Actes du colloque « Prévention et gestion des risques

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Actes du colloque « Prévention et gestion des risques
Actes du colloque
« Prévention et gestion des risques
psychosociaux dans les mutuelles »
Paris, 23 Juin 2010
Colloque animé par Monsieur Gilles BRIDIER avec la participation de :
Maître Jean-Michel MIR, Cabinet Capstan
Monsieur Dominique VACHER, Conservatoire National des Arts et Métiers
Monsieur Jean-Claude DELGENES, Cabinet Technologia
Madame Marie-Christine ARTHUIS, Déléguée interrégionale de l’UGEM
Monsieur Antoine CATINCHI, Directeur général de la MGEFI
Monsieur Philippe GERBET, DRH de la MGEN
Monsieur Eric GEX-COLLET, Directeur général EOVI Mutuelles Présence
Gilles BRIDIER
La prévention et la gestion des risques psychosociaux n’est pas une « mode ». Didier LOMBARD,
ancien directeur de France Telecom, avait eu l’extrême maladresse d’utiliser ce terme pour
désigner les suicides dans son entreprise. Il est ici question de mal-être au travail et de véritables
pathologies.
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Même si les risques psychosociaux n’aboutissent pas toujours, heureusement, à des actes aussi
désespérés qu’à France Telecom ou au Techno-centre de Renault, ils sont désormais pris en
compte par les autorités sanitaires.
Le Ministère du Travail considère ainsi que les risques psychosociaux mettent en jeu l’intégrité
physique et la santé mentale des salariés et nuisent au bon fonctionnement de l’entreprise. Ils
puisent leur origine dans le stress, le harcèlement, l’épuisement et les violences et peuvent
entraîner des pathologies telles que des dépressions, des problèmes de sommeil ou des maux de
dos.
En France, on estime que plus d’un salarié sur deux travaille dans l’urgence et qu’un sur trois a
des rapports tendus avec ses collègues ou sa hiérarchie. Selon une étude de la Fondation de
Dublin sur les conditions de travail, 27 % des salariés européens estiment que leur santé est
affectée par des problèmes de stress au travail et un salarié sur quatre pense que le stress au
travail affecte ses conditions de vie. Or le stress n’est qu’un des facteurs de risque. Les
conséquences sont humaines, mais aussi économiques.
Selon le BIT, le coût du stress dans les pays industrialisés représente entre 3 % et 4 % du PIB. En
Europe, l’Agence pour la Sécurité et la Santé a démontré que le coût du stress d’origine
professionnelle représentait environ 20 milliards d’euros par an. Pour les entreprises, la prise en
compte des risques est donc un devoir moral vis-à-vis des salariés, mais aussi un élément de
management pour une meilleure efficacité économique.
Nous allons approfondir ces sujets avec nos invités : Marie-Christine ARTHUIS, déléguée
interrégionale, administrateur de l’UGEM et directeur des affaires générales de la mutuelle
Harmonie Atlantique, Antoine CATINCHI, directeur général de la MGEFI, Philippe GERBET, DRH de
la MGEN et administrateur de l’UGEM et Eric GEX-COLLET, Directeur général EOVI Mutuelles
Présence et administrateur de l’UGEM. Pour nous éclairer, nous entendrons également des
experts : Jean-Claude DELGENES du Cabinet Technologia, Jean-Michel MIR du Cabinet Capstan et
Dominique VACHER du Conservatoire National des Arts et Métiers (CNAM) titulaire de la chaire
Hygiène et Sécurité.
Jean-Claude DELGENES, on vous dit proche des syndicats et vous travaillez sur de nombreux
dossiers (France Telecom, Renault Techno-centre, Total Dunkerque, affaire Kerviel). Existe-t-il des
similitudes entre ces dossiers qui traitent tous des risques psychosociaux ? Pourquoi ces risques
sont-ils aussi médiatisés aujourd'hui ?
Jean-Claude DELGENES
« Il est essentiel de fonder la création de richesse sur le moyen et le long
terme, pour permettre la respiration collective, favoriser la convivialité au
sein des entreprises et l’épanouissement professionnel. La véritable
question est donc celle du mode de gouvernance »
Dans un premier temps, il convient de replacer la notion de travail dans notre monde quotidien.
Un pays qui met un signe d’égalité entre le travail et la souffrance ou entre le travail et le
chômage va mal. Il est indispensable de ré-enchanter le travail dans les entreprises, ne serait-ce
que parce qu’il est dans l’intérêt des entreprises d’avoir des salariés heureux au travail.
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Le cabinet Technologia a traité 70 cas de crise suicidaire ces cinq dernières années. Ma vision est
donc spécialisée mais peut-être aussi déformée. Mes propos pourront vous paraître durs, mais
sont liés à la position à partir de laquelle je m’exprime.
