Document SOQUIJ - Section de droit civil

Transcription

Document SOQUIJ - Section de droit civil
AZ-50304738
BNP Paribas (Canada) c. Ikea Property Ltd.
2005 QCCA 297
COUR D’APPEL
CANADA
PROVINCE DE QUÉBEC
GREFFE DE MONTRÉAL
N° :
500-09-010667-012
(500-05-011676-895)
DATE :
29 MARS 2005
CORAM: LES HONORABLES MARC BEAUREGARD J.C.A.
PAUL-ARTHUR GENDREAU J.C.A.
FRANÇOIS DOYON J.C.A.
BNP PARIBAS (CANADA), autrefois appelée
BANQUE NATIONALE DE PARIS (CANADA)
APPELANTE – défenderesse
c.
IKEA PROPERTY LIMITED
INTIMÉE – demanderesse
ARRÊT
[1]
LA COUR; - Statuant sur l'appel d'un jugement rendu le 29 janvier 2001 par
l'honorable Jean-François de Granpré, de la Cour supérieure, district de Montréal, ayant
condamné l'appelante à payer à l'intimée la somme de 811 417,77 $ avec intérêts et
l'indemnité additionnelle depuis la date de la signification de la déclaration, le tout avec
dépens incluant les frais d'expertise de la demande fixés par le tribunal à 10 000 $;
[2]
Après avoir étudié le dossier, entendu les parties et délibéré;
[3]
Pour les motifs des juges Beauregard et Doyon, le juge Gendreau souscrivant à
ceux du juge Doyon;
AZ-50304738
500-09-010667-012
[4]
PAGE : 2
REJETTE l'appel avec dépens.
MARC BEAUREGARD J.C.A.
PAUL-ARTHUR GENDREAU J.C.A.
FRANÇOIS DOYON J.C.A.
Me William Hesler
Ogilvy, Renault
Procureur de l'appelante
Me Bernard Jolin
Me Serge Gaudet
Heenan, Blaikie
Procureurs de l'intimée
Date d’audience : 29 septembre 2004
AZ-50304738
500-09-010667-012
PAGE : 1
MOTIFS DU JUGE BEAUREGARD
[5]
J'ai pris connaissance des motifs du juge Doyon.
[6]
Comme les auteurs, on peut s'obstiner longtemps sur la nature du lien juridique
qui unit les acteurs dans un cas comme celui qui nous intéresse. La nature de ce lien
dépend probablement des circonstances précises de la communication entre le
banquier et le tiers.
[7]
Pour mon humble part, je suis d'avis que le lien juridique qui liait BNP et IKEA
était un lien contractuel quoique, si BNP allait exécuter incorrectement ce qui lui était
demandé, elle pût être également poursuivie en application de l'article 1053 C.c.B.-C.1.
[8]
Il ne s'agit pas d'un cas où, par exemple, un comptable est poursuivi par un tiers
qui, pour faire crédit à un client du comptable, s'était fondé sur le rapport de vérification
du comptable, rapport que celui-ci n'avait pas remis au tiers, et tiers que le comptable
n'avait jamais vu ni connu. Dans ce cas, on ne peut évidemment pas conclure à une
relation contractuelle entre le tiers et le comptable.
[9]
En l'espèce, il s'agit d'un cas où, de fait, le tiers s'adresse à une banque et lui
demande de lui fournir un service. En acceptant la demande du tiers et en donnant
suite à cette demande, BNP fait en sorte qu'un contrat naît.
[10] Comme IKEA n'assumait aucune obligation – sauf celle de tenir les informations
confidentielles - 2, je suis d'avis qu'il s'agit d'un contrat à titre gratuit. À titre gratuit parce
que, même si, en acceptant la demande d'IKEA, BNP savait que cela allait aider
Structura à recevoir ce qui lui était dû par IKEA, je ne suis pas d'avis que cela
constituait une contrepartie de la part d'IKEA. On peut imaginer d'autres circonstances
où une banque serait directement intéressée par le paiement de la dette par le tiers et
où on pourrait dire que le contrat de fourniture de renseignements n'est pas à titre
gratuit. En l'espèce il n'y a par ailleurs aucun élément de preuve qui suggère que BNP
s'est obligée envers Structura à fournir, sans réserve, des renseignements à IKEA ou
que nous sommes en présence d'une stipulation pour autrui aux termes de laquelle, par
suite de l'acceptation par BNP et par IKEA, la banque était obligée de fournir, sans
réserve, des renseignements à IKEA.
[11] C'est justement à cause du caractère gratuit de l'obligation de BNP que celle-ci a
voulu stipuler qu'elle fournissait les informations sous réserve que les renseignements
n'engageaient en rien sa responsabilité.
1
2
Les faits se sont produits en 1989, avant l'entrée en vigueur du nouveau code.
Cette obligation indépendante n'affecte pas le caractère essentiellement gratuit du contrat.
AZ-50304738
500-09-010667-012
PAGE : 2
[12] Et la présence de cette stipulation, sans être la preuve irréfutable du lien
contractuel, en est un indice qui a une valeur certaine.
[13] On ne saurait dire qu'il n'y a pas eu contrat gratuit du fait que, si, après avoir
accepté de fournir des renseignements, BNP avait par la suite refusé de le faire, elle
n'aurait pas pu être poursuivie en exécution de sa promesse. En effet, le propre d'un
contrat à titre gratuit est de naître seulement au moment où la libéralité est faite. La
promesse de donner qui n'est pas suivie d'une donation ne peut faire l'objet d'une
ordonnance d'exécution spécifique. Cela n'empêche pas que la donation elle-même
soit un contrat à titre gratuit.
[14] En tout état de cause, même si le lien juridique qui unissait les parties n'était pas
un lien contractuel, aucune disposition légale n'empêchait BNP de permettre à IKEA de
se fonder sur les renseignements qu'elle lui fournissait qu'à la condition que BNP ne pût
être recherchée en responsabilité dans le cas où les renseignements seraient inexacts.
Bref, que le lien juridique entre les parties ait été un lien contractuel ou, ce que nous
appelons aujourd'hui, un lien extracontractuel, la stipulation de non-responsabilité entre
en jeu.
STIPULATION DE NON-RESPONSABILITÉ
[15] Avec égards, je ne partage pas l'avis du premier juge selon lequel la stipulation
de non-responsabilité est une «clause de style». Il s'agit certainement d'une clause
standard, mais non pas d'une clause qui n'a aucune signification ou aucun effet. Il s'agit
au contraire d'une stipulation importante sans laquelle BNP n'aurait pas permis que
IKEA se fonde sur les renseignements que la banque lui fournissait.
[16] Contrairement au premier juge, je n'attache aucune importance au fait que, lors
de la conversation téléphonique entre le représentant d'IKEA et celui de BNP, celui-ci
n'a pas fait de réserve quant à la responsabilité de la banque. Ce qui est pertinent, c'est
l'existence de la stipulation avant que IKEA ne se fonde sur les renseignements de la
banque pour payer Structura.
