Les herbiers universitaires de Clermont-Ferrand
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Les herbiers universitaires de Clermont-Ferrand
Les herbiers universitaires de Clermont-Ferrand : de la sauvegarde d’une grande collection à l’élaboration d’un outil vivant d’information et de recherche sur la biodiversité végétale Par Gilles THÉBAUD, Docteur-ès-Sciences, Conservateur des herbiers universitaires de Clermont-Ferrand Gilles PÉTEL, Professeur de biologie végétale, vice-Président chargé de la recherche à l'Université Blaise-Pascal de Clermont-Ferrand et Arnaud DELCOIGNE, technicien de conservation Résumé : l'Institut des Herbiers universitaires de Clermont-Ferrand est l'aboutissement d'un processus ayant débuté en 1995, à l'occasion de simples préoccupations de sauvegarde des collections botaniques sèches universitaires. Leur réaménagement dans de nouveaux locaux accessibles au public, leur agrandissement, leur modernisation grâce à un ambitieux programme d'informatisation ouvert sur le web ont été menées de paire avec une actualisation nomenclaturale et systématique partielle dans le cadre d'un perpétuel contact avec les chercheurs. Ils ont abouti à la mise en place d'une structure multipartenariale qualifiée pour la conservation, la gestion et la valorisation des herbiers et opérationnelle comme outil d'expertise sur la biodiversité végétale et l'environnement. Dans cette configuration, le partenariat entre les deux universités et la Ville a été déterminant. Au début, de simples préoccupations de sauvegarde Il s'agissait tout simplement en 1995 de sauver les herbiers universitaires pour lesquels aucun espace n'avait été prévu dans les nouveaux locaux construits pour les laboratoires de biologie. Quelques biologistes et physiologistes des deux Universités se mobilisèrent auprès de leurs présidents respectifs et des collectivités territoriales. Une solution fut trouvée sous forme d'une mise à disposition par la ville d'un bâtiment réunissant ainsi les collections universitaires et celles du Muséum d'Histoire naturelle Henri Lecoq. Une des plus grandes collections universitaires : quatrième collection nationale ? Ainsi, par cette fusion, venait de naître une des plus importantes collections nationales. Les clermontois sont certains qu'il s'agit de la quatrième ; il semble que les grenoblois revendiquent ce rang avec tout autant de conviction… Quoi qu'il en soit, on peut estimer le tout à 600 000 parts d'herbier (400 000 pour les collections universitaires et 200 000 pour les herbiers de la ville), ce qui les rangerait dans les soixante plus grands herbiers mondiaux (Lazare, 2003). Ils représentent un travail cumulé qu'on peut estimer à environ huit cents ans, réalisé par plus de trois cent cinquante botanistes depuis deux siècles et concernant plus de 108 pays. Essayer de donner une idée de l'importance d'un tel patrimoine uniquement par des chiffres ne suffit pas. Il convient d'apprécier la qualité de ces collections et leurs différents intérêts, scientifique, historique, didactique, muséographique… Nous nous bornerons à aborder ici le premier point pour souligner : - la grande variété des origines géographiques des planches, notamment grâce aux échanges développés par Charles d'Alleizette, Conservateur jusqu'en 1967, et à ses collectes personnelles - la grande variété des groupes biologiques représentés depuis les cryptogames et organismes dits « inférieurs », Diatomées, Characées, Champignons parasites, Bryophytes (deuxième collection nationale), Ptéridophytes jusqu'aux phanérogames qui représentent bien entendu la plus grande partie ; - le nombre important de « types », c'est-à-dire d'échantillons de référence sur lesquels ont porté les premières descriptions botaniques publiées pour un taxon donné ; au cours de l'informatisation, sans recherche particulière, on en a dénombré environ une soixantaine jusqu'ici. Le contenu des collections, avec la présentation des différents herbiers a été décrit dans un article de J. Loiseau (1971). Depuis, elles se sont encore enrichies et comptent aujourd'hui vingt-six herbiers principaux de phanérogames et vingt-trois collections principales de cryptogames. A cela, il faut rajouter les dons réguliers de spécimens actuels récoltés sur le terrain et aussitôt informatisés et intégrés dans les herbiers généraux. Création de l'Institut pour la gestion et la valorisation des Herbiers universitaires L'Institut pour la gestion et la valorisation des Herbiers universitaires de Clermont-Ferrand a été créé en juillet 1999 à l'initiative conjointe des deux