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Faculté des sciences de l’éducation
Département d’administration et fondements de l’éducation
La gouvernance de l’apprentissage en famille au Québec : une solution
Christine Brabant, Ph. D., professeure
Département d’administration et fondements de l’éducation
Faculté des sciences de l’éducation, Université de Montréal
Un rapport d’enquête du Protecteur du citoyen sur la scolarisation à la maison a été publié le 28 avril
dernier. Il demande au ministère de l’Éducation, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche
(MEESR) de lui présenter dès juin un plan de travail concernant l’encadrement et le suivi des enfants
scolarisés à la maison. Une des principales difficultés identifiées par l’enquête est la rupture de
communication entre plusieurs parents et les instances scolaires, attribuée en bonne partie à un
manque d’expérience et d’expertise de part et d’autre pour établir la nécessaire collaboration entre
eux. Dans ce contexte, il nous apparaît important de faire connaître rapidement la solution proposée
par un comité d’experts «de terrain».
Ce comité participe à une recherche-formation en cours, intitulée Pour une gouvernance réflexive de
l’« école à la maison » : l’apprentissage démocratique conjoint de parents-éducateurs et
d’administrateurs scolaires. Un des objectifs de cette recherche est de formuler des propositions
pour la gouvernance de l’apprentissage en famille1 au Québec, qui soient acceptables autant du
point de vue des parents-éducateurs (PÉ) que de celui des acteurs scolaires (AS) responsables de leur
suivi2.
Cet article présente une partie des résultats préliminaires de cette recherche. Il décrit la composition
du comité de travail et sa démarche, son évaluation de la situation de gouvernance actuelle, puis sa
solution pour la gouvernance de l’apprentissage en famille au Québec.
Le comité et la démarche
Pour formuler des propositions pour la gouvernance de l’apprentissage en famille au Québec, qui
soient acceptables autant du point de vue des PÉ que de celui des AS responsables de leur suivi, cette
démarche nécessitait un petit comité de travail réunissant des experts «de terrain» des deux côtés,
actifs depuis plusieurs années pour le développement de cette option éducative et surtout, ouverts à
travailler avec l’autre partie pour développer des solutions communes. Trois régions étaient ciblées
pour le recrutement des participants : la grande région de la Capitale nationale, l’Estrie et la région
1
Parmi les participants à cette recherche, les PÉ utilisent l’expression «apprentissage en famille» alors que les
AS adoptent le terme «scolarisation à la maison» (utilisé par le MEESR). Par respect pour les participants, les
deux vocables seront utilisés dans cet article suivant les prises de parole des uns ou des autres. Cependant,
selon mes analyses terminologiques (Brabant, 2010), l’expression «apprentissage en famille» est plus juste
pour refléter l’activité centrale de cette pratique (apprentissage et non scolarisation), les motivations de cette
pratique (un projet familial et non scolaire), ses lieux multiples (autres que la maison) et le transfert de
responsabilité de l’établissement scolaire vers la famille. C’est pourquoi je privilégie cette expression dans mes
écrits scientifiques.
2
Selon les CS, les AS mandatés pour faire ce suivi peuvent être orthopédagogues, enseignants, conseillers
pédagogiques, directions d’établissement scolaire, directions des services éducatifs de la CS ou agents
d’administration.
1
Résultats préliminaires – mai 2015
©Christine Brabant, 2015
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de Laval-Laurentides-Lanaudière. Un manque de soutien politique et organisationnel et une méfiance
envers l’interlocuteur ont freiné plusieurs des personnes approchées pour participer à la recherche.
Néanmoins, deux PÉ de longue date et deux AS expérimentés dans le suivi de ces familles ont
accepté de relever le défi. Les participants proviennent des deux des trois régions ciblées et sont
localisés dans quatre commissions scolaires (CS) différentes. Ce petit comité d’experts de terrain
s’est investi dans cinq journées de travail, du printemps 2014 au printemps 2015.
Pour débuter, les participants ont élaboré ensemble une évaluation de la situation de gouvernance
actuelle de l’apprentissage en famille au Québec. Les éléments perçus comme facilitants ou irritants
ont été discutés pour atteindre une intercompréhension et en construire une synthèse commune3.