[17] Contrairement encore au premier juge, je ne suis pas d'avis que la stipulation de
non-responsabilité était nulle comme clause qui anéantissait l'essence même de
l'obligation contractée par BNP. Il est certain que, par un contrat synallagmatique, une
partie ne peut à la fois s'obliger et ne pas s'obliger. Mais la situation est tout autre
lorsqu'on est en présence d'un contrat à titre gratuit. Le donateur peut très bien donner
une chose en stipulant sa non-responsabilité dans le cas où cette chose serait, hors de
sa connaissance, défectueuse et causerait un préjudice au donataire. De la même
façon le propriétaire d'un bâtiment peut très bien permettre gracieusement à une
personne d'occuper ce bâtiment à la condition que le propriétaire ne soit pas
responsable dans le cas où la vétusté du bâtiment empêcherait l'occupant d'en avoir
une jouissance paisible. Évidemment la stipulation ne jouerait pas dans le cas d'une
faute lourde de la part de ce donateur ou de ce locateur. Mais elle empêcherait que l'un
AZ-50304738
500-09-010667-012
PAGE : 3
ou l'autre soit condamné dans le cas où on aurait prouvé qu'il aurait commis une faute
simple en ne se montrant pas assez diligent pour connaître la défectuosité de la chose
ou du bâtiment.
[18] Le premier juge a exprimé l'avis qu'après que BNP eut accepté de fournir des
renseignements, elle devait répondre du préjudice subi par IKEA du fait que le
renseignement était erroné et fautif.
[19] Avec égards, cela suppose que BNP s'est engagée à fournir des renseignements
purement et simplement et qu'elle a fourni ces renseignements purement et
simplement.
[20]
Or, ce n'est pas ainsi que j'interprète ce qui s'est produit.
[21] BNP s'est obligée à fournir des renseignements et les a fournis, mais sous
réserve qu'on ne pourrait pas éventuellement lui reprocher de n'avoir pas eu devant elle
tous les faits qu'elle aurait dû avoir, d'avoir omis de tenir compte d'un fait dont elle avait
connaissance ou de ne pas avoir assez tenu compte de ce fait ou d'avoir atteint sa
conclusion par suite d'un certain manque de diligence.
FAUTE LOURDE
[22] Malgré ce qui précède, je suis d'avis que, malgré sa bonne foi, BNP a eu une
conduite équivalant à faute lourde et qu'en conséquence la stipulation de nonresponsabilité ne vient pas à son secours.
[23] Si BNP avait dit à IKEA que son dossier n'était pas tout à fait à jour et si elle lui
avait dit que, selon ce dossier, elle était d'avis que, sans être en excellente ou en très
bonne santé, la santé financière de Structura était bonne, elle n'aurait probablement
pas été responsable du préjudice subi par IKEA. Cela, même si on avait prouvé qu'en
réalité Structura n'était pas réellement en bonne santé financière. La stipulation de nonresponsabilité aurait empêché IKEA de prétendre, comme le comptable Lavigne l'a fait,
que BNP a fait défaut de noter certaines incongruités dans les documents qu'elle avait
devant elle, qu'elle a omis de constater que les conditions attachées à la marge de
crédit n'étaient pas toutes remplies et qu'elle s'est montrée trop optimiste en disant que
Structura était en bonne santé financière. À mon humble avis, la stipulation de nonresponsabilité avait justement pour but d'empêcher que IKEA lui fît ces griefs.
[24] Mais BNP a consenti à aller plus loin. Elle a laissé croire à IKEA que Structura
jouissait d'une marge de crédit d'environ 5 000 000 $ sans lui dire que ce montant de
5 000 000 $ était un plafond théorique et qu'en réalité l'étendue de la marge pouvait
varier de mois en mois, sinon de semaine en semaine ou de jour en jour. BNP a laissé
croire à IKEA que la marge de crédit n'était utilisée qu'à concurrence de 500 000 $. Il
est probable que, si BNP avait renseigné IKEA quant à l'étendue réelle de la marge,
IKEA aurait posé des questions et qu'au bout du compte IKEA n'aurait pas eu
AZ-50304738
500-09-010667-012
PAGE : 4
l'impression que Structura jouissait d'un crédit tel qu'il n'y avait aucun danger pour IKEA
de lui faire un chèque d'environ 1 600 000 $ sans s'assurer que les sous-traitants qui
pouvaient enregistrer des privilèges fussent payés.
[25] Mais il y a plus. BNP avisa IKEA que Structura était en bonne santé financière.
La personne qui reçoit cette information est rassurée et conclut qu'il n'y a pas de danger
immédiat à traiter avec le client qui est en bonne santé financière. Mais, lors de
l'instruction, le préposé de BNP qui a fourni le renseignement à IKEA explique que, pour
BNP, une santé financière peut être excellente, très bonne, bonne, passable, déficiente,
à surveiller. Il est probable que, si le préposé de BNP avait précisé à IKEA qu'en
mentionnant que la santé financière de Structura était bonne, c'était par opposition à
une santé excellente ou très bonne, IKEA aurait posé d'autres questions et aurait
éventuellement su qu'un bon nombre de créances de Structura était dues depuis trop
longtemps et que le fonds de roulement de Structura n'était pas à la hauteur de ce qu'il
aurait dû être. Le préposé de BNP aurait probablement été appelé à expliquer à IKEA
qu'il y avait un espoir que Structura renflouât son fonds de roulement si la société qui
avait obtenu une option sur un immeuble exerçait son option et que, si cela donnait
beaucoup d'espoir, il n'était pas du tout assuré que l'option serait exercée.
[26] Bref je suis d'avis que, si BNP avait dit à IKEA que la marge de crédit suggérée
de 5 000 000 $ n'était qu'une marge théorique et que la bonne santé financière de
Structura ne devait pas être comprise comme étant excellente ou comme très bonne,
IKEA aurait poussé beaucoup plus loin son enquête.
[27] Si BNP pouvait faire une erreur fautive dans son appréciation de la santé
financière de Structura sans encourir de responsabilité envers IKEA, elle ne pouvait pas
d'une façon positive ou par réticence, même de bonne foi, donner de faux espoirs à
IKEA. En d'autres mots, si le contrat n'exigeait pas que BNP fût sans faute dans son
appréciation de la santé financière de Structura, le contrat exigeait que BNP soit sans
faute dans la communication de ce qu'elle savait, sans exagérer les points positifs en
faveur de Structura et sans omettre les points négatifs.
