DESS Finance d`entreprise
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LITOLFF Laurent VALLEE Rodolphe DESS Finance d’entreprise Conservatoire National des Arts et Métiers Mémoire Sous la direction de Isabelle Lhoste et Denis Dubois Les modes de rémunération des dirigeants d’entreprise Octobre 2004 Page 1 sur 43 Plan du mémoire Introduction : l’enjeu des modes de rémunération des dirigeants d’entreprise I – Les pratiques observées en matière de rémunération des dirigeants 1/ Le cadre conceptuel (théorie de l’agence) 2/ Le mode de rémunération par actions - le plan d’actionnariat : interactivité cours de l’action / performance de l’entreprise - les stock-options : impacts social, économique, financiers et abus 3/ Observation du lien entre rémunération et performance des organisations II – Les méthodes d’indexation de la rémunération du dirigeant aux performances de l’entreprise 1/ Les indicateurs comptables de performance : usages et limites (Résultat net, Ebit, Ebitda…) 2/ Les indicateurs économiques de performance : une vue efficiente (VAN, EVA, MVA…) ? 3/ Les indicateurs boursiers de performance : PER, capitalisation boursière, VE… III – Eléments de l’analyse extra-financière : des critères de performance pour le dirigeant d’entreprise 1/ Corporate governance 2/ Le développement durable : influence sur la rémunération du dirigeant ? A – Problématique du développement durable B – La responsabilité sociétale des entreprises C– La performance sociétale D – Le développement durable : une création de valeur dans la durée ? Conclusion : une rémunération multi-critères pour le dirigeant d’entreprise ? Page 2 sur 43 Introduction l’enjeu des modes de rémunération des dirigeants d’entreprise Les réçents scandales, qui ont secoué la finance internationale, ont fortement ébranlé la confiance des actionnaires. Les affaires Enron, Ahold, Parmalat ou encore Vivendi ont contribué à diaboliser le portrait de l’Entreprise et à entamer la crédibilité des dirigeants. Trouver des gages de stabilité et rassurer les actionnaires constituent les remèdes pour restaurer la confiance perdue des investisseurs. L’un des moyens les plus évidents est de revoir les modalités de la rémunération des grands patrons pour une meilleure prise en compte des performances entreprises qu’ils pilotent; et son corollaire immédiat est de faire preuve d’une réelle transparence d’information à ce sujet. S’intéresser au bien fondé des formules de rémunération des dirigeants d’entreprises, c’est s’interroger sur un concept situé au carrefour des domaines liés à l’incitation, à l’éthique et à l’efficacité. Part fixe, part variable, actions gratuites, stock-options, bonus, etc…le mode rémunération des dirigeants demeure encore trop souvent opaque pour l’actionnaire pour qui il est difficile de savoir dans quelles mesures cette rémunération est liée aux résultats de l’entreprise. En France, la part variable dans les salaires des dirigeants est la plus élevée en Europe (51% de la rémunération totale des patrons du CAC 40), sans avoir, semble t’il, l’effet escompté. Ce qui fait dire d’ailleurs à Jean Peyrelevade sur le sujet : « la corrélation entre la qualité de gestion et la rémunération paraît peu établie ». S’ils restent les mieux payés du monde, les dirigeants américains se voient, avec la loi Sarbanes-Oxley, encouragés à œuvrer sur les performances de long terme de l’entreprise. En France la loi NRE s’efforce de mettre en place une meilleure gouvernance des entreprises. Quel est le mode de rémunération optimal du dirigeant pour l’entreprise ? Nous tenterons de traiter cette problématique en nous appuyant, en premier lieu, sur l’analyse des pratiques des firmes. Nous observerons notamment combien ces pratiques peuvent être différentes en fonction des pays, des secteurs d’activités et des organisations. Page 3 sur 43 Nous explorerons, dans un 2ème temps, les méthodes d’indexation de la rémunération des dirigeants aux performances de l’entreprise, ce qui posera notamment le problème du choix des critères de performance financière. Enfin, nous nous interrogerons sur la prise en compte de la corporate governance et du développement durable dans le mode de rémunération du dirigeant. Page 4 sur 43 I – Les pratiques observées en matière de rémunération des dirigeants Préalablement à l’étude des modes de rémunération, sans doute est il préférable de rappeler qui décide de la rémunération des dirigeants d’entreprises. Le régime est différent selon qu’il s’agisse d’une S.A. ou d’une S.A.S.. Pour une S.A., le Conseil d’administration est seul compétent pour déterminer la rémunération du président, du directeur général et des directeurs généraux délégués (articles L.225-47 al.1 et L.225-53 al.3 du Code du commerce). Cette rémunération a un caractère exceptionnel, qui échappe à la procédure d’autorisation des conventions réglementées. La loi NRE du 15 mai 2001 a introduit une obligation supplémentaire relative aux rémunérations versées à chaque mandataire social (administrateurs, directeur général, directeurs généraux délégués, membres du directoire ou membres du conseil de surveillance). La loi prévoit que « la rémunération totale et les avantages de toute nature versés durant l’exercice social à chaque mandataire social » doivent figurer dans le rapport de gestion présenté à l’assemblée générale. Sont notamment visés les salaires, les jetons de présence, les compléments de retraite, et les sommes proportionnelles au chiffre d’affaire. Cette information doit être individuel et nominative, accessible aux tiers et communiquée au comité d’entreprise (ce rapport doit être déposé au greffe du Tribunal de commerce). Pour une S.A.S., la rémunération du président et des dirigeants est déterminée dans les conditions fixées par les statuts ; sa fixation est donc soumise à la procédure de contrôle des conventions réglementées (le Commissaire aux Comptes présente à l’assemblée générale un rapport sur la convention soumise à contrôle). L’obligation d’établir un rapport annuel sur le montant des rémunérations des dirigeants n’est pas applicable à la S.A.S.. Si la loi NRE tente de pallier à un manque de transparence sur les salaires des dirigeants, l’obligation de publication a pu paraître excessive à nombre de chefs d’entreprises qui y ont vu une atteinte à leur vie privée. Page 5 sur 43 Ainsi, la loi de Sécurité Financières du 1er août 2003 complète le dispositif issu de la loi NRE en modifiant toutefois l’obligation de publication : le rapport annuel des rémunérations n’étant plus obligatoire que dans les sociétés cotées ou non cotées mais contrôlées par une société cotée. Les rémunérations et avantages reçus par le mandataire social de la société contrôlante doivent ainsi apparaître dans le rapport à l’assemblée générale annuelle des sociétés contrôlées. La problématique de la rémunération des dirigeants trouve son origine dans la théorie de l’agence dont nous décrirons le cadre conceptuel. Nous détaillerons ensuite la rémunération sous forme de distribution d’actions et de stocks options, pratique très largement répandue, mais dont l’efficacité a pu être critiquée. Nous observerons enfin le lien entre la rémunération et la performance des organisations. 1/ Le cadre conceptuel (théorie de l’agence) Les premiers travaux qui ont soulevé le problème de déconnexion entre les intérêts des dirigeants et ceux des actionnaires s’inscrivent dans le cadre de la théorie de l’agence. La théorie de l’agence considère qu’il existe un problème d’aléa moral : les actionnaires ne sont pas en mesure d’observer les actions du dirigeants dont dépend pourtant leur richesse, et il faut trouver des mécanismes incitatifs qui alignent les intérêts des dirigeants sur leurs intérêts. La théorie de l’agence formalise le modèle principal-agents, considérant l’entreprise comme un ensemble complexe et hétérogène caractérisé par un nœud de contrats. La réalité observée, à l’heure actuelle, dans nombre d’entreprises est que les dirigeants ne sont soumis qu’à un très faible contrôle des actionnaires. Ce qui pose 2 types d’interrogations : la rémunération des dirigeants est elle suffisamment incitative pour maximiser la richesse des actionnaires ? Les dirigeants, qui fixent eux-mêmes leur rémunération, ne se rémunèrent-ils pas plus que largement ? Page 6 sur 43 Depuis les années 1970, la rémunération des CEOs américains a considérablement cru, mais la performance des entreprises a également connu une très forte croissance. La question posée ici concerne la corrélation entre la rémunération et la performance des firmes. Les dirigeants français ont vu leur rémunération fortement augmenter ces dernières années. On peut expliquer ce phénomène par un effet de rattrapage par rapport aux patrons américains. 2/ Le mode de rémunération par actions Les plans d’actionnariat et d’option sur actions ont vu, depuis plusieurs années maintenant, leur importance grandir dans le panier de la rémunération des dirigeants. Cette pratique, qui s’est développée dans un contexte de croissance économique soutenue et de performance des marchés boursiers, souffre aujourd’hui de nombreuses contestations qui dépassent largement les actionnaires pour impliquer d’autres parties prenantes comme les salariés et leurs syndicats, et même les milieux politiques (Gerhard Schroeder a critiqué ouvertement cette année les généreuses augmentations de salaires des dirigeants, s’adressant ainsi indirectement au patron de la Deutsche Bank, le suisse Josef Ackermann qui s’est vu attribué quelque 11 M€ en 2003). Néanmoins, si ces formules de rémunération sont sujets à polémique, il est intéressant de s’interroger sur leur bien fondé, leurs finalités et leurs conséquences économiques, politiques, sociales et culturelles. A - Incidences des plans d’actionnariat et d’options pour les actionnaires Ces formules de rémunération visent une amélioration des performances des firmes et favorisent la politique de recrutement, de motivation et de fidélisation des dirigeants. 