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Université de Fribourg
Faculté de droit
Philosophie du droit
Henri Torrione
Thomas Hobbes
(1588-1679)
-
De Corpore Politico, or the Elements of Law, Moral and Politic, 1640 (Les
éléments du droit naturel et politique, trad. par Louis Roux, Edition L’Herme,
Lyon 1977)
-
De Cive, 1642 (Le Citoyen, trad. française ancienne de S. Sorbière (1649), Le
Livre de Poche, Paris 1996)
-
Leviathan, 1651 (Leviathan, trad. par Gérard Mairet, Folio essais, Gallimard,
Paris 2000)
-
A Dialogue between a Philosopher and a Student of the Common-Laws of
England, 1681 (Dialogue entre un philosophe et un légiste des CommonLaws d’Angleterre, trad. par Lucien et Paulette Carrive, Vrin, Paris, 1990)
1
Thomas Hobbes, Les éléments de la loi naturelle et politique
(Il s’agit d’extraits de cet ouvrage, ainsi que, en italiques, de commentaire, et d'extraits
d’autres ouvrages)
PREMIERE PARTIE
CHAPITRE XIV : De l’état et du droit de nature
1.
Dans les chapitres précédents, on a montré toute la nature de l'homme
consistant dans les pouvoirs naturels de son corps et de son esprit, et pouvant tous se
comprendre dans les quatre suivants: la force corporelle, l'expérience, la raison, et la
passion.
Dans le De Cive, Hobbes précise qu’il va partir de ces pouvoirs et de leur utilisation
dans la guerre de tous contre tous dans l’état de nature, et non pas de l’idée d’êtres
humains " nés propres à la société " (De Cive, I, § 1), " nés sociables ", " nés avec une
disposition naturelle à la société ", avec " une réciproque bienveillance " les uns vis-àvis des autres (De Cive, I, § 2). Il s’oppose à ceux qui " bâtissent la doctrine civile " sur
le fondement que l’homme « possède en lui-même un penchant dominant vers la vie
sociale (Grotius, Prologue au De Juri Belli ac Pacis, VII) et il se réfère au contraire à
" cette inclinaison naturelle que les hommes ont de se nuire les uns aux autres " (De
Cive, I, § 12). " Ce n’est (…) pas la nature, mais la discipline qui rend l’homme propre
à la société " (ibidem). En effet, bien que l’utilité que nous nous proposons de retirer de
nos compagnons en leur société joue un rôle important, (sinon " nous vivrions peut-être
aussi sauvages que les autres animaux les plus farouches "), cette utilité serait
davantage servie " par une domination absolue [sur les autres], que par la société ;
d’où il s’ensuit, que si la crainte était ôtée de parmi les hommes, ils se porteraient de
leur nature plus avidement à la domination, qu’à la société ". (ibidem).
2.
Dans ce chapitre, il sera convenable de considérer en quelle condition de
sécurité notre nature nous a placés, et quelle possibilité elle nous a laissée de persévérer
et de nous préserver contre la violence qui est en chacun de nous. Et d'abord, si nous
considérons combien sont petites les différences de force ou de connaissance entre les
hommes mûrs, et combien il est facile au plus faible, par la force ou l'esprit, ou les deux,
de détruire entièrement le pouvoir du plus fort (car il ne faut que peu de force pour ôter
la vie à un homme) on peut conclure que les hommes considérés dans le simple état de
nature, devraient reconnaître qu'ils sont égaux entre eux; et que celui qui s'en contente,
peut passer pour modéré.
Dans le De Cive, Hobbes conclut ainsi : " Tous les hommes donc sont naturellement
égaux. L’inégalité qui règne maintenant a été introduite par la loi civile " (De Cive, I, §
3).
2
Dans le De Cive, les modérés sont décrits comme ceux qui " reconnaissent notre égalité
naturelle, permettant aux autres tout ce qu’ils se permettent à eux-mêmes ".
(3, 4., 5.)