[28] Bref, je ne reproche pas à BNP de n'avoir pas été de bonne foi, je ne lui reproche
pas de n'avoir pas connu tous les faits, d'avoir mal apprécié certains des faits qu'elle
connaissait ou d'avoir été trop optimiste. Je lui reproche d'avoir incorrectement
communiqué à IKEA ce qu'elle savait et d'avoir ainsi induit IKEA en erreur. En réalité, si
le représentant de BNP a répondu comme il l'a fait à IKEA, c'était que, puisque BNP
détenait une sûreté suffisante pour garantir le remboursement de la marge de crédit, il
n'était pas inquiet pour BNP. Mais il devait se montrer plus inquiet pour IKEA et ne pas
laisser celle-ci dans une fausse sécurité. Il était très important, sinon crucial, pour la
santé financière de Structura que la société qui avait une option sur un immeuble sur
lequel Structura détenait une hypothèque exerce cette option. BNP pouvait pour ellemême escompter que l'option serait exercée. Mais elle ne pouvait escompter cela pour
IKEA. Elle devait laisser à cette dernière le soin d'évaluer le risque qu'il ne fût pas
donné suite à l'option.
AZ-50304738
500-09-010667-012
PAGE : 5
PRÉJUDICE
[29] Après avoir payé une deuxième fois les factures des sous-traitants, IKEA a
soustrait de sa réclamation le prix des travaux réalisés entre le dernier paiement
progressif et la faillite, les retenues qu'elle avait faites ainsi que le dividende qu'elle a
reçu de la faillite. BNP voudrait que IKEA réduise également de sa réclamation les
économies qu'elle a ultérieurement faites en achevant les travaux de Structura par
l'entremise des sous-traitants. Que IKEA ait fait un profit ou une perte en achevant les
travaux après la faillite de Structura n'a aucune pertinence sur la perte nette que IKEA a
subie par suite du fait qu'elle a été obligée de payer une deuxième fois ce qu'elle avait
déjà payé à Structura pour les travaux réalisés avant la faillite par les sous-traitants.
[30]
En conséquence, je suis également d'avis de rejeter le pourvoi, avec dépens.
MARC BEAUREGARD J.C.A.
AZ-50304738
500-09-010667-012
PAGE : 1
MOTIFS DU JUGE DOYON
[31] L'appelante a-t-elle commis une faute en transmettant à l'intimée certaines
informations que celle-ci prétend être erronées à propos de la situation financière de
l'une de ses clientes? Si tel est le cas, cette faute est-elle la cause des dommages
réclamés et quel serait, le cas échéant, le montant qui devrait être versé? Telles sont
les questions en litige.
LES FAITS
[32] Le 10 novembre 1988, l'intimée et Construction Structura (Structura) passent un
contrat de plus de 10 000 000 $ pour la construction d'un bâtiment.
[33]
L'intimée paie Structura au fur et à mesure de l'avancement des travaux.
[34] En janvier 1989, un entrepreneur communique avec l'intimée, l'informant qu'il n'a
pas été payé par Structura; il s'avère qu'il s'agit d'une simple erreur postale. Cet incident
attire néanmoins l'attention de l'intimée.
[35] Le 19 janvier 1989, l'intimée reçoit une missive de Structura l'avisant que la
compagnie s'engage dans un processus de restructuration de sorte qu'elle fermera son
bureau de St-Laurent et que les services administratifs seront dorénavant regroupés au
siège social à Québec. L'auteur de la lettre, Richard Dancause, président de Structura,
écrit :
I wish to reiterate the fact that Structura's financial position is sound and invite
you, should you wish to do so, to contact Mr. Jocelyn Ouellet (il s'agit plutôt de
Jacquelin Ouellette) of Banque Nationale de Paris in Québec city, […], who will
be in a position to bring you and Ikea all reassurance you may require on the
above.
[36] Il faut savoir que des rumeurs commencent à circuler : Structura éprouverait des
problèmes financiers.
[37] Jean-Louis Ouellette, représentant de l'intimée, communique donc avec Richard
Dancause. Celui-ci le rassure et lui réitère son invitation à communiquer avec
Jacquelin Ouellette, ce que fait Jean-Louis Ouellette le 2 février.
[38] En réponse aux questions relatives à Structura, Jacquelin Ouellette lui fait part
de sa confiance envers les dirigeants de la compagnie; il ajoute que la restructuration
est une bonne décision. Quant à la situation financière, il mentionne que la marge de
AZ-50304738
500-09-010667-012
PAGE : 2
crédit, qui «est dans les sept chiffres moyens», est peu utilisée. Jean-Louis Ouellette
conclut de cette conversation téléphonique que la situation financière de Structura est
bonne.
[39] L'intimée préfère toutefois une confirmation écrite de sorte que, le jour même,
Jean-Louis Ouellette écrit à Jacquelin Ouellette à titre de représentant de l'appelante :
Suite à la récente réorganisation administrative de Construction Structura inc.,
(notre contracteur ayant comme mandat d'ériger un centre de distribution à
Brossard, Québec) des rumeurs circulent que ladite compagnie serait en
difficulté financière.
Afin de dissiper les rumeurs qui circulent concernant Construction Structura inc.,
je vous prie de bien vouloir nous confirmer la saine position financière de ladite
compagnie tel que vous me l'avez décrite lors de notre récente conversation
téléphonique.
Notre projet entourant le Centre de Distribution de Brossard, Québec, est crutial
(sic) pour IKEA. Vous comprendrez qu'il est d'une grande importance pour IKEA
que nous dissipions le plus rapidement possible les doutes entourant cette
affaire.
[40] L'intimée, qui doit bientôt remettre un chèque de plus de 1 600 000 $ à Structura,
désire donc être rassurée avant de le faire.
[41]
Jacquelin Ouellette répond par écrit le 6 février :
Pour faire suite à notre récente conversation téléphonique et à votre lettre du 2
courant, nous vous confirmons qu'au meilleur de notre connaissance, cette
entreprise demeure en bonne position financière et est considérée pleinement
responsable pour ses engagements.
L'entreprise dispose auprès de notre Banque d'un crédit d'exploitation dans les
sept (7) figures moyennes, qui est peu utilisé actuellement.
Ces renseignements vous sont fournis à titre strictement confidentiel et
n'engagent en rien la responsabilité de notre Banque ni celle de ses employés.
[42] Il est à noter que Jacquelin Ouellette n'a pas manifesté une telle réserve lors de
la conversation téléphonique du 2 février.
[43] À la suite de la réception de cette lettre et après quelques vérifications auprès de
sous-traitants, qui semblent satisfaits, l'intimée tire, le 15 février 1989, un chèque de
1 638 229,18 $ à l'ordre de Structura en paiement des travaux réalisés en janvier.
[44]
Le chèque est déposé au compte que Structura détient chez l'appelante.
AZ-50304738
500-09-010667-012
[45]
PAGE : 3
Le 22 février 1989, Structura fait cession volontaire de ses biens.