1 / Lien actionnariat et performance à long terme des entre prises : efficacité et limites Dans le cadre de la théorie de l’agence, qui analyse les relations contractuelles entre dirigeants et actionnaires, les formules d’actionnariat semblent favoriser la convergence de leurs intérêts et peuvent paraître particulièrement efficaces puisqu’elles incitent les managers à maximiser la valeur des actions de la firme qu’ils gèrent. L’optique du long terme (actions, options) semble s’imposer à l’optique du court terme (salaires, primes). Page 7 sur 43 Cet axiome se vérifie couramment par l’observation d’une réaction favorable du marché boursier à la mise en place d’un plan d’actions ou d’options dans une entreprise car les investisseurs anticipent que cette politique leur sera favorable car incitant les managers à prendre des décisions financières favorables aux actionnaires. Toutefois cette politique a pu trouver dans la pratique quelques limites quant au rapprochement des intérêts des dirigeants et des actionnaires. En effet, certaines firmes pratiquent de manière systématique une actualisation du plan d’actionnariat ou d’options en fonction du cours actuel de l’action. D’autres autorisent leurs dirigeants à recharger leurs options une fois exercées (reload option). Ces travers limitent alors le caractère incitatif et l’efficacité d’un telle politique. Enfin, ces formules de rémunération, si elles doivent depuis peu être publiées dans le compte de résultat ou en annexe des états financiers des entreprises cotées, entraînent une dilution des droits des actionnaires sur la richesse créée et de leurs droits de vote. 2 / Politique de recrutement et de fidélisation Par leur progression limitée, les salaires et les primes ne constituent pas des instruments optimaux pour recruter et motiver des managers. Alors que les formules d’actionnariat, qui sont assortis d’avantages fiscaux, permettent de réaliser des gains substantiels, incitant, en théorie, à contribuer à la création de valeur actionnariale. De plus, il est souvent nécessaire pour le manager de rester en fonction dans la firme pour réaliser les gains espérés, le mécanisme de détention des actions ou de levée des options (souvent un minimum de 5 ans) imposant alors au dirigeant des « menottes dorées » (golden handcuffs). Les plans d’actionnariat et d’options constituent un outil précieux de la politique de recrutement, de motivation et de fidélisation des dirigeants en ne permettant leur enrichissement que si la valeur actionnariale s’accroît. La question qui s’impose alors est celle de l’efficacité de la valeur actionnariale comme critère de performance à long terme de l’entreprise. Nous y reviendrons largement lors de nos prochains développements. Page 8 sur 43 B - Incidences des plans d’actionnariat et d’options pour les autres parties prenantes Distinguons les incidences sur le dirigeant des incidences sur les stake-holders. 1 / – Incidences sur le dirigeant Etre intéressé à la création de valeur sous la forme d’actions ou d’options revient pour le dirigeant, qui a déjà investi son capital humain dans la firme, à dépendre à 100% des performances de l’entreprise. Il concentre ainsi tous ses investissements dans la firme, ce qui peut engendrer alors 2 types de comportements : une prudence extrême (pour sécuriser sa position) ou un comportement très risqué (pour maximiser la valeur de ses titres). On retrouve alors le fondement de la théorie de l’agence et son principe de divergence (ou au moins de non alignement) des intérêts entre les managers et les actionnaires et donc l’accroissement de la performance à long terme. Une prudence extrême pourra guidée l’action du dirigeant soucieux de conserver ses gains potentiels si le cours des actions est supérieur à leur prix d’achat ou au prix d’exercice des stock-options. Un comportement très risqué pourra guider l’action du dirigeant dans le cas inverse. Ainsi l’aversion ou l’appétence au risque du manager pourra le dissuader de prendre des décisions favorables aux actionnaires. Enfin, impacter la rémunération du dirigeant à l’évolution de la valeur boursière de l’entreprise, dont la performance est largement soumise à la volatilité intrinsèque des marchés, ne permet pas de prendre en compte la véritable performance individuelle du manager (leadership, communication…). Cette dernière dimension est très importante à considérer car elle conditionne l’équité des formules d’actionnariat comme dispositif de partage de la richesse et constitue un facteur essentiel d’implication du manager. 2/ - Incidences sur les stake-holders Comme nous l’avons vu précédemment, le principe de rationalité conduira le manager à maximiser non pas la valeur de l’entreprise, mais la part qui lui revient de façon à accroître la valeur de son capital managérial. Page 9 sur 43 Ce comportement peut détériorer l’efficacité de la coalition organisationnelle de l’entreprise par le mécanisme suivant : le manager, intéressé à la performance financière, va accroître les risques qui peuvent venir affectés les transferts de richesse (baisse de la valeur globale) et donc entrés en conflit avec les autres apporteurs de ressources comme les prêteurs ou les salariés. La politique d’actionnariat du dirigeant peut donc se révéler contre productive car favorisant l’accroissement de la valeur managériale au détriment de la valeur globale. La pratique de l’actionnariat des salariés a pu réduire l’iniquité perçue entre la rémunération élevée des dirigeants, les fortes plus-values des actionnaires et la faible augmentation des salaires et des avantages sociaux des employés observée au cours des dernières années. C – Le phénomène des stock-options en France « La surabondance des stock-options s’installe en France », ainsi pourrait-on résumer l’analyse des rémunérations des patrons du CAC 40 en 2003. Depuis leur apparition en France avec la loi de décembre 1970, les stock-options ont connu un essor unanime dans notre pays. Même Michelin, dernier récalcitrant parmi les groupes français du CAC 40, a intégré pour la première fois en 2001 des stock-options dans sa politique de rémunération des cadres dirigeants. La France se présente comme le champion européen du « superbonus indexé sur le cours de l’action ». Les dirigeants des grandes entreprises françaises se sont vu attribuer l’an passé près de 8,7 millions options sur actions (contre 6,3 millions en 2002). C’est une augmentation des attributions de l’ordre de 39%, et qui concerne le plus grand nombre (seuls 9 dirigeants du CAC 40 n’ont reçu aucune option, contre 13 en 2002). Si cette importante hausse du volume d’options est à rapprocher de la baisse sensible du prix d’exercice des actions (après la correction boursière des années 2001 et 2002), elle laisse toutefois présager pour leurs détenteurs un confortable pécule d’ici quelques années, notamment pour les dirigeants de Vivendi Universal, LVMH, Aventis ou encore Axa, dont les gains potentiels atteignent plusieurs millions d’euros. Page 10 sur 43 Cependant, cette tendance se confirme non sans nouvelles conditions de levée qui incluent de plus en plus des critères de performance. Chez Lafarge, 30% des options sont exerçables à condition que le cours de l’action dépasse le prix d’attribution de l’option de 20% pendant 60 jours consécutifs pendant les 4 années d’indisponibilité ou de 30% les 2 années suivantes. Schneider Electric conditionne l’exercice de la moitié des options à un niveau de marge et de résultat opérationnel sur capitaux engagés. Le dirigeant de Vivendi Universal, quant à lui, voit l’exercice de 30% de ses options attribuées conditionné à plusieurs critères (résultat net ajusté* >300 M€, niveau minimum de flux de trésorerie opérationnel proportionnel*, mise en œuvre de la cession de tout ou partie de VUE). * concepts propres à VU D’autres conditions de levée complexes existent encore et n’ont d’autre ambition que l’intéressement à long terme des bénéficiaires aux résultats de l’entreprise. 