Cinq facteurs principaux expliquent le problème des risques psychosociaux, dont le premier est la
pression financière. Depuis une vingtaine d’années, la notion d’entreprise a été réduite à celle
d’actif financier à optimiser. Michel AGLIETTA a récemment publié une étude démontrant que
dans les années 70, 10 % des dividendes aux Etats-Unis revenaient aux sociétés financières.
Aujourd'hui, ces dividendes atteignent près de 50 % et la stimulation du cours de bourse crée un
monde de reporting au quotidien où le court-termisme l’emporte. Le second facteur est celui des
nouvelles technologies de l’information et de la communication, qui ont entraîné une
accélération du temps et une perte de repères. Le troisième facteur est la formation du top
management, sélectionné sur la base d’une note obtenue en mathématiques à 18 ans puis
protégé des aléas tout au long de sa carrière. Dans la société actuelle, ce mode de formation est
obsolète et ne permet pas aux dirigeants de connaître les hommes, les bonnes pratiques et
l’entreprise de l’intérieur, ni de prendre des décisions en adéquation avec la culture de
l’entreprise. Le quatrième facteur des risques psychosociaux est le consumérisme, marqué par
une dégradation du rapport client-consommateur-salarié. Enfin, les acteurs de la régulation, DRH,
syndicats et médecins du travail, se sont affaiblis.
L’ensemble de ces facteurs entraîne un rétrécissement des espaces d’épanouissement
professionnel pour les salariés. Il est complexe, dans un tel contexte, de traiter le problème. Pour
les acteurs de la mutualité, la problématique est plus simple car moins soumise au courttermisme. Il est essentiel de fonder la création de richesse sur le moyen et le long terme, pour
permettre la respiration collective, favoriser la convivialité au sein des entreprises et
l’épanouissement professionnel. La véritable question est donc celle du mode de gouvernance. En
France, les salariés sont très attachés à leur travail. Il faut savoir profiter de cette richesse et leur
permettre de donner le meilleur d’eux-mêmes, en évitant la judiciarisation des relations sociales.
Je conclurai sur le retard de la France dans le traitement de la problématique des suicides.
120 000 tentatives sont dénombrées chaque année, dont 12 000 aboutissent, soit deux fois plus
que dans les autres pays européens. Sur ces 12 000 tentatives abouties, 40 % sont des récidives
que nous sommes dans l’incapacité de prévenir. Or les récidives alimentent le moteur de
l’imitation sociale. C’est une problématique qu’il faut approfondir pour éviter d’alimenter la
mélancolie ambiante et favoriser le retour de la convivialité dans les entreprises.
Gilles BRIDIER
Quelle est l’attitude des syndicats face à ces problèmes et aux DRH ?
Jean-Claude DELGENES
Le risque psychosocial ne peut s’objectiver sans prendre en compte le ressenti des salariés. La
problématique doit donc être traitée avec l’ensemble des acteurs concernés. Il importe de réunir
les syndicats et les DRH autour d’une même volonté d’améliorer les conditions de travail et de
favoriser l’implication des salariés. C’est sur cette base que peut être construites l’évaluation des
risques professionnels imposée par la loi et des voies de renforcement de la cohésion sociale dans
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l’entreprise. L’absence des salariés aux négociations risquerait d’entraîner des réponses à
l’enquête d’évaluation des risques conformes aux attentes supposées de la direction, avec un
biais statistique dangereux. C’est ce que j’appelle le « syndrome de Gorbatchev ». Il faut donc
donner la parole aux salariés et faire en sorte que chacun s’exprime librement pour pouvoir
objectiver la situation et construire des plans d’amélioration de la compétence globale.
Gilles BRIDIER
Jean-Michel MIR, vous accompagnez les négociateurs dans le traitement de la problématique des
risques psychosociaux. Quelle est votre position et quel accompagnement proposez-vous ?
Jean-Michel MIR
« Les techniques de management étant reconnues comme pouvant être
pathogènes, la responsabilité directe de l’entreprise est engagée. Dès que
la problématique de harcèlement se pose dans une entreprise, par exemple,
la responsabilité de l’employeur est reconnue »
Sur le plan juridique, il convient de distinguer deux aspects : d’une part, le stress, d’autre part, le
harcèlement moral et la violence au travail. Cette distinction se traduit dans les textes négociés
récemment. Les partenaires sociaux se sont approprié le sujet pour trouver un consensus et
mettre en place des accords professionnels sur ces deux aspects et des méthodologies de
prévention.