[46] L'intimée reprend en mains le contrat de Structura, règle les privilèges et négocie
des ententes pour terminer la construction du centre de distribution. Elle entreprend
ensuite des procédures contre l'appelante et lui réclame 810 000 $ à titre de
dommages.
LE JUGEMENT ENTREPRIS
[47] Le premier juge rappelle que l'appelante pouvait refuser de donner l'information
recherchée par l'intimée. Par contre, ayant décidé de donner suite à la requête d'IKEA,
Jacquelin Ouellette devait faire preuve d'habileté et de compétence comme le banquier
moyennement diligent et prudent et fournir une information exacte et complète.
[48] S'appuyant sur l'arrêt Les fenêtres St-Jean inc. c. Banque Nationale du Canada,
[1990] R.J.Q. 632 (C.A.), il conclut à la faute : vu sa connaissance du dossier et les
inquiétudes manifestées par les fournisseurs de Structura, l'appelante aurait dû être
alertée et ne pouvait affirmer à l'intimée que sa cliente était en bonne situation
financière. Son omission de présenter un portrait exact de la situation, alors qu'elle
savait ou devait savoir que la réalité était tout autre, constitue une faute qui a été la
cause directe de la remise du chèque par l'intimée.
[49] Il estime que la clause de non responsabilité contenue dans la lettre du 6 février
n'aide pas d'avantage l'appelante. D'abord, aucune réserve n'a été mentionnée lors de
la conversation téléphonique et la teneur de cette conversation suffisait pour donner
ouverture au recours. De plus, cette clause avait pour effet d'anéantir et de nier
l'essence même de l'obligation contractée. Dans ces circonstances, l'intimée pouvait, à
bon droit, la considérer comme une simple clause de style.
[50] Il condamne donc l'appelante à payer à l'intimée les dommages causés qu'il
évalue à 811 417,77 $ avec intérêts.
LA POSITION DE L'APPELANTE
[51]
Les moyens d'appel s'articulent essentiellement autour de trois axes.
[52] En premier lieu, l'appelante plaide qu'il s'est formé entre elle et l'intimée un
contrat innomé, unilatéral et à titre gratuit et qu'en conséquence elle ne saurait encourir
une quelconque responsabilité, la clause de confidentialité et de non-responsabilité
contenue dans la lettre du 6 février étant parfaitement valable.
[53] En second lieu, elle avance qu'une institution financière doit pouvoir limiter sa
responsabilité d'autant plus lorsqu'elle rend un service à titre purement gratuit et sans
aucune contrepartie. À cet égard, dans l'hypothèse où il y aurait faute, son
AZ-50304738
500-09-010667-012
PAGE : 4
comportement devrait être évalué à la lumière du caractère gratuit de la transmission
d'information.
[54] Enfin, argumente-t-elle, les circonstances de l'espèce ne permettent aucunement
de conclure à l'existence d'une faute, encore moins d'une faute lourde.
[55] Par ailleurs, répondant à l'un des arguments de l'intimée, elle conteste le fait que
la clause de non-responsabilité aurait pour effet d'anéantir complètement l'obligation qui
lui incombait de fournir un renseignement exact et donc d'aller à l'encontre de l'objet
même de l'engagement.
LA POSITION DE L'INTIMÉE
[56] Pour l'intimée, l'appelante a commis une faute qui participe manifestement de ce
que l'on qualifie de faute lourde.
[57] L'appelante n'avait aucune obligation légale ou autre de fournir les
renseignement demandés.
Les parties n'entretenaient alors aucunes relations
d'affaires laissant supposer que l'appelante devait remplir quelque obligation
contractuelle.
[58] Par contre, à compter du moment où l'appelante acceptait de transmettre
l'information, elle devait se comporter de manière responsable, vérifier les
renseignement transmis et ne pas se satisfaire d'informations non contrôlées sous
prétexte qu'il existait une clause de non-responsabilité.
[59] Les renseignements que possédait l'appelante, fournis par Structura,
comportaient des erreurs manifestes que la banque ne pouvait ignorer. De plus,
certains renseignements que Structura s'était pourtant engagée à fournir à l'appelante
ne l'avaient pas été, ce qui aurait dû l'alerter. Confrontée à une telle situation,
l'appelante devait, selon l'intimée, procéder à une vérification honnête et professionnelle
afin d'éviter de fournir des renseignements manifestement erronés.
[60] L'intimée plaide que l'appelante, au mépris de sa connaissance de la mauvaise
situation financière de Structura, l'a induite en erreur et a commis une faute lourde. En
conséquence, puisqu'il y aurait faute lourde, la clause de non-responsabilité n'aurait,
quelque soit le régime juridique applicable, aucune valeur.
[61] Enfin, même s'il y avait contrat, l'effet de cette clause détruirait complètement
l'objet même de ce contrat en écartant la seule obligation de l'appelante. Il s'agirait
donc d'un cas où la clause aurait pour effet de dépouiller le contrat de son élément
essentiel et d'entraîner sa nullité pour absence d'objet ou de cause.
[62] De toute façon, aucune réserve n'a été manifestée lors de la conversation
téléphonique, moment où le contrat, s'il y en avait un, aurait été formé.
AZ-50304738
500-09-010667-012
PAGE : 5
[63] Comme l'intimée n'aurait pas remis le chèque sans la lettre du 6 février, elle
estime que le lien de causalité est suffisamment établi.
LE LIEN JURIDIQUE ENTRE L'APPELANTE ET L'INTIMÉE
[64] Le premier juge semble considérer qu'il y a responsabilité contractuelle puisque,
traitant de l'application de la clause de non-responsabilité, il écrit :
Ensuite, cette clause a pour effet d'anéantir l'essence même de l'obligation
contractée.
(Je souligne)
[65]
L'appelante estime qu'il s'agit d'un contrat unilatéral à titre gratuit.
[66] Avec égards, je crois plutôt, pour les raisons qui suivent, qu'il s'agit de relations
extracontractuelles.
[67] Il est vrai qu'en doctrine la question de la qualification juridique des rapports
entre une banque et un tiers, qui n'est pas son client, à qui des renseignements sont
transmis à titre gratuit, est controversée.
[68] Selon certains auteurs nous serions alors en présence d'une relation
contractuelle. Les professeurs J.-L. Rives – Langes et M. Contamine – Raynaud, Droit
bancaire, 6e éd., Paris, Dalloz, 1995, pp. 747-749, J. Hamel, Banques et opération de
banque, Paris, Rousseau et cie, 1933, pp. 249-252 et T. Bonneau, Droit bancaire, 4e
éd., Paris, Montchrestien, 2001, pp- 535-537, partagent cette opinion. Un contrat serait
né de la rencontre des volontés de la banque et de l'auteur de la demande.
[69] Par ailleurs, les professeurs C. Gavalda et J. Stoufflet, Droit bancaire :
institutions, comptes, opérations, services, 5e éd., Paris, Litec, 2002, pp. 532-533, J.