Cependant, la plupart des hommes agressent les autres, à cause de :
-
-
La méfiance et la crainte ("un homme n'a pas d'autres moyens aussi raisonnables
que l'anticipation pour se mettre en sécurité ... Il ne s'agit là de rien de plus que ce
que sa propre conservation requiert ...", Leviathan, XIII).
la passion de la gloire (y compris la passion d’avoir raison)
la compétition pour la possession des mêmes biens (il s’agit de la cause la plus
fréquente selon le De Cive, I, § 6).
6.
Et dans la mesure où la nécessité de nature porte les hommes à vouloir et
souhaiter ce qui est bon pour eux (bonum sibi), et à éviter ce qui est douloureux, mais
surtout ce terrible ennemi de la nature, la mort, de qui nous attendons à la fois la perte
de tout pouvoir et aussi les plus grandes des souffrances corporelles qui accompagnent
cette perte, il n'est point contre la raison qu'un homme fasse tout ce qu'il peut pour
préserver son existence et son être de la souffrance et de la mort. Et ce qui n'est point
contre la raison, les hommes l'appellent le droit, ou "jus", ou liberté irréprochable d'user
de notre capacité et de notre pouvoir naturels. C'est donc un droit de nature, pour chaque
homme de pouvoir faire tout son possible pour préserver son existence et son être de
tout son pouvoir.
De Cive, I, § 7 : " Car par le mot de juste et de droit, on ne signifie autre chose que la
liberté que chacun a d’user de ses pouvoirs naturels … ".
(7., 8., 9.)
Leviathan, XIV : "Le droit de nature, que les écrivains politiques appellent
communément jus naturale, est la liberté que chacun a d'user de sa propre puissance,
comme il le veut lui-même pour la préservation de sa propre nature, autrement dit de sa
propre vie et, par conséquent, de faire selon son jugement et sa raison propres, tout ce
qu'il concevra être le meilleur moyen adapté à cette fin".
10.
Tout homme par nature a droit à toutes choses, c'est-à-dire qu'il peut faire ce
qu'il veut à qui il veut, qu'il peut posséder toutes choses qu'il veut et peut posséder, en
user et en jouir. En effet, si l'on considère que toutes les choses qu'il veut peuvent être
bonnes pour lui selon son jugement, puisqu'il les veut, et peuvent contribuer à sa
préservation un jour ou l'autre (c'est ainsi qu'il en juge, et nous l'en avons fait juge à la
section 8), il s'ensuit qu'il peut légitimement tout faire. C'est pour cela qu'on a dit avec
juste raison : la nature a donné toutes choses à tous les hommes (Natura dedit omnia
omnibus), de sorte que jus et utile, le droit et l’utile, sont la même chose.
Dans le De Cive, I, § 10 : " en l’état de nature, l’utilité est la mesure du droit ". Et
Hobbes précise que dans l’état de nature, il n’est pas possible " de commettre quelque
3
injustice envers les hommes, [car] cela suppose qu’il y ait des lois humaines, qui ne
sont pourtant pas encore établies en l’état de nature… ". Et il conclut : " Donc chacun
a droit de faire et de posséder tout ce qu’il jugera nécessaire à sa conservation. Et, par
conséquent la justice, ou l’injustice d’une action dépendent du jugement de celui qui la
fait, ce qui le tirera toujours hors de blâme, et justifiera son procédé ". Plus loin dans
Les éléments de la loi naturelle et politique (II, I, § 13), Hobbes précise que celui qui a
un autre en son pouvoir a le droit de l’obliger de donner des assurances de sa future
soumission, afin d’éviter qu’ilne rassemble ses forces et ne devienne notre ennemi.