Dès 1989, une directive européenne indiquait que l’amélioration de la santé ne peut pas être
contrainte par des considérations purement économiques. Il est alors essentiellement question
de santé physique. La France s’est ensuite approprié le sujet : la loi de janvier 2002 sur les
relations sociales introduit la notion de prévention de la santé mentale et la définition du
harcèlement moral. Les partenaires sociaux tentent de traiter les deux problématiques, stress et
harcèlement, au niveau européen.
L’accord interprofessionnel sur le stress de juillet 2008 et l’accord interprofessionnel de mars
2010 sur la prévention du harcèlement et des violences au travail fixent un cadre juridique. Il en
ressort un consensus sur l’existence d’un problème, la nécessité de mettre en place une
méthodologie de prévention et des recommandations. L’accord du 26 mars 2010 recommande
par exemple d’adopter une charte de référence sur le traitement des problématiques de
harcèlement et de stress au travail. Il ne découle de ces accords aucune obligation de négocier
dans les branches professionnelles ou dans l’entreprise, à charge pour chaque branche de
s’approprier le sujet pour élaborer un accord cadre.
Un échange important sur le sujet a été initié par le Ministère du Travail fin 2009, lorsqu’il a
enjoint les entreprises d’engager des négociations et de les avancer suffisamment au
1er février 2010. Cette initiative se poursuit sous la forme d’une capitalisation des bonnes
pratiques issues des accords collectifs afin de construire un référentiel.
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Gilles BRIDIER
Dans un cadre juridique n’incluant pas d’obligation de négocier, quelle est la responsabilité légale
des employeurs ?
Jean-Michel MIR
L’entreprise reste soumise à l’obligation pleine et entière, au titre des articles L.4121 du Code du
travail, d’assurer la santé physique et mentale de ses salariés. L’obligation initiale de prévention
se traduit désormais par une obligation de résultat. Dans les arrêts amiante de 2002, la Cour de
Cassation définit cette obligation comme telle. L’employeur doit s’assurer que les produits et
techniques utilisés ne sont pas nocifs pour la santé physique et morale des salariés. Les
techniques de management étant reconnues comme pouvant être pathogènes, la responsabilité
directe de l’entreprise est engagée. Dès que la problématique de harcèlement se pose dans une
entreprise, par exemple, la responsabilité de l’employeur est reconnue. Quand bien même il
aurait mis en place les moyens de prévention disponibles et pris des mesures correctives pour
faire cesser le harcèlement, il est tenu responsable du fait commis. Tout constat de cas de
harcèlement conduit donc à reconnaître la responsabilité civile de l’entreprise.
Gilles BRIDIER
Le préjudice d’anxiété a été reconnu en mai 2010 par la Cour de Cassation. Quelle est sa portée ?
Jean-Michel MIR
On peut se demander s’il marque une étape supplémentaire ou reflète la volonté de la Cour de
Cassation de pondérer son jugement. Quoi qu’il en soit, le préjudice d’anxiété est désormais
reconnu et important. Dans le cadre d’une exposition prolongée à un risque avéré, chacun est
susceptible de l’invoquer.
Gilles BRIDIER
Quel modèle de négociation conseilleriez-vous aux employeurs ?
Jean-Michel MIR
Il n’existe pas d’obligation de négocier sur le sujet, mais l’utilité des négociations est claire : il
s’agit d’obtenir un consensus avec les représentants du personnel. Je recommande aux
entreprises de réaliser un diagnostic préalable de la situation, de se fixer un objectif et de définir
une méthodologie pour l’atteindre. Ce diagnostic permet de lancer le débat et d’enrichir l’objectif
et la méthodologie envisagée par les visions complémentaires des représentants syndicaux et du
personnel.
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Gilles BRIDIER
Dominique VACHER, vous êtes professeur à la chaire Hygiène et Sécurité du CNAM et responsable
de la coordination centrale de la sécurité à EDF. Comment le management peut-il éviter de
générer des situations de stress ?
Dominique VACHER
« Il est vain de concevoir une organisation efficiente si les personnes qui la
font fonctionner sont malheureuses. Il convient de rendre les hommes et
les femmes « confortables » avec l’organisation »
Je me permets tout d’abord de rappeler la définition européenne des risques psychosociaux. Ce
vocable recouvre le stress, les violences internes, les violences externes, les troubles anxiodépressifs, les pratiques addictives et les événements traumatisants. Il importe de différencier les
risques pour mettre en place des réponses adaptées.
La performance dans le domaine de la sécurité et de la santé au travail repose sur la mise en
place d’une organisation efficiente, laquelle relève de la responsabilité de l’employeur.
Actuellement, les entreprises sont confrontées à des problèmes de gouvernance et travaillent
trop par silo (client, environnement, qualité, etc.). Or toute décision impacte d’autres domaines
que celui auquel elle renvoie directement, ce qui implique de réinterroger le mode de
gouvernance. La performance globale d’une entreprise repose sur une approche transverse.