Vézian, La responsabilité du banquier en droit privé français, Paris, Librairies
Techniques, 1983, pp. 240-242 de même que N. L'Heureux, E. Fortin et M. Lacoursière,
Droit bancaire, 4e éd., Cowansville, Yvon Blais, 2004, p. 354, optent pour la thèse de la
responsabilité extracontractuelle.
[70] Soulignons que le professeur D. Lluelles définit le contrat de la manière suivante
dans Droit québécois des obligations, vol. I, Montréal, Thémis, 1998, à la p. 56 :
Le contrat est en quelque sorte une emprise sur le futur, un abandon partiel de
liberté, ou de souveraineté personnelle. C'est une contrainte, mais une
contrainte librement imposée à chaque contractant par lui-même.
[71] Selon l'appelante, l'intimée n'était pas un tiers à qui des renseignements ont été
fournis par la banque sur simple demande. Il y eut d'abord contact téléphonique, puis
AZ-50304738
500-09-010667-012
PAGE : 6
demande écrite et réponse écrite accompagnée d'une clause de confidentialité et de
non-responsabilité. Par cet échange d'écrits, un contrat se serait formé.
[72] Pourtant, la notion de contrat implique que le débiteur s'engage à respecter son
obligation. Il serait donc possible de forcer l'exécution de la prestation. Il me semble
qu'en l'espèce l'appelante ne s'est jamais engagée à fournir l'information demandée et
aucune sanction ne pouvait être envisagée en cas d'inexécution. Un contrat unilatéral,
né de la rencontre des volontés, est générateur d'obligations à la charge d'une partie; or
tel n'est pas le cas en l'espèce.
[73] La Cour suprême du Canada rappelle, dans McLean c. Pettigrew, [1945] R.C.S.
62, qu'en matière de transport gratuit, il faudrait, pour qu'il y ait contrat, que les parties
soient liées et que l'exercice soit générateur d'obligations. Ni le transporteur, ni le
transporté n'ont, dans cette hypothèse, de droit d'action pour forcer l'exécution. S'il
n'existe pas d'action pour sanctionner l'inexécution, c'est qu'il n'y a pas de contrat.
L'analogie s'applique aux rapports intervenus en l'espèce entre l'appelante et l'intimée.
[74] Dans l'arrêt Tolaram Fibers inc. c. Banque Nationale du Canada, [1992] R.J.Q.
2426 (C.A.), les juges majoritaires, sans toutefois qu'il n'y ait eu débat sur la question,
appliquent les principes de la responsabilité délictuelle (obligation de prudence et
diligence raisonnable) pour conclure que la banque a commis une faute lorsqu'elle a
fourni de l'information à un tiers qui n'était pas son client. Il faut toutefois mentionner
qu'il n'y a pas eu échange de lettres entre la Banque Nationale et Tolaram mais il n'est
pas inutile de rappeler qu'en l'espèce, BNP Paribas a donné essentiellement les mêmes
informations au téléphone, avant l'échange de lettres. Cet échange n'est donc pas
susceptible, à mon avis, de modifier substantiellement la nature des relations
intervenues entre l'appelante et l'intimée.
[75] Le juge Laurent Guertin, de la Cour supérieure, opte, dans Bombardier Capital
Ltée c. Caisse populaire St-Charles Garnier, J.E. 2004 – 1253, pour la thèse de la
responsabilité extracontractuelle quoiqu'il soit d'avis que la Caisse n'a pas commis de
faute.
[76] Il semble donc que les tribunaux tendent à préférer la thèse de la responsabilité
extracontractuelle.
[77] L'appelante ne s'est pas engagée à fournir les renseignements demandés. Elle
n'avait aucune obligation légale de le faire et aucune obligation n'a d'ailleurs été créée
par contrat. Elle a simplement choisi de répondre à la demande de l'intimée d'abord au
téléphone puis par écrit.
[78] Par ailleurs, l'inclusion de la clause de non-responsabilité n'est pas un indicateur
déterminant quant à l'existence d'un contrat. C'est ainsi que le professeur C. Ferron
indique, dans Les clauses de non responsabilité en responsabilité civile contractuelle et
délictuelle (1984), 44 R. du B. 3, qu'une telle clause peut signifier que son auteur
AZ-50304738
500-09-010667-012
PAGE : 7
n'entend pas s'engager contractuellement. Il rappelle également que l'absence de
contrepartie et la gratuité du service empêchent généralement d'invoquer une obligation
contractuelle à moins d'une preuve positive à l'effet contraire.
[79] Enfin, le concept de contrat à titre gratuit peut difficilement s'appliquer à la
présente affaire. Comme le soulignent les auteurs J.L. Baudouin et P.G. Jobin dans
Les obligations, 5e éd. Cowansville, Yvon Blais, 1998, à la p. 76 :
Le contrat à titre gratuit est conclu, en général, en considération des qualités
particulières de la personne. Il est donc, en principe, un contrat intuitu personae.
[80] Il ne s'agit pas, bien entendu, d'une règle absolue mais elle est néanmoins
pertinente à l'analyse de la question.
[81] En conclusion sur cet aspect du litige, je suis d'avis que, bien qu'il y ait contrat
entre l'appelante et Structura, les rapports qui sont intervenus entre l'appelante et
l'intimée sont de la nature de relations extracontractuelles et c'est dans cet esprit que
j'envisagerai plus loin la question de la faute.
LA CLAUSE DE CONFIDENTIALITÉ ET DE NON-RESPONSABILITÉ
[82] La banque a l'obligation d'assurer la confidentialité des affaires de son client.
Cette règle ne s'applique évidemment pas si le client libère la banque de cette
obligation.
[83] Dès lors qu'elle accepte (parce que autorisée) de répondre à une demande de
renseignement concernant la situation financière de l'un de ses clients, elle doit le faire
avec diligence raisonnable et fournir une information complète et conforme à la réalité.
[84] Par ailleurs, même si l'on ne peut, dans certains cas, par une clause de nonresponsabilité, se mettre à l'abri de sa responsabilité extracontractuelle, la clause de
non-responsabilité demeure néanmoins pertinente pour évaluer l'intensité de l'obligation
que devait exécuter l'appelante et pour ainsi apprécier le degré de faute requis.
[85] Enfin, je ne crois pas que la clause en question puisse valoir dénonciation d'un
danger, ce qui serait susceptible d'entraîner une forme d'acceptation du risque par
l'intimée. Encore faudrait-il qu'un danger précis soit alors décrit. Or, cette clause, qui,
selon Jacquelin Ouellette, se retrouve dans «ce genre de lettre-là», a toutes les
apparences d'une clause de style qui est insérée de manière routinière dans ce genre
d'envoi. Elle n'informe aucunement le destinataire du danger précis qu'il court, par
exemple que l'information pourrait être inexacte et incomplète. Elle énonce tout au plus
que l'appelante n'engage pas sa responsabilité en divulguant une information qui est
par ailleurs de nature confidentielle.
