le scénario - ACAP Cinéma

Transcription

le scénario - ACAP Cinéma
AU LYCÉE
Lycéens et apprentis au cinéma
Auteur
Emilie Lamoine
Date
2015
Descriptif
LE SCÉNARIO
Synthèse de la formation thématique sur « Le scénario » par Emilie Lamoine, cinéaste et scénariste, ayant eu lieu le mardi 3
février 2015 au lycée Pierre de la Ramée à Saint-Quentin.
Après une présentation théorique de la narration au cinéma et de l'écriture de scénario, nous avons travaillé en
petits groupes à l'écriture d'un scénario de court métrage inspiré d’un fait divers.
I. LA NARRATION
1- Diégèse, récit et narration
a. La diégèse :
L’histoire est le contenu narratif, ce qui est raconté. Le terme de diégèse désigne l’histoire et ses pourtours, comme
pseudo-monde, l’univers fictif qu’elle présuppose et qui lui est associé. On parle, par exemple, de musique diégétique,
c’est-à-dire qui appartient à l’histoire (ex : entendue à la radio par un personnage), en opposition à la musique de fosse
(non « visible » à l’écran). L’histoire et la diégèse concernent donc la partie non spécifiquement filmique du récit. L’autre
partie est ce qui concerne l’expression, qui est propre au médium : un assemblage d’images spécifiques, de mots (écrits
ou parlés), de bruit, de musique – la matérialité du film.
b. Le récit :
Le lieu de rencontre du contenu et de l’expression, c’est le récit, l’énoncé dans sa matérialité. Raconter une histoire, c’est
la mettre en récit (synopsis, scénario). Et, puisque toutes les histoires ont déjà été racontées, c’est la manière dont elles
sont racontées qui importe.
Le récit filmique est un énoncé qui se présente comme un discours, ses éléments sont donc organisés et mis en ordre
selon plusieurs exigences : chronologie ou non, récit transparent ou qui se signale en tant que tel, effets narratifs (suspens,
surprise, apaisement temporaire…).
c. La narration :
La narration est à la fois l’acte de narrer et la situation dans laquelle s‘inscrit cet acte. Dans certains cas, l’instance
narrative fictive peut être interne à l’histoire et explicitement assumée par un ou plusieurs personnages ou déléguée à un
narrateur. Ce narrateur peut être extra-diégétique, un commentateur extérieur, avec une voix identifiable ou non. Il peut se
situer à la lisière de la diégèse, sans intervenir directement dans le déroulement de l’histoire, ou bien appartenir à
l’environnement diégétique :
→ « La splendeur des Amberson » (1942) de Orson Welles : la voix du commentaire peut être tenue par un voisin, un
habitant de la ville.
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Dans la diégèse, le personnage-narrateur :
→ « Sunset Boulevard » (1950) de Billy Wilder : le héros est le personnage narrateur pour l’ensemble du film.
Le narrateur fondamental peut déléguer ses pouvoirs à un ou plusieurs personnages :
→ « Citizen Kane » (1940) de Orson Welles : film d’enquête et de témoignages.
Plusieurs personnages-narrateurs :
→ « Rashomon » (1950) de Kurosawa : le même événement est raconté successivement par trois personnages différents,
qui en ont tous une version différente.
Le personnage narrateur est doté d’une voix chargée d’accompagner l’histoire narrée. Le personnage est diégétique mais
la voix ne l’est pas tout à fait car on ne montre pas le narrateur dans l’acte de raconter (fonction d’adresse au spectateur).
2- Rapports entre le récit et l’histoire / ordre, durée et mode
a. L’ordre :
L’ordre comprend les différences entre le déroulement du récit et celui de l’histoire. L’ordre de présentation des
évènements à l’intérieur du récit n’est pas nécessairement, pour des raisons d’énigme, de suspens ou d’intérêt
dramatique, celui dans lequel ils sont censés se dérouler.
→ Flash-back : dans le récit, évènement antérieur à la diégèse.
