Dossier pédagogique - l`histoire

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Dossier pédagogique - l`histoire
Films à la Fiche
APOCALYPSE NOW
VA5205 - VA5206
« L’horreur… l’horreur… »
Présentation
Librement adapté du roman Au cœur des ténèbres de Joseph
Conrad, Apocalypse Now situe son action lors de la guerre du
Viêt-Nam. Devenu emblématique de ce conflit, le film propose
un voyage halluciné et initiatique jusqu’aux recoins les plus sombres de la puissance américaine et de l’âme humaine.
Réalisation
APOCALYPSE NOW
Né en 1939, l’Américain Francis Ford Coppola fait partie de la génération des Lucas, Scorsese, Cimino, De Palma ou Spielberg qui
bousculèrent Hollywood et renouvelèrent le cinéma américain
lors des années 70. Pour s’affranchir des studios, Coppola fonda sa
propre boîte de production,American Zoetrope et y réalisa ses
films les plus personnels.Toutefois, des débuts mitigés le forcèrent
à accepter des commandes dont la trilogie du Parrain. Depuis des
années 80 peu marquantes, Coppola se fait rare derrière la caméra et se concentre sur ses activités de producteur.
Synopsis
Désœuvré et à la dérive, le capitaine Willard reçoit l’ordre de
remonter le fleuve Nung jusqu’au territoire cambodgien pour
y trouver le colonel Kurtz et l’éliminer. Ce haut gradé n’obéit
plus aux ordres et mène de sa propre initiative des opérations
sanglantes à la tête de combattants indigènes.
Thèmes
Guerre - Génocides ; crimes de guerre – Identité ; altérité ;
racisme – Assuétudes – Santé mentale – Adaptation littéraire.
Éducation par le cinéma
Pistes de réflexion quant aux thématiques
Quels éléments de la guerre du Viêt-Nam nous montre le
film ?
Plusieurs caractéristiques typiques du conflit vietnamien sont
montrées au spectateur. On peut relever l’instrumentalisation des
minorités ethniques vietnamiennes (les « montagnards ») par les
États-Unis ; l’extension du conflit au Cambodge où opère Kurtz ;
l’usage généralisé de stupéfiants au sein des troupes américaines ;
la suprématie technologique et la puissance de feu de l’armée
américaine (symbolisée par l’hélicoptère) ; la folie guerrière de
soldats enivrés par la puissance technologique et les exactions
aveugles qu’ils commettent.
Une critique de l’impérialisme
Lorsque le film fut montré au public, le conflit était perdu par
les USA. Jouant avec cette perspective non explicite dans le film,
Coppola montre le contraste entre l’attitude suffisante de l’armée
américaine pendant la guerre et son échec. Ce faisant, il dénonce
l’orgueil impérialiste, voire néo-colonialiste, des États-Unis et leur
mépris pour le Viêt-Nam et sa population.
Pistes de réflexion quant à la narration
Inspiré du roman Au cœur des ténèbres, le récit est simple et
linéaire. Il s’achève sur l’objectif initial : l’élimination de Kurtz.
Sa linéarité est encadrée par le voyage fluvial qui le mène à son
terme tandis qu’aucun événement n’alimente l’intrigue. L’absence
d’influences extérieures sur la quête de Willard apparente le film à
un voyage contemplatif et introspectif.
Quels genres narratifs recoupe le film ?
Le récit initiatique. Si ce genre concerne par définition le passage
de l’enfance à la maturité, il s’applique aussi à Willard qui évolue
à travers une aventure à étapes, ponctuée par un rite sacrificiel
et initiatique (le meurtre de Kurtz). Partant d’un état de dépérissement, Willard vainc ses démons, matérialisés par Kurtz (double
obscur et paternel) dont il héritera du « meilleur » : la lucidité et
la distance émotionnelle (tuer sans juger).
L’épopée homérique. Par métaphore, la quête du héros peut symboliser la nécessité morale pour les États-Unis d’exorciser leur côté
Films à la Fiche - Apocalypse Now 2
Éducation par le cinéma
sombre, révélé au Viêt-Nam et incarné par Kurtz. La démesure
toute homérique des évènements qui rythment le récit permet
d’envisager le voyage de Willard comme une sorte d’odyssée
fluviale renforcée par un habillage musical expressif.