" D’où l’on peut aussi déduire qu’en l’état de nature, la force irrésistible est juste [est
le droit] " (" irresistible might in the state of nature is right "). Dans le De Cive, I, § 15
cela devient : " … la toute-puissance possède essentiellement et immédiatement le droit
de faire tout ce que bon lui semble ", et c’est explicité de la façon suivante : " Le
vainqueur a le droit de contraindre le vaincu, et le plus fort d’obliger le plus faible
(comme celui qui se porte bien d’obliger le malade, et l’homme fort de contraindre un
jeune garçon,) s’il n’aime mieux perdre la vie, à lui donner des assurances pour
l’avenir qu’il se tiendra dans l’obéissance. " Dans Leviathan, XIII : "... rien ne peut être
injuste. Les notions du bon et du mauvais, du juste et de l'injuste n'ont pas leur place ici.
Là où n'existe aucune puissance commune, il n'y a pas de loi; là où il n'y a pas de loi,
rien n'est injuste. En temps de guerre, la force et la tromperie sont les deux vertus
cardinales. Justice et injustice ne sont aucunement de facultés du corps ou de l'esprit. Si
elles l'étaient, ce seraient celles d'un humain seul au monde, comme le sont ses
sensations et ses passions. Ce sont des qualités relatives à l'humain en société, non à
l'humain solitaire."
(11., 12., 13.)
Leviathan, XIII : "Pour cela il est manifeste que pendant ce temps où les humains vivent
sans qu'une puissance commune ne leur impose à tous un respect mêlé d'effroi, leur
condition est ce qu'on appelle la guerre; or celle-ci est telle qu'elle est une guerre de
chacun contre chacun ... la nature dissocie ainsi les humains en les rendant capables de
s'attaquer et de s'entre-tuer les uns les autres ..."
14.
Mais on suppose, les hommes étant naturellement égaux pour ce qui concerne
la force et les autres facultés, que personne n'a suffisamment de puissance pour s'assurer
que par ce moyen il pourra longtemps se préserver, tant qu'il reste en état d'hostilité et
de guerre. Dès lors la raison dicte à chacun pour son propre bien de rechercher la paix
(dans la mesure où on peut espérer l'atteindre), et de trouver toute l'aide qu'il pourra afin
de se défendre et protéger contre ceux-là de qui une telle paix ne peut être obtenue, et de
faire tout ce qui y conduit nécessairement.
Dans le Leviathan, XIV ce que dicte la raison est présenté de la façon suivante : "...
c'est un précepte et une règle générale de la raison que chacun doit s'efforcer à la paix
aussi longtemps qu'il a l'espoir de l'atteindre, et, quand il ne peut l'atteindre, qu'il peut
chercher et utiliser tous les secours et les avantages de la guerre. La première partie de
cette règle contient la première et fondamentale loi de nature, qui est : chercher la paix
et la maintenir; la seconde, le résumé du droit de nature, qui est : nous défendre nousmêmes par tous les moyens possibles." Dans le Leviathan XIII, il souligne que la
4
possibilité de sortir de l’état de nature pour l’homme " réside partiellement dans les
passions et partiellement dans sa raison. Les passions qui inclinent les hommes à la
paix sont la crainte de la mort, le désir des choses nécessaires à une vie agréable,
l’espoir de les obtenir par leur industrie. " La raison nous dicte " les choses que nous
avons à faire, ou à omettre pour la conservation de notre vie, et des parties de notre
corps " (De Cive, II § 1). " La raison n’appartient pas moins à la nature que la passion,
et elle est la même en tous les hommes." (Les éléments de la loi naturelle et politique, I,
XV, § 1).
CHAPITRE XV : Sur le droit de se départir du droit de nature par donation et
pacte
1.
Ceux qui ont écrit jusqu’à présent ne se sont pas mis d’accord sur ce qu’on
appelle la loi de nature (…). Il ne peut (…) pas y avoir d’autre loi de nature que la
raison…
La loi de nature n’est pas le consentement des hommes, mais la raison, ou plutôt un
précepte, une règle générale que dicte la raison touchant les choses que nous avons à
faire ou à omettre pour la conservation de notre vie et des parties de notre corps. " La
raison n’est que le calcul " (Leviathan, V), " l’acte propre et véritable de la
ratiocination, que chacun exerce sur ses actions, d’où il peut rejaillir quelque dommage
ou quelque utilité … " (De Cive, II § 2).