De plus, ils ont partagé des lectures, des discussions et ont assisté à un colloque scientifique sur le
sujet4, pour éclairer et élargir leurs points de vue. Au terme de cette période d’autoformation5, en
s’inspirant des étapes du processus de prise de décision par consensus6, le comité a produit une liste
variée de suggestions pour la gouvernance de l’apprentissage en famille, incluant tout item jugé
intéressant par l’un ou l’autre des participants. Ensuite, chaque participant a attribué l’étiquette
«idéal», «acceptable» ou «inacceptable» à chaque item. Les réponses ont été mises en commun,
examinées puis rediscutées en groupe, permettant une réévaluation de certains items si désiré. Puis,
seuls les items jugés unanimement acceptables ou idéaux ont été retenus. Une fois réunis, ces
éléments composent un scénario intégré et détaillé pour la gouvernance de l’apprentissage en
famille. Les participants se sont assuré que ce scénario atténuait les facteurs irritants et maximisait
les facteurs facilitants qu’ils avaient identifiés plus tôt. Enfin, ils ont réexaminé leur proposition à la
lumière de deux sources de référence : les recommandations du rapport du Protecteur du citoyen et
les recommandations de la Coalition for Responsible Home Education, une association de défense
des droits des enfants éduqués en famille aux États-Unis. Selon eux, leur proposition se compare
favorablement à ces dernières, parce qu’elle est précise, adaptée au contexte québécois et
susceptible d’être acceptée et appréciée autant par les acteurs scolaires que par les parentséducateurs du Québec.
L’évaluation de la situation actuelle
Pour faire l’évaluation de la gouvernance actuelle de l’apprentissage en famille, les AS et les PÉ ont
nommé les facteurs qu’ils perçoivent comme irritants ou facilitants dans leur CS ou dans d’autres CS.
La figure qui suit illustre ce portrait, décrit ensuite.
3
Cette synthèse a été rendue publique une première fois dans un colloque scientifique intitulé «Regards
croisés sur l’apprentissage en famille (l’«école à la maison»), que j’ai convoqué dans le cadre du congrès de
l’Association francophone pour le savoir – ACFAS en mai 2014. Une vidéo de cette conférence est disponible
sur mon site internet: https://sites.google.com/site/christinebrabantphd/actes-acfas-2014/resume-2
4
Voir note 4.
5
Pour plus de détails sur le concept d’autoformation et la méthodologie de recherche-formation dont il fait
partie, voir Brabant, 2010, 2013 et Brabant et Bourdon, 2012.
6
Sur cette méthode de prise de décision, voir, par exemple : Conseil canadien des ministres de
l’environnement. (s.d.) À propos / La prise de décision par consensus. (Page internet).
http://www.ccme.ca/fr/about/consensus.html
2
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Figure 1 : Les facteurs facilitants et irritants de la situation actuelle de gouvernance de l’apprentissage en famille (la
scolarisation à la maison) au Québec : une évaluation réalisée conjointement par des acteurs scolaires et des parentséducateurs expérimentés (Brabant, 2014)
Un facteur facilitant pour les PÉ :
D’abord, les PÉ ont observé à travers les années une plus grande ouverture d’esprit de la part des AS
et de la société par rapport à l’apprentissage en famille, facilitant leurs interactions avec les instances
scolaires.
Les facteurs facilitants pour tous :
Certains facteurs sont considérés comme facilitants par les PÉ et par les AS :
 leur participation à des projets de recherche-formation7 : elle leur permet d’être soutenus
dans leur engagement pour la scolarisation à la maison et de mieux comprendre la réalité et
les motivations de l’autre partie ;
7
Les PÉ ont participé à la recherche-formation : Pour une gouvernance réflexive de l’«apprentissage en
famille». Étude des processus d’apprentissage de trois groupes de parents-éducateurs au Québec, de 2007 à
2009. Les AS ont participé à la recherche-formation : Perspectives d'administrateurs scolaires sur la
3
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



la production et la consultation de connaissances scientifiques sur l’apprentissage en
famille : elles informent tous les acteurs, soutiennent leurs points de vue et éclairent leurs
actions ;
la participation des familles à un groupe de soutien local d’apprentissage en famille8 : les PÉ
y trouvent plusieurs ressources et activités éducatives pour leurs enfants et pour euxmêmes; les AS reconnaissent leur contribution au soutien des familles et les recommandent
aux PÉ ;
une relation de confiance réciproque et une reconnaissance réciproque des compétences
de chacun pour l’éducation des enfants: elles génèrent une collaboration plus efficiente et
constructive, ce que les rapports de supériorité et de méfiance n’induisent pas ;
un seul et même intervenant scolaire responsable du dossier de la scolarisation à la maison
au sein de la CS, sur plusieurs années : cela lui permet de travailler en confiance et dans la
durée avec les familles, de développer une connaissance de cette pratique et des outils de
suivi ; néanmoins, lorsque la relation entre les PÉ et les AS est plus conflictuelle,
l’intervention d’un tiers, dans un rôle de médiation ou de complémentarité, est un élément
facilitant, notamment lors des processus d’évaluation.