3/ Observation du lien entre rémunération et performance des organisations Si le sujet fait aujourd’hui grandement débat, c’est que l’on a pu observer que des salaires très élevés étaient octroyés à des hauts dirigeants par des entreprises qui ne dégageaient pas de profit ; cette pratique a mis à mal les règles de justice sociale (Michael Ovitz a quitté la présidence de Disney avec une prime de départ de 38,9 M€ plus 3 millions d’options d’achat après seulement 14 mois d’activités) et a éveillé l’intérêt des médias et par la suite des chercheurs. Les études se rapportant au sujet font état que la performance des organisations n’expliquerait qu’environ 10% du salaire octroyé au dirigeant. Ce qui inclue que d’autres facteurs expliquent cette rémunération. Quels sont ils ? Les dernières enquêtes réalisées suggèrent que le secteur d’activités, la taille des entreprises ou encore la stratégie d’affaires pourraient influencer le lien entre la performance organisationnelle et la rémunération des dirigeants. Page 11 sur 43 A – Déterminisme sectoriel et comparaison par pays S’il est notoire que c’est aux Etats-Unis que les hauts dirigeants sont les plus rémunérés en comparaison du Canada, du Royaume-Uni, de l’Allemagne ou de la France, il est cependant plus intéressant de constater que les secteurs d’activités n’offrent pas les mêmes rémunérations selon les pays. Aux EU, le secteur des assurances offre les rémunérations totales les plus élevées, alors que c’est le secteur des utilities qui offre les rémunérations les plus faibles. Au Canada, le secteur bancaire rémunère mieux les grands patrons, et la rémunération proposée dans les assurances est plus faible que dans tous les autres secteurs d’activités. Enfin au RU, les dirigeants obtiennent le plus dans les services non financiers. L’étude réalisée par William M. Mercer Incorporated sur les firmes US (tableau ci-dessous) confirme que la correspondance entre la croissance du salaire (Rémunération) et la performance des entreprises (Revenu net) n’est pas très homogène d’un secteur à l’autre. On trouve plus d’homogénéité dans l’industrie que dans l’énergie. Comparaison entre la croissance annuelle de la rémunération des dirigeants et le revenu net des entreprises par secteur d’activité en 1998 (pourcentage par secteur) Industrie Rémunération Revenu net Matériaux de base -7,2% -16,4% Cyclique 9,4% 17,0% Energie -11,3% -73,0% Financier 1,6% 5,5% Industriel 7,7% 8,4% Non-cyclique 19,4% 5,0% Technologie -2,2% -5,6% Utilities 12,5% 8,3% Sources : William M. Mercer Incorporated, 1999 Page 12 sur 43 B – Taille des entreprises et rémunération Plusieurs études ont démontré que la rémunération des dirigeants est davantage liée à la taille qu’à la profitabilité des entreprises. Cette relation peut être expliquée sous 3 angles : - les grandes firmes sont des organisations plus complexes à piloter, leur gestion requiert une plus grande expertise de la part des dirigeants. Des salaires plus élevés sont donc nécessaires pour attirer les meilleurs éléments. - les grandes firmes, qui ont accès à des ressources financières plus importantes que les PME, disposent de moyens supplémentaires pour rémunérer leurs dirigeants - enfin, les entreprises les plus grandes supposent une hiérarchie interne plus élaborée, favorisant ainsi la pratique de rémunération élevée Une étude du Conference Board en 1998 précise que ce n’est pas tant le salaire de base du dirigeant qui diffère selon la taille de l’entreprise, mais plus le pourcentage de bonis qui varie en fonction du chiffre d’affaires de l’entreprise. B – Stratégie des entreprises et rémunération La mise en œuvre d’une stratégie pour l’entreprise requiert des talents spécifiques et des comportements uniques afin d’assurer son succès. Dès lors, l’entreprise doit adopter des pratiques de rémunération cohérentes avec la stratégie à mener. Des auteurs comme Rajagopolan et Prescott (1990) ainsi que Rose et Shepard (1997) ont observé que les firmes fortement diversifiées ont tendance à offrir des salaires élevés, alors que les firmes peu diversifiées ont plutôt tendance à mener des politiques salariales moins concurrentielles et décentralisées. Il en ressort une relation positive entre la rémunération des hauts dirigeants et le degré de diversification de la firme dans laquelle ils oeuvrent. Page 13 sur 43 Salaire moyen des dirigeants Coefficient multiplicateur du salaire moyen de l’ensemble des travailleurs Aux Etats-Unis 120 Au Canada 36 Au Royaume-Uni 33 En Allemagne 31 Au Japon 16 Source : West Hawk Group, 1998 II – LES METHODES D’INDEXATION DE LA REMUNERATION DU DIRIGEANT AUX PERFORMANCES DE L’ENTREPRISE Les critères généralement retenus pour une indexation de la rémunération sur la performance de l’entreprise sont essentiellement des ratios comptables. Parmi ces ratios, les plus utilisés sont des ratios tels que le Résultat Net ou l’EBITDA. Si cette logique obéit en partie à une volonté de communication sur la base d’éléments simples (Résultat Net) et compréhensibles par le plus grand nombre, elle n’est pas sans provoquer des risques quand à une mesure objective de la performance de l’entreprise. Devant le risque lié au manque de fiabilité et de pertinence que l’on peut accorder à certains ratios, d’autres critères plus économiques ont fait leur apparition. Ainsi, il y a une quinzaine d’années, la littérature anglo-saxonne a popularisé et développé la mesure de la création de valeur (sous l’impulsion du Cabinet Stern, Stewart & Co) sous le terme d’EVA pour Economic Value Added. Si ces méthodes ne sont pas sans présenter quelques inconvénients, elles permettent une nouvelle réflexion sur le thème du Value Based Management (Management par la Valeur) en intégrant la notion de valeur résiduelle, mais en intégrant aussi d’autres concepts tels que celui du coût du capital. Le propos de ce chapitre va consister à analyser ces différentes méthodes de mesure de la performance financière en tenant comptes de leur avantages et inconvénients mais aussi des Page 14 sur 43 nouvelles approches qui pourraient être plus souvent intégrées dans le cadre de la Corporate Governance. Le but est d’évaluer de façon plus objective la contribution réelle des dirigeants dans la performance de l’entreprise concernée. 2.1 – Les indicateurs comptables de performance : usages et limites (Résultat net, Ebitda, ROI) Le Résultat Net Ce ratio est le plus utilisé pour des raisons de simplicité. Cette apparente simplicité en fait un élément de communication de la part des entreprises mais est aussi considéré comme un critère de performance par l’ensemble des intervenants : salariés, syndicats, presse spécialisée et même généraliste, mais aussi de la part des financiers (analystes financiers, économistes…) Il est donc l’enjeu de toutes les attentions, tant par les dirigeants qui en font un instrument de communication que par les syndicats qui n’hésitent pas à mettre en avant l’importance du Résultat réalisé pour remettre en cause des choix de la Direction (licenciements, délocalisation…). Le Résultat Net est pourtant un indicateur dont la pertinence peut-être considérée comme faible dans la mesure ou il peut facilement varier en fonction des objectifs de la direction. Il est ainsi fréquent de constater que les entreprises communiquent sur des résultats dopés. Les méthodes les plus courantes en la matière sont les suivantes : - Sous-évaluer ou parfois surévaluer les amortissements ou provisions. - Immobiliser des Charges. - Allonger la durée d’amortissement des survaleurs (des durées de 40 ans sont parfois observées), affecter une partie des survaleurs à des marques ou au fonds de commerce afin de na pas avoir à les amortir. - Maximiser les survaleurs. La société qui réalise l’acquisition fait constituer par la cible d’importantes provisions pour restructuration afin d’en diminuer la valeur comptable. - Faire remonter du résultat exceptionnel en résultat courrant. - Intégration de filiales en bonne santé. - Prise en compte des impôts différés. Page 15 sur 43 - Dégager des profits de dilution lors de l’entrée de minoritaires dans le capital d’une filiale, il est alors possible de profiter de la situation pour réévaluer la participation dans les comptes de la mère. De nombreux facteurs peuvent ainsi influencer le résultat net et la vision que l’on va avoir de la performance de l’entreprise, image de l’entreprise qui peut être très éloignée de la réalité, du moins à court terme. Le choix de l’indexation de la rémunération d’un dirigeant sur un seul critère et sur celui-ci en particulier risquerait de conduire à des décisions contraires à l’intérêt même des « stakeholders » à long terme. En effet, la durée d’exercice d’un dirigeant à son poste étant de plus en plus courte, celui-ci est naturellement porté à prendre des décisions permettant de maximiser à court terme le résultat, ou pire encore, à l’accroître par des artifices comptables sans réalité économique. Si cette évolution peut être reprochée aux Dirigeants, elle trouve aussi son origine dans l’influence des marchés financiers. Si on peut considérer cette influence comme globalement saine, elle conduit parfois à des dérives liées à la pression des analystes. Les entreprises ont ainsi longtemps publié des résultats annuels puis semestriels, ils sont aujourd’hui trimestriels pour les grandes entreprises. Cette pratique et cette pression constante des marchés est en contradiction totale avec la réalité des cycles d’investissement et de croissance d’une entreprise, condamnant ainsi celles-ci à une obligation de performance sous peine de sanctions. L’EBITDA L’EBE ou EBITDA correspond à la différence entre les produits et les charges du compte de résultat, liés à l’exploitation. C’est donc un des principaux voir le principal indicateur pour mesurer la performance de l’entreprise et notamment celle de l’exploitation. Il ne prend en compte que les éléments qui concernent l’exploitation et exclut donc les charges financières et les amortissements et la fiscalité. Page 16 sur 43 Nous avons d’ailleurs pu observer lors de la bulle Internet que les Dirigeants de sociétés, notamment ceux de VIVENDI UNIVERSAL ou de FRANCE TELECOM insistaient fortement sur la notion d’EBITDA. La raison principale, en dehors de l’effet de mode de cette terminologie anglo-saxonne, était liée au fait que cette notion permettait de présenter un aspect plus flatteur de la situation financière de leurs groupes respectifs, dans une période ou l’endettement desdites sociétés devenait colossal. Il était donc utile pour les Dirigeants de présenter non seulement des ratios qui