→ Flash-forward : élément du récit évoquant par anticipation un événement futur de la diégèse.
b. La durée :
La durée concerne les rapports entre la durée supposée de l’action diégétique et celle du moment du récit qui lui est
consacré. Durée du récit concorde rarement avec durée de l’histoire (contre-exemple : « La corde » d’Hitchcock, tout en
plan-séquence). Le récit est en général plus court que l’histoire, mais certaines parties peuvent durer plus lentement que
les parties de l’histoire qu’elles relatent.
→ Ralenti ou temps étiré, figé chez Sergio Leone, voir le début de « Le Bon, la Brute et le Truand » dans la petite gare.
L’ellipse est ce trou dans le temps qui n’est pas raconté. Elle peut être d’une très grande amplitude (plusieurs années) ou
très faible (quelques heures, quelques minutes). Elle a lieu dans le raccord entre deux plans, qui peut être vu comme un
gouffre ou au contraire rendu invisible.
c. Le mode :
Le mode est relatif au point de vue qui guide la relation des évènements, qui régule la quantité d’informations donnée
sur l’histoire par le récit.
→ Phénomène de la focalisation :
sur un personnage (variations possible dans le cours du récit) : organisation du récit autour d’un héros et de
personnages secondaires. Le héros est celui que la caméra isole et suit. Ce procédé peut donner lieu à certains
effets : pendant que le héros occupe l’image et monopolise l’écran, l’action peut se poursuivre ailleurs, réservant
pour plus tard des surprises au spectateur.
par un personnage : (penser à une scène se jouant au téléphone, par exemple)
Le personnage sait et donne à savoir (focalisation mentale).
Il entend et donne à entendre (focalisation auditive).
Il voit et donne à voir (focalisation visuelle) : on ne sait pas ce que le personnage entend quand la
bande-son est monopolisée par une voix off.
Il voit, entend, et donne à voir et à entendre (focalisation audio- visuelle).
Focalisation mentale, comme pour la voix intérieure : on entend ce que pense le personnage sans le voir
parler. Scission image / son.
Il faut distinguer ici le IN (ce qui appartient au moment du récit) et le OFF (qui vient d’un autre espace-temps, par exemple
la voix d’un narrateur), du hors-champ : ce que l’on entend mais qu’on ne voit pas (par exemple une conversation venant
d’une pièce à côté qui n’est pas filmée), qui n’apparaît pas dans le champ (= le cadre). Par extension, le hors-champ
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désigne ce qui n’est pas dit dans le film mais le contient (par exemple, le contexte historique).
3- Les grands types de séquences
Une séquence est un ensemble de plans constituant une unité narrative définie selon l’unité de lieu ou d’action. Le planséquence correspond à la réalisation d’une séquence en un seul plan.
On peut distinguer plusieurs types de séquences selon des paramètres filmiques :
Séquence en temps réel : la durée de la projection égale la durée fictionnelle.
Séquence ordinaire : comporte des ellipses temporelles plus ou moins importantes, suite chronologique.
Séquence alternée : montre en alternance plusieurs actions simultanées.
Séquence en parallèle : montre en alternance plusieurs ordre de choses (actions, objets, paysages, activités…)
sans lien chronologique marqué, pour établir, par exemple, une comparaison.
Séquence par épisodes : une évolution couvrant une période de temps importante est montrée en quelques plans
caractéristiques séparés par des ellipses.
Séquence en accolade : montage de plusieurs plans montrant un même ordre d’événement.
4- Codes narratifs, fonctions et personnages
a. L’histoire programmée :
On voit toujours le même film et un film différent : toutes les histoires racontent, sous des apparences et avec des
péripéties différentes, celle de l’affrontement du Désir et de la Loi, un conflit entre ce que veut le personnage et ce qui
l’empêche de l’obtenir.
Tout film de fiction, dans un même mouvement, doit donner l’impression d’un développement réglé et d’un surgissement
qui n’est dû qu’au hasard. Le spectateur se trouve dans une position paradoxale : vouloir prévoir et ne pas pouvoir prévoir
la suite, vouloir la connaître et ne pas le vouloir. Développement programmé et surgissement inattendu relèvent des codes
narratifs.
