La question des frais de tenue de compte (EB)
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La question des frais de tenue de compte (EB)
Conservatoire National des Arts et Métiers Chaire de BANQUE Document de recherche n° 26 La question des frais de tenue de compte (EB) Professeur Didier MAILLARD Décembre 2015 Avertissement La chaire de Banque du Conservatoire National des Arts et Métiers met à la disposition du public, sur son site, des documents présentant le résultat de recherches menées en son sein, à des fins d’information, de diffusion des connaissances et d’échanges dans les domaines visés. Bien que le plus grand soin ait été apporté à la collecte des informations et à leur traitement, les documents et éléments graphiques publiés sur ce site sont fournis en l’état et sont susceptibles de contenir des inexactitudes ou des erreurs. Les auteurs sont susceptibles d’apporter à tout moment des modifications et améliorations au contenu des documents diffusés. Le CNAM, la chaire de Banque et les auteurs ne pourront en aucun cas être tenus responsables de tout dommage direct ou indirect résultant de leur utilisation. 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Ce document était suscité par une modification réglementaire consécutive à un arrêt de la Cour de Justice des Communautés Européennes, qui ouvrait la voie à une rémunération des dépôts à vue jusque-là largement prohibée. Il s’interrogeait à cette occasion sur la tarification la meilleure possible des services bancaires, et concluait sur la préconisation : - d’une rémunération des dépôts à vue égale au taux interbancaire à très court terme (EONIA) ou au taux de refinancement de la banque centrale européenne, diminué d’une petite marge ; - de la facturation des transactions en rapport avec la structure des coûts, en en particulier de la correction de l’avantage dont bénéficiaient, et dont bénéficient toujours, les chèques ; - de la prise en compte des considérations fiscales, pouvant conduire à ne pas facturer des services en échange d’une absence de rémunération des dépôts en deçà d’un certain seuil. Le raisonnement proposé reste valable à la fin de l’année 2015 mais il doit être adapté à deux modifications majeures de l’environnement économique et fiscal : (i) la chute des taux d’intérêt à court terme à des niveaux proches de zéro, et la perspective les voir rester à ces niveaux dans un futur proche ; (ii) l’explosion des taux d’imposition des intérêts nominaux 1 Document de recherche n° 10 de la Chaire de Banque du Conservatoire national des arts et métiers, Octobre 2004, disponible sur ww2.cnam.fr/banque rubrique Recherche. Lien : ww2.cnam.fr/banque/DR10.pdf 1 avec l’envol des prélèvements sociaux et l’incorporation des intérêts dans le revenu imposable global. Dans ce contexte, le prélèvement de frais de tenue de compte est justifié, ainsi que leur effacement au-delà d’un certain encours de dépôts à vue. Un rééquilibrage de la tarification des instruments de paiement demeure d’actualité. 2 – Les conséquences de taux d’intérêt très bas Les banques aujourd’hui, et particulièrement les grands groupes bancaires fournissent de nombreux produits. Elles commercialisent des fonds, des placements variés, de l’assurancevie, de l’assurance dommage, … Mais le cœur de leur métier, et leur encadrement réglementaires, se définit par l’exercice de trois activités : - la collecte de dépôts à vue ou à court terme, - le crédit, - la gestion de moyens de paiement. Ces services rendus ont un coût, et il est important de bien les tarifer. Si un service est tarifé en-dessous de son coût, la banque enregistre une perte sur cette activité. S’il est tarifé très audelà de son coût, les surprofits attireront des compétiteurs qui conduiront à leur érosion. Malgré la protection réglementaire des métiers de la banque, ces compétiteurs existent à l’état réel ou potentiel : les banques en ligne en font partie, et tout un ensemble de « fintech » est en train de se développer pour capturer certaines opérations des banques. Les opérateurs de téléphonie mobile sont très actifs dans la gestion des paiements dans les pays en développement ; dans les pays développés, ils développent un intérêt croissant pour cette activité. La mise en œuvre d’une bonne tarification est compliquée par la nature des coûts. Il existe dans les activités bancaires des économies d’échelle et des économies d’envergure. Par exemple, la connaissance d’un client au travers de son activité de dépôt et de transactions peut être utile tarifer efficacement un crédit. Beaucoup de coûts sont fixes, et plus ou moins amortis. Mais la complexité ne doit pas entraver la recherche d’une tarification efficace. Traditionnellement, la tarification des activités bancaires s’envisage comme suit. Les banques collectent des