éludaient une situation financière préoccupante en ne prenant pas en compte la charge d’intérêts, mais aussi d’insister sur un critère qui pour nombre de ces Dirigeants influençait directement leur rémunération. On voit là le risque qu’il peut y avoir à insister sur un critère précis voir unique, sans prendre en compte certains paramètres primordiaux. Ceci a pu aboutir à des paradoxes dont les deux sociétés précitées ont étés victimes, à savoir une situation financière en apparence saine avec des marges d’exploitation en constante progression, mais parallèlement un endettement élevé absorbant l’essentiel voir la totalité de l’EBE en charges d’intérêt et d’amortissement, aboutissant aux conséquences que l’on sait. Le ROI (Return On Investment) Ce ratio est lui aussi souvent utilisé par la presse spécialisée qui présente régulièrement les taux de rentabilités des sociétés et des secteurs représentatifs. La progression de la cette rentabilité est censée refléter la pertinence de la gestion. Son interprétation est pourtant délicate et une indexation de la rémunération d’un dirigeant sur ce ratio serait peu réaliste, nous allons voir pour quelles raisons. Le ROI représente le taux de rentabilité des capitaux investis. Il s’agit avant tout d’un ratio comptable puisqu’il est basé sur le rapport entre le REX après impôts et la valeur comptable après amortissement des actifs. Il ne prend donc en compte que la valeur nette comptable des actifs ce qui peut conduire à minorer la valeur réelle des actifs à renouveler lorsque l’on se situe en fin de période d’amortissement. Page 17 sur 43 Ainsi, si nous prenons pour exemple la construction d’une usine dont on amorti les installations sur 8 ans, on peut arriver à un ROI qui ne présente pas une image fidèle de la réalité. Cet exemple calculé sur une durée de 8 ans ne reflète pas forcément la réalité, la durée de vie d’une usine étant supérieure à 8 ans, un amortissement sur 10 ou 12 ans peut s’avérer plus réaliste, cependant l’objectif est d’analyser les biais que peut entraîner un tel critère comptable. Années 1 2 3 4 5 6 7 8 Cash-flow 900 1100 1250 1420 1480 1600 1550 1520 10000 8750 7500 6250 5000 3750 2500 1250 1250 1250 1250 1250 1250 1250 1250 1250 Comptable en fin 8750 7500 6250 5000 3750 2500 1250 0 Valeur Comptable en début d'année Amortissements Valeur de période Bénéfice -350 -150 0 170 230 350 300 270 ROI -3,5% -1,7% 0,0% 2,7% 4,6% 9,3% 12,0% 21,6% On remarquera dans ce schéma l’incidence que peut jouer l’amortissement dans l’appréciation du ROI. En année 1, nous avons un ROI négatif avec des actifs représentés à leur valeur comptable initiale et donc maximum. Au fur et à mesure de la montée en puissance des résultats, le ROI devient positif aidé par l’amortissement progressif de l’actif. Durant les dernières années, on peut observer que le ROI continue de s’améliorer malgré la baisse des résultats grâce à la constante diminution de la valeur comptable des actifs, pour arriver à des actifs totalement amortis. Page 18 sur 43 La valeur de fin de période qui présente un ROI de 21,6% n’est pas représentative de la réalité, c’est aussi le cas du ROI de début de période qui présente un ROI de - 3,5%. La réalité est plutôt entre les deux avec un résultat médian autour de 3 à 4% sur la base d’une valeur d’actif moyenne de la moitié de l’investissement initial soit 5000. Une mesure comptable de la rentabilité aura tendance à sous-estimer la rentabilité d’un nouveau projet et de surestimer la rentabilité d’un projet plus ancien. Une indexation de la rémunération sur ce ratio pourrait avoir comme conséquence de récompenser une performance apparente et fictive lorsque les actifs sont en fin de période et pratiquement totalement amortis. Le ROCE (Return on Capital Employed / Rendement des capitaux engagés) Le ROCE est très régulièrement utilisé par les analystes financiers lors des analyses de société. En dehors de son utilité immédiate en terme de mesure du rendement des capitaux investis dans l’entreprise, il permet aussi de calculer l’EVA, il s’agit donc d’une étape essentielle de la mesure de création de valeur. Les capitaux employés peuvent être approchés de deux façons : - soit en partant des Immobilisations nettes auxquelles on ajoute le fonds de roulement. - Soit en partant des capitaux propres auxquels on ajoute les primes d’émission en valeur brute cumulées + provisions et quasi fonds propres + dettes financières nettes des créances de trésorerie. Le ROCE est calculé en divisant un critère de rentabilité (NOPAT / EBIT / REMIC) par le montant des capitaux engagés. Certains parlent de NOPAT (Résultat d’exploitation – Impôt théorique, i.e REX * (1 – Tx IS)), d’autres d’EBIT (Earnings before Interests & taxes) ou encore de REMIC (Résultat d’Exploitation Minoré de l’Impôt Corrigé). Ce résultat est alors divisé par les capitaux engagés pour obtenir le ROCE. Cette approche a le mérite d’évaluer l’ensemble des capitaux utilisés pour réaliser le résultat. Dans le cadre de son utilisation comme outil de référence pour la mesure de la performance Page 19 sur 43 de l’équipe dirigeante, il peut lui aussi être soumis à certains biais et ne pas rendre compte totalement de la réalité économique. En effet, le NOPAT est un ratio après amortissements, il est donc largement impacté par les choix de l’équipe dirigeante en matière de politique d’amortissement et de provisions. La rentabilité obtenue est donc susceptible de varier dans des proportions pouvant ^tre importantes selon la stratégie définie par la direction. Il deviendra donc difficile de comparer objectivement des sociétés du même secteur du fait des choix effectués en matière d’amortissement, de provisions... 2.2 – Les indicateurs économiques de performance : une vue efficiente ? (VAN, EVA, MVA, …) Les critères comptables reflètent par nature une performance ou une rentabilité passée, un historique. La connaissance de l’historique d’une entreprise est certes fondamentale mais ne permet pas d’anticiper le maintien ou non de cette performance dans l’avenir. Ainsi, d’autres méthodes sont utilisées afin de donner une vision à la fois plus réaliste mais aussi plus lisible de l’avenir et du potentiel de la structure. Les méthodes permettant de mesurer la création de valeur se sont largement développées depuis une quinzaine d’années, et plus particulièrement aux Etats-Unis. Cette nouvelle approche correspondait à une volonté de mettre en place des instruments de mesure de la richesse réelle créée par l’entreprise, et ce à côté des ratios comptables habituels. Ces méthodes ont pour objectif de proposer une mesure de la création de richesse pour les actionnaires mais aussi de mettre en place un processus efficace pour la gestion de l’entreprise. Les principaux indicateurs utilisés sont : . la DCF prônée par LEK (A.Rappaport) . le CFROI développé par Holt . l’EVA et la MVA par Stern Stewart & Co. Page 20 sur 43 L’EVA Une activité créée de la valeur lorsqu’elle permet de couvrir le coût du capital. Le calcul de l’EVA répond à la question suivante : reste-t-il du bénéfice après déduction du coût du capital ? Le concept est ancien mais le terme de l’EVA a été utilisé par la société de conseil SternStewart qui a beaucoup fait pour le populariser, mettre en oeuvre et développer cette notion de revenu résiduel. EVA = C.I * ( r C.I – CMPC) Le Capital Investi étant : Immo nettes + BFR +D Le rendement du capital étant calculé à partir de l’EBIT ou NOPAT (RE hors Impôts et Ch. Fi – Impôt Théorique). Il s’agit du ROCE soit NOPAT/CI. EVA = (NOPAT/CI) – CMPC EVA = ROCE – CMPC Il y a création de valeur lorsque le rendement des Capitaux engagés (ROCE= NOPAT / CI) est supérieur au coût du capital. Avantages de l’EVA Le profit économique et les autres mesures du revenu résiduel sont clairement meilleurs que les résultats comptables pour mesurer la performance. L’EVA permet de souligner les éléments de l’activité qui ne fonctionnent pas de manière optimale. L’EVA rend le coût du capital visible pour les décideurs opérationnels. Il est ainsi possible d’augmenter l’EVA en augmentant le résultat ou en réduisant le capital employé. Le BFR peut ainsi être diminué ou évité d’être augmenté. L’EVA prend en compte le Résultat après impôts, donc la dotation aux amortissements traduisant l’usure du capital productif qui représente bien un coût même si ce coût ne génère pas de flux immédiat. Page 21 sur 43 Les Limites de l’EVA Le calcul de l’EVA présente certaines limites : - Tout d’abord, le calcul de l’EVA s’effectuant à partir de l’excédent net d’exploitation, il ne prend pas en compte les éléments financiers (charge financière liée à l’endettement), ni les éléments exceptionnels tels que l’amortissement des survaleurs. Les grandes opérations coûteuses en endettement et à goodwill important peuvent ainsi être moins pénalisées. - Le calcul du coût du capital, indispensable au calcul de la création de valeur, intègre une prime de risque qui rémunère déjà l’engagement des actionnaires. Si il y a création de valeur lorsque le rendement des capitaux investis est supérieur au coût du capital, on peut considérer que lorsque ce rendement est positif il s’agit d’un superprofit puisqu’il y a excédent de bénéfice sur le coût du capital qui rémunère déjà l’actionnaire. - La perception de la création de valeur comme le résultat de la compétence du management peut être très limitative en terme d’approche et présente le risque que ce ratio devienne déterminant pour le management dans la prise de décision, et ce notamment en cas de