universités qui sont membres de droit de son Conseil d'administration au côté des autres principaux partenaires financiers, ville et Conseil Général du Puy-de-Dôme. Le Conseil Régional d'Auvergne est aussi membre de droit, mais n'avait jamais jusqu'ici souhaité apporter son aide à l'Institut, ce qui, nous l'espérons va changer dans les prochaines années. Autre partenaire actif de l'opération, la communauté d'agglomérations qui apporte son aide financière depuis 2002. De 2000 à 2003, les participations financières se sont montées à 215 000 euros, sans compter les frais relatifs au bâtiment et à son aménagement. L'Institut réunit aussi des scientifiques membres associés, biologistes et botanistes professionnels ou amateurs, au nombre d'une soixantaine, réseau précieux de savoir-faire et d'expérience, représentés eux-aussi au sein du Conseil d'Administration. Les missions qui ont été confiées à l'Institut sont les suivantes : - conservation des collections gestion des prêts et des échanges gestion de l'ouverture au public et de l'accueil des chercheurs et utilisateurs modernisation et informatisation des collections valorisation et utilisation en direction d'un plus large public : acteurs de l'environnement, grand public… En aucun cas il n'a pour vocation de devenir acquéreur de nouvelles collections ; ce sont les universités qui se portent acquéreurs ou acceptent les dons, sur décision de leurs Conseils d'Administration. L'intérêt de l'Institut est multiple : il facilite l'obtention de subventions en provenance des collectivités territoriales, notamment concernant le fonctionnement ; il permet l'implication d'un réseau de membres associés extra-universitaires ; il facilite l'embauche de personnels et la gestion du fonctionnement multipartenarial des Herbiers. Rôle de l'Institut et contenu des Programmes développés L'Institut conduit un programme d'informatisation et de modernisation des collections mené depuis 1999 dans le cadre du contrat quadriennal entre l'Université Blaise-Pascal et le Ministère de la Recherche. L'Informatisation des parts d'herbier se fait suivant la base de données SONERAT, mise au point par le Muséum National d'Histoire Naturelle. En quatre ans, 48 000 parts d'herbier ont ainsi été informatisées, ce qui place Clermont-Ferrand au deuxième rang français après le Muséum national. Ces données sont accessibles depuis l'année 2000 sur le site web de l'Institut au côté d'autres informations plus générales. La flore menacée du département du Puy-de-Dôme, de l'Auvergne, du Massif Central et de France fait l'objet d'un suivi particulier à partir des données historiques contenues dans les herbiers. Une bibliothèque d'environ 30000 références est aussi en cours d'informatisation et de classement. Elle constitue la première bibliothèque botanique du Massif Central. Enfin, du matériel informatique, des meubles pour les collections et des équipements de laboratoire ont pu être acquis à l'occasion de ce programme. L'Institut fonctionne avec un demi-poste de conservateur (Ingénieur territorial mis à disposition) ; Un poste de technicien de Conservation en contrat à durée indéterminée assurant notamment l'accueil, l'informatisation et l'attachage des plantes vasculaires ; Un demi-poste en contrat à durée déterminée renouvelé pour l'informatisation et le conditionnement des bryophytes. Plusieurs étudiants des premières années de master « biodiversité » et « restauration des écosystèmes aquatiques » participent dans le cadre de stages. En complément à ce programme principal, l'Institut mène d'autres activités dans le cadre de programmes où sont mobilisés des financements spécifiques. Il s'agit principalement d'activités de recherche et d'expertises dans le domaine de l'environnement et plus précisément de la conservation de la nature et de la biodiversité. Dans ce cadre, les Herbiers constituent un outil fondamental de référence très sollicité. Parmi ces activités de recherche et d'expertises, on peut citer principalement : - la caractérisation bryosociologique et phytodynamique des tourbières des montagnes cristallines du Massif central (thèse de P. Goubet : bourse du Conseil Général de l'Allier) - l’étude des communautés d'hydrophytes des lacs d'eau douce du Nord-Est de l'Algérie (thèse de Y. Kadid en cotutelle, Clermont / Alger) - l’inventaire floristique du Laos en tant que consultant scientifique dans le cadre de programmes de développement de l'écotourisme (collaboration MNHN et Université de Vientiane) - l’étude et cartographie des communautés végétales d'espaces naturels sensibles des