Il est vain de concevoir une organisation efficiente si les personnes qui la font fonctionner sont
malheureuses. Il convient de « rendre les hommes et les femmes confortables avec
l’organisation ». Il arrive que les difficultés des départements varient au sein d’une même
entreprise, alors qu’ils sont soumis à une même organisation. C’est souvent le manager qui fait la
différence. La clé de voûte du système doit être la pose et le respect d’exigences, en impliquant
non seulement le management, mais aussi les salariés. Je défends l’idée de la durée de vie d’une
situation dangereuse. A chaque fois qu’une telle situation est identifiée, la personne qui l’a
identifié doit agir immédiatement, quel que soit son niveau, et en parler au management.
J’ai par ailleurs recensé des bonnes pratiques, correspondant chacune à un pilier du
management : l’animation, la décision et le leadership. Il est par exemple essentiel de savoir
reconnaître ses collaborateurs, mais aussi de savoir distinguer la faute de l’erreur, dont l’analyse
permet de progresser à condition d’avoir su créer un climat de confiance, et de faire preuve
d’exemplarité. Ces pratiques, indispensables pour atteindre un objectif de performance en
matière de sécurité et de santé au travail, servent également la performance de l’entreprise.
Gilles BRIDIER
Marie-Christine ARTHUIS, vous êtes directeur des affaires générales de la mutuelle Harmonie, qui
regroupe un millier de salariés, et administrateur de l’UGEM. Le risque psychosocial est-il connu
dans le secteur mutualiste ?
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Marie-Christine ARTHUIS
« L’étude des contentieux prudhommaux perdus, par exemple, montre que
la majorité des dossiers naît d’une maladresse, d’une incompréhension ou
d’un sentiment de rejet, créant une situation qui se dégrade jusqu’à un
point de non retour »
La vie quotidienne d’une entreprise est faite d’un certain nombre de tensions, qui se traduisent
par des risques psychosociaux. Comme toute organisation, les mutuelles y sont confrontées.
J’espère néanmoins qu’elles le sont dans une moindre mesure que d’autres entreprises.
Gilles BRIDIER
Dans le cadre de vos fonctions, vous avez analysé les pratiques d’autres entreprises. Pouvez-vous
nous présenter cette expérience et les conclusions que vous en tirez ?
Marie-Christine ARTHUIS
Face à la perspective d’ouverture de négociations sur le sujet, nous nous sommes interrogés sur
le moteur d’une telle démarche. Outre l’amélioration du bien-être au travail, ce moteur est à la
fois juridique et économique. S’interroger sur le retour sur investissement conduit en effet à
mieux appréhender les risques psychosociaux. L’étude des contentieux prudhommaux perdus,
par exemple, montre que la majorité des dossiers naît d’une maladresse, d’une incompréhension
ou d’un sentiment de rejet, créant une situation qui se dégrade jusqu’à un point de non retour.
Gilles BRIDIER
Quelle méthode avez-vous utilisé pour décrypter ces dossiers ?
Marie-Christine ARTHUIS
Une telle analyse peut être un outil de diagnostic pour identifier des risques. Nous avons par
ailleurs ouvert une négociation avec les partenaires sociaux pour nous accorder sur les concepts
et tentons d’intégrer au mieux la médecine du travail qui, selon les cas, est distante, attentive ou
très protectrice. Nous sommes en phase de découverte. Le fait d’en parler contribue déjà à
réduire une partie des tensions.
Gilles BRIDIER
Quels sont vos objectifs de négociation ? Les avez-vous quantifiés ?
Marie-Christine ARTHUIS
Non, nous n’avons pas défini d’objectifs quantifiés. Notre premier défi consiste à établir une
cartographie des risques psychosociaux et notre objectif est d’accroître la rapidité des
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interventions face aux risques décelés. Ainsi, nous réfléchissons à la mise en place de cellules
d’alerte, à même de dresser un premier diagnostic, de proposer des préconisations voire de faire
appel à un regard extérieur.
Les risques psychosociaux les plus importants, qui accompagnent les fusions et les
réorganisations par exemple, sont connus. Il est en revanche plus difficile d’intervenir sur des
micro-situations, par manque de recul, de visibilité ou par peur que le remède ne soit pire que le
mal. L’enjeu est donc d’apprendre à traiter toutes les situations qui peuvent se produire dans
l’entreprise en associant les représentants du personnel, le management et les DRH à la réflexion.
Le plus difficile pourrait être de convaincre le management de proximité.
Gilles BRIDIER
Jean-Claude DELGENES, que pensez-vous de la méthode de Marie-Christine ARTHUIS ? Comment
peut-on faciliter l’instauration du dialogue et l’adoption de définitions communes ?
