la lettre des professions de sante

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la lettre des professions de sante
LA LETTRE DES PROFESSIONS DE SANTE
Jean VILANOVA
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LA RESPONSABILITE DU MEDECIN EN AVION
En plein vol, un passager est victime d’un malaise. Le commandant de bord lance un appel s’enquérant de la
présence d’un médecin à bord. Quelle est la responsabilité de ce médecin dans le cadre des soins qu’il
prodigue alors ? Que risque-t-il si, tout au contraire, souhaitant demeurer anonyme, il ne répond pas à l’appel
et laisse ainsi le personnel naviguant s’affairer seul autour du malade ?
L’aviation civile transporte près de 2 milliards de passagers chaque année dont 260 millions de
personnes âgées de 65 ans et plus. C’est d’ailleurs parmi « les seniors » que la croissance du nombre
de passagers est la plus vive. Cette démocratisation du transport aérien et le vieillissement des
voyageurs entraînent naturellement une augmentation du nombre d’incidents médicaux en vol. Les
compagnies aériennes ont mis en place des dispositifs afin de pallier au mieux de tels incidents. Mais,
en cas de problème, le commandant de bord peut aussi s’enquérir de la présence d’un médecin parmi
les autres passagers. Quelle est la responsabilité de ce médecin appelé à intervenir auprès d’un
passager malade ? Quel est son statut ? Que risque-t-il s’il ne répond pas à cet appel ?
Préambule : données chiffrées et gestion des incidents médicaux en vol
Sans être très fréquents, les incidents médicaux en vol n’en relèvent pas pour autant de l’épiphénomène
comme le démontre en la matière les chiffres communiqués par Air France.
La compagnie transporte environ 36 millions de passagers par an et enregistre, sur la même période, un peu
moins de 2 000 déclarations d’incidents médicaux ce qui correspond à un incident pour 18 000 passagers.
Dans la plupart des cas, il s’agit de malaises bénins mais on dénombre aussi :
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15 % de pathologies traumatiques survenues à cause de turbulences ou de chutes ;
10 % de pathologies vasculaires ;
9 % de pathologies digestives (appendicites, occlusions, hémorragies…) ;
9 % de pathologies psychiatriques (crises convulsives, syndrome de manque chez les toxicomanes,
crises de panique…) ;
5% d’atteintes respiratoires (crises d’asthme…) ;
une dizaine de décès, soit un décès pour 3 600 000 passagers.
Le personnel naviguant (hôtesses et stewards) détient nécessairement le certificat de sécurité et de
sauvetage. En cas d’incident, il intervient en premier recours et dispose à cet effet de deux trousses : l’une
destinée aux premiers soins, l’autre pour les cas plus sérieux. Il appartient au SAMU de valider le contenu de
cette seconde trousse. Tous les avions d’Air France sont d’ailleurs, partout dans le monde et 24 H sur 24, en
contact avec le SAMU parisien. Des médecins au sol peuvent ainsi prodiguer les conseils et actions
nécessaires pouvant aller jusqu’à la proposition de déroutement de l’appareil (en moyenne un vol sur 20 000,
le plus souvent long-courrier).
Air-France embarque également un défibrillateur dans chacun de ses avions. Hôtesses et stewards sont tous
formés à son utilisation. La compagnie révèle que cette précaution permet de sauver chaque année la vie de
deux passagers victimes d’attaques cardiaques en cours de vol.
Enfin, dans 90 % des incidents médicaux en vol, un médecin passager intervient après l’appel lancé par le
commandant de bord à la demande du personnel naviguant.
Dans quel contexte de droit ce médecin intervient alors et quel est son statut ?
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I. La responsabilité du médecin français passager : le contexte juridique
Les textes en vigueur émanent de plusieurs sources
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La convention de Tokyo
Le code pénal français
Le code de déontologie médicale
1. La convention de Tokyo du 14 /09 /1963 relative aux infractions et à certains autres actes survenus à
bord des aéronefs.