Les facteurs irritants pour tous :
Certains facteurs de la situation de gouvernance actuelle sont perçus comme des irritants par tous
les participants, PÉ comme AS :
 les divergences d’interprétation du cadre légal et réglementaire concernant la scolarisation
à la maison, en particulier la notion d’équivalence9 et son objet: certains y lisent l’obligation
que les PÉ adoptent le programme et les niveaux scolaires ; d’autres y voient plutôt une
obligation d’équivalence de résultat final, soit une formation générale de même valeur qu’un
parcours scolaire, mais sans obligation qu’elle lui soit identique ; d’autres, enfin, croient que
cette équivalence se mesure par l’évaluation des apprentissages des enfants ; ainsi, la
diversité et la précarité des interprétations nuisent à la construction de collaborations
harmonieuses ;
 les contraintes administratives, légales, organisationnelles et budgétaires : par exemple, le
manque de temps alloué aux AS responsables pour le suivi des familles ; l’absence de prise
en compte des frais éducatifs assumés par les PÉ ; le manque d’accès à des ressources
gouvernance de l’«école à la maison», de 2011 à 2013. La recherche dont les résultats préliminaires sont
présentés dans cet article a débuté en 2014 et est encore en cours au moment de l’écriture de cet article. Pour
connaître les résultats des recherches antérieures, voir mes publications relatives à ces recherches
(http://christinebrabant.ca ).
8
Les groupes de soutien locaux sont distincts des associations provinciales. Les premiers offrent un soutien de
proximité : partage de ressources éducatives et d’expérience entre PÉ, participation régulière des familles à des
activités éducatives complémentaires organisées pour les enfants. Les secondes offrent plutôt des conseils
légaux, un symposium annuel, de la documentation et un forum de discussion.
9
Cette notion est centrale dans l’article 15, 4° de la Loi sur l’instruction publique : Est dispensé de l'obligation
de fréquenter une école l'enfant qui: [...] 4°. reçoit à la maison un enseignement et y vit une expérience
éducative qui, d'après une évaluation faite par la commission scolaire ou à sa demande, sont équivalents à ce
qui est dispensé ou vécu à l'école. (L.R.Q., ch. I-13.3)
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

scolaires publiques telles que les bibliothèques ou les manuels scolaires pour les familles; la
lourdeur que représente ce nouveau mandat pour les AS en surplus de leurs
fonctions habituelles; l’absence de formation et le peu de soutien organisationnel pour les
AS ; l’absence de volonté politique pour le développement de ce secteur ;
le manque de budget dédié, de soutien, de ressources et de formation : les 855$ par enfant
scolarisé à la maison, remis par le MEESR aux CS, ne sont pas toujours réservés à cet enfant
ni même à la scolarisation à la maison ; le manque de soutien et de formation des AS; la
nécessité d’adapter certains documents et services ou d’en créer spécifiquement pour
l’apprentissage en famille;
une méconnaissance de la réalité de l’autre partie : cela crée une méfiance, des
collaborations à l’aveugle, parfois des interactions conflictuelles, en défaveur de l’intérêt de
l’enfant.
Les facteurs irritants interreliés :
Certains facteurs identifiés comme irritants par les uns ou les autres sont différents mais interreliés:
 Le partage des ressources scolaires : les AS regrettent de ne pouvoir offrir davantage de
ressources et de services aux PÉ ; ces derniers jugent insuffisant leur accès aux ressources
scolaires publiques. Ces irritants révèlent des points de vue différents mais appellent une
même solution, soit d’ouvrir l’accès aux ressources scolaires pour les PÉ.