rémunération liée à ce mode de calcul. - En effet dans le cadre d’un investissement dans un projet rentable, l’EVA ne sera pas immédiatement affectée alors que la valeur réelle de l’entreprise augmente. Dès que les fonds inhérents au projet sont levés et les coûts supportés, l’EVA devient souvent négative. Elle ne redevient positive que lorsque le projet génère réellement sont plein rendement sur les capitaux investis (NOPAT). L’actualisation des EVA attendues (MVA) permet une meilleure estimation. La prise en compte de l’EVA comme outil de décision conduit à privilégier le Court terme au détriment du futur et de la croissance. - Une meilleure performance apparente risque d’être recherchée par des investissements générant rapidement du profit ou présentant une meilleure performance apparente en diminuant le capital investi. Page 22 sur 43 - Ce ratio pouvant être utilisé à court terme comme indicateur de prise de décision, le concept présente alors sa vulnérabilité et peut ainsi se révéler porteur de limites aussi rédhibitoires que celles évoquées précédemment telles que le Résultat Net… - Une approche court-termiste liée au suivi à la lettre de ce ratio risque de conduire lors des choix stratégiques, des choix de politique de rémunération et jusque dans la conception même de l’entreprise, à un résultat contraire à celui escompté en terme de valeur d’entreprise. Par exemple, JVC a travaillé 20 ans sur le magnétoscope avant de lancer son produit. Une entreprise étant constituée de la valeur de ses projets et des résultats qu’elle peut attendre à un horizon le plus lointain et le plus certain possible, une succession de décisions visant à valoriser l’entreprise à court terme est une négation de la vision stratégique que se doit d’avoir tout dirigeant. A l’extrême, elle peut conduire à remettre en cause la pérennité de l’entreprise. Créer de la valeur consiste à prendre des décisions stratégiques susceptibles de déboucher sur des avantages compétitifs réels et durables. - Les choix stratégiques inspirés de la notion de création de valeur sont bien souvent axés sur la notion de réduction des coûts. Si ces choix peuvent s’avérer positifs, ils peuvent conduire à une réduction de dépenses pourtant nécessaires telles que la R&D, dépenses qui constituent la valeur et l’avenir de l’entreprise. L’EVA n’apparaît donc pas comme un indicateur pertinent de la création de valeur contrairement à la MVA. Un argument en faveur de l’EVA peut cependant être avancé puisque une corrélation positive existe entre l’EVA et le cours de bourse, l’EVA expliquerait 55% de l’évolution des cours des actions selon une étude de Merril Lynch. Page 23 sur 43 La MVA D’un point de vue financier, la MVA est la valeur présente des EVA futures. L’EVA représente le profit économique généré par l’Entreprise sur une période t-1 à t, la MVA étant obtenue en actualisant la chronique des EVA espérées dans le futur au coût du capital. C’est le profit économique anticipé et actualisé sur l’ensemble des périodes à venir. La MVA est égale au Goodwill de l’entreprise. La variation de la MVA constitue donc une mesure théorique exacte de la création de valeur alors que l’EVA est une mesure erronée. - Les entreprises créatrices de valeur sont celles qui ont su développer une approche sur le long terme en favorisant le développement d’avantages compétitifs : des entreprises telles COCA-COLA ou GILETTE ont pendant de longues années servi de modèles et fait l’objet pour cette raison du suivi attentif d’un investisseur reconnu tel que Warren BUFFET. - Un des objectifs de la création de valeur est de faire en sorte que les managers se comportent comme des actionnaires. Sur ce point, il est logique qu’une part importante de leur rémunération soit liée à la création de valeur. Il est concevable, au plus haut niveau de l’entreprise, d’établir un lien entre la croissance de la valeur actionnariale et celle de la rémunération. En descendant dans la pyramide, les critères d’appréciation liés à des éléments sur lesquels les salariés ont une maîtrise remplacent progressivement les critères quantitatifs. Il pourra s’agir d’indicateurs non financiers identifiés dans le tableau de bord de l’entreprise. La VAN (Valeur Actuelle Nette) ou VNP (Valeur Nette Présente) La VAN est plus généralement utilisée dans le cas d’un investissement pour en mesurer la rentabilité. Le calcul de la VAN s’effectue en déduisant la mise de fonds initiale de la séquence de flux de trésorerie attendue, sommée algébriquement et actualisée au CMPC (Coût Moyen Pondéré du Capital). Page 24 sur 43 VAN = - Flux 0 + F1 + F2 + F3 + ... + Fn (1+r) (1+r)2 (1+r)3 (1+r)n Un investissement pourra être retenu à partir du moment ou sa VAN est au minimum positive, l’investissement à retenir sera celui offrant la VAN la plus élevée. Le Taux de rendement interne du projet (TRI) sera celui qui annule la VAN. La VAN offre un intérêt non négligeable dans le cadre de la mise en place de mesures de rémunérations liées à la création de valeur. D’une part, son mode de calcul est plus simple que d’autres critères tels que la MVA, d’autre part son approche est certainement plus juste. La VAN se calcule à partir du Free Cash flow, qui correspond à la différence entre l’EBIT (l‘EBE – Dot. am – IS théorique) et la variation des Immo. Nettes, du BFR et des Dettes) soit la formulation suivante : Flux = ((EBE – Dot. Am)*(1-IS théorique)) – Var. (Immo Nettes + BFR + Dettes) (1+CMPC)t Si la MVA est égale au GOODWILL, la variation de la MVA induite par un investissement est égale à sa VAN. Dans l’optique d’une indexation de la rémunération du Management sur la performance financière, l’évolution qui devra être surveillée ne sera pas l’EVA en tant que telle mais la variation de la MVA d’une année sur l’autre. C’est la croissance régulière de la MVA qui sera réellement synonyme de création de valeur, et la variation de la MVA n’est autre que la VAN. Ceci peut amener à penser que le calcul de la MVA ne se justifie pas par rapport à un classique calcul de VAN qu’il est plus simple d’effectuer. En effet la mise en œuvre du calcul de la MVA est délicate puisqu’elle nécessite de connaître non seulement la chronique des flux mais également celle des capitaux investis. Or, connaître le montant des capitaux investis avec Page 25 sur 43 plusieurs années d’avance est difficile sauf à être dans le cas d’une entreprise à croissance 0 ou très faible ou régulière. Par ailleurs, le calcul de la MVA nécessitant de partir de l’EVA, le risque de se focaliser sur cet indicateur ne peut être écarté. Lorsqu’une entreprise réfléchit à la justification d’un investissement ou d’une acquisition très rentable au regard de la VAN, l’EVA n’est pas affectée tant que l’investissement n’a pas été réalisé alors qu’intrinsèquement la rentabilité future du projet devrait permettre d’en augmenter la valeur. De même, lorsque l’investissement ou l’acquisition est effectivement réalisé, la VAN n’est pas modifiée alors que l’EVA devient fortement négative du fait de l’investissement réalisé et des revenus (EBIT encore faibles. Ce n’est que lorsque l’EBIT devient réellement élevé que l’EVA devient positive. Alors que la VAN permet de connaître d’entrée la création de valeur d’un projet sur toute la période, l’EVA va conserver une vision de court terme sauf en actualisant toutes la chronique des EVA futures. On obtient ainsi une création de valeur qui est juste sur l’ensemble de la période mais erronée à court terme. Le principe de l’EVA en tant qu’indicateur de création de valeur étant erroné et nécessitant le calcul complet de la séquence des EVA futures pour obtenir la MVA, il semble plus pratique de calculer la VAN pour connaître immédiatement la création de valeur sur l’ensemble de la période. Les biais pouvant affecter l’EVA et donc la MVA sont plus nombreux que ceux concernant la VAN. L’indexation de la rémunération des Managers sur la VAN offre l’avantage de ne pas donner de résultats intermédiaires (EVA) et présente donc moins de tentations d’orienter la stratégie vers des décisions et une vision de court terme. Cette approche semble donc plus proche de ce que l’on peut attendre d’une équipe de Direction dans l’approche. Page 26 sur 43 2.3 – Les Indicateurs Boursiers de Performance : PER, Capitalisation Boursière, VE… En dehors des indicateurs de performance mentionnés précédemment, les plus utilisés par les analystes sont le PER (Price Earning Ratio), le BPA, la VE ou VE/EBITDA. La capitalisation boursière reste aussi un élément souvent utilisé comme critère de performance et indexation de la rémunération globale du dirigeant. Avec des marchés financiers réellement efficients, ces indicateurs devraient être le reflet de la réalité économique de l’entreprise et donc permettre une indexation de la rémunération des dirigeants qui soit le reflet de leur performance en terme de développement de l’entreprise. En effet si les ratios comptables ont pour inconvénient de ne donner qu’une idée du passé et de la situation actuelle, les marchés financiers ont pour vocation de valoriser les anticipations que l’on peut avoir du développement de l’entreprise. Les marchés financiers tendent donc à valoriser la qualité des anticipations du Management en place ou au contraire à la sanctionner, mais restent dépendant d’une vision essentiellement comptable de la structure financière en question. En effet, nous avons vu précédemment, de nombreux biais peuvent affecter les chiffres présentés et modifier la perception que nous avons de la réalité