Jean-Claude DELGENES
En tant qu’intervenant dans les mutuelles et dans des groupes côtés en bourse, je constate que
l’acuité des problèmes diffère, même si les risques psychosociaux existent également dans les
mutuelles. Ceci étant précisé, la temporalité des salariés, des représentants du personnel et des
managers n’est pas la même et les mots renvoient à des réalités parfois très différentes : le
manager peut comprendre la mobilité fonctionnelle comme une solution enrichissante alors que
les salariés la percevront négativement. Le rapprochement des concepts est effectivement une
question importante.
Il importe par ailleurs de développer l’anticipation et la visibilité sur le moyen et le long terme, en
se dotant d’un objectif commun. Faire travailler les différentes parties prenantes sous une
conduite de projet classique facilite la co-construction d’une démarche de prévention et de
gestion des risques psychosociaux. Le chemin à parcourir est aussi important que le résultat
obtenu.
Gilles BRIDIER
Marie-Christine ARTHUIS, quels sont les contentieux les plus récurrents que vous ayez observé ?
Marie-Christine ARTHUIS
Ce sont généralement les conflits interpersonnels, y compris au sein d’une équipe, dont l’ampleur
devient telle que la seule solution est une rupture de contrat de travail. Ces situations sont les
plus difficiles à arbitrer pour les tribunaux et laissent des traces. On ne sait pas encore bien les
traiter.
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Gilles BRIDIER
Antoine CATINCHI, vous êtes directeur général de la MGEFI, une mutuelle récemment créée qui
compte 250 collaborateurs. Comment la MGEFI aborde-t-elle cette problématique ?
Antoine CATINCHI
« Le traitement de la problématique du bien-être au travail et de la
maîtrise des risques psychosociaux est essentiel à la réussite d’un
projet de fusion. Nous voulons intégrer la prévention des risques
psychosociaux comme un indicateur parmi d’autres, sans lui
accorder une importance démesurée dans la lecture des relations
sociales »
Le caractère récent de la mutuelle explique pourquoi nous avons d’emblée approfondi cette
problématique. MGEFI est né du rapprochement de sept mutuelles il y a trente mois, ce qui
implique des pertes de repères, des changements d’organisation et d’outils. Le traitement de la
problématique du bien-être au travail et de la maîtrise des risques psychosociaux est essentiel à
la réussite d’un projet de fusion.
La prévention des risques psychosociaux s’est inscrite dans le cadre d’une politique RH globale,
qui nous a amenés à définir rapidement un droit collectif et un statut du personnel, dans lequel
nous avons introduit le droit d’expression. Nous avons également travaillé sur la mise en place
d’entretiens individuels d’évaluation annuelle, qui nous ont permis de repérer les difficultés
rencontrées, et sur un plan de formation. Ce plan inclut une réflexion sur les principes du
management et le repérage des difficultés des collaborateurs. Le dialogue social s’est par ailleurs
axé sur les objectifs de la mutuelle et l’apport d’une visibilité aux collaborateurs. Enfin, nous
avons rapidement développé un partenariat fort avec la médecine du travail et le CHSCT.
L’ensemble de ces éléments prépare une politique de prévention des risques psychosociaux.
Gilles BRIDIER
Comment avez-vous procédé ?
Antoine CATINCHI
Nous avons mis en place deux actions. La première a consisté à établir une classification des
emplois, en intégrant un paragraphe sur la prévention des risques professionnels. A cette
occasion, nous avons identifié des natures de risques forts selon les métiers exercés, en
collaboration avec le CHSCT et la médecine du travail. La seconde action a consisté à réalisé un
diagnostic, sur la base d’un questionnaire adressé à l’ensemble des collaborateurs. Celui-ci
mesure notamment la latitude décisionnelle qui permet d’alléger la pression au travail et le
soutien social. Nous avons obtenu un taux de réponse de 60 % et sommes en train d’analyser les
résultats de l’enquête, qui doivent être présentés début juillet au CHSCT. Sur cette base, nous
établirons un plan d’actions avec les représentants du personnel et les managers.
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Le positionnement du sujet n’est pas simple : il faut veiller à lui accorder la place qu’il mérite tout
en le relativisant, tant auprès des collaborateurs que des managers, qui ont le sentiment que
leurs pratiques sont remises en cause. Il faut donc s’employer à rassurer chaque partie.
Gilles BRIDIER
Le taux de réponse au questionnaire témoigne d’une adhésion et d’attentes fortes. Quels
objectifs et quel suivi allez-vous mettre en place ?