dépôts, qu’elles reprêtent pour l’essentiel sous forme de crédit. Elles se rémunèrent de ces deux activités par une marge d’intérêt, différence entre le taux d’intérêt sur les crédits et le taux d’intérêt sur les dépôts La gestion des moyens de paiement est soit facturée sous forme de commission, soit non facturée. Par exemple, les transactions par cartes bancaires font l’objet d’une facturation sous la forme d’un abonnement annuel pour l’acheteur et d’un prélèvement sur le montant de la transaction pour le vendeur. Les paiements par chèque ne font traditionnellement pas l’objet d’une tarification. La notion de marge d’intérêt est insuffisante pour l’analyse des activités de collecte de dépôts et de crédit, qui peuvent être économiquement dissociées. La rémunération de l’octroi du crédit passe, marginalement, par la perception de « frais de dossier » ou commissions diverses au moment de l’octroi (dont celles sur les assurances du crédit), et principalement par un écart de taux, ou spread, entre le taux d’intérêt sur le crédit et 2 le taux auquel le crédit peut être refinancé. Si le crédit est octroyé sur des fonds collectés sous forme de dépôts, il convient de prendre comme taux de refinancement le taux auquel les dépôts auraient pu être investis dans des placements alternatifs. L’activité de collecte de dépôts rapporte à la banque la différence entre le taux de rendement des placements qui peuvent être faits avec les dépôts et le taux servi sur les dépôts. Il peut s’agir d’un placement effectif, à l’extérieur de l’établissement, ou d’un recyclage interne, sous forme de crédit. Quel taux de rendement retenir pour le placement des dépôts, qui doit être le même qu’il s’agisse d’un placement externe ou d’un recyclage interne, puisque les deux types de placement présentent la même opportunité ? Le placement doit avoir des caractéristiques en termes de durée et de risque similaires à celles du dépôt. Pour les dépôts à vue, il s’agit d’un placement au jour le jour sur le marché monétaire, dont le taux de rendement est l’EONIA2 pour les banques françaises, ou encore d’un placement auprès de la banque centrale (aujourd’hui négatif dans la zone euro). On argue parfois de l’assez grande stabilité a posteriori des dépôts à vue pour considérer qu’il est possible de les placer dans des actifs financiers, ou de les recycler dans des crédits, à plus long terme. Ceci conduirait à retenir un taux de rendement correspondant à une échéance plus éloignée dans la courbe des taux, et donc un taux plus élevé si, comme c’est généralement le cas, la pente de la courbe des taux est positive. Cet argument est à prendre avec des pincettes, même s’il n’est pas dénué de pertinence. Le tout est de bien distinguer l’activité de collecte de dépôts, l’activité de crédit et entre les deux l’activité de transformation, assumée ou couverte par la trésorerie de la banque. Les dernières années ont connu une chute spectaculaire des taux d’intérêt à court terme, pratiquement partout dans le monde (quelques pays émergents peuvent encore faire exception). 2 EONIA est un acronyme de Euro OverNight Interest Average. 3 Evolution des taux d’intérêt à court terme en France La chute des taux courts s’est accompagnée de celle des taux à long terme (la faiblesse des taux d’intervention des banques centrales n’a pas été interprétée comme du laxisme devant conduire à une envolée de l’inflation). Les taux à court terme semblent durablement installés au voisinage de zéro, du moins dans la zone euro. Cela résulte d’un relâchement considérable des politiques monétaires en réponse à crise financière puis économique débutant en 2007, en employant au besoin des mesures non conventionnelles (inédites) telles que le quantitative easing. Quelles conséquences en résultent-elles pour les banques ? L’activité de crédit est relativement épargnée. La ressource pour les financer a vu son coût se réduire. Les marges sont sans doute plus faciles à préserver lorsqu’elles s’ajoutent à un coût de la ressource minoré. On peut aussi invoquer l’impact sur les coûts d’un effet a priori favorable sur le risque de crédit et le risque de remboursement anticipé Pour la collecte de dépôts en revanche, l’équation est fortement modifiée. Les revenus de l’activité de collecte de dépôts consistent pour l’essentiel des commissions qu’il est possible de prélever et de la valeur du « float », le revenu que la banque peut obtenir en replaçant les dépôts à un taux supérieur à celui servi au déposant. Même si les dépôts ne sont pas rémunérés, le float s’est largement évaporé. L’activité de collecte des dépôts a un coût, qui n’est pas toujours facile à cerner (notamment en présence de coûts fixes et répartis sur de nombreuses années, comme pour les systèmes informatiques). Des coûts sont liés à l’existence du compte, et ont souvent une origine réglementaire (en particulier les dispositifs anti-blanchiment). Ils peuvent être liés au compte, à l’encours des dépôts et aux mouvements sur le compte. 