économique de l’entreprise, ce qui a pour conséquences de réduire la transparence de la structure financière. La latitude offerte par la réglementation comptable présente de trop nombreuses possibilités de faire varier les résultats en fonction de la stratégie et des objectifs du management ou des actionnaires, il est donc impératif de retraiter les chiffres selon des critères raisonnables. Ces retraitements ont pour objectif de rapprocher la réalité économique de l’entreprise tant pour effectuer des comparaisons entre sociétés d’un même secteur que pour juger de l’évolution réelle de la gestion de cette même entreprise sur longue période en excluant les éléments biaisant la réalité. Ceci est d’ailleurs valable pour une approche purement comptable, pour une approche liée aux ratios de performance boursière qui sont eux-mêmes tirés d’éléments comptables, et c’est aussi valable pour une approche par la création de valeur. En effet, les ratios de création de valeur tels que l’EVA ou la MVA intègrent eux-aussi des flux comptables. Page 27 sur 43 Le PER (Price Earning Ratio) La principale variable utilisée dans le calcul du PER est le résultat net. Ce ratio doit donc a priori être considéré avec prudence, il n’en demeure pas moins le plus regardé tant par la presse spécialisée que par les analystes financiers. Le PER se calcule en divisant le cours de l’action par le bénéfice par action (BPA) ou encore en divisant la Capitalisation Boursière par le Bénéfice Net : PER = Cours du Titre BPA PER = Capitalisation Boursière Bénéfice Net Ce ratio mesure donc le prix que les investisseurs sont prêts à payer pour 1 de résultat. En théorie, un PER élevé représente pour le marché une anticipation de croissance forte du bénéfice qui relativise son niveau à court terme. Plus la lisibilité du marché sur le titre est forte, plus la prime qu’acceptera de payer le marché sera élevée. Un niveau élevé peut aussi signifier un BPA en baisse sans que le cours du titre n’ait été réellement sanctionné, dans ce cas le marché juge cette baisse passagère. Si le PER en tant que ratio peut permettre de juger du niveau de prix d’un titre, avec les réserves évoquées plus haut, il ne peut être utilisé comme ration d’indexation d’une rémunération pour un Dirigeant. Cependant, un PER faible peut présenter un certain nombre de risques tant pour l’entreprise que pour le dirigeant. En effet, le niveau du PER est un élément marquant de la confiance des marchés financiers dans une entreprise et par le même dans son équipe de Direction. Page 28 sur 43 . Un PER faible (cette notion est relative et à comparer aux autres sociétés de son secteur) peut donc être le signe d’une confiance faible dans les perspectives de croissance future de l’entreprise et dans la capacité de son management à en assurer le développement. . Un PER faible (en comparaison des autres sociétés de son secteur) peut aussi présenter un risque important tant pour son dirigeant que pour son actionnariat lorsque le flottant est élevé. La société étant mois chère, elle est donc plus susceptible d’être l’objet d’une OPA qu’une société du même secteur mais bien valorisée par la confiance des marchés. Dans ce cas, un niveau de PER trop bas peut être un critère défavorable dans la détermination de la rémunération d’un dirigeant, sachant qu’il fait prendre un risque aux actionnaires de ladite société. Le concept de PER dans son approche est porteur de trop d’imperfections. Un ratio utilisant l’EBE par exemple avec Valeur/EBE serait déjà plus intéressant pour comparer les sociétés d’un secteur et serait moins critiquable en terme d’approche. L’une des composantes servant au calcul du PER, la capitalisation boursière, est parfois utilisée pour lier la rémunération du dirigent à son évolution. La Capitalisation Boursière La capitalisation boursière est représentée par le nombre de titres que multiplie le cours du titre en bourse. C’est donc la valeur de l’entreprise selon l’appréciation que peut en avoir le marché à l’instant « t ». Cette valorisation boursière est fonction d’un certain nombre de paramètres différents conjuguant d’une part l’historique disponible en terme comptable et managérial et d’autre part le degré de visibilité et de certitude quant à l’avenir de ladite société. - La connaissance de l’historique comptable et financier de la société. - La visibilité que l’on peut avoir dans les perspectives de croissance de l’entreprise et de son secteur. (Probabilité de réalisation des objectifs de croissance, …) - La confiance que l’on peut accorder au management et dans sa capacité à assurer la continuité du développement de l’entreprise : Page 29 sur 43 . en fonction de ses réalisations passées. . de son degré de fiabilité et de transparence dans l’explication de ses choix et de ses objectifs. . de la qualité de la communication et de l’information donnée (transparence pour le meilleur et pour le pire). La capitalisation boursière est donc une variable importante dans l’évaluation de la performance d’un Dirigeant mais elle ne doit pas être l’unique composante. Pour que ce critère puisse être retenu, il faudrait que l’efficience des marchés soit totale à tout moment. Hors cette efficience n’est pas réellement avérée et l’observation des cours permet d’apprécier les variations impressionnantes que peut subir un titre sur une période sans que pour autant de réels changements aient marqué la vie de la société. Si le critère de la Capitalisation Boursière peut se concevoir pour comparer des sociétés et des performances managériales dans un même secteur, il est plus difficile d’étendre cette conception à une comparaison sans distinction de secteur. Les cycles et les évolutions n’étant pas les mêmes entre les secteurs, il serait injuste de privilégier ou au contraire de pénaliser tel ou tel dirigeant sans faire la part de ce qui lui est imputable et de ce qui est imputable à des évolutions exogènes inévitables. . La volatilité des cours et donc de la capitalisation boursière est trop peu corrélée à la réalité de la performance de l’entreprise à court et moyen terme pour justifier la mise en place d’une incitation liée à cette évolution. Cela serait trop avantageux dans certains cas sans que la qualité du management soit réellement la raison de cette performance (années 1999-2000), et à contrario trop pénalisant lorsque malgré la performance du management et la qualité de la gestion la capitalisation boursière stagne voire baisse (par exemple des sociétés telles que Lafarge ou Essilor durant les années 2001 à 2003). . L’aspect aléatoire et volatile d’une approche par la capitalisation boursière peut entraîner de la part des Dirigeants des comportements destinés à en maximiser à court terme le niveau. Cela conduit à des comportements contraires à l’objectif qui doit être celui de tout management, c'est-à-dire une approche orientée vers une vision de long terme de nature à assurer la pérennité de la performance. Un autre critère fréquemment utilisé est la VE ou Valeur d’Entreprise. Page 30 sur 43 La VE (Valeur d’entreprise) La VE est des ratios les plus utilisés par les analystes financiers. Une des théories financières de Modigliani & Miller est qu’en prenant comme base de travail des marchés financiers parfaits, une absence de croissance et un horizon infini, la valeur d’une firme endettée est égale à la valeur d’une firme non endettée augmentée de la valeur actualisée des économies d’impôts réalisées sur la dette. Cette approche intéressante intègre dans son concept l’endettement comme levier ainsi qu’un aspect fiscal lié à la déductibilité des intérêts d’emprunt. Cependant, il peut paraître risqué d’asseoir une partie de la réussite d’un investissement par levier, à des économies liées à la déductibilité des charges et donc à un avantage fiscal qui peut ne pas être pérenne. De plus, si cette approche est intéressante dans certains cas, elle entretient l’illusion de la valeur de l’entreprise quel que soit le niveau d’endettement (FRANCE TELECOM, VIVENDI UNIVERSAL, ENRON…) et peut s’avérer largement trompeuse et de nature à justifier l’injustifiable. Le TSR (Total Shareholder Return) Ce critère a été mis en place par le BCG (Boston Consulting Group) et présente un méthode de calcule s’approchant de celle du TRI rapportée aux actions. La différence qui est d’ailleurs essentielle est que le TSR est basé sur un historique de performance depuis la date d’investissement alors que le TRI est une anticipation de la rentabilité sur la base de flux de trésorerie futurs. Le TSR peut se définir comme étant le taux de rentabilité interne qui égalise le prix d’achat d’une action dans le passé à la somme actualisée des dividendes reçus par la suite et au prix du marché aujourd’hui. TSR = d1 (1+t)1 + d2 + d3 + … + dn (1+t)2 (1+t)3 (1+t)n Page 31 sur 43 Si ce critère ne peut être utilisé comme seul mode d’indexation de la rémunération, il offre la possibilité de mesurer la performance réelle de l’investissement pour l’actionnaire sur une période donnée. Le TSR reste cependant un ratio qui ne prend en compte qu’une vision partielle de la performance de l’entreprise. - selon le moment auquel il est calculé dans le cycle de l’entreprise, on pourra avoir un rendement très différent. Si l’on prend l’exemple de valeurs cycliques telles que RENAULT ou PEUGEOT, le seul fait de décaler la période sur +/- 12 à 18 mois, même si la période globale de référence s’étend sur 5 ans, peut aboutir à des TSR variant de quasi 0% à plus de 100%. La performance sur le long terme n’est pas