en-présence”) d’un ce sur quoi, ou d’un à propos de quoi d’abord non remarqué, non mis en évidence, à partir d’un état-de-choses déterminé (Tatbestandes). De cet état-de-choses, la mise en évidence fait ressortir le comme quoi : le grincer, l’être-assis. Si donc l’on veut reconstruire le mouvement monstratif du lÒgoj, il ne faut pas partir du sujet relié au prédicat en passant par la copule, mais d’une totalité pré-donnée à sa possible mise en lumière (voilà le point de vue holiste) ; c’est d’elle que ressort ce que nous nommerons par la suite le prédicat, lequel contribue enfin (pour la première fois) à la véritable surexposition d’un sujet, au sens grammatical du terme. L’analyse du tinoj dans le phénomène du lÒgoj tinoj montre donc la structure phénoménale de l’advocabilité comme telle, de ce qui est susceptible d’être abordé discursivement – dans un « lÒgoj » : etwas als etwas, cette « advocabilité » dans laquelle ce qui est d’abord simplement pré-donné se trouve proprement, véritablement porté à la présence (Präsenz). Ce Als ou ce « caractère-d’en-tant-que » est, précise encore Heidegger, die eigentlich logische Kategorie, la catégorie logique proprement dite (par où il faut entendre “logique” au sens de ce qui est donné constitutivement dans le lÒgoj). Une telle « catégorie logique » ne vaut pas seulement ou limitativement pour les « propositions théorétiques ». C’est dire aussi qu’une telle analyse se déploie ici – et c’est le point fondamental qui m’importe – avant la disjonction de l’als herméneutique et de l’als apophantique. Soit à dire encore, en forçant un peu le trait que l’interprétation du Sophiste par Heidegger se fait curieusement en accentuant la dimension . « Wir unterscheiden also : 1. das Worüber der Rede im Ganzen, das Unabgehobene, 2. das Wovon, das thematische Herausgehobene: das, wir in der Grammatik das Subjekt des Satzes nennen.» 20 16 existential-herméneutique du lÒgoj et de la k nhsij dont il est indissociable. * Je résume au risque de la répétition : Dans son analyse du “logos”, Heidegger a dégagé une triple koinwn a : la κοινωνία entre noms et verbes ; la κοινωνία entre λόγος et ὄν (celle du λόγος τινος), que Heidegger qualifie aussi d’ « intentionale κοινωνία », et enfin la troisième κοινωνία, qu’il nomme la « κοινωνία spécifiquement logique », celle qui a la structure formelle du “quelque chose en tant que quelque chose”. C’est à partir de là qu’il est possible d’envisager la question du √∑§∫» (≥∫z∑»), 263 a 11 sq. Le lgein, comme dhloàn est toujours lgein ti. Il ne peut pas, structurellement devenir un lgein µ»den. L’Aufdecken, le découvrir ne saurait en principe lui faire défaut. En revanche, ce qui demeure toujours possible, c’est cette modification du lÒgoj qui en fait un Nicht-Aufdecken im Sinne des Verbergens, des Verstellens, des Davorstellens von etwas vor etwas, des NichtSehenlassen : « un ne pas-découvrir au sens de l’occulter, du déguiser, de l’interposition de quelque chose devant quelque chose, du ne pas laisser voir/ donner à voir. » Le “pseudos” est ici interprété fondamentalement comme l’interposition, la substitution, la superposition, le fait de “faire écran” et donc de dissimuler. C’est cette possibilité du Verstellen intrinsèquement liée au lÒgoj tinoj, au sens de l’etwas-als-etwas qui permet de rendre compte du “faux” ou du “trompeur : le lgein peut “etwas als etwas anderes, als es ist, ausgeben”. Il peut donner quelque chose pour autre chose, faire passer quelque chose pour quelque chose d’autre. Le lgein devient aussi Täuschen. On peut dès