Antoine CATINCHI
Les réponses mettent en évidence des difficultés dans certaines catégories d’emploi. Nous
voulons diffuser ces résultats et mettre en place des plans d’actions élaborés avec les managers
et les représentants du personnel, tout en banalisant la prévention des risques psychosociaux.
Celle-ci ne doit pas devenir l’alpha et l’oméga des relations sociales : il faut savoir lui accorder une
juste place. L’essentiel est de mesurer l’impact qu’auront les plans d’action sur la situation
initiale. Nous voulons intégrer la prévention des risques psychosociaux comme un indicateur
parmi d’autres, sans lui accorder une importance démesurée dans la lecture des relations
sociales.
Gilles BRIDIER
Vous êtes-vous appuyés sur d’autres expériences ou votre démarche est-elle appelée à être
reprise par d’autres entreprises ?
Antoine CATINCHI
Nous n’avons pas fait appel à un audit externe. Avec le CHSCT, il nous a paru intéressant de poser
la question en ces termes. Dans un contexte de fusion, le traitement de cette problématique était
indispensable.
Gilles BRIDIER
Dominique VACHER, pouvez-vous développer le sujet de l’attitude du management face à un
projet de prévention des risques psychosociaux ?
Dominique VACHER
L’approche développée par la MGEFI est un véritable projet managérial, qui demande de la
préparation. Antoine CATINCHI insiste sur la co-construction : c’est effectivement une pratique
essentielle et de bon sens. L’amélioration du niveau d’éducation général des salariés les conduit à
ne pas accepter de décision, aussi fondée soit-elle, sans un minimum d’explication. Le temps
consacré à la co-construction représente autant de temps gagné dans la mise en œuvre du projet,
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grâce à l’implication des parties prenantes et au soutien qu’elles lui apportent. La co-construction
devrait faire partie des bonnes pratiques managériales.
Gilles BRIDIER
Comment avez-vous établi la classification des emplois ?
Antoine CATINCHI
Pour la prévention des risques, nous avons travaillé principalement avec le CHSCT. Pour le reste,
nous avons mené des réunions de négociation avec les partenaires sociaux.
La reconnaissance a été le maître mot de l’élaboration des classifications. L’emploi de technicien
a ainsi été revalorisé, ce qui est apprécié mais crée parallèlement du stress, puisque le niveau à
atteindre devient plus élevé. Les employés reconnus techniciens vivent ainsi une pression plus
forte que si nous n’avions pas revu la classification. Nous avons donc attiré l’attention du
management sur ce point.
Gilles BRIDIER
Jean-Michel MIR, quel est votre avis sur cette méthode ?
Jean-Michel MIR
La co-construction est une méthode de bon sens tout à fait pertinente. L’expérience est d’autant
plus intéressante, dans un contexte de restructuration, qu’elle recoupe les préconisations du
rapport 2009 de l’IRES sur l’intégration de la problématique des risques psychosociaux dans les
réorganisations et celles du rapport du CNAM sur le bien-être au travail.
Il est recommandé d’associer les représentants du personnel aux réorganisations, de donner
rapidement de la visibilité sur l’après, de faire preuve de transparence et de prendre en compte la
problématique des managers. Ceux qui se trouvent au croisement des impératifs de
réorganisation et d’accompagnement des collaborateurs doivent faire l’objet d’un soutien
particulier. Il est également recommandé de mener une étude d’impact humain sur les projets de
restructuration avant leur engagement.
Ces principes semblent relever du bon sens, mais le droit français peut rapidement entraîner une
judiciarisation des relations sociales.
La question de la contradiction avec le pouvoir d’organisation de l’employeur se pose
rapidement. Le risque de limitation de la liberté d’organisation de l’employeur explique que de
telles démarches restent rares en France.
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Gilles BRIDIER
Philippe GERBET, vous êtes DRH de la MGEN, qui regroupe 9 000 salariés. Comment, à votre
échelle, avez-vous abordé la problématique des risques psychosociaux et lancé les négociations ?
Philippe GERBET
« La problématique des risques psychosociaux présente des aspects
objectifs mais aussi subjectifs et pose la question de la charge de travail et
de l’identité au travail. Un point fondamental concerne la lisibilité du
positionnement individuel dans l’organisation. La gouvernance de
l’entreprise est également un sujet de fond : en soulevant la question du
lien entre l’organisation, l’économie et l’humain, il interpelle nos valeurs
mutualistes »
La MGEN compte effectivement 9 000 salariés, une centaine de sections, 33 établissements
sanitaires et sociaux et près de 150 métiers. A la MGEN comme dans la mutualité, les
changements s’accélèrent, les emplois et les organisations se transforment. En 18 mois, 800
départs et plus de 1 000 recrutements de jeunes ont eu lieu dans le cadre de l’accord GPEC. La
transformation est donc également sociologique. La MGEN compte plus d’une cinquantaine de
CHSCT.