Un récit psychédélique. La forme du film et la temporalité floue du
récit altèrent la perception des évènements. La fumée, la musique, les lumières, les surimpressions d’images, la voix pâteuse du
narrateur et les monologues insensés de Kurtz évoquent une
expérience psychique hallucinée.
Face au film
Un film sur la guerre du Viêt-Nam ?
Réputé pour être un des films les plus emblématiques sur le
sujet, Apocalypse Now n’en montre que certains aspects sans développer ses causes et ses dynamiques. Le Nord-Vietnamien est
presque absent et réduit au rôle de victime passive ou d’ennemi
fanatisé et invisible, sans personnalité. Le film souligne surtout le
contraste saisissant entre la puissance américaine et la faiblesse
de l’ennemi. Cette vision du conflit rend mal compte de ses
réalités et des causes de l’échec américain, à l’image sans doute
d’une opinion publique déboussolée. La dimension didactique
du film sur ce thème est donc très relative, le Viêt-Nam sert
finalement de toile de fond à une réflexion philosophique sur les
noirceurs de l’âme occidentale.
Une approche ethnocentriste
Tant le livre de Conrad que le film de Coppola semblent proposer
un voyage aux confins ténébreux de la civilisation, symbolisé par
la remontée d’un fleuve. Là-bas, il n’y a rien sinon une sauvagerie
primitive qui fascine et révulse. Mais ce « cœur des ténèbres »
n’est pas universel et reste celui de la civilisation occidentale. En
l’assimilant à la sauvagerie supposée de populations indigènes
(promptes à prendre le blanc pour un dieu), les deux auteurs les
enferment dans un état primitif – sorte de « ça » originel de l’Occident – qu’auraient dépassé nos sociétés et nos mœurs.
Films à la Fiche - Apocalypse Now 3
Contextes
Ligne du temps historique
Ligne du temps artistique
1899 - Parution d’Au cœur des ténèbres de Joseph Conrad.
Début de l’intervention américaine au
Viêt‑Nam - 1962
Massacre de My Lai - 1969
1969 - Rédaction du scénario d’ApocaOffensive du Têt - 1969 lypse Now par John Milius.
1972 - Aguirre de Werner Herzog.
1972 - Sortie du documentaire Winter
Soldier.
Accords de Paris - 1973
Chute de Saïgon - 1975
1975 - Début du tournage d’Apocalypse Now.
Élection de Jimmy Carter - 1977
1978 - Voyage au bout de l’enfer de
Michael Cimino.
1979 - Sortie d’Apocalypse Now de
Francis Ford Coppola.
1986 - Platoon d’Olive Stone.
1987 - Full Metal Jacket de Stanley
Kubrick.
1989 - Casualties of War de Brian De
Palma
2001 - Apocalypse Now Redux de Francis Ford Coppola.
Contextes
L’après Viêt-Nam
La première version du scénario fut écrite par John Milius en 1969
alors que les troupes américaines subissaient l’offensive du Têt et
que les révélations de cruautés commises par des soldats contre
des civils (dont le massacre emblématique de My Lai) alimentaient
la contestation pacifiste. Initialement, le film devait être réalisé par
Georges Lucas qui se retira pour préparer Star Wars. Coppola prit
le projet en main et s’y attela en 1975. Entre-temps, les troupes
américaines s’étaient désengagées et le conflit s’acheva par la chute
de Saïgon, en 1975. Dès le début des années 70, le retour des
vétérans, leurs témoignages et les difficultés de leur réinsertion
animèrent une critique de plus en plus aiguë du conflit, à l’image du
documentaire Winter Soldier (1972). La fin de la guerre, l’extension
du débat et l’arrivée du démocrate Jimmy Carter à la Présidence en
1977 ouvrirent la porte à la fiction critique.