La Convention, signée par 138 Etats se justifie par la nécessité d’écarter un éventuel risque de vide juridique
lorsqu’un avion vole au-dessus de la mer ou de territoires non explicitement affectés à un Etat. Elle définit les
pouvoirs du commandant de bord en regard de tous les types d’incidents pouvant survenir à bord d’un avion.
Art. 3
1. L’Etat d’immatriculation de l’aéronef est compétent pour connaître des infractions commises et actes accomplis à bord.
2. Tout Etat contractant prend les mesures nécessaires pour établir sa compétence, en sa qualité d’Etat
d’immatriculation, aux fins de connaître des infractions commises à bord des aéronefs inscrits sur son registre
d’immatriculation.
3. La présente Convention n’écarte aucune compétence pénale exercée conformément aux lois nationales.
Le 3ème alinéa de cet article mentionne la liberté laissée à chaque Etat signataire d’appliquer ses propres
règles en matière de droit pénal.
2. Le code pénal français
Au titre des articles 113-4 et 113-11, le code pénal français prévoit de façon spécifique un dispositif répressif à
l’encontre d’auteurs de délits ou de crimes au cours d’un vol. L’article 223-6 sanctionne quant à lui le délit de
non-assistance à personne en péril.
Art. 113-4
« La loi pénale française est applicable aux infractions commises à bord des aéronefs immatriculés en France, ou à
l’encontre de tels aéronefs, en quelque lieu qu’ils se trouvent… »
Art. 113-11
«… La loi pénale française est applicable aux crimes et délits commis à bord ou à l’encontre des aéronefs non
immatriculés en France :
1° Lorsque l’auteur ou la victime est de nationalité française ;
2° Lorsque l’appareil atterrit en France après le crime ou le délit ;
3° Lorsque l’aéronef a été donné en location sans équipage à une personne qui a le siège principal de son exploitation
ou, à défaut, sa résidence permanente sur le territoire de la République… »
Art. 223-6
« Quiconque pouvant empêcher par son action immédiate, sans risque pour lui ou pour les tiers, soit un crime, soit un
délit contre l’intégrité corporelle de la personne s’abstient volontairement de le faire est puni de 5 ans d’emprisonnement
et de 75 000 € d’amende.
Sera puni des mêmes peines quiconque s’abstient volontairement de porter à une personne en péril l’assistance que,
sans risque pour lui ou pour les tiers, il pouvait lui prêter soit par son action personnelle, soit en provoquant un secours. »
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3. Le code déontologie médicale
Nous trouvons deux articles (9 et 70) dans le code de déontologie médicale relatifs à la question de la prise en
charge de l’incident médical au cours du vol. Ces deux articles sont aujourd’hui intégrés au code de la santé
publique (4127-9 et 4127-70).
L’article 4127-9 oblige tout médecin à porter assistance à une personne en péril ; l’article 4127-70 rappelle à
chaque médecin l’omnivalence de son diplôme. Celle-ci lui permet, en cas d’urgence, de prodiguer ses soins
même pour des pathologies ne relevant pas de son domaine de compétences.
Art. 4127-9
« Tout médecin qui se trouve en présence d’un malade ou d’un blessé en péril ou, informé qu’un malade ou un blessé est
en péril, doit lui porter assistance ou s’assurer qu’il reçoit les soins nécessaires. »
Art. 4127-70
« Tout médecin est, en principe, habilité à pratiquer tous les actes de diagnostic, de prévention et de traitement. Mais il
ne doit pas, sauf circonstances exceptionnelles, entreprendre ou poursuivre des soins, ni formuler des prescriptions dans
des domaines qui dépassent ses connaissances, son expérience et les moyens dont il dispose. »
Le décor est planté. La convention de Tokyo laisse le champ libre aux Etat signataires pour
appréhender selon leurs propres règles la gestion des infractions commises par leurs ressortissants
au cours de voyages aériens. A ce titre, le droit pénal français s’applique même lorsque le
ressortissant français, auteur de l’infraction, voyage à l’étranger à bord d’un avion immatriculé dans
un autre Etat. Le code de déontologie médicale s’applique lui aussi au-delà des frontières nationales.