départements du Puy-de-Dôme, de l'Allier et de la Loire (vallée du Fossat, forêt de la Comté, écocomplexe de Chalmazel…) - inventaire et suivi de la flore menacée dans le Massif Central (nombreux mémoires de maîtrise, D.E.S.S. ou D.U. d'étudiants clermontois) - étude de caractérisation moléculaire d'écotypes en collaboration avec les Universités clermontoises (genre Betula, laboratoire de physiologie intégrée de l'arbre, genre Thymus, laboratoire de biochimie des huiles essentielles) La valorisation des collections sur le plan de la culture scientifique et technique La collaboration fructueuse avec le Muséum d'histoire naturelle Henri Lecoq se traduit par des visites d'élèves et de particuliers lors de la semaine « la science en fête » ou des journées du Patrimoine et des Musées. Contrairement à ce que l'on pourrait penser, les Herbiers intéressent beaucoup les visiteurs. Ils sont en général impressionnés par le caractère monumental et l'importance de la collection et très intéressés par les activités de connaissance de la biodiversité régionale ou internationale dont il est le siège. Plusieurs expositions et conférences ont déjà été réalisées sur ce thème. Le grand public est aussi très demandeur d'expertises de plantes. Il en apporte souvent pour identification et informations. De ce point de vue, l'Institut offre un service avec ouverture au public du lundi au vendredi. Des problèmes restent posés Cette dynamique de développement des activités des herbiers ne se fait pas sans difficultés. On peut déplorer notamment qu'aucun poste statutaire ne soit encore acquis tant au niveau conservateur qu'au niveau technicien. D'autre part, l'agrandissement récent des collections et les perspectives prochaines de dons d'autres herbiers d'importance régionale ou nationale, le développement des activités de recherche et d'expertises, la mise en valeur du centre de documentation et les activités grand public nécessitent impérativement une extension des locaux qui actuellement sont devenus trop exigus. Celleci devrait intervenir cependant dans les prochaines années grâce à une collaboration étroite entre la ville et les universités dans le cadre de la relocalisation de la bibliothèque municipale et universitaire. Conclusions et perspectives La conduite de ces opérations de sauvegarde, gestion et valorisation des herbiers universitaires de Clermont-Ferrand à mis en évidence des conditions favorables ou défavorables, qu'il convient de considérer à leur juste valeur si l'on veut poursuivre efficacement les actions entreprises ou si l'on veut tirer partie de cette expérience au service d'opérations touchant d'autres Herbiers universitaires. Parmi les facteurs favorables, on retiendra : la prise de conscience de l'intérêt patrimonial de ces collections de la part de l'ensemble des acteurs institutionnels clermontois ainsi que la demande croissante d'informations et d'expertises de la part des acteurs de l'environnement. Par contre, la régression draconienne de la formation et de la recherche scientifique universitaires concernant les disciplines de terrain appliquées à la conservation de la nature et de la biodiversité, systématique, phytosociologie, écologie végétale… est un phénomène national qui constitue un facteur éminemment défavorable aux opérations de modernisation et de valorisation des collections botaniques et du patrimoine scientifique qu'elles représentent. Il semble pourtant que les universités aient tous les éléments pour développer une politique ambitieuse de recherche dans ces domaines qui intéressent et touchent tant de nos concitoyens, « créneau » qu'aucun grand organisme de recherche public (sauf le Muséum national) n'occupe actuellement. Elles ne doivent pas laisser passer cette opportunité historique. Et, dans cette optique, les grands herbiers doivent être considérés comme des atouts fondamentaux et non comme des « boulets » dont on ne sait comment se débarrasser. Notre modeste expérience clermontoise s'appuie sur la recherche en amont et la demande en aval, demande d'informations, demande d'expertises, demande sociale et culturelle… Elle incite ainsi à un plaidoyer pour une approche globale des opérations de conservation et de valorisation du patrimoine scientifique dans laquelle la recherche doit rester un des éléments moteurs de la transmission du savoir. Bibliographie LAZARE J.-J., 2003.- Analyse de la situation actuelle des Herbiers en France. J. Bot. Soc. Bot. France, 23 : 57-60. LOISEAU J.E., 1971.- Les Herbiers de la faculté des sciences de Clermont-Ferrand. Le Monde des Plantes, 369 : 6-7.