Le film de fiction tient du rituel : le programme étant donné dès les premières minutes du film, de façon figurée ou
elliptique, explicite ou implicite, il doit amener le spectateur au dévoilement d’une vérité ou d’une solution à travers un
certain nombre d’étapes obligées et de détours nécessaires. C’est l’arsenal des retards qui consiste en une suite d’étapesrelais qui nous mène de la mise en place de l’énigme à sa résolution au travers de fausses pistes, de leurres, de
suspensions, de révélations, de détours et d’omissions. C’est un programme parce qu’il permet de livrer peu à peu les
informations nécessaires au dévoilement de la solution, et un anti-programme puisque sa fonction est de freiner l’avancée
vers la solution fixée par l’intrigue de prédestination. Le travail de la narration étant de banaliser, de naturaliser sous la
forme du destin ces à-coups programmés de l’intrigue.
b. Segmentation du film en actes :
L’intrigue se déroule toujours en 3 grands actes :
- 1er acte : exposition / situation initiale / prémisses.
- 2ème acte : développement, intrigue, confrontation, déclenchement de l’action, péripéties.
- 3ème acte : résolution (heureuse ou malheureuse) / dénouement.
On peut segmenter un film en plusieurs actes. Les critères sont l’espace, le temps, la cohérence, la logique narrative
(chaque acte tourne autour d’un évènement – un nœud dramatique, majeur ou mineur – ou d’une série d’évènements liés
les uns aux autres).
c. Les fonctions :
Le film de fiction, comme le mythe ou le conte populaire, s’appuie sur des structures de base avec un nombre d’éléments
fixes et un nombre de combinaisons limitées. Même si les circonstances, les situations, les actions, les personnages
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diffèrent, l’intrigue peut être schématisée selon plusieurs modèles.
Par exemple :
une quête (de l’être aimé, de ses racines, du pouvoir).
une vengeance (la haine comme moteur).
une initiation (parcours initiatique, dépassement de soi, passage à l’âge adulte).
une régression (parcours régressif, chute d’un personnage, d’un empire, déclin…).
la survie (résister à des catastrophes, à un tueur, l’angoisse comme moteur).
Les situations, les personnages, les modalités d’actions varient. Les fonctions restent identiques.
d. Les personnages :
Les personnages, en termes d’analyse, ne se définissent pas que par leur physique, leur statut social ou leur psychologie,
mais aussi par leur sphère d’action : le faisceau de fonctions qu’ils remplissent à l’intérieur d’une histoire. Un personnage
peut remplir plusieurs fonctions simultanément ou alternativement (ce qui lui donnera cette impression d’épaisseur
psychologique) et une fonction peut être accomplie par plusieurs personnages.
Voir le modèle actanciel (actant : personnage) défini par Greimas, théoricien, en 1966 :
le Sujet : le héros.
l’Objet : la personne de laquelle part la quête du héros.
le Destinateur : celui qui fixe la mission, la tâche ou l’action à accomplir.
le Destinataire : celui qui en recueillera le fruit.
l’Opposant : vient entraver l’action du Sujet.
l’Adjuvant : qui lui vient en aide.
Le personnage de fiction, par le biais des fonctions qu’il remplit, assume les transformations nécessaires à l’avancée de
l’histoire. Il en assure aussi l’unité, c’est un fil conducteur.
II. LE SCÉNARIO
1- De l’écrit à l’image
Le scénario est un texte, une étape de travail destinée à la réalisation d’un film de fiction. Il permet à tous ceux qui vont y
participer (réalisateur, équipe, acteurs, producteurs, financeurs) de travailler sur le même objet, de s’entendre sur le film qui
va être réalisé.
C’est un récit traduit en images et en sons, ainsi n’y apparaît que ce qui sera vu à l’écran et entendu. Pas d’interprétation
psychologique ou autre, mais une description concrète des actions, des personnages, des décors, des climats…
« C’est au cinéma que doit s’appliquer principalement le programme que Beaudelaire assigne à la peinture : rendre le
dedans par le dehors. » (Jean Douchet, historien du cinéma)
On peut parler de plusieurs textes :
Le pitch ou l’argument : 1 ou 2 phrases très courtes révélant le départ du film.
Le synopsis : c’est un résumé de l’ensemble du film, qui peut être très court, de quelques phrases, ou détaillé, de
quelques pages.
