Les questions du Maître à ses disciples (14) Pourquoi pleures

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Les questions du Maître à ses disciples (14) Pourquoi pleures
FAMILLE DU CŒUR DE DIEU
Lettre16/4
Les questions du Maître à ses disciples (14)
Ascension mai 2016
Les questions du Maître à ses disciples (14)
« Femme, pourquoi pleures-tu ? Qui cherches-tu ?
» (Jn 20, 15)
L’Evangile de Jean s’inscrit tout entier entre deux questions du Maître à
ses disciples. La première à deux d’entre eux, au début de son ministère
public : « Que cherchez-vous ? » (Jn 1,38), (voir Lettre 14/6) et la deuxième à
Marie-Madeleine, au terme de sa mission, le matin même de sa résurrection:
« Qui cherches-tu ? » (Jn 20, 15) Le passage du « que cherchez-vous ? » au
« qui cherches-tu ? », témoigne du cheminement et de l’expérience de la
rencontre avec le Seigneur Jésus. Le prophète de Nazareth que les disciples
avaient suivi avec enthousiasme depuis trois ans, laissait derrière lui
beaucoup de questions sans réponse qui ne cessaient d’alimenter leur
désarroi et leur déception. Ils espéraient qu’il était le Messie. Sa mort les
scandalisait. Ils ne comprenaient plus rien. Ses miracles, sa parole, sa
maîtrise, sa connaissance de Dieu et du cœur de l’homme, tout laissait
entrevoir un être exceptionnel, d’origine mystérieuse. Et voilà qu’il avait fini
dans un tombeau comme le commun des mortels (Lc 24,19). La passion leur
avait révélé un aspect de son identité : son humanité, mais le souvenir de ce
qu’ils avaient vécu avec lui les laissait perplexes, songeurs. Etait-ce possible
qu’il ne fût que cela ? Jésus leur apparaissait comme une énigme insoluble.
La question : « Que cherchez-vous ? » interrogeait sur les motivations
qui avaient poussé les disciples à suivre Jésus. Maintenant, il ne s’agit plus
de connaître Jésus, mais de le reconnaître pour ce qu’il est, malgré les
apparences contraires de la mort et de sa mise au tombeau. Il n’est pas ce
qu’ils croyaient : un mort comme un autre. Il est le Vivant, le vainqueur de la
mort, le Ressuscité, selon sa promesse et en conformité avec les Ecritures.
L’homme du tombeau, leur Maître, est aussi leur Seigneur. Il est leur Dieu
dans son humanité (Jn 20,19-28). Telle est la véritable identité de Jésus que
Marie-Madeleine et l’Eglise naissante ont à confesser à travers l’événement
de sa résurrection.
Pourquoi pleures-tu ?
Il est à remarquer que dans toutes les apparitions du Ressuscité, devant
l’étonnement et la stupéfaction des disciples, Jésus engage le dialogue avec
eux par une question : « De quoi parlez-vous en chemin ? » (Lc 24,17) « Quel
est ce trouble et pourquoi ces objections dans votre cœur ? » (Lc 24,38)
« Avez-vous quelque chose à manger ? » (Lc 24,41) « Pourquoi pleures-tu ?
Qui cherches-tu ? » (Jn 20,15) « Avez-vous du poisson ? » (Jn 21,5) « Simon,
fils de Jean, m’aimes-tu plus que ceux-ci ? » (Jn 21,15-17)
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Abasourdis devant les manifestations du Ressuscité, les apôtres
demeurent sans voix. Comment, en effet, communiquer avec un défunt qui
réapparaît ? Est-ce même possible ? La mort avait rompu toute
communication avec leur Maître. C’était le silence absolu, l’absence… Voici
que celui qui était mort l’interrompt inopinément et, par sa présence
inattendue, suscite en même temps que la joie l’incrédulité. Il pénètre leurs
pensées. En les interrogeant, il les rejoint dans leurs préoccupations et leur
permet d’exprimer ce qu’ils ont sur le cœur. Il les libère ainsi du poids qui les
opprime, de la souffrance et des doutes qui les perturbent. Ces questions sont
comme une main tendue, une invitation à se confier et à renouer le dialogue
pour rétablir la communication. Le Ressuscité donne ainsi à comprendre que
rien n’a changé entre eux et lui. Il est toujours l’un d’eux. Bien qu’il
appartienne désormais au monde divin, il ne cesse pas pour autant de faire
partie du monde des hommes, de la communauté humaine. La résurrection
ne l’isole pas de Siens, mais le rend encore plus présent à leur vie.