AZ-50304738
500-09-010667-012
PAGE : 8
[86] La clause est trop imprécise pour constituer, à la lumière des circonstances de
cette affaire, une dénonciation d'un danger encouru par le destinataire.
[87] Elle sera néanmoins considérée, tel que mentionné précédemment, dans
l'évaluation du degré de faute nécessaire pour engager la responsabilité de l'appelante.
LA FAUTE
[88] L'appelante s'est-elle comportée avec la diligence et la prudence requise dans
les circonstances?
[89] Le premier juge est d'avis que Jacquelin Ouellette a commis une faute qui
entraîne la responsabilité de l'appelante. Or, cette dernière n'a démontré aucune erreur
manifeste et dominante dans l'analyse du juge; au contraire, la preuve soumise
démontre avec éloquence que Jacquelin Ouellette n'a pas agi de manière prudente et
diligente et ce, même s'il est possible de prétendre que la responsabilité de celui qui
agit à titre gratuit devrait être appréciée moins sévèrement.
[90] Rappelons que Jacquelin Ouellette énonce, dans sa lettre, qu'au meilleur de sa
connaissance l'entreprise est en bonne position financière. Toutefois, il ne se limite pas
à faire part de son opinion : il ajoute un élément factuel important en précisant qu'elle
dispose d'un important crédit d'exploitation qui est alors peu utilisé.
[91] S'il est vrai que le crédit consenti est peu utilisé, cela constitue néanmoins une
information incomplète. Cette affirmation peut laisser croire que la bonne situation
financière de Structura explique qu'elle n'ait pas à puiser dans le crédit disponible chez
l'appelante. Or, le tableau est fort différent.
[92] Comme le premier juge, j'estime que Structura n'était pas dans une bonne
situation financière en février 1989 et que l'appelante le savait ou aurait dû le savoir.
Jacquelin Ouellette ne pouvait donc affirmer le contraire même s'il déclare confirmer
cette information au meilleur de sa connaissance.
[93] Il espérait que la situation de Structura se rétablisse. Toutefois, comme le
souligne le juge Baudouin dans Fenêtre St-Jean, précité, à la p. 637 :
[…] Certes, elle gardait à l'époque l'espoir de voir la situation se redresser.
Certes, il est compréhensible qu'à l'égard d'un vieux et fidèle client la Banque
n'ait pas voulu tirer la sonnette d'alarme ; elle pouvait alors refuser de donner
l'information. Tout ceci étant acquis, il reste cependant que, du moment où elle
acceptait de la fournir, elle devait alors fonder son opinion professionnelle basée
sur des faits et pas seulement des espoirs. […]
[94] Quels étaient les faits dont avait connaissance l'appelante qui pouvaient fonder
son opinion?
AZ-50304738
500-09-010667-012
PAGE : 9
[95] Il est acquis que Jacquelin Ouellette connaissait bien Structura puisque la
compagnie était déjà sa cliente lorsqu'il était employé de la Banque de Montréal. Il
avait d'ailleurs fait les démarches pour que Structura transfère par la suite ses activités
bancaires chez l'appelante.
De plus, il rencontrait assez régulièrement les
représentants de la compagnie. Il connaissait la situation de sa cliente lorsqu'il a parlé
au représentant de l'intimée de même que lorsqu'il lui a écrit et il n'était donc pas
nécessaire de procéder à une recherche exhaustive pour savoir que la situation était
fort préoccupante.
[96] L'appelante savait que des fournisseurs et des sous-traitants de Structura
s'inquiétaient dès le début de 1989.
[97] Pierre Chatigny, qui était alors vice-président de Structura, rassurait les soustraitants inquiets et, s'ils s'enquerraient de l'identité de la banque avec laquelle Structura
transigeait, il les référait à Jacquelin Ouellette. Il y eut, en décembre 1988 et janvier
1989, une augmentation du nombre de demandes en ce sens. Le premier juge a
d'ailleurs retenu que Jacquelin Ouellette a reçu plusieurs de ces appels.
[98] Pour comprendre l'évolution de la situation financière de Structura, il faut revenir
au 12 avril 1988 lorsqu'elle signe, avec l'appelante, un contrat de financement en vertu
duquel un crédit d'exploitation maximum de 5 millions $ est consenti, le tout basé sur un
plan d'affaires de l'ordre de 200 millions $ annuellement. Il faut savoir que la
compagnie envisageait alors une forte expansion puisque son chiffre d'affaires était de
quelque 16 millions $ en 1986 et 30 millions $ en 1987.
[99] Selon les conditions de financement, la compagnie, dont l'essentiel de l'actif était
constitué de travaux en cours et de comptes à recevoir, pouvait puiser, à même la
marge de crédit, jusqu'à 60% de la valeur des comptes à recevoir de moins de 90 jours,
à la condition de maintenir un certain fond de roulement. Il était donc important, pour
l'appelante, de connaître la situation de sa cliente à cet égard. Afin de savoir où en
étaient les comptes à recevoir, l'appelante a d'ailleurs exigé que Structura lui en
fournisse la liste dans les vingt premiers jours du mois suivant. Structura devait
également remettre à l'appelante, dans les vingt jours suivant chaque trimestre, ses
états financiers internes.
[100] Du printemps à l'automne 1988, a lieu un suivi régulier de l'évolution du dossier.
La compagnie ouvre de nouvelles cellules satellites à St-Laurent, Boucherville et
Chambly alors que plusieurs projets de construction s'avèrent problématiques et fort
onéreux. Jacquelin Ouellette vérifie régulièrement les listes de comptes à recevoir et
en discute avec les dirigeants de Structura.
[101] Fin octobre 1988, Jacquelin Ouellette rencontre Richard Dancause, président de
Structura : ce dernier lui explique que l'expansion connaît des ratés et la rentabilité se
détériore. Il abandonne donc ses projets d'expansion et ramènera le chiffre d'affaires
de la compagnie à des niveaux plus modestes.
AZ-50304738
500-09-010667-012
PAGE : 10
[102] Vers la fin de 1988, les bureaux satellites de Charny et Boucherville sont fermés
alors que l'on met fin aux activités de celui de St-Laurent au début de 1989.
[103] Selon Jacquelin Ouellette, trois projets majeurs causent des problèmes de
liquidité et il faut trouver une solution.
[104] Comme le chiffre d'affaires baisse, Jacquelin Ouellette ramène la ligne de crédit
à 3 millions $ avec un crédit supplémentaire de 1 ½ million $, pour les fins spécifiques
de projets de la corporation Aurée, que Structura n'utilisera cependant jamais.