Films à la Fiche - Apocalypse Now 4
Contextes
Un tournage apocalyptique
Le tournage d’Apocalypse Now restera dans l’histoire pour avoir
été une aventure particulièrement éprouvante. Coppola et son
équipe s’installèrent aux Philippines et jouirent du soutien du
dictateur Marcos qui leur prêta une partie de son armée (dont les
hélicoptères). Cette amitié trouble permit à Coppola de se passer
en grande partie de l’armée américaine et, ce faisant, de se garantir
une certaine indépendance. Les conditions climatiques du tournage
furent difficiles et culminèrent avec la destruction des plateaux lors
du passage d’un typhon. Outre ces obstacles, l’équipe vécut des
moments de tension marqués par l’usage généralisé de stupéfiants
et par le totalitarisme paranoïaque de Coppola. Le financement du
film fut également un calvaire. Initialement estimé à 14 millions de
dollars, le budget dépassa les 30 millions et imposa à Coppola, producteur, des emprunts massifs garantis par son patrimoine. Après
moult péripéties, des changements de casting, une crise cardiaque
de Martin Sheen, 238 jours de tournage (au lieu de 150) et deux
ans de montage, le film fut finalement projeté au Festival de Cannes
en 1979 dans une version inachevée et remporta la Palme d’Or
(avec Le Tambour de Volker Schlöndorff).
Contexte cinématographique
Bien qu’il situe son action dans la Guerre de Corée (1950), M.A.S.H.
de Robert Altman (1970) marqua les débuts du cinéma de fiction
critique du conflit vietnamien. Mais il fallut attendre la fin de la guerre pour que ce cinéma s’empare du contexte vietnamien. Tandis que
Coppola tournait Apocalypse Now, Michael Cimino réalisa Voyage au
bout de l’enfer (1978) et remporta les Oscars. Depuis le succès de
ces films, la guerre du Viêt-Nam a servi des réalisations réputées
comme Platoon (1986, Oliver Stone), Full Metal Jacket (1987, Stanley
Kubrick) ou Casualties of War (1989, Brian De Palma). Indépendamment de ce conflit, Apocalypse Now présente de fortes analogies
avec Aguirre, ou la colère de Dieu (1972, Werner Herzog), film fluvial
où Klaus Kinsky campe un conquistador qui se perd dans son délire
mégalomane et dans la jungle sud-américaine, et semble préfigurer
le personnage de Kurtz.
Films à la Fiche - Apocalypse Now 5
Éducation au cinéma
L’adaptation littéraire
Apocalypse Now tient plus de l’inspiration que de l’adaptation
littéraire. En effet, les libertés prises avec Au cœur des ténèbres
de Joseph Conrad, paru en 1899, sont telles qu’il faut maîtriser
le livre pour le reconnaître à l’écran (où il n’est pas crédité). La
plus spectaculaire différence entre les deux œuvres est le cadre
de la fiction. Le récit de Conrad se déroule au Congo belge, sur
le fleuve Congo, et a pour toile de fond la colonisation de cette
région, tandis que Coppola utilise la guerre du Viêt-Nam. Les
rapports entre le roman et le film se révèlent à travers les rares
éléments communs qui illustrent comment il est possible de
conserver l’essence d’un écrit tout en bousculant son contenu.
Apocalypse Now garde le principe de la lente progression fluviale
vers un amont sauvage où réside un énigmatique Kurtz. Ce
personnage a rompu avec ses autorités et a sombré dans une folie
qui fascine le narrateur des deux fictions – le capitaine Marlow
sur le papier et le capitaine Willard à l’écran –, et alimente chez
lui un processus empathique. Autour de ces principes centraux,
plusieurs détails vont du livre au film comme certains personnages
(le noir qui manœuvre le cabotier, l’exégète illuminé de Kurtz,…)
ou de petits évènements (la volée de flèches, le coup de sirène
pour effrayer les indigènes,…). Mais les deux fictions se rejoignent
surtout sur la critique qu’elles font des impérialismes qu’elles évoquent. Conrad s’en prend au colonialisme (belge en particulier) et
Coppola à l’interventionnisme américain. Les deux sont dénoncés
par un procédé ironique qui souligne leur orgueil en les confrontant à un univers sauvage, indomptable et angoissant.