4 Les banques françaises ont déjà l’habitude de facturer aux entreprises et aux i des frais de tenue de compte et des commissions de mouvement. Cette pratique est en train de s’étendre, en ce qui concerne les frais de tenue de compte, aux particuliers. 3 – L’envolée de la taxation Les frais de tenue de compte et commissions de mouvement ne posent pas de problème fiscal pour les entreprises. Quand les commissions sont assujetties à la TVA, celle-ci est récupérable pour les entreprises elles-mêmes assujetties. Les commissions hors TVA sont par ailleurs déductibles du revenu imposable de l’entreprise. Les intérêts perçus sur le compte de dépôt ou placements de trésorerie de l’entreprise sont imposables. Le système fiscal est globalement neutre à l’égard de la tarification et celle-ci peut refléter la structure des coûts et, dans le moyen terme, l’intensité de la concurrence. Il en va différemment pour les particuliers. La TVA sur les commissions n’est pas récupérable et les commissions ne viennent pas le plus souvent en déduction du revenu imposable. Les intérêts sur les comptes de dépôt (qui ont pratiquement disparu) et sur les placements de trésorerie sont imposés, et cette imposition a fortement augmenté au cours au cours des dernières décennies et a explosé au cours des dernières années. Depuis longtemps, les intérêts pouvaient être imposés sur option à un prélèvement forfaitaire libératoire de l’impôt sur le revenu sur option (inférieur dans la plupart des cas au taux marginal de l’impôt sur le revenu, et constituant donc un maximum en même temps que la modalité la plus fréquente). Ce prélèvement, à l’origine de 15 %, est resté relativement stable jusqu’à 2007, d’où il a été relevé pour atteindre 24 % en 2012. Le prélèvement libératoire a été supprimé à partir de 2013 et les intérêts ont été incorporés dans le revenu global pour une imposition au taux marginal de l’impôt sur le revenu. Le maximum correspond donc à un taux d’IR de 45 %, augmenté de 4 % de taxe sur les hauts revenus. Ce que nous avons qualifié de « médiane3 » correspond à un taux marginal de 30 %. A partir de 1996, des prélèvements « sociaux » de diverses natures ont commencé à s’ajouter, partant de 1,1 % pour arriver à 15.5 % en 2012. 3 Au sens que plus de la moitié de la masse des intérêts est vraisemblablement imposée à un taux au moins égal à 30 %. 5 Evolution du taux d’imposition des intérêts nominaux Si la question de la rémunération des dépôts à vue a perdu de son importance, il reste des placements monétaires, qui rapportent un intérêt nominal minime. Celui-ci est néanmoins taxé. Il y a une vingtaine d’années, l’impact de la taxation n’était pas prohibitif, même s’il était déjà élevé en termes de taxation de l’intérêt réel4. Aujourd’hui, il est très rarement inférieur à 44 % et peut atteindre 62 %5. Il est devenu plus que jamais essentiel de minimiser ce qui apparaîtra comme imposable à l’impôt sur le revenu ou aux plus-values, et les banques doivent prendre ce facteur en compte dans leur système de tarification. La baisse des taux à court terme ne change rien à la question de la facturation des transactions, si ce n’est que les possibilités de péréquation avec la non rémunération des dépôts se sont amoindries. En revanche, les considérations s’appliquent aussi. Par rapport à une tarification fondée sur les coûts, la banque pourrait offrir des transactions en contrepartie d’un encours de dépôt non rémunéré d’un certain montant et/ou de commissions déductibles sur une épargne rémunérée. 4 – Conclusions Pour prospérer, les établissement bancaires doivent facturer les services qu’ils rendent, au plus près des coûts de production de ces services. Un peu de péréquation est soutenable à 4 Voir “The Unbearable Heaviness of Capital Taxation in France”, SSRN Research Paper, http://ssrn.com/abstract=2375622 5 L’évolution de l’imposition des plus-values nominales est très proche de celle des intérêts au cours de la période. 6 court terme, mais elle expose les banques aux résultats de l’innovation technologique et des concurrents existants et potentiels à moyen terme. Dans ce contexte, des frais de tenue compte appliqués aux particuliers se justifient. Les banques doivent aussi tenir compte de la situation fiscale de leurs clients, et il est efficient de ne pas les facturer, et de ne pas prélever de commissions sur d’autres opérations, pour les clients détenteurs d’un encours non rémunéré d’un certain niveau et/ou de placements rémunérés mais dont la commission vient en diminution du rendement et est donc déductible de l’imposition des revenus ou des plus-values. 7