 La diversité des pratiques : d’une part, la diversité des motivations des PÉ et de leurs
approches éducatives est un élément de difficulté pour les AS responsables de leur suivi;
d’autre part, un fort «roulement» chez les AS responsables ainsi que la variabilité des
exigences de suivi selon l’AS et selon la CS sont difficiles à appréhender pour les PÉ. Ces
irritants se font écho, car une diversité des pratiques des AS est nécessaire pour
correspondre à la diversité pédagogique caractéristique du mouvement d’apprentissage en
famille, c’est-à-dire une forme de différenciation du suivi selon les familles. Cependant, les
participants reconnaissent qu’il devrait y avoir une stabilisation des intervenants dans les CS
et une plus grande similarité entre les exigences des différentes CS. De plus, selon eux, cette
trop grande diversité vient d’un manque de balises ministérielles pour limiter les pratiques
inacceptables de part et d’autre et pour soutenir la communication entre les parties sur les
attentes de base et leurs variations.
 L’intérêt à collaborer : les AS perçoivent comme un obstacle la méfiance des PÉ envers eux
et cela les démotive dans leur mandat ; les PÉ déplorent le manque de bénéfices liés à
l’inscription à la CS et à la collaboration avec les AS. À première vue, ces irritants semblent se
rejoindre. En effet, un soutien concret des AS et des CS au projet de scolarisation à la maison,
avec des bénéfices tangibles pour l’enfant et correspondant aux besoins exprimés par les PÉ,
pourraient nourrir leur confiance envers les AS. Cependant, les PÉ ont expliqué que d’autres
éléments nourrissent la méfiance de certains d’entre eux : une vision différente de
l’éducation, d’abord, mais aussi la situation de compétition et de pouvoir dans laquelle sont
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placés les AS et les CS par rapport à la scolarisation à la maison10. Certains AS reconnaissent
eux-mêmes n’avoir aucun bénéfice ni intérêt à remplir ce mandat qui leur est imposé, que du
contraire. L’offre de soutien ne serait alors peut-être pas suffisante pour ces PÉ. De plus,
certains bénéfices peuvent être obtenus par les PÉ ailleurs qu'à la CS : auprès du groupe de
soutien, par exemple. Ainsi, même si la CS mettait en place davantage de soutien, certains PÉ
resteraient peut-être peu intéressés à inscrire leur enfant et à faire l’effort d’établir une
collaboration avec les AS. Ces irritants sont alors interreliés sans appeler une solution unique.
Les facteurs d’opposition entre PÉ et AS :
Dans certains cas, des éléments qui s’avèrent des facilitants pour les AS sont des irritants pour les
PÉ :
 Les documents et les directives en provenance des CS sont des facilitants pour les AS car ils
leur donnent des balises pour encadrer la pratique des PÉ. Pour les AS, ils sont un soutien
dans leur préparation de l’accompagnement des familles. Pour les PÉ, ils sont irritants, car
ont été développés sans connaissance de la réalité de leur pratique éducative, ils diffèrent
d’une CS à l’autre et ils limitent la souplesse de la collaboration.
 Les PÉ considèrent que les ententes à signer avec les AS sont un autre facteur irritant des
interactions entre eux, alors que les AS considèrent que cela facilite leur travail. Pour les AS,
ces ententes informent les PÉ de leurs droits et devoirs. Cependant, les PÉ déplorent le ton
autoritaire avec lequel elles sont fréquemment rédigées et la menace de signalement au
Directeur de la protection de la jeunesse qui y figure par défaut. Selon eux, c’est un point de
départ nuisible à la collaboration.
 La question de l’évaluation et de sa forme est une importante source de conflit entre les PÉ
et les AS. Plusieurs PÉ contestent l’évaluation prenant la forme d’examens de type scolaire,
car ils les jugent inadaptés au parcours d’apprentissage différent qu’ils offrent à leurs
enfants. De plus, certains considèrent que ces évaluations à visée comparative ne sont pas
utiles pour un parcours d’apprentissage en famille. Par contre, pour les AS, certaines
évaluations, notamment les épreuves ministérielles en français et en mathématiques,
peuvent permettre de situer le niveau de l’enfant par rapport aux programmes scolaires.