Nous sommes entrés, à la demande des organisations syndicales, dans une négociation sur la
santé au travail. Les risques psychosociaux étant par définition multifactoriels, il faut prendre le
temps des négociations. Nous avons commencé par définir le sujet et avons fait appel au cabinet
Axis Mundi. Plusieurs séances de négociation ont été consacrées à l’élaboration d’un
questionnaire standard, confidentiel et anonyme, dont les questions ont été adaptées au secteur
mutualiste. Le but est d’établir un état des lieux et d’identifier les facteurs de stress
organisationnels, voire sociodémographiques (seniors/jeunes, anciens/modernes, temps partiel,
contact avec les patients, etc.). Faire appel à Axis Mundi nous permet de bénéficier de
comparaisons et d’objectiver les difficultés rencontrés. Nous visons la signature d’un accord sur la
santé au travail d’ici la fin de l’année 2010. Une telle démarche pose la question de l’articulation
des rôles locaux et nationaux des instances représentatives du personnel et remet d’actualité des
principes d’audit mais aussi de gestion considérés comme dépassés tels que la convivialité.
Concernant le dialogue social, les partenaires sociaux ne sont pas toujours à l’aise avec le sujet,
qui ne fait pas partie de leurs revendications traditionnelles. La problématique de risques
psychosociaux présente des aspects objectifs mais aussi subjectifs et pose la question de la charge
de travail et de l’identité au travail. Un point fondamental concerne la lisibilité du positionnement
individuel dans l’organisation. La gouvernance de l’entreprise est également un sujet de fond : en
soulevant la question du lien entre l’organisation, l’économie et l’humain, il interpelle nos valeurs
mutualistes.
Gilles BRIDIER
Votre démarche pourrait-elle déboucher sur la redéfinition du périmètre de certains postes ?
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Philippe GERBET
La question des risques psychosociaux interroge effectivement la définition de l’organisation
générale de la MGEN, la répartition des rôles entre « front » et « back office » ou encore le mode
d’organisation en centres d’appels. Nous sommes aussi contraints par une logique économique.
La problématique apporte une nouvelle légitimité au dialogue social dans l’entreprise.
Gilles BRIDIER
Eric GEX-COLLET, vous êtes directeur général d’EOVI Mutuelles Présence et travaillez sur le
rapprochement de plusieurs mutuelles. Dans ce contexte, comment abordez-vous la
problématique des risques psychosociaux ?
Eric GEX-COLLET
« La question des risques psychosociaux doit être abordée à travers
celle de la responsabilité sociale de l’entreprise. Cinq conditions
doivent être réunies, dont la première est un engagement fort de la
direction sur ces problématiques. En mutualité, nous ne vivons pas
dans un monde idéal. Le secteur peut sembler privilégié par rapport
à d’autres, mais il n’en connaît pas moins des situations difficiles»
Je dirige une mutuelle d’environ 300 salariés et un projet de rapprochement de neuf mutuelles,
qui devrait donner naissance à un groupe de mille salariés. En mutualité, nous ne vivons pas dans
un monde idéal. Le secteur peut sembler privilégié par rapport à d’autres, mais il n’en connaît pas
moins des situations difficiles. J’aimerais souligner par ailleurs que la problématique de la santé
au travail et des risques psychosociaux diffère considérablement selon que le projet de
réorganisation relève du livre II ou du livre III.
La question des risques psychosociaux doit être abordée à travers celle de la responsabilité
sociale de l’entreprise. Cinq conditions doivent être réunies, dont la première est un engagement
fort de la direction sur ces problématiques. Deux enquêtes m’ont plus particulièrement sensibilisé
au sujet : le baromètre de la satisfaction des salariés, dont le taux de participation est passé de
60 % à 83 % en un an, et l’enquête menée avec l’UGEM sur la gestion des âges en mutualité, qui
s’est révélée plus pertinente sous l’angle de la problématique du stress. La seconde condition est
l’implication du management et la formation du management de proximité à la problématique. La
troisième condition concerne la formation des salariés : nous avons par exemple mis en place des
formations pour les aider à construire leur parcours professionnel. La quatrième condition est la
communication, essentielle dans de tels dispositifs. Nous avons ainsi signé des accords de
méthode et réalisé des supports d’information réguliers à l’intention des salariés. Lorsque des
informations ne peuvent être communiquées, il faut également le dire. Enfin, les systèmes
d’organisation doivent être revus selon des logiques transverses. Il faut tenter de reconstruire des
systèmes de management par la qualité et la performance et savoir accepter les erreurs.