pour autant remise en cause mais peut être soumise à de fortes variations qui ne sont pas réellement imputables au Dirigeant. - La performance boursière d’une action n’est pas toujours le reflet exacte de la performance réelle de l’entreprise et des changements réellement mis en œuvre en interne. - Le rendement obtenu par le calcul du TSR n’est que le rendement d’une performance passée. - Il est difficile de dissocier la performance réalisée par la valeur intrinsèque de l’entreprise et de sa direction, de la performance due à une conjoncture générale plus ou moins favorable. Par exemple, le TSR calculé sur des valeurs technologiques sur une période de 1997 à 2000 aurait été très élevé, bénéficiant d’une envolée boursière sans distinction réelle de la qualité des entreprises sous-jacentes et de leurs dirigeants. Dans l’ensemble, les indicateurs boursiers peuvent difficilement être pris en compte dans le cadre de l’indexation d’une rémunération, soit parce que la base de calcul initiale provient d’éléments comptables sur lesquels le Management a une influence décisive, soit parce qu’ils sont soumis à des évolutions de marché conjoncturelles ou cycliques sans lien direct avec la performance intrinsèque de la direction. Page 32 sur 43 Dans ce cas, pour approfondir ce phénomène, il conviendrait de déterminer quelle est la part de chance (évolution du marché, de la conjoncture) dans la performance de l’entreprise et la responsabilité du management dans la performance de l’entreprise par rapport aux facteurs généraux d’évolutions et de performance du marché. Des études ont d’ailleurs étés effectués sur le sujet. Retenir des critères boursiers risquerait de pénaliser ou au contraire de favoriser des dirigeants pour une performance strictement boursière dont ils ne sont pas responsables. Page 33 sur 43 III – Eléments de l’analyse extra-financière : des critères de performance pour le dirigeant d’entreprise L’économie dans son ensemble est aujourd’hui confrontée à un certain nombre d’enjeux fondamentaux, comme par exemple le changement climatique. Les entreprises, pour leur part, doivent faire face à de nouveaux défis qui induisent de nouveaux risques et de nouvelles opportunités. La capacité des entreprises à anticiper et à répondre aux changements qui s’opèrent devient fondamentale et requiert, pour être évaluée, la mise en œuvre de nouveaux outils d’analyse. Nous intitulerons sous le terme d’analyse extra-financière l’analyse qui porte sur des aspects complémentaires à ceux de l’analyse financière traditionnelle, principalement en matière de gouvernance, de responsabilité sociale et environnementale. La gouvernance d’entreprise a pris récemment une grande importance dans les préoccupations des hommes politiques, des investisseurs institutionnels, des entreprises, et du monde économique dans son ensemble. Quels impacts réels peut on prévoir des nouvelles dispositions sur la performance dans la gestion entreprises par les dirigeants ? Aujourd’hui, le développement durable est de mieux en mieux pris en compte par les entreprises, parce qu’il est moins considéré comme une nouvelle forme de management de l’image et plus comme un moyen de mieux gérer l’activité de l’entreprise. Le développement durable est il facteur de création de valeur économique ? peut il être évalué en termes de critères de performance ? 1/ La Corporate governance A – Origine et définition de la corporate governance Berle et Means (1932) ont été les premiers auteurs à s’intéresser au problème de la gouvernance qui est né du démembrement de la fonction de propriété : en une fonction de contrôle exercée par les actionnaires ; et en une fonction décisionnelle exercée par les dirigeants. Page 34 sur 43 La crise de 1929 a révélé un certain nombre de défaillances des systèmes de contrôle chargés de discipliner les principaux dirigeants, et donnera suite au renforcement de la réglementation boursière aux Etats-Unis et à la création de la Securities and Exchange Commision, chargée de protégée les investisseurs financiers. La gouvernance s’inscrit dans une perspective de contrôle des dirigeants et de définition disciplinaire des « règles du jeu managérial». La gouvernance d’entreprise concerne les relations entre les dirigeants des entreprises et l’ensemble des parties concernées par les décisions et actions menées par ces dirigeants au nom des entités dont ils sont les mandataires. Au sens strict, les parties concernées sont les actionnaires. Mais au sens large, la gouvernance d’entreprise concerne d’autres « détenteurs d’enjeux », en premier salariés, prêteurs, clients et fournisseurs, et, d’une manière plus indirecte, les différentes personnes et collectifs concernés par les activités de l’entreprise (Etat et collectivités locales, associations de défense de l’environnement…). B – Les récents développement sur la corporate governance Les rapports VIENOT (1995 et 1999) et BOUTON (2002) sont à l’origine des nouvelles recommandations en matière de gouvernement d’entreprise. Outre les recommandations sur le choix, le rôle et le fonctionnement du conseil d’administration, les nouveaux travaux préconisent la mise en place d’un certain nombre de comités (comité des comptes, comité de sélection ou des nominations…). Nous nous intéresserons au comité des rémunérations qui recommande particulièrement de publier dans le rapport de gestion la rémunération totale et les avantages de toute nature versés, durant l’exercice, à chaque mandataire social (Président, Directeur général ou Directeurs généraux délégués) par la société ou l’une des sociétés du groupe. Ainsi, une information complète est donnée aux actionnaires sur le coût global de la direction générale ainsi que sur la politique de rémunération appliquée. Page 35 sur 43 Concernant la part variable, le comité des rémunérations doit procéder à la définition de ses règles de fixation, en veillant à la cohérence de ces règles avec l’évaluation faite annuellement des performances des mandataires sociaux et avec la stratégie à moyen terme de l’entreprise ; il doit ensuite contrôler l’application annuelle de ces règles. Les stocks options, qui permettent d’accroître considérablement la rémunération sans trop affecter le résultat de l’entreprise et sans trop attirer l’attention, doivent désormais figurer dans le rapport annuel des sociétés cotées, et constituent même un chapitre qui doit décrire la politique d’attribution des options à l’ensemble des bénéficiaires et exposer de manière séparée. La loi NRE, les rapports VIENOT et BOUTON en France, et la loi Sarbannes-Oxley aux Etats-Unis ont pour ambition de normaliser les relations entre le principal et l’agent ou les agents (théorie de l’agence), afin de pérenniser l’entreprise. Ces nouvelles recommandations, qui visent à améliorer ………….. 2/ Le développement durable : influence sur la rémunération du dirigeant ? Aujourd’hui, de plus en plus d’entreprises s’engagent dans une démarche sociétale. Cette démarche, si elle s’inscrit dans une stratégie de pérennité de la firme, rencontre des difficultés quant à sa mesure de performance. Quel pourrait l’intérêt de prendre en considération les principes du développement durable dans la détermination de la rémunération des dirigeants d’entreprises ? Pour tenter de répondre à cette question, il faut d’abord s’interroger sur l’origine et la pertinence de la prise en compte des critères du développement durable dans le pilotage et la performance de l’entreprise. Revenons d’abord à l’origine du concept avant de définir les notions de responsabilité sociétale et de performance sociétale. Page 36 sur 43 A – Problématique du développement durable Le développement durable n’est pas un concept nouveau : « le développement durable répond aux besoins des générations présentes sans compromettre la capacité des générations futures à répondre aux leurs » Rapport Bruntland (1er ministre norvégien) – 1987. C’est au milieu des années 1960 que le nombre de doléances sociétales à l’encontre des entreprises (émanant des syndicats, des consommateurs…) a fortement progressé. Ce qui a amené, dans les années 1970, des experts à s’inquiéter du fait que la croissance économique avait un impact négatif sur l’environnement, et qu’elle pouvait à terme hypothéquer les conditions de vie sur la planète. On a progressivement exigé de la part des firmes une internalisation croissante des coûts sociaux et environnementaux. Le développement durable a alors été défini comme une alternative destinée à préserver l’avenir. Pour les entreprises, le développement durable (sustainability en anglais) supposent qu’elles se développent en s’appuyant sur 3 piliers : social, environnemental et économique. B – La responsabilité sociétale des entreprises La vision classique de la firme confie aux dirigeants le rôle de maximiser la valeur de l’entreprise, en d’autres termes la richesse des actionnaires. Or les bases d’un tel système économique ne suffisent parfois plus à maximiser le bien-être collectif dès lors que des externalités négatives apparaissent (Arrow – 1973). Ces externalités correspondent aux situations où les dirigeants ne supportent pas l’ensemble des coûts consécutifs à leurs actions (pollution de l’eau ou de l’air par exemple). On peut considérer que les problèmes engendrés par les activités de production industrielle sont le domaine de prédilection de l’Etat ; ou plutôt que l’entreprise ne peut rester à l’écart de ces questions de société, si tant est qu’elle souhaite pérenniser sa légitimité et son objet (Davis – 