lors parler d’un “faux logos”, mais c’est au sens où l’on parle de la fausse monnaie, de l’or faux (603) : « La tromperie, l’illusion, le leurre, le “pseudos” trouve donc son fondement, conformément à sa possibilité, dans la constitution intentionnelle du lgein. Le lgein comme lgein ti peut être un voiler, un déguiser. D’où il ressort que chaque lÒgoj, sur la base de cette constitution, est toujours et nécessairement dans un “comment”, il est “modalisé” : il est découvrant de telle ou telle manière, ainsi ou autrement : découvrant ou dissimulant, autrement dit chaque lÒgoj est poiÒj (tel ou tel) 21 . « Das Täuschen, das ‹|◊{∑», gründet also seiner Möglichkeit nach in der intentionalen Verfassung des “légein”. Das “légein” als “légein ti” kann sein ein Verstellen. Daraus ist deutlich, daß jeder “logos” auf dem Grunde dieser Verfassung immer und notwendig in einem Wie ist ; er ist so oder so aufdeckend : aufdeckend oder verstellend, dh. jeder logos ist √∑§∫».(263 a 11 sq.) » 21 17 Le découvrement peut être un découvrement découvrant ou un découvrement dissimulant, occultant. Se référant à 262 e 8 : √∑§∫ν …§ν` `À…ªν |≠ν`§ {|± : ne faut-il pas que le discours ait une qualité déterminée ? Heidegger pose, en un curieux syntagme germano-grec, que l’être-tel (das πoiÒn-Sein) n’est rien d’autre que le ≥∫z∑» comme a≥ä¢ç» et comme ‹|υ{é». Dans son cours Logik de l’année académique suivante, en 25/26, Heidegger formulera à nouveau, de manière très ramassé, ce point fondamental de son analyse du Sophiste : (Ga. 21, p. 142) : « Platon demande dans le Sophiste : Qu’est-ce qui fait que la multiplicité des mots qui se font suite, constitue une koinwn a — une ensemble (ein Zusammen) au sens de l’un-avec-l’autre (als Miteinander). Cela tient, dit-il, à ce que le lÒgoj est lÒgoj tinoj, le discours est discours sur et de quelque chose (die Rede ist Rede über etwas und von etwas). L’unité se constitue à partir de cela même dont il est question dans le discours (aus dem Beredeten selbst her), et c’est en fonction de cela qu’elle devient intelligible 22 .» Mais un tel résumé risque de laisse perdre entièrement ce qui faisait la force de l’interprétation “phénoménologique” (intentionnelle et monstrative, délotique) du cours consacré au Sophiste. Ce cours en tout cas devrait obliger à réviser entièrement l’accentuation péjorative que l’on attribue généralement à la lecture heideggérienne de Platon. Et pour conclure sur la positivité de cette lecture, je voudrais rappeler en terminant ce passage du cours de l’été 31, consacré à Aristote (Métaphysique J), dans lequel Heidegger en soulignant la “métamorphose de la question de l’être” introduite par la thématisation aristotélicienne du √∑≥≥`χË» ne manque pas de rappeler l’enjeu de la conquête platonicienne ou du pas décisif accompli par rapport à Parménide: « Platon avait atteint de haute lutte le point de vue où le non-étant, le faux, le mal et le sans consistance, en un mot l’in-étant (das Unseiende), se trouve lui aussi être. Pour cela il fallait que se métamorphosât le sens de l’être, afin que désormais ce qui est rivé au rien (das Nichthafte) soit compris luimême dans l’essence de l’être. Or si l’être est depuis toujours le Un (Ñν), cette irruption de ce qui est rivé au rien au sein de l’unité signifie le dépliement de cette dernière en multiplicité. En cela le multiple (le divers) n’est plus simplement coupé de l’Un, du simple, mais au contraire ils sont tous les deux reconnus dans leur co-appartenance. » 22 . « Das Beredete = das beredete Seiende = das Worüber der Aussage.»