Une version longue
Le film se distingue par deux sorties. L’une en 1979 et l’autre en
2001. Lors de son premier montage, le film a subi l’ablation de
séquences entières. La crainte de Coppola, surendetté, était de
lasser le public en lui proposant un métrage trop long et d’essuyer un échec commercial.Vingt-deux ans plus tard et le succès
aidant, le réalisateur remonta son film en rajoutant 49 minutes
de scènes sacrifiées. Cette version apporte de gros changements
et change la lecture du film. L’introduction de relations sexuelles
étoffe Willard tandis qu’un long passage auprès de colons français,
vestiges de l’Indochine, introduit des éléments politiques.
Films à la Fiche - Apocalypse Now 6
Éducation au cinéma
La bande son
Quel est l’usage qui est fait du bruitage et de la musique ?
La grande qualité artistique d’Apocalypse Now tient pour beaucoup à son usage de la musique et du son. L’utilisation de hits des
années 60 (notamment The Doors et The Rolling Stones) situe
l’action dans son contexte historique. La musique synthétique du
père de Coppola, Carmine, contribue pour beaucoup à l’impression psychédélique et artificielle du périple de l’équipage. De plus,
l’usage du bruitage est tout particulièrement travaillé. L’omniprésence du rotor des hélicoptères, les détonations ou l’usage de
percussions sont autant d’éléments qui composent une partition
sonique très expressive.
Analyse de séquences
Comment est filmé Marlon Brando ?
L’analyse de la manière dont Kurtz est mis en scène est un exercice qui révèle comment un réalisateur transforme la réalité et
utilise l’image pour obtenir le résultat qu’il recherche.
Pour rendre Kurtz conforme au mystère que tout le film entretient, Coppola l’escamote en partie à l’image. On voit un crâne,
un regard, un visage ombragé. Ce procédé invite le spectateur à
compléter subjectivement le portrait – physique et psychologique
- de Kurtz. Sa part cachée est soulignée par l’usage des ombres
sur lesquelles il semble en permanence se découper comme s’il
bornait les ténèbres.
L’autre défi était l’acteur lui-même. Malgré ses promesses, Marlon
Brando arriva obèse, trop gros pour la prestance militaire de
Kurtz. Coppola le cadra à hauteur d’épaule, transformant par la
suggestion sa corpulence en une carrure de géant. Les plans en
pied montrent une doublure au physique plus convenable.
Films à la Fiche - Apocalypse Now 7
Informations complémentaires
Fiche technique
Film américain / 1979 / Couleurs / 146’
Réalisation : Francis Ford Coppola.
Scénario : John Milius et Francis Ford Coppola.
Production : Francis Ford Coppola.
Acteurs : Martin Sheen, Marlon Brando, Robert Duvall, Laurence
Fishburne, Harrison Ford, Dennis Hopper, e.a.
Photographie : Vitorio Storaro.
Musique : Carmine Coppola.
Récompenses
Palme d’Or au Festival de Cannes (1979). Oscar de la meilleure
photographie et de la meilleure bande son (1980).
Références
Livres
Joseph Conrad, Au cœur des ténèbres, 1989, GF Flammarion, 217 p.
Première publication en 1899.
Internet
Un petit dossier de présentation du film écrit par Coppola sur le
site universitaire : crdp.ac-bordeaux.fr
Audiovisuel
Hearts of Darkness : A Filmmaker’s Apocalypse, documentaire de Fax
Bahr sur les difficultés du tournage du film, 1991.
Apocalypse Now Redux, version longue du film par Francis Ford
Coppola, 2001.
Filmographie sélective
1963 : Dementia 13 ; 1969 : The Rain People ; 1972 : Le Parrain ;
1974 : Conversation secrète ; 1974 : Le Parrain 2 ;
1979 : Apocalypse Now ; 1982 : Coup de cœur ; 1984 : Cotton Club ;
1990 : Le Parrain 3 ; 1992 : Dracula ; 1997 : The Rainmaker.
Signalétique
Adolescence.
www.lamediatheque.be
La Médiathèque, mai 2007
Éditeur responsable : Jean-Marie Beauloye
Place de l’Amitié, 6 - 1160 Bruxelles

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