Transfiguré dans son être de chair, il demeure un homme véritable. La
résurrection ne déshumanise pas les êtres, elle les « sur-humanise » au
contraire et leur permet d’atteindre leur plénitude en humanité.
« Pourquoi pleures-tu ? » Marie-Madeleine partage le désarroi des
apôtres. Elle porte en elle une double peine, celle d’avoir perdu celui qu’elle
aime et celle d’avoir été dépossédée de ce qui lui restait encore de lui, un
cadavre et une sépulture. Elle pleure un mort dont on a volé le corps. Elle n’a
plus rien. Son absence lui fait mal. Elle s’accroche aux souvenirs de sa
présence. Pour elle, comme pour tout le monde, Jésus est mort. Parvenue au
tombeau pour lui rendre un dernier hommage, elle ne sait pas encore que
celui qu’elle cherche n’existe plus tel qu’elle l’imagine.
Le Seigneur la rejoint dans son désespoir. Il connaît la raison de son
chagrin. Il ne l’interroge pas pour se renseigner auprès d’elle, mais pour la
libérer de ce passé dans lequel elle s’enferme et enferme son « rabbouni »,
son maître chéri. Prisonnière de ce qui « est arrivé », sa vie est figée dans
des regrets stériles. Par ses questions, Jésus lui permet de vivre et de
partager sa détresse présente, de crier son désespoir et son désir de
retrouver le corps de celui qu’elle aime. Il lui faut emprunter ce chemin –
pleurer son passé et l’éjecter de son cœur– pour être prête à accueillir la
bonne nouvelle : l’amour est plus fort que la mort :
« Que mon nom soit gravé dans ton cœur, car l’amour est fort
comme la mort… C’est un feu divin ! Les grandes eaux [la mort] ne
pourront éteindre l’amour. » (Ct 8,6-7)
Qui cherches-tu ?
Ici, tout bascule. Effondrée, elle se lamente les yeux rivés sur un
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tombeau vide. Quelqu’un lui parle. Il s’intéresse à son malheur et s’enquiert
de sa quête. Elle se tourne vers lui et, sans le savoir, elle se trouve en
présence du Ressuscité qui l’interpelle : « Marie, Myriam » ! Comme la brebis
de la parabole, elle reconnaît sa voix, et à la manière dont il prononce son
nom, elle sait maintenant qu’il est celui qu’elle cherche, celui qu’elle aime, le
bon Berger (Jn 10,2-5). Elle cherchait un mort, elle rencontre le Vivant. D’un
coup, elle reprend vie et s’ouvre à l’espérance. Elle se précipite à ses pieds. Il
la relève et l’envoie, elle, la prostituée, comme premier témoin de sa
résurrection auprès de ceux qui auront mission de la proclamer au monde
entier. Quel parcours pour celle « qui a montré beaucoup d’amour » (Lc
7,47) !
Par sa question : « Qui cherches-tu ? », Jésus entend rectifier sa
démarche au tombeau. Il ne lui dit pas : « Que cherches-tu (un cadavre), mais
« qui cherches-tu (quelqu’un) ? » Il réoriente ainsi sa quête. Inutile de
s’apitoyer sur un tombeau vide. Il n’y a rien à en attendre. Aussi l’invite-t-elle à
chercher, non pas un mort, mais une Présence, Quelqu’un. Désemparée, elle
interroge la personne qui l’a interpellée. Jésus répond par un mot :
« Myriam ! ». C’est la pleine lumière en son cœur ! Elle reconnaît son Maître
et son Seigneur. Elle réalise que le crucifié mis au tombeau est bien Jésus, le
Dieu vivant, qui a donné sa vie pour ses brebis. Désormais, sa vie est
changée. La vie et l’avenir de l’homme, en effet, ne sont pas le tombeau, mais
le Cœur de Dieu.
De quoi discutiez-vous en chemin ? (Lc 24,17)
La façon dont le Ressuscité se comporte vis-à-vis des Siens nous
interpelle sur notre manière de nouer le dialogue avec ceux qui nous
entourent, proches ou lointains. Souvent, comme les disciples d’Emmaüs,
nous discutons, mais nous ne parlons pas. Nous ressassons le passé :
discours d’échec et de désespoir. À l’in verse, quand Jésus les rencontre, il
les écoute, leur parle et permet à chacun d’exprimer sa vérité, d’être écouté.
Cela les libère, crée du lien, produit du sens et élargit leurs horizons. Il les
tourne vers un avenir plein d’espérance. Il transforme ainsi leur solitude en
solidarité, en un « vivre ensemble », un « être ensemble ».