Aussi, selon eux, l’équité entre les enfants scolarisés à la maison et les enfants qui
10
L’école publique est aujourd’hui en situation de compétition avec l’école privée et la scolarisation à la
maison. En effet, le nombre d’enfants inscrits à l’école peut modifier le financement de l’école, le salaire de la
direction d’école et parfois, le maintien de l’ouverture d’une petite école. De plus, travailler dans le système
scolaire exige la plupart du temps une conviction que la scolarisation à l’école, malgré ses faiblesses, est la
meilleure forme d’éducation des enfants, ce qui entraîne une vision négative de l’option de la scolarisation à la
maison. Malgré cette situation de compétition et ces a priori négatifs, les autorités scolaires publiques
conservent néanmoins le pouvoir d’évaluer et d’approuver ou non les projets de scolarisation à la maison. Dans
mes recherches antérieures, des AS ont exprimé qu’ils sont conscients de cette situation de conflit d’intérêts,
que cela leur cause un malaise et qu’il leur est difficile de concilier ces deux mandats dans le cadre de leur
éthique professionnelle. En fait, des AS ont exprimé, parfois en accord avec les autorités de leur CS, qu’ils
préféreraient être libérés de ce mandat pour le laisser au ministère ou à des organismes privés. Plusieurs PÉ
abondent en ce sens également, pour les mêmes raisons.
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fréquentent l’école exige qu’ils se soumettent aux mêmes épreuves, notamment pour l’accès
à la suite des études.
En somme, l’évaluation faite par les participants révèle des facteurs facilitants à exploiter, des
facteurs irritants à amenuiser ainsi que des facteurs interreliés et opposés appelant des solutions
nouvelles. La suite de la démarche porte sur la construction de telles solutions.
La solution proposée
Les participants ont développé une proposition de solution pour la gouvernance de l’apprentissage
en famille au Québec. Cette proposition prévoit un dispositif central d’orientation, des dispositifs
régionaux de collaboration et d’encadrement, des modalités d’évaluation de l’enseignement ainsi
que des ressources de soutien des apprentissages de l’enfant. La figure 2 illustre cette proposition.
7
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DISPOSITIF CENTRAL D'ORIENTATION
Table de concertation
Comité permanent
Recherche universitaire
DISPOSITIF RÉGIONAL DE GESTION ET DE COLLABORATION
Gestion régionale
Regroupement des ressources
École-pôle
Évaluateurs externes
Intervenant stable
Inscription obligatoire
Entente signée
Plusieurs rencontres par année
MODALITÉS D'ÉVALUATION
OFFRE DE SOUTIEN
Documentation pédagogique
matières : Langue d’enseignement
Mathématiques
Locaux de l'école-pôle
référence: Programmes ministériels
Accès aux Écoles éloignées en réseau
outils: Projet de scolarisation
Portfolio
Rencontres ou entrevues
Si désiré par les parents : épreuves
préparées par un enseignant, une
école ou une commission scolaire,
épreuves ministérielles
Si le jeune vise un diplôme d’études
secondaires ou une formation
professionnelle ou technique :
évaluation au 2e cycle du
secondaire des autres matières
nécessaires
Extension d'Allô prof
Formation à distance
Rencontres d’information pour les
parents
Soutien financier pour l’achat de
matériel éducatif
Source d'information officielle en ligne
Pignon sur rue pour les groupes de
soutien
Figure 2 : La gouvernance de l’apprentissage en famille (la scolarisation à la maison) au Québec : une proposition
consensuelle construite par des acteurs scolaires et des parents-éducateurs expérimentés (Brabant, 2014)
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Le dispositif central d’orientation :
Les participants souhaitent unanimement la mise sur pied d’un dispositif central d’orientation,
composé des éléments suivants :
 Une table de concertation ad hoc : composée de représentants, de spécialistes et d’experts
de la scolarisation à la maison;
 Un comité représentatif permanent au MEESR : constitué d’AS choisis par le MEERS, de
représentants des PÉ et d’experts, chargé de gérer, superviser et conseiller les acteurs
régionaux;
 La recherche universitaire : les participants souhaitent que les décisions et les actions soient
davantage éclairées par les connaissances scientifiques et de nouvelles recherches sur le
sujet; ils souhaitent également qu’une forme de «recherche-médiation» telle que la
recherche en cours soutienne le dialogue et les interactions entre les PÉ et les AS.
Ces trois éléments visent l’atteinte des objectifs suivants :
 une meilleure définition des orientations en cette matière et une clarification des balises, se
traduisant par des directives concrètes de la part du MEESR ;
 la participation des PÉ à la création des politiques ;
 une meilleure définition des rôles de chacun, et en particulier, du nouveau rôle du parent
face à l’institution, dans cette pratique (parent-éducateur-enseignant-citoyen…).