2.
Un précepte de la loi de nature est que chaque homme se départisse du droit
qu'il a par nature sur toutes choses. En effet, lorsque des hommes différents ont droit
non seulement sur toutes choses mais sur les personnes des autres; s'ils en font usage, il
en résulte agression d'un côté et résistance de l'autre, et c'est la guerre; c'est donc
contraire à la loi de nature, qui a pour but de faire la paix.
" De cette fondamentale loi de la nature, par laquelle il est ordonné aux hommes de
s’efforcer à la paix, dérive la seconde loi : que l’on consente, quand les autres y
consentent aussi, à se dessaisir, dans toute la mesure où l’on pensera que cela est
nécessaire à la paix et à sa propre défense, du droit qu’on a sur toute chose ; et que
l’on se consente d’autant de liberté à l’égard des autres qu’on en concéderait aux
autres à l’égard de soi-même (…). Cette loi est celle de l’Evangile qui dit : " tout ce que
tu réclames que les autres te fassent, fais-le leur ", ainsi que la loi commune à tous les
hommes qui dit : " Ce que tu ne veux pas qu’on te fasse, ne le fais pas à autrui "
(Leviathan, XIV).
3.
Lorsqu’un homme se départit de son droit ou y renonce, ou bien simplement il
l’abandonne ou bien il le transfère à un autre homme…
(4., 5., 6., 7., 8., 9., 10., 11., 12.)
5
Diverses définitions relatives au transfert ou à l’abandon de son droit, au contrat
(transfert en échange d’un bienfait) et au pacte (transfert en échange de la promesse
d’un bienfait).
13.
On soulève souvent la question de savoir si obligent les pactes extorqués par la
peur. Par exemple, si un homme, par peur de la mort, a promis à un voleur de lui donner
cent livres le jour suivant, et de ne point le révéler, peut-on dire qu'un tel pacte oblige ou
non? Bien que dans certains cas, un tel pacte puisse être nul, il n'est pourtant pas nul
parce qu'il a été extorqué par la peur. En effet il n'y a pas de raison que ce que nous
faisons par peur soit moins ferme que ce que nous faisons par avarice. L'un et l'autre
font de cette action une action volontaire. Et si aucun pacte n'était bon, qui procède de la
peur de la mort, aucune condition de paix entre des ennemis, aucune loi n'aurait de
force; car c'est cette peur qui fait qu'on y consent. En effet, qui voudrait perdre la liberté
que la nature lui a donnée, de se gouverner soi-même selon sa volonté et son pouvoir,
s'il ne craignait la mort en la gardant?
(14., 15., 16., 17., 18.)
Considérations sur le pacte et le serment
CHAPITRE XVI : De diverses autres lois de nature
1.
…La loi de nature mentionnée à la section 2 du chapitre précédent, à savoir
"tout homme devrait se départir du droit etc. ...", serait absolument vaine et inefficace si
ce n'était aussi une loi de cette même nature, que "tout homme doit rester fidèle aux
pactes qu'il fait, et qu'il doit les exécuter". En effet que gagne-t-on, si quelque chose
nous est promis ou donné, si celui qui donne, ou promet, ne remplit pas sa promesse ou
garde par devers lui le droit de reprendre ce qu'il a donné?
2.
La rupture ou violation du pacte, est ce qu'on appelle TORT; elle consiste en
une action ou omission qu'on appelle donc INJUSTE. Car c'est une action ou omission
qui est dépourvue de jus, ou droit, lequel avait été transféré ou abandonné auparavant. Il
y a une grande ressemblance entre ce que nous appelons tort, ou injustice dans les
actions et les conversations des hommes dans le monde et ce qui est appelé absurde
dans les argumentations et disputations de l'Ecole. En effet, de même qu'on dit que celui
qui est amené à contredire une assertion par lui maintenue auparavant est réduit à une
absurdité, de même on dit que celui qui par la passion fait ou omet ce qu'auparavant il
avait promis par un pacte de ne pas faire, ou de ne pas omettre, commet une injustice. Et
il y a en chaque rupture de pacte une contradiction à proprement parler : car celui qui
fait un pacte, veut faire ou omettre dans l'avenir; et celui qui fait telle action la veut dans
ce présent, qui est une partie de l'avenir, comprise dans le pacte; et donc celui qui viole
un pacte veut qu'au même moment une chose se fasse et ne se fasse point, ce qui est une
contradiction évidente. Et ainsi le tort est une absurdité de conduite, toute comme
l'absurdité est une espèce d'injustice dans la disputation.