Le traitement : le récit détaillé du film, scène par scène, avec une partie des dialogues en style indirect.
Le scénario (ou continuité dialoguée) : découpé en séquences, c’est la description sonore et visuelle du film, avec
tous les dialogues en style direct. Pour se donner une idée de sa longueur, on dit qu’en moyenne une page de
scénario équivaut à une minute de film.
La note d’intention : rédigée par l’auteur ou l’auteur-réalisateur, elle précise et prolonge le scénario en lui
apportant une dimension esthétique, psychologique et thématique. Elle répond aux questions : Pourquoi ce film ?
Comment ? Peuvent y être abordées les questions de mise en scène.
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2- Les dialogues
Notes sur les dialogues :
Montrer plutôt que dire.
Pas de monologue, personne ne se parle pour lui-même (contre-exemple : la scène du miroir dans « Taxi
Driver »).
Différents niveaux de langage selon les personnages, tous ne parlent pas de la même manière et tous ne parlent
pas comme le scénariste.
Les informations données dans les dialogues doivent faire progresser l’intrigue mais ne pas s’afficher en tant que
telles.
On ne doit pas forcément assister à toute la conversation (voir point de vue), et pas toujours au début ou à la fin.
Le langage nous échappe (cf. Freud sur le lapsus). Nos propos sont déplacés par rapport à notre pensée ou bien
ont un double sens.
Le sens peut infirmer l’image.
3- Les codes de rédaction
Afin de montrer les codes d’écriture du scénario a été projeté un extrait du scénario (court passage ci-dessous) d’un moyen
métrage de l’intervenante, « Nevers », suivi de l’extrait du film correspondant. A ainsi été montré que l’écriture du film se
modifie et se poursuit encore au tournage, puis au montage.
Extrait du scénario :
36. INT. / JOUR – VOITURE
La voiture roule. La lumière du jour est filtrée par une bande pare-soleil bleue. Almina regarde défiler par le pare-brise
avant le paysage vallonné et, au-delà des prairies où paissent les vaches, la lisière des bois. Le conducteur jette quelques
coups d’œil sur Justin, sur ses baskets crottées et, dans le rétroviseur, sur Almina.
- Dr. Bongo - (s’exprimant avec un accent congolais)
… Vous n’êtes pas de la région ? Vous êtes d’où ?
- Justin Moi du Togo, elle du Congo…
Almina bouge un peu la tête, embarrassée par ces révélations.
- Dr. Bongo - (ironisant)
De si loin… à pied ?
Elle se redresse vers les passagers avant.
- Almina On vient de Paris. On va visiter de la famille à Nevers.
- Dr. Bongo - (adoptant un ton mystérieux et hochant la tête)
De la famille à Nevers…
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III. ATELIER PRATIQUE D’ÉCRITURE
Nous avons proposé aux enseignants de réfléchir et d’écrire en petits groupes un synopsis court adapté du fait divers
suivant :
« Le 14 juillet 2002, Maxime Brunerie, 25 ans, tire en direction du président Jacques Chirac pendant le défilé sur les
Champs-Elysées à Paris. Au moment où il vise M. Chirac avec sa carabine 22 long rifle, trois spectateurs l'immobilisent. Un
coup part mais rate le président de la République qui ne remarque rien. Maxime Brunerie, membre du groupe d'extrême
droite "Unité radicale" et du MNR de Bruno Mégret, avait laissé un message sur un site internet britannique incitant les
internautes à regarder la télévision ce dimanche 14 juillet. Entendu par la police, le déséquilibré sera interné en unité
psychiatrique. »
Ce fait divers était accompagné de photos et d’un article de presse, interview de Brunerie à sa sortie de prison en 2011 et
à la parution de son livre autobiographique (en annexe). Il s’agissait ainsi de répondre à des questions de narration : de
point de vue, de chronologie, de genre et de registre.
Après lecture des six synopsis rédigés, deux types de récit se sont détachés : un film burlesque, dont le personnage,
Brunerie, rate tout ce qu’il entreprend, avant d’être célébré par les médias ; un film multipliant les flash-back et les points
de vue des personnages qui l’ont côtoyé : l’idée d’un film de procès qui pourrait en épouser la forme a surgi, chaque
témoin à la barre, ou expert, ou avocat, apportant une pièce au portrait de Brunerie.