II. Périmètre de la responsabilité du médecin français passager d’un avion de ligne
Les textes ci-dessus sont très clairs et se rejoignent sur l’obligation dévolue au médecin français passager de
répondre à l’appel du commandant de bord, ceci quels que soient l’endroit survolé et l’Etat d’immatriculation
de l’appareil.
La responsabilité s’exerce dans les domaine civil, pénal et ordinal.
1. La responsabilité civile
En règle générale, aucun contrat ne se noue entre le malade et le médecin lorsque celui-ci intervient à la
demande du commandant de bord. Son action en effet revêt un caractère bénévole et il utilise les moyens mis
à sa disposition par la compagnie (trousses de secours et, le cas échéant, liaison radio avec d’autres
médecins au sol). Le médecin en question devient donc un préposé temporaire de la compagnie aérienne.
En conséquence, la responsabilité se développe sur le terrain délictuel et non plus contractuel. Son
mécanisme demeure néanmoins immuable :
- le médecin commet une faute au cours des soins, faute que le patient ou ses ayants droit devront prouver ;
- un préjudice réel, certain et évaluable affecte ledit malade ;
- un lien de causalité se noue entre la faute et le préjudice.
Dans la plupart des situations (des différences peuvent exister d’un droit national à l’autre), « le commettant »,
c’est-à-dire la compagnie aérienne répond des fautes commises par ce préposé temporaire. De surcroît,
certaines compagnies dont Air France couvrent directement la responsabilité civile du médecin passager
bénévole si l’action est directement intentée contre lui comme certains droit nationaux, à l’instar du droit
français l’autorisent.
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Toutefois, en certaines circonstances, le médecin passager n’a pas qualité de préposé de la compagnie et
répond seul, ou par le biais de son assurance de ses actes :
" Lorsque ce médecin décide d’intervenir de son propre chef, sans y avoir été invité par le commandant de
bord.
" Après son intervention à la demande du commandant de bord, il en vient à réclamer des honoraires au
patient soigné. Cela s’est vu.
2. Responsabilité pénale
La responsabilité pénale du médecin passager peut être appelée lorsque le médecin, en méconnaissance des
préceptes de son art se rend notamment coupable du délit de blessure ou d’homicide par imprudence, de
mise en danger de la vie d’autrui ou de non-assistance à personne en péril (voir ci-dessus article 223-6 du
code pénal).
En vol, ce dernier délit naît si le médecin décline, sans raison valable ou cas de force majeure la demande lui
étant faite de venir en aide au passager malade. La force majeure matérialise sa propre incapacité physique à
intervenir ou le fait qu’il soigne au même moment un autre passager malade également en situation de
détresse.
De ce point de vue les choses sont très claires : la non-assistance à personne en péril consiste bien en une
abstention volontaire d’intervenir après avoir été clairement sollicité. Et il faut encore insister sur le fait que
l’obligation dévolue au médecin d’intervenir s’entend de la même façon lorsqu’il voyage avec une compagnie
étrangère.
Certains commentateurs juge parfois bon de conseiller aux praticiens confrontés à un appel de se
réfugier dans l’anonymat selon le précepte du « pas vu pas pris ». Il s’agit là d’un très mauvais conseil,
en rupture avec les règles de droit et la déontologie la plus élémentaire. C’est aussi une démarche
risquée pour celui qui s’y prête. Si un autre passager le dénonce ou si, une fois l’avion posé, les
autorités décident d’ouvrir une enquête, ce médecin discret encourra les foudres de la justice et
l’application des sanctions prévues à l’article 223-6 du code pénal. Dès lors, où seront ses
conseilleurs ?