[105] Selon la liste des comptes à recevoir, à l'automne 1988, Structura a, pour un seul
projet à Longueuil, un compte à recevoir de près de 3 millions $ dont la majeure partie
est due depuis plus de 90 jours. D'ailleurs, corporation Aurée, promoteur de ce projet,
essaie de vendre l'immeuble en cause. Elle reçoit, en novembre 1988, une offre de la
Société Équidev, accompagnée d'un dépôt de 100,000 $ non remboursable. Structura
espère récupérer les sommes qui lui sont dues au moment où la vente serait conclue.
L'offre, dont a connaissance l'appelante, se termine le 15 février 1989 et sa réalisation
est une condition à la survie de Structura : en effet, le premier juge rappelle que, selon
Dancause, sans cette transaction, «Structura n'a que 2 ou 3 % de chances de s'en
sortir».
[106] Lorsque Equidev, préférant ne pas donner suite à son offre, abandonne son
dépôt le 15 février 1989, Dancause ne croit plus en son entreprise et, pour cette raison
de même que pour des raisons personnelles, prend la décision de mettre fin aux
opérations.
[107] Par ailleurs, d'autres projets ont affecté la situation financière de l'entreprise de
sorte qu'à la fin de 1988, il y a des comptes à recevoir de plus de 90 jours d'une valeur
d'environ 5 millions $ qui risquent de ne pas être remboursés. Ces comptes
représentent près de 40 % du total des comptes à recevoir.
[108] Néanmoins, Jacquelin Ouellette dit demeurer optimiste puisque, même si la
rentabilité n'est pas au rendez-vous pour l'année 1988, il n'y a pas de pertes. Au début
de 1989, il croit que tout ira bien d'autant plus que Dancause, en qui il a pleine
confiance, reprend la direction de l'entreprise.
[109] Pour être aussi optimiste, il a du faire fi de certains constats.
[110] Ainsi, contrairement à ses obligations, Structura n'a pas remis sa liste de
comptes à recevoir du 31 décembre 1988 (principal élément d'actif), ni évidemment
celle du 31 janvier 1989, pas plus que ses états financiers trimestriels internes au 31
décembre 1988, lorsque Jacquelin Ouellette confirme la bonne position financière de sa
cliente. Bien qu'il déclare que la réorganisation de la compagnie puisse expliquer ce
retard, il n'en demeure pas moins qu'il n'est pas alors informé des derniers
AZ-50304738
500-09-010667-012
PAGE : 11
développements ce qui, à la lumière des événements de l'année 1988, aurait dû
susciter chez lui une saine prudence.
[111] De plus, les derniers états financiers vérifiés en possession de l'appelante en
février 1989 (qui sont ceux de décembre 1987) et les états financiers internes des 30
septembre et 31 octobre 1988 démontrent une nette détérioration de la situation
financière. Ainsi le bénéfice avant impôt a chuté de plus de 90 %, même si les revenus
ont augmenté. Le taux de rendement de l'actif est passé de 11 % à moins de 1 %. Le
taux de rendement des capitaux propres, qui est de 66 % en 1987, n'est plus que de
6.5 % en octobre 1988.
[112] Mais il y a plus : certaines anomalies sont évidentes et l'appelante ne pouvait les
ignorer puisqu'elles sautent aux yeux. Une comparaison des états financiers des 30
septembre et 31 octobre démontre que les postes des travaux en cours et de l'impôt
reporté sont identiques ce qui, selon le témoignage de l'expert comptable de
l'appelante, que le premier juge a retenu, démontre qu'aucune mise à jour n'a été
effectuée pour ces postes en octobre. Cela permet évidemment de douter de
l'exactitude des données relatives à ces postes et donc de la fiabilité de l'ensemble des
états financiers.
[113] De plus, il existe des écarts considérables (environ 2 millions $) entre les soldes
bancaires inscrits dans les registres de l'appelante et ceux inscrits aux états financiers
des 30 septembre et 31 octobre. Encore là, l'appelante ne pouvait ignorer ce fait.
[114] Les états financiers sont limpides : entre le 31 décembre 1987 et le 31 octobre
1988, la rentabilité chute fortement et le profit avant impôt passe de 5.8 % à 3 %. Par
ailleurs, les frais d'administration, d'opération et de ventes doublent presque pour
passer de 1 803 000 $ à 3 344 000 $.
[115] À la lumière de cette preuve, le premier juge peut, à juste titre, écrire :
La preuve révèle qu'à compter de l'automne 1988, la BNP sait que la rentabilité
de Structura est en sérieuse perte de vitesse et qu'elle éprouve des problèmes
majeurs à percevoir d'importants recevables; elle peut constater que l'information
mensuelle qu'on lui remet sous la forme de listes de comptes recevables
présente des anomalies manifestes puisqu'à leur face même, les listes
comprennent des erreurs, des inexactitudes et des faussetés en plus d'être
incomplètes. Les recevables de plus de 90 jours représentent plus du tiers des
comptes à recevoir. La BNP ne doit même plus se fier sur ces recevables pour
établir la marge de crédit suivant l'entente intervenue entre elle et Structura. Les
témoins Chatigny et Francoeur indiquent tous deux qu'ils n'ont jamais discuté
des listes des comptes à recevoir en détail avec M. Ouellette.
Quant aux états financiers maison des mois de septembre et octobre, ils
montraient la détérioration du portrait financier global de la Compagnie. La BNP
AZ-50304738
500-09-010667-012
PAGE : 12
disposait de renseignements financiers courants qui lui permettaient de constater
que le solde bancaire affiché par Structura à ses états financiers était différent
que celui apparaissant aux états de compte. La conclusion logique était que la
Compagnie se finançait sur le dos de ses fournisseurs.
D'ailleurs, la preuve révèle que ceux-ci s'inquiétaient et communiquaient avec la
BNP. Le tribunal n'a pas de raisons de douter du témoignage de Chatigny sur ce
fait.
En plus, elle n'avait pas reçu les listes âgées des comptes à recevoir pour les
mois de novembre et décembre tel qu'exigé dans la convention de crédit mais
justifie cette absence par le fait que la Compagnie était en restructuration.
Tous ces faits auraient dû alerter la BNP. Certes, elle n'est pas responsable de
la faillite de Structura, mais les événements qui l'y ont menée étaient tous en
place au moment où Jean-Louis Ouellette s'est adressé à la BNP.
L'opinion de l'expert Lavigne et la preuve entendue permettent au tribunal de
conclure que Structura n'était pas en bonne situation financière en février 1989 et
que Jacquelin Ouellette devait le savoir ou s'il ne le savait pas, c'est qu'il ne
comprenait pas la nature des renseignements qui lui étaient fournis. S'il les
comprenait, il ne pouvait pas répondre comme il l'a fait ou il ne devait pas
répondre. Son omission de présenter un portrait exact de la situation a été la
cause directe de l'émission du chèque d'Ikea; sa faute entraîne la responsabilité
de la BNP, son employeur.