Je souhaiterais vous citer deux exemples générateurs de difficultés au travail. Les Emails, tout
d’abord, tuent la relation interpersonnelle. Je tente d’être vigilant sur ce point et incite mes
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collaborateurs à cesser d’envoyer des Emails à 23 heures. Mon second exemple concerne une
salariée à laquelle nous avons signalé plusieurs erreurs de caisse. Je lui ai envoyé un courrier
recommandé à ce sujet. Elle m’a répondu de la même manière en me demandant de reconsidérer
ma position dans la crainte que mon courrier ne soit instrumentalisé dans un contexte de fusion.
Une fusion génère nécessairement du stress dans les mutuelles, quelle que soit la taille du
groupe. C’est pourquoi la qualité du management est aussi importante.
J’insisterai en conclusion sur l’importance de la communication dans tout processus de
rapprochement d’entreprise : l’absence de communication dans de tels contextes constitue une
faute managériale.
Gilles BRIDIER
Les cinq conditions que vous décrivez s’appliquent à toutes les entreprises, mutualistes ou non.
Cela reflète-t-il une banalisation du mode de gestion des mutuelles sous l’effet d’un système
concurrentiel ou une évolution de leurs valeurs ?
Eric GEX-COLLET
Les mutuelles sont généralement considérées comme moins « méchantes » socialement que les
autres entreprises. A titre personnel, je ne crois pas qu’on puisse réussir des processus de
rapprochement dans un monde concurrentiel en invoquant uniquement les valeurs mutualistes.
Elles sont importantes mais ne suffisent pas : la qualité managériale est essentielle.
Gilles BRIDIER
Dominique VACHER, que pensez-vous de l’approche d’Eric GEX-COLLET ?
Dominique VACHER
L’approche d’Eric GEX-COLLET, qui évoque la communication, le sens et la lisibilité d’un processus
de fusion, renvoie également à des pratiques de bon sens. Les salariés ont besoin de comprendre.
Sur la problématique du management, Xavier Bertrand avait demandé un rapport à William DAB
sur la compétence des managers en matière de santé et de sécurité au travail. Celui-ci
recommandait notamment d’envisager l’instauration, dans les écoles de management et
d’ingénieurs, d’un examen attestant de l’acquisition d’un minimum de compétences sur le sujet.
Un réseau francophone de sécurité et santé au travail s’est constitué dans l’objectif d’apporter
des outils pédagogiques aux entreprises et aux écoles. La prévention et la gestion des risques
psychosociaux renvoient à un véritable projet de management et d’entreprise. La RSE lui donne
du sens, à condition que les managers soient en capacité de porter cette approche.
Enfin, seule la mise en place d’approches transverses permettra de réduire les demandes
paradoxales. Lorsqu’un directeur des achats obtient une remise importante sur un marché, par
exemple, le premier réflexe est de le féliciter. Mais s’est-il assuré de la qualité et de l’ergonomie
des sièges, qui pourraient entraîner à terme de l’absentéisme et impacter la performance ?
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Gilles BRIDIER
Jean-Claude DELGENES, l’approche de la problématique des risques psychosociaux dans le secteur
mutualiste vous paraît-elle spécifique ?
Jean-Claude DELGENES
J’ai l’expérience de secteurs privés, de secteurs publics privatisés et de l’administration. La
question des valeurs est essentielle et celle de l’identité de la mutuelle, dans le recrutement, le
déroulement d’une carrière et l’implication des salariés, n’est pas neutre. Une réflexion doit être
menée sur ces sujets pour emporter l’adhésion des salariés.
Je recommande également d’oser le débat de fond pour fonder des choix stratégiques, financiers
et humains. Les salariés sont à même de comprendre les enjeux stratégiques s’ils leur sont
expliqués. Il ne faut pas non plus oublier la problématique du chômage. Les SSII, par exemple,
forment un monde particulier contraint par la concurrence internationale et l’organisation des
multinationales.
La mutualité conserve un visage humain, mais n’est pas à l’abri des dérives. C’est pourquoi le
discours sur son identité est important. Enfin, il convient d’aborder le sujet des conditions
matérielles de travail, qui peuvent constituer un facteur important de stress. Nous sommes en
train de concevoir une formation à l’intention des ingénieurs et architectes à ce sujet.
Gilles BRIDIER
La question des valeurs ressort comme un point important de nos échanges.
Souvent, lorsque le dialogue est bloqué, il est question de réintroduire du sens et les valeurs y
contribuent.
Si la mutualité conserve les siennes, elle n’est pas à l’abri d’évolutions.
Je vous souhaite que ces valeurs se maintiennent encore longtemps et vous remercie pour votre
participation à ce colloque.
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Document rédigé par la société Ubiqus – Tél. 01.44.14.15.16 – http://www.ubiqus.fr – [email protected]
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