Par discrétion ou timidité, on hésite parfois à poser des questions à
notre entourage. On craint de mettre mal à l’aise, d’être invasif ou de paraître
curieux. On ne veut pas déranger ni donner l’impression de faire une enquête.
Jésus ne questionne jamais par curiosité, et pour cause, puisqu’il sait tout et
connaît ce qu’il y a dans le cœur de l’homme. Il s’intéresse à nous et à ce qui
fait notre vie parce qu’il nous aime et veut notre bonheur. Attentif à la
tristesse, à la détresse, au malheur, à la souffrance, aux nécessités, à la joie
comme aux angoisses de ceux qu’il fréquente, il n’a qu’un objectif : aider
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chacun à exprimer ce qu’il souhaite partager en toute confiance pour soulager
son cœur, lui faire du bien, le libérer du poids qui l’accable, du mal qui
l’opprime. Ceci, toujours dans notre intérêt.
Le Père nous a créés pour le dialogue et l’échange, pour la communion. Il a
fait de nous des communicants. Hélas ! Nous vivons dans une société de plus en
plus individualiste, créatrice de solitude et d’indifférence. Le vrai mal moderne n’estil pas le manque d’écoute et d‘attention à l’autre ? Nous communiquons avec nos
amis dans le monde entier grâce à internet et au téléphone portable, alors que nous
ne prêtons aucune attention à notre prochain le plus proche, à celui qui est assis à
côté de nous à table, à l’église ou dans le bus, à celui qui habite sur le même palier
ou partage notre espace en famille, au travail, en communauté. Hélas ! Trop souvent,
nous sommes fermés les uns aux autres. Multiples en sont les raisons. La honte, la
colère, la rancune, la solitude, nos blessures, l’etc. nous empêchent de
communiquer entre nous, de vivre sereins et heureux. Que de fois, on attend un
regard, un sourire, une petite attention pour oser entamer un dialogue et parler de ce
qui nous travaille ou nous tient à cœur ! Que de fois, on cultive de la distance entre
nous, au point de devenir étranger les uns aux autres ! On ne voit plus la tristesse ni
le regard éteint de celui qui souffre en silence, tenaillé par l’angoisse ou qui pleure
en cachette. On se tait pour éviter d’être confrontés à des situations ou à des
difficultés pour lesquelles nous n’avons pas de solutions ni de temps à consacrer.
Jésus nous invite à poser avec respect les questions qui libèrent et font grandir
l’autre. Il est bon pour cela de se faire proche d’eux, d’observer leur vie afin de
deviner leurs besoins et leurs désirs, avec discrétion, sans insister ni forcer les
réponses et respecter leur silence. Cela suppose que nous soyons vraiment attentifs
à la vie de ceux qui nous entourent. L’idéal serait que toutes nos questions ne soient
pas plus qu’une main tendue que l’on peut saisir ou ignorer.
Nous intéressons-nous à ce que les gens vivent autour de nous, à leurs
préoccupations, à leurs soucis, à leur peine, à leurs espoirs ? Voyons-nous leur
tristesse, leur peur, leur découragement, leur blocage ou leur envie de parler ?
Savons-nous repérer leurs attentes et inviter à l’ouverture sans imposer ? Osonsnous leur poser les questions qui favorisent l’échange, les aide à se libérer, leur
permette la confidence et ouvre un vrai dialogue ? Par exemple : « Que puis-je faire
pour vous ? Puis-je vous aider, vous être utile ? » Ou mieux encore, demander un
renseignement qui permette à notre interlocuteur d’exister et de se rendre utile ?
Quelles sont les raisons de nos silences, de nos refus d’entrer en dialogue ? Nous
arrive-t-il de ne pas poser de questions par peur d’être dérangés dans nos habitudes
ou notre confort, par peur d’être confrontés à des situations que nous ne voulons
pas affronter, par égoïsme, manque de courage ou de générosité ? Ne manquonsnous pas souvent de présence, d’audace, de délicatesse et de bienveillance ?
Être sur terre le Cœur de Dieu c’est avoir un cœur qui a des yeux et des
oreilles pour voir et entendre, un cœur qui ose aller à la rencontre de l’autre par
amour pour lui et pour son bonheur, un cœur qui parle avec tendresse et
bienveillance, qui ose poser des questions avec délicatesse, retenue et un immense
respect. Celui à qui je m’adresse est sacré. Ce n’est pas avec des gros sabots que
l’on va à sa rencontre, mais en se déchaussant humblement devant lui.
P. Henri CALDELARI msc
Belle fête de la Pentecôte ! Que l’Esprit vous inspire et féconde vos
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