Chaque film a été découpé en plusieurs actes, pour que, à nouveau en petits groupes, les enseignant écrivent une partie du
scénario, dialogues et description visuelle et sonore. Pour le film burlesque, il s’agissait de ne pas reproduire simplement
les codes du genre (le noir & blanc, la petite musique), mais bien de trouver un comique dans les actions du personnage et
dans le fil de sa destinée. Pour le film de procès, il s’agissait de renouveler chaque fois la matière du flash-back, afin de ne
pas en faire un système, et que chacun apporte un élément contradictoire au précédent, enrichissant et épaississant ainsi
le personnage.
IV. ANNEXES
L’ARTICLE DE PRESSE
QUE SONT-ILS DEVENUS ?
publié le 17/08/11 dans France Soir : http://archive.francesoir.fr/actualite/politique/maxime-brunerie-l-extreme-droitelitterature-128192.html
Maxime Brunerie, de l’extrême droite à la littérature
Celui qui avait tenté d’abattre le président Jacques Chirac, le 14 juillet 2002, se passionne aujourd’hui pour la littérature et
fait la promotion de sa récente autobiographie.
« J’ai été militant nationaliste, je ne le suis plus ; et aujourd’hui, j’ai autre chose à faire. Notamment vivre. » Maxime
Brunerie est visiblement un homme nouveau. Durant ses longues années de prison, il a obtenu un BTS de gestion et a
rencontré l’amour en la personne de Delphine, sa nouvelle compagne. Après avoir travaillé en tant que responsable des
ressources humaines dans une collectivité durant un an, le jeune homme, aujourd’hui âgé de 34 ans, s’est lancé dans
l’achat et la vente de livres de collection. Passionné depuis toujours par la littérature, il a même publié, en mai dernier, une
autobiographie aux éditions Denoël. Un livre coécrit avec le journaliste Christian Rol, dans lequel il parle de son « ennuyeuse
jeunesse », de son engagement au MNR de Bruno Mégret et de sa tentative d’assassinat de Jacques Chirac, le 14 juillet
2002. Retour en arrière.
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Une macabre mise en scène
Ce jour-là, des milliers de personnes viennent assister au défilé militaire sur les Champs-Elysées. C’est aussi le jour qu’a
choisi Maxime Brunerie, alors âgé de 25 ans, pour en finir avec la vie. « J’ai décidé de mourir le 10 mai 2002, un soir où je
cogitais dans ma chambre. Mais puisque mon existence était minable, il fallait que je prenne ma revanche, que je parte en
beauté. Ayant raté ma vie, je ne voulais pas rater ma mort. Mon regard s’est posé par hasard sur le calendrier avec, en
rouge, la date du 14 juillet. Voilà comment j’ai orchestré la mise en scène de ma folie suicidaire et mégalo. Je n’avais pas
de haine particulière envers Jacques Chirac. Cela aurait pu tomber sur n’importe qui », expliquait-il récemment dans ParisMatch.
Quelques jours plus tôt, le jeune homme avait acheté une carabine 22 long rifle à Corbeil-Essonne. Puis il avait loué une
voiture chez Hertz à Evry afin d’aller s’entraîner au tir en Bourgogne.
Le matin du 14 juillet, il a rejoint Paris, sa carabine dissimulée dans l’étui à guitare de son père. Le canon dépassant de
quelques centimètres, il l’a enveloppé dans un sac plastique. « Arrivé sur les Champs-Elysées, je me poste là où il y a les
badauds. Je n’avais fait aucun repérage. Noyé dans cette ambiance de kermesse patriotique, j’attends que le président
passe à ma hauteur. Je sors mon arme, vise au mieux la tête de Jacques Chirac. Et je tire. J’entends juste un claquement
sec. Je recharge ma carabine à la hâte et je la retourne contre moi. J’avais juste oublié un détail : il m’était impossible
d’appuyer sur la détente, trop basse », poursuit Brunerie.