(3., 4.)
6
Diverses considérations sur la violation du pacte
5.
Pour ce qui regarde la justice des actions, elle est communément divisée en
deux sortes, qu'on appelle l'une commutative et l'autre distributive; et l'on dit qu'elles
consistent, l'une en la proportion arithmétique, l'autre en la géométrique; et l'on place la
justice commutative dans la permutation, comme l'achat, la vente, le troc; et la
distributive consiste à donner à chacun selon ses mérites. Cette distinction n'est pas
adéquate, dans la mesure où le tort qui est l'injustice de l'action, ne réside pas dans
l'inégalité des choses échangées, ou distribuées, mais en l'inégalité, contraire à la nature
et à la raison, que les hommes se veulent arroger par-dessus leurs semblables, et dont
nous parlerons plus loin. Et pour ce qui regarde la justice commutative, dont il est
question dans les achats et les ventes, bien que la chose achetée ne vaille pas le prix
qu'on en a donné, dans la mesure où l'acheteur et le vendeur sont tous deux faits juges
de la valeur et en sont tous deux satisfaits, il ne saurait y avoir de tort commis à aucune
des deux partie, aucune n'ayant accordé à l'autre sa confiance, ni avec l'autre passé de
contrat. Pour ce qui est de la justice distributive, elle consiste en la distribution de nos
propres bénéfices : puisqu'on reconnaît qu'une chose nous appartient en propre, à ce que
nous pouvons en disposer selon notre bon plaisir, nul ne peut considérer comme un tort
que notre libéralité s'étende à un autre plus qu'à lui, à moins que nous n'ayons été liés
par contrat; et alors le tort est dans la violation du contrat non dans l'inégalité de la
distribution.
(6., 7., 8., 9., 10., 11., 12., 13.)
Enumération de diverses lois de la nature telles que : on doit se pardonner si des
garanties sont données pour l’avenir; il faut essayer de s’accommoder les uns avec les
autres; la liberté de commercer, etc.
CHAPITRE XVII : De diverses autres lois de nature
(1., 2., 3., 4., 5., 6., 7., 8., 9., 10., 11.)
Enumération de diverses autres lois de la nature, y compris de la loi qu’en toute
controverse il faut recourir à un arbitre ; indication que toutes ces lois de nature " se
résument à nous ordonner de nous accommoder les uns avec les autres ", et qu’on peut
toutes les connaître facilement en s’imaginant être à la place de la partie à qui on a
affaire. Dans le Levathian, XXVI il précisera que la loi de nature, contrairement à la loi
civile, n'a "pas besoin d'être rendue publique ou d'être promulguée puisqu'elle est
contenue en cette unique maxime, approuvée par le monde entier : ne fait pas à autrui
ce que tu penses déraisonnable qu'autrui te fasse."
12.
Dans la mesure où la loi est à proprement parler un commandement, et que ces
préceptes, comme ils procèdent de la nature, ne sont point des commandements, on ne
7
les appelle pas lois eu égard à la nature, mais eu égard à l’auteur de la nature, Dieu
Tout-Puissant.
13.
Ces lois relèvent de la conscience.
14.
… l’habitude d’agir selon les lois de la nature qui tendent à notre préservation
est ce qu’on appelle la vertu…
15.
La vertu se résume à être sociable à l’égard de ceux qui le sont et d’inspirer la
terreur à ceux qui ne le sont pas. C’est ce à quoi se résume aussi la loi de la nature…
Dans le De Cive, III, §1, Hobbes indique que " Tous les auteurs demeurent d’accord en
ce point, que la loi de nature est la même que la loi morale ". Il critique les philosophes
(Aristote) qui n’ont pas remarqué " que la bonté des actions [la morale] consiste en cet
égard, et en cette ordination qu’elles retiennent au bien de la paix. "
CHAPITRE XVIII : Confirmation de ce qui précède à partir de la Parole de Dieu
1.
De même qu’on appelle les lois mentionnées dans les chapitres précédents, lois
de nature, car elles sont des préceptes de la raison naturelle, et aussi lois morales parce
qu’elles regardent les manières des hommes et leur conduite les uns à l’égard des autres,
elles sont aussi des lois divines eu égard à leur auteur, Dieu Tout-Puissant ; elles
devraient donc être en accord avec la parole de Dieu révélée dans l’Ecriture…
(2., 3., 4., 5., 6., 7., 8., 9., 10., 11., 12.)
Confirmation tirée de l’Ecriture de ce qui précède concernant la loi de nature.
CHAPITRE XIX : De la nécessité et de la définition d’un corps politique
1.
… tant que rien ne garantit que les hommes observeront la loi de nature les uns
à l’égard des autres, ils sont encore en état de guerre, et rien n’est illicite à un homme
qui tend à sa propre sécurité et à son propre bien-être…
8
(2., 3., 4., 5., 6.)
Les lois de nature se taisent en l’état de nature. Cette garantie n’est pas fournie par
l’accord d’un certain nombre d’hommes, quel que grand que soit ce nombre ; le " pacte
d’union " est insuffisant. Il faut autre chose ; " cette autre chose est un pouvoir commun
qui les tienne en respect et dirige leurs actions en vue de l’avantage commun "
(Leviathan, XVII). " Il faut qu’il y ait une seule volonté de tous … Or cela ne peut se
faire, si chaque particulier ne soumet sa volonté propre à celle d’un certain autre, ou
d’une certaine assemblée, dont l’avis sur les choses qui concerne la paix générale est
absolument suivi et tenu pour celui de tous ceux qui composent le corps de la
république " (De Cive, III, § 6). Il s’agit du pacte de soumission.
7.
L'union consiste en ceci qu'un homme par un pacte s'oblige envers un seul
homme, ou envers un seul conseil, nommé et établi par tous, à faire les actions que ledit
homme ou conseil leur commandera de faire, et à ne point faire d'action que cet homme
ou conseil leur interdira, ou leur ordonnera de ne pas faire ...lorsqu’un homme promet
de soumettre sa volonté à l’ordre d’un autre, il s’oblige à ceci qu’il abandonne sa force
et ses moyens à celui à qui il promet d’obéir. De ce fait, celui qui doit commander peut
user des moyens et de la force de ceux qui se sont soumis, pour inspirer une terreur qui
le rende capable de constituer la volonté de tous à l’union et à la concorde entre eux.
Plus loin, (II, I, § 13), Hobbes précisera que " le pouvoir souverain est un pouvoir non
moins absolu en la république que n’était absolu, avant la république, la liberté de
chaque homme de paix de faire ce qui lui semblait bon, ou de ne pas le faire. "
8.
Cette union ainsi réalisée est ce que l’on appelle de nos jours, corps politique
ou société civile (…) et on peut la définir comme une multitude d’hommes unis en une
seule personne par un pouvoir commun, pour leur paix, leur défense et leur profit
communs.
Dans le Leviathan, XVII, Hobbes précise : " Cela fait, la multitude ainsi unie en une
seule personne est appelée une république, en latin, civitas. Telle est la génération de ce
grand Leviathan, ou plutôt pour en parler avec plus de révérence, de ce dieu mortel,
auquel nous devons, sous le Dieu immortel, notre paix et notre protection.
9.
Les corps politiques subordonnés.
10.
Dans toutes les cités ou corps politiques qui ne sont pas subordonnés mais
indépendants, l’homme ou le conseil, à qui les membres particuliers ont donné le
pouvoir commun, s’appelle leur souverain, et son pouvoir, le pouvoir souverain ; il
consiste dans la force et le pouvoir que chacun des membres lui a transmis, par pacte.
Comme il est impossible à un homme de transmettre réellement sa force à un autre, et à
cet autre de la recevoir, il faut entendre par là que transférer son pouvoir ou sa force
n’est autre qu’abandonner ou laisser son droit de résister à celui à qui il la transfère. Et
chaque membre du corps politique, est appelé sujet, c’est-à-dire sujet du souverain.
9
11.
Deux sortes de corps politique : celui qui est constitué par contrainte, et celui
qui est constitué par l’accord de plusieurs qui se soumettent à un autre.
DEUXIEME PARTIE
CHAPITRE I : Ce qu’il faut pour constituer un corps politique
Le but pour lequel un homme abandonne à un autre, ou à d’autres, son droit de se
protéger et de se défendre par ses propres moyens, est l’assurance qu’il en espère avoir
d’être protégé et défendu. En effet, la sécurité publique est la loi par laquelle les
hommes se soumettent les uns aux autres. Chacun conserve le droit de se défendre à sa
fantaisie si cette loi n’est pas assurée. En conséquence, il appartient au pouvoir
souverain d’établir un pouvoir de contrainte offrant une sécurité raisonnable. Il lui
appartient aussi d’établir l’étalon d’après quoi chacun saura ce qui est sien, et ce qui
appartient à l’autre, ce qui est bon et ce qui est mauvais, ce qu’il doit faire et ne doit pas
faire et d’ordonner que ces mesures soient respectées. Et ces mesures des actions de
sujets sont ce qu’on appelle des lois politiques ou civiles.
CHAPITRE IX : Des devoirs du souverain
1.
Ceux qui exercent la souveraine puissance parmi les hommes ne peuvent pas
être soumis aux lois, et les actes du souverain ne peuvent pas constituer une injustice
envers les sujets, " qui y ont consenti par leur volonté implicite " (§ 1). Cependant, c’est
pour les souverains un devoir " d’écouter la droite raison, et d’obéir toujours le plus
qu’ils peuvent à la loi de nature, que je ne sépare point de la morale et de la divine (De
Cive, XIII, § 2).
(…)
8.
Il est également nécessaire [pour les souverains] d’extirper de la conscience
des hommes toutes les opinions qui semblent justifier des actions de révolte, et y donner
un prétendu droit ; par exemple l’opinion qu’on n’a pas le droit d’agir contre sa
conscience ; l’opinion que ceux qui ont la souveraineté sont assujettis aux lois civiles ;
l’opinion qu’il y a une autorité quelconque des sujets, pouvant entraver l’affirmation du
pouvoir souverain ; l’opinion qu’il y a un corps politique indépendant de celui ou ceux
qui ont le pouvoir souverain ; l’opinion que sous la désignation de tyrans, le souverain
légitime peut faire l’objet d’une résistance. Et comme les opinions acquises par
l’éducation sont devenues à la longue des habitudes, et ne peuvent être ôtées de force et
tout soudain, il faut qu’elles soient aussi ôtées par le temps et l’éducation. Ces opinions
proviennent de l’enseignement privé et public, et ceux qui les enseignent ont reçu les
fondements et principes, qu’ils ont appris dans les Universités, de la doctrine d’Aristote
et d’autres (qui n’ont rien établi de façon concluante concernant la morale et la
politique, mais, adeptes passionnés du gouvernement par le peuple (passionately
10
addicted to popular government), ont fait passer insidieusement leurs opinions à la
faveur d’éloquents sophismes…
CHAPITRE III : De la nature et des différentes espèces de lois
(1., 2., 3., 4)
Hobbes distingue le conseil ("Il y a conseil quand on dit fais ou ne fais pas ceci et qu'on tire ses raisons
du bénéfice que celui à qui on s'adresse en retirera", Leviathan, XXV), le commandement ("Il y a
commandement quand on dit fais ceci ou ne fais pas ceci sans attendre d'autres raisons que la volonté de
celui qui le dit", Leviathan, XXV), la loi (" ... la loi, en général, n'est pas un conseil, mais un
commandement" et "la loi civile est les règles que l'Etat a commandé à tout sujet ... afin qu'il en fasse
usage pour distinguer ce qui est juste (for the distinction of right) ..., le rôle de la loi civile étant de
déclarer ce qui est l'équité, ce qui est la justice et la vertu morale" (Leviathan, XXVI) et le pacte par
lequel chaque sujet d'un Etat est convenu d'obéir à la loi civile ("une loi et un pacte sont donc différents,
bien que tous deux soient obligatoires ... le pacte oblige par la promesse de faire ou de ne pas faire une
action spécialement nommée et définie"; alors qu'"une loi oblige par une promesse d'obéissance en
général, c'est-à-dire qu'il appartient à celui avec qui le pacte est fait de décider de l'action à faire ou à ne
pas faire". (Eléments de la loi naturelle et politique, II, X, §2).
5.
On confond souvent les noms lex et jus, c’est-à-dire la loi et le droit, et pourtant c’est à peine
s’il y a deux mots dont la signification soit la plus contraire. Car le droit est la liberté que nous laisse la
loi ; et les lois sont la restriction par quoi nous nous accordons tous pour restreindre nos libertés
réciproques. La loi et le droit ne sont donc pas moins différents que contrainte et liberté, qui sont
contraires ...
Dans le Leviathan, XXVI, il précise cette opposition : "... le droit de nature, c'est-à-dire la liberté
naturelle de l'homme, peut être réduit et restreint : d'ailleurs, la fin de la production de lois n'est rien
d'autre que cette restriction même, sans laquelle il est impossible qu'aucune paix puisse exister. La loi n'a
été introduite dans le monde rien que pour limiter la liberté naturelle des individus particuliers, de telle
façon qu'ils ne puissent se nuire les uns aux autres, mais s'entraider et se lier ensemble contre l'ennemi
commun.
8.
Dans l'état de nature, où chacun est son propre juge, et diffère des autres dans sa façon de
nommer et appeler les choses (et de ces différences naissent les querelles et la violation de la paix), il était
nécessaire qu'il y eût quelque mesure commune à quoi se référer pour les choses sujettes à controverses :
par exemple, ce qu'on doit appeler "juste", "le bien", "la vertu", "beaucoup", "peu", "le mien et le tien",
"une livre", "une pinte", etc... Cette mesure commune, au dire de certains, est la droite raison; et je serais
d'accord avec eux, si l'on pouvait trouver ou connaître une telle chose dans la nature (in rerum natura).
Mais ce qu'ils appellent communément droit raison dans une controverse signifie leur raison. Ceci est
certain, puisque la droite raison n'existe pas, et que la raison d'un seul homme ou de plusieurs hommes
doit en tenir lieu; et ce ou ces hommes sont celui ou ceux qui ont le pouvoir souverain, comme on l'a déjà
montrée. En conséquence les lois civiles sont à tous les sujets la mesure de leurs actes, qui permettra de
déterminer s'ils sont justes ou injustes, utiles ou nuisibles, vertueux ou méchants; et par ces lois seront
établis l'usage et la définition de tous les noms sur lesquels on ne s'accorde pas et qui tendent à faire naître
des controverses. Par exemple, s'il arrive que naisse un être étrange et déformé, ce n'est pas Aristote qui
décidera si c'est un homme ou non, ni les philosophes ...
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Voilà pour ce qui concerne les éléments et fondements généraux des lois, naturelles et politiques. Pour ce
qui est du droit entre les nations, c'est la même chose que la loi de nature; car ce qui est loi de nature entre
un homme et un autre avant l'établissement de la république, est, après, le droit des gens entre souverain
et souverain.
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