Les dispositifs régionaux de gestion et de collaboration :
Les participants considèrent que la gestion de la scolarisation à la maison et la collaboration avec les
familles bénéficieraient de la création d’un secteur distinct, d’un regroupement régional des
ressources et d’un encadrement mieux organisé, de la manière suivante :
 Une gestion régionale (plus large que les CS actuelles) : pour permettre de créer un
partenariat et un dialogue avec les groupes de soutien régionaux d’apprentissage en famille ;
 Un regroupement régional des ressources, des services et des budgets, sous la supervision
du MEESR, ainsi qu’une école-pôle: d’une part, les participants souhaitent une prise de
responsabilité du MEERS à l’égard du secteur de la scolarisation à la maison et souhaitent
libérer les CS et les AS qui refusent d’assumer cette responsabilité11; d’autre part, cela
permettrait de réunir les ressources (matérielles, financières et humaines) dévolues à cette
pratique et de développer une expertise ; de plus, une école-pôle par région pourrait être
désignée pour partager ses locaux et son matériel éducatif avec les enfants scolarisés à la
maison ;
 Des évaluateurs externes, non scolaires et autres que les PÉ : les responsables de
l’évaluation et du soutien de la scolarisation à la maison ne devraient pas faire partie du
11
Voir note 10.
9
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



personnel scolaire mais d’un secteur distinct ; ils devraient être spécialisés dans
l’apprentissage en famille et acceptés par les deux parties (PÉ et MEESR) 12 ;
Un intervenant stable pour la famille, autant que possible : la création de postes dédiés à
l’apprentissage en famille dans chaque région favoriserait le développement d’une expertise
chez les intervenants et de relations de confiance avec les familles au fil des années ;
Une inscription obligatoire : une inscription annuelle de l’enfant et la tenue d’un dossier
officiel pour chacun ;
Une entente signée : spécifiant les modalités d’interaction et d’évaluation ;
Plusieurs rencontres par année, pour les différentes étapes de la collaboration et du suivi.
De plus, les participants s’entendent sur la nécessité des améliorations suivantes :
 Le retrait de la menace hâtive de signalement au Directeur de la protection de la jeunesse et
du ton condescendant et autoritaire des communications envers les PÉ;
 Une reconnaissance réciproque des compétences d’éducation des PÉ et des instances
éducatives publiques désignées pour interagir avec eux.
Les modalités d’évaluation :
Les participants se sont entendus sur les objets et les outils de l’évaluation prévue par la loi :
 Les matières :
o Seuls devraient être évalués les apprentissages de l’enfant dans la langue
d’enseignement et les mathématiques : d’une part, il est trop exigeant pour les AS
d’évaluer aussi les autres matières ; d’autre part, les PÉ souhaitent pouvoir moduler
ces matières en fonction de leur projet éducatif ;
o Les programmes ministériels seraient le point de référence à respecter dans ces
matières ;
o Seul l’enfant dont les parents souhaitent qu’il obtienne un diplôme d’études
secondaires devrait faire évaluer ses apprentissages, en 4e et 5e secondaire, dans les
autres matières faisant partie des conditions d’obtention du diplôme; de même, celui
qui vise une formation professionnelle ou technique devrait avoir accès aux
évaluations lui permettant d’obtenir les unités nécessaires à sa qualification dans les
matières et les niveaux concernés.
 Les outils d’évaluation seraient les suivants :
o La remise d’un projet de scolarisation par les PÉ ;
o La présentation d’un portfolio de l’enfant ;
o Des rencontres ou des entrevues
o Si désiré par les PÉ, la passation d’épreuves préparées par un enseignant du niveau
de l’enfant, par une école ou une commission scolaire et des épreuves ministérielles
dans les matières de base en 4e année, 6e année et en 2e secondaire ;
12
La Loi sur l’instruction publique permet aux CS de déléguer, en tout ou en partie, leur responsabilité
d’évaluation, par les mots «à sa demande» dans l’article 15.4° : «(…) selon une évaluation faite par la
commission scolaire ou à sa demande (…)».
10
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o
Si désiré par les PÉ, la passation des épreuves ministérielles et l’évaluation des
matières menant au diplôme d’études secondaires en 4e et 5e secondaire ;
Les ressources :
Les participants considèrent que des ressources scolaires existantes devraient être partagées avec les
enfants scolarisés à la maison, alors que d’autres devraient être adaptées ou créées pour eux :
 L’accès aux différentes ressources scolaires existantes disponibles :
o Ressources écrites : programmes, situations d’enseignement-apprentissage,
épreuves des années antérieures, etc.
o Ressources immobilières : locaux, bibliothèques, laboratoires, gymnases, etc