[116] À mon avis, une analyse financière approfondie n'était aucunement nécessaire
pour conclure que la position financière de Structura était fragile et préoccupante.
[117] L'information disponible était amplement suffisante pour inciter tout banquier
prudent et diligent à ne pas témoigner de la bonne position financière de Structura.
[118] Jacquelin Ouellette pouvait s'abstenir de répondre à la requête de l'intimée. Il ne
pouvait laisser tout simplement entendre que tout allait bien alors qu'il savait ou devait
savoir que ce n'était aucunement le cas. Les espoirs de Jacquelin Ouellette ne
suffisaient pas pour fonder sa réponse. Il devait soit donner une information exacte soit
refuser de la donner, d'autant plus que ses espoirs étaient fondés essentiellement sur
l'offre d'Equidev qui venait à échéance neuf jours plus tard.
[119] La faute démontrée est suffisamment importante et sérieuse pour engager la
responsabilité de l'appelante malgré qu'elle ait agi à titre gratuit et qu'elle ait inclus,
dans sa missive, une clause de non-responsabilité.
[120] Quant à cette clause, encore faudrait-il qu'elle ait été librement consentie par
l'intimée. L'appelante lui offrait une forme de caution de bonne santé financière de la
AZ-50304738
500-09-010667-012
PAGE : 13
part d'un tiers sérieux, au fait des affaires de Structura, en somme une espèce garantie
de bonne santé financière. Or, à l'occasion de la conversation téléphonique, l'intimée
obtint cette assurance sans aucune réserve; ce n'est que dans l'écrit que l'appelante
s'est montrée plus prudente.
[121] La clause de non-responsabilité fut donc stipulée uniquement après la diffusion
orale des renseignements, en même temps que la confirmation écrite. Dans cette
perspective, j'ai peine à me convaincre que l'intimée ait consenti librement à renoncer
aux conséquences de la faute de l'appelante.
[122] Mais ce n’est pas tout. J'estime que, de toute façon, l'appelante a commis une
faute lourde. Son représentant officiel était un homme rompu aux affaires. Il connaissait
les enjeux et savait que la prudence de l'intimée lui était dictée par des rumeurs
persistantes et surtout par l'ampleur du paiement, par la nature de la créance de
Structura et par les conséquences pour IKEA des sûretés que les sous-traitants
pouvaient exercer sur l'immeuble en construction. Dès lors, annoncer que «cette
entreprise demeure en bonne position financière et est considérée pleinement
responsable pour ses engagements» et que «l'entreprise dispose (…) d'un crédit
d'exploitation dans les sept (7) figures moyennes, qui est peu utilisé actuellement»
équivalait à un véritable blanc-seing. Comment, après un tel constat, l'intimée aurait-elle
pu entretenir quelque doute sur la situation de Structura?
[123] Par ailleurs, le représentant de l'appelante ne pouvait manquer de connaître la
portée de ses propos sur l'action de son interlocuteur. En réalité, le niveau de
connaissance des faits doit être proportionnel au degré d'assurance ou de sécurité que
les informations diffusées vont procurer. En l'espèce, l'appelante a, en toute
connaissance, pleinement rassuré l'intimée; elle devait donc prendre appui sur des faits
établis et des informations vérifiées, ce qu'elle n'a pas fait. Le comportement de
l'appelante constituait donc, dans les circonstances, une faute lourde.
[124] Soulignons que les connaissances et l'expertise de l'intimée en matière
commerciale ne sont d'aucun secours pour l'appelante. Il s'agit ici d'une demande
d'information à l'égard de laquelle l'expérience de l'intimée en affaires ne change rien.
Elle a demandé des renseignements qu'elle ne pouvait obtenir par elle-même et dont
elle ne pouvait douter, quelque soit son niveau d'expertise.
[125] La faute de l'appelante fut la cause directe de la remise du chèque par l'intimée
et, par voie de conséquence, des dommages subis. J'estime donc que l'appelante ne
peut échapper à sa responsabilité civile.
LES DOMMAGES
[126] Selon l'appelante, le premier juge a erré en refusant de prendre en considération,
dans l'évaluation des dommages, les économies réalisées par l'intimée après la faillite
de Structura.
AZ-50304738
500-09-010667-012
PAGE : 14
[127] J'estime, au contraire, que le premier juge a eu raison de considérer que le
dommage est la somme de 811 417,77 $ que l'intimée a dû payer en double aux
fournisseurs.
[128] Le premier juge s'exprime ainsi :
Ikea a remis un chèque de 1 638 229,18 $ à Structura le 15 février 1989; il était
destiné à payer Structura et ses sous-traitants pour l'ouvrage fait pendant le mois
de janvier 1989. Entre le dépôt du chèque et la cession de biens de Structura,
aucun chèque n'a été émis aux sous-traitants concernés.
Ikea se devait de finir les travaux puisque cet entrepôt était vital à ses
opérations; elle a négocié avec les sous-traitants impayés, qui avaient tous
inscrits des hypothèques légales, pour les faire radier; elle a ainsi versé à ces
entrepreneurs une somme de 811 417,77 $.
La somme versée à Structura comprenait ses frais généraux qui appartenaient
au syndic en vertu de la cession; cette somme ne fait pas partie du montant
réclamé.
La BNP prétend que le dommage doit s'analyser sur l'ensemble du contrat, c'està-dire qu'il faut considérer le coût final une fois tous les ajustements faits pour
tenir compte du dividende reçu de la faillite et des autres montants payés ou
reçus pour établir la véritable perte de IKEA; en d'autres mots, il faudrait regarder
une photo panoramique.
Le tribunal ne le croit pas. Le dommage direct subi par IKEA consiste en la perte
subie lors du règlement des sous-traitants qui auraient dû être payés à même le
montant versé à la suite de la conversation entre les deux Ouellette; la somme
déboursée pour régler ces sous-traitants représente un paiement fait en double
et est la mesure du dommage subi; de plus, cette somme représente une
minimisation des dommages importante telle que la loi y oblige la créancière.
La théorie de la défense qui consiste à comparer le coût final au coût initial fait
appel à des facteurs qui ne découlent pas directement de la faute de la BNP et
qui ne peuvent donc être considérés.
[129] Si l'appelante avait fourni une information complète, l'intimée aurait pu se
prémunir en émettant des chèques à l'ordre conjoint de Structura et des fournisseurs
(ou sous-traitants) ou en payant ces derniers directement. Elle n'aurait donc jamais eu
à débourser 811 417,77 $ à deux reprises car les fournisseurs auraient été payés à
même le montant de 1 638 229,18 $.
AZ-50304738
500-09-010667-012
PAGE : 15
CONCLUSION
[130] Je propose de rejeter l'appel avec dépens.
FRANÇOIS DOYON J.C.A.
© SOQUIJ et ses concédants de licence. Tous droits réservés.

Documents pareils