1973). Page 37 sur 43 Le concept de responsabilité sociétale a évolué avec le temps et les auteurs. Bowen, en 1953, définissait la responsabilité sociétale des dirigeants comme une série d’obligations entraînant une série de politiques, de décisions et de lignes de conduite compatibles avec les objectifs et valeurs de la société. Plus tard, en 1971, le CED (Committee for Economic Development) fait référence à 3 cercles concentriques : - le 1er comprend les responsabilités de base pour l’accomplissement des fonctions essentielles de l’entreprise, relatives à la production, à l’emploi et à la croissance économique, - le 2ème englobe le 1er cercle avec une sensibilité aux évolutions de la société et de ses attentes (protection de l’environnement, relations sociales, information des consommateurs), - le 3ème tient compte de l’exercice de responsabilités émergentes, servant à améliorer l’environnement (par exemple des créations ciblées d’emplois au profit de populations particulièrement défavorisées). Enfin, Sethi (1975) et Epstein (1987) étendent la notion de responsabilité sociétale à celle de performance sociétale, et font référence à la théorie des parties prenantes, stipulant que leur satisfaction est une condition sine qua non de la réussite organisationnelle. C– La performance sociétale Caroll, en 1979, est l’un des 1ers auteurs à avoir conceptualiser la notion de performance sociétale en la définissant selon 3 dimensions : - la responsabilité sociétale : rentabilité économique – respect des obligations légales – comportement éthique - la sensibilité sociétale : prise en compte des doléances sociétales (refus, contestation, adaptation, proaction ou anticipation) Page 38 sur 43 - les domaines dans lesquels la responsabilité de l’entreprise s’exerce (questions environnementale, sociales, actionnariales, ou encore de qualité et de sécurité des produits Wood, en 1991, considère qu’il n’existe pas de théorie permettant d’appréhender la performance sociétale, et préfère relier cette notion à l’émanation d’une configuration organisationnelle représentée par un assemblage de principes, de processus internes et de conséquences observables. Les travaux de Clarkson, en 1995, aboutissent au constat que les entreprises gèrent bien leurs relations avec leurs principales parties prenantes (salariés, actionnaires, clients, fournisseurs…), mais n’intègrent pas dans leur démarche des questions sociales plus générales. A ce stade, on comprend que la qualité de la gestion partenariale peut être appréciée en fonction des indicateurs renseignant sur le niveau de satisfaction des principales parties prenantes. Mais comment relier la notion de satisfaction à celle de performance ? Enfin, Reynaud définit la performance globale des firmes comme la réunion de 3 niveaux de performance : - la performance économique : intégration des fonds éthiques et accès au marché des capitaux, - la performance environnementale : diminution de la pollution, sécurité des installations, sécurité des produits, épuisement des ressources, - la performance sociale : égalité de traitement, bonnes conditions de travail, respect des droits de l’homme. Si la performance économique est le souci constant des dirigeants d’entreprises, la performance environnementale permettra de diminuer les coûts directs (gaspillage), les risques d’accidents et juridiques, d’améliorer l’image dans l’optique de conquérir des parts de marché, en favorisera l’opportunité de création de nouveaux produits. La performance sociale permettra de diminuer la probabilité d’occurrence d’événements spectaculaires (grèves, boycotts), d’augmenter la motivation des employés et de faciliter le recrutement des cadres. Page 39 sur 43 A ce jour, aucune étude n’atteste d’une convergence entre ces différents types de performance, ce qui rend difficile la maximisation de la performance globale de l’entreprise selon ces critères. D – Le développement durable : une création de valeur dans la durée ? En France, la loi NRE (15/05/01) impose depuis 2003 à toutes les entreprises cotées un reporting environnemental et social. Si certains acteurs économiques vivent encore aujourd’hui le développement durable comme un contrainte, d’autres sont convaincus que de telles stratégies peuvent nourrir la performance économique des entreprises. Pour Lafarge, « la performance ne peut être durable que si elle associe rentabilité économique, écoute et amélioration de notre société, et qualité de notre environnement ». Ce qui s’est traduit, chez le cimentier, par l’intégration du développement durable dans ses programmes de performance : chaque branche est invitée à améliorer la productivité des ressources naturelles, à employer des matériaux recyclés et des combustibles de substitution, et à réduire ses émissions. Dans un autre secteur, Danone a fait le choix d’intégrer dans l’évaluation des performances de ses managers l’application de la politique de responsabilité sociale et environnementale de l’entreprise. Toutefois, les différents travaux qui ont pu être menés sur le sujet ne permettent pas de conclure de manière définitive à l’existence d’un lien entre performance sociétale et performance financière, d’autant que les stratégies de développement durable sont par nature des stratégies de long terme et que le recul est encore limité aujourd’hui. Aucun lien négatif n’a cependant été mis en évidence. Il y a plutôt une forte présomption de superformance sur le moyen terme et de moindre volatilité car il y a plus de visibilité. Le développement durable peut avoir un impact risque et un impact opportunité sur l’entreprise. Un impact risque car une société qui contrôle mieux ses risques aura moins de provisions et maîtrisera mieux ses coûts. Un impact opportunité car une société réputée pour Page 40 sur 43 bien traiter ses salariés, es fournisseurs et ses clients gardera plus facilement ses clients en cas de crise ou de boycott. La première mission du dirigeant est d’assurer la pérennité de son entreprise en développant une activité rentable et en maximisant la réduction des risques. Et le principe du développement durable est précisément de limiter et de maîtriser les risques à long terme. Il est facile de comprendre qu’une entreprise qui entretient de bonnes relations avec ses salariés et qui s’intègre bien dans son environnement, élimine d’emblée un grand nombre de risques qui peuvent peser sur sa valorisation. Le développement durable vient introduire une nouvelle référence multi-critères de performance de l’entreprise dite de triple bottom line, c’est à dire après examen de la performance sociale, environnementale et financière. Page 41 sur 43 Conclusion L’observation des pratiques en matière de rémunération des dirigeants d’entreprises montre une forte indexation à des critères financiers : EBITDA, résultat net, ROI/ROCE… Les limites de la prise en compte de ces seuls critères pour évaluer la performance de l’entreprise, et donc du dirigeant, ont pu être démontrés. Les critères de performance utilisés sont essentiellement basés sur des éléments comptables, sujet à manipulation, qui ne s’inscrivent que dans une vision court terme. Si la prise en compte des critères financiers est indispensable à la mesure de performance financière de l’entreprise, d’autres critères doivent être considérés pour assurer la pérennité de l’entreprise. La mise en place d’une politique de développement durable conduit à une meilleure gestion des ressources, des risques et à un management plus responsable. Elle favorise l’attractivité d’une entreprise en termes de recrutement et de réputation. La réussite économique de l’entreprise dépend de 2 axes : la création de valeur pour l’actionnaire et pour les parties prenantes. Une entreprise, qui vend des produits détruisant de la valeur pour une ou plusieurs parties prenantes tout en créant de la valeur pour l’actionnaire, présente des risques cachés. De même, une entreprise dont l’activité entraîne une perte de valeur pour l’actionnaire mais une satisfaction pour les parties prenantes n’est pas viable. Il faut donc créer de la valeur simultanément pour ces 2 publics. D’où la nécessité de prendre en compte dans l’évaluation de la performance du dirigeant, et donc dans la détermination de sa rémunération, des critères d’ordre financier et sociétal. Le changement du rôle de l’entreprise, la prise en compte des externalités et la contrainte de préservation des ressources naturelles créent de nouveaux facteurs de pérennité de l’entreprise moderne. L’étude d’un modèle multicritères économique, social et environnemental pour l‘évaluation de la performance globale de l’entreprise, et donc pour la détermination de la rémunération du dirigeant, constitue un nouvel enjeu qui favorisera la « réconciliation » avec les parties prenantes. Page 42 sur 43 Bibliographie Banque et Finance N°1 de mai/juin 2004 Banque et Finance N°2 de juillet/août 2004 « L’intégration des dimensions sociétales dans le pilotage de la performance de l’entreprise : problématiques et conjectures » – Colloque sur la responsabilité globale de l’entreprise – octobre 2003 – Christophe Germain et Stéphane Trébucq Problèmes économiques N° 2854 du 23/06/2004 : « Peut on parler d’une entreprise européenne ? » « Le gouvernement d’entreprise des sociétés cotées » publication de l’AFEP et du MEDEF – octobre 2003 Principes de gestion financière – R. Brealey et S. Myers – 7ème édition Les décisions financières de l’entreprise - Méthodes et application – Portait, Charlety, Dubois et Noubel Page 43 sur 43