Un jeune homme psychologiquement fragile
C’est la panique sur les Champs-Elysées. Tandis que des enfants hurlent de peur, un homme lui arrache l’arme des mains
et l’immobilise en s’asseyant sur lui. Le macabre dessein de Brunerie a échoué. Rapidement, les CRS interviennent et
l’emmènent dans le panier à salade. Ils lui apprennent que son plan a échoué. Le président est indemne. Pis, la balle ne l’a
même pas effleuré. Il est transporté, dans un premier temps, à l’infirmerie psychiatrique de la Préfecture de police de Paris.
Souffrant de risques suicidaires élevés, il est transféré dans l’unité pour malades difficiles de Villejuif, où il reste, entre le 15
juillet et le 2 août, sous camisole chimique.
Il est ensuite suivi par le service médico-psychologique de la prison de la Santé. Une première expertise conclut à une
simple altération de ses facultés mentales. Une contre-expertise retient « l’abolition du contrôle de ses actes » et donc une
irresponsabilité pénale. Finalement, il est condamné, le 10 décembre 2004, à une peine de dix ans d’emprisonnement. Un
passage de sa vie douloureux, durant lequel il essaie, une nouvelle fois, de se suicider. « Il faut arrêter avec l’idée de prison
modèle et républicaine : au fond du trou, les gens ne sont plus des êtres humains mais des numéros de dossier. Je m’en
suis sorti grâce à ma volonté. Ma réinsertion, je ne la dois qu’à moi-même. En prison, personne ne vous y pousse. Loin de
là. »
Candidat aux municipales
Brunerie avait annoncé son intention de tuer le président sur le site britannique Combat 18. « Regardez la télé. Dimanche je
serai la star. Mort au ZOG (gouvernement sioniste d’occupation, NDLR), Heil Hitler ». « Là, on est la veille des faits, je pense
que le texte parle pour lui-même. On n’a plus tout son discernement pour balancer ça, gratuitement, avec les faits qui
suivent le lendemain. C’est ce qu’on appellerait du teasing aujourd’hui, mais à un stade qui brise tous les tabous, qui brise
même le cadre de l’humain », commentait-il récemment sur France Inter. Les sept dernières années de sa vie étaient
baignées d’un climat de violence. Brunerie fréquentait la tribune Boulogne du Parc des Princes, réputée pour ses
débordements racistes. Militant d’extrême droite actif, il était proche du groupuscule Unité radicale, du Groupe Union
Défense (GUD) et du Parti nationaliste français et européen (PNFE). Il était aussi membre du MNR, le parti de Bruno Mégret,
pour le compte duquel il s’était présenté comme candidat, en 2001, aux élections municipales, dans le XVIIIe
arrondissement de Paris. Le jeune homme avait également créé, avec des amis, l’association Section 3 B pour « bièrebaston-baise ».
« Un acte désespéré »
En fait, Brunerie était plus « bière et baston » que « baise ». C’est à la suite d’une déception amoureuse qu’il aurait pris la
décision d’en finir avec la vie. « Virginie, c’était la goutte de nitroglycérine qui a fait tout péter. Ça a été le déclencheur qui a
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mis le feu aux poudres. […] Moi, c’est au niveau moral et mental que ça n’allait plus du tout. Au moment où j’aurais pu
opérer une insertion dans la vie normale, je n’en avais plus la volonté et après j’ai carrément perdu le goût de vivre. » Le 17
juillet 2002, Maxime Brunerie envoie une lettre à Jacques Chirac. « J’espère, un jour, que vous me pardonnerez », lui écritil. Aujourd’hui, encore, il espère recevoir une réponse de l’ancien président de la République.
Repères
21 mai 1977 : Naissance de Maxime Brunerie.
11 mars 2001 : Candidature aux élections municipales à Paris, dans le 18e arrondissement.
14 juillet 2002 : Tentative d’assassinat de Jacques Chirac lors du défilé militaire sur les Champs-Elysées.
10 décembre 2004 : Condamnation à une peine de dix ans de prison.
3 août 2009 : Libération à l’issue de sept ans de réclusion.
11 mai 2011 : Publication d’Une vie ordinaire, aux éditions Denoël
LES PHOTOS
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