3. La responsabilité ordinale
Comme ceux du code pénal, les préceptes du code déontologie médicale s’appliquent en France et partout à
l’étranger. Et bien entendu le devoir d’assistance au malade s’entend de la même façon sur terre ou dans les
airs. Tout manquement en l’espèce expose son auteur à une sanction ordinale pouvant aller jusqu’à la
radiation, temporaire ou définitive du tableau de l’Ordre, donc à l’impossibilité de pouvoir continuer à exercer
la médecine.
Le fait de ne pas s’estimer compétent en regard de la pathologie dont souffre le passager n’autorise pas pour
autant un médecin à demeurer passif. Ce principe d’assistance même sans disposer du savoir nécessaire
s’applique d’ailleurs à tout citoyen, donc a fortiori à un médecin.
Sur ce point et ainsi que nous l’avons énoncé plus haut, l’article 4127-70 du code de la santé publique
dispose-t-il que le médecin peut intervenir… « pour tous les actes de diagnostic, de prévention et de
traitement. » C’est le principe de l’omnivalence du diplôme.
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A partir de là, plusieurs situations sont possibles
" Aidé
par le personnel naviguant, le médecin passager dispose des moyens de faire face à
l’incident médical.
" S’il ne peut, avec l’aide du personnel naviguant faire face, il reçoit, lorsque cela est
possible, les consignes nécessaires des médecins au sol et les applique.
" Sans possibilité de contacter les médecins au sol, les circonstances exceptionnelles l’obligent
à délivrer des soins au-delà de ses compétences. Il est aussi habilité à demander au commandant
de bord de dérouter l’avion (la décision appartient au seul commandant de bord).
Conclusion
Les médecins sont régulièrement demandeurs d’informations précises quant à leur responsabilité dans le
cadre des voyages aériens. Beaucoup redoutent d’avoir à intervenir dans des conditions difficiles de bruit,
d’exiguïté, de stress, de fatigue induite par le décalage horaire. Il faut les rassurer. Les poursuites intentées
contre eux en de telles circonstances sont rares, voire rarissimes. De plus, les compagnies aériennes
assurent, pour les principales d’entre elles, leur responsabilité pour les soins qu’ils peuvent être amenés à
prodiguer bénévolement et à la demande du pilote au cours du vol.
Citons néanmoins une affaire survenu aux Etats-Unis dans les années 1980. Après l’appel lancé par le
commandant de bord, un médecin était intervenu auprès d’un passager malade. Jugeant particulièrement
préoccupant l’état de santé de ce passager, ce médecin avait demandé et obtenu du commandant que
l’appareil soit dérouté. Par la suite, la compagnie n’en avait pas moins engagé des poursuites contre ce
médecin après que ses experts aient estimé que le malaise dont avait souffert le passager ne justifiait pas un
déroutement. Mais répétons-le, il s’agit là d’un cas isolé.
Sources :
- Documentation Air-France
- Médecine et Droit – Mai-Juin 2006 n° 78 pages 98 à 102 ; Dedouit, Barguin, Tournel, Hedouin, Gosset : « Y a-t-il
un médecin dans l’avion ? »
- Résumé Sauf cas de force majeure, un médecin s’avère toujours tenu de répondre à l’appel du commandant de bord en
cas d’incident médical affectant un passager. Il devient alors (en droit français) préposé de la Compagnie. Sa
responsabilité pénale peut être engagée en cas de manquement grave au titre des soins prodigués ou s’il
n’intervient pas, ce qui constitue alors le délit de non-assistance à personne en danger. Le code pénal et le code
de déontologie médicale stipulent que le devoir du médecin est d’intervenir quels que soient le territoire ou le
pays qu’il survole et l’Etat d’immatriculation de l’avion. La déontologie ne reconnaît pas au médecin le droit à
refuser ses soins en raison de sa méconnaissance de la pathologie dont souffre le passager malade. La
jurisprudence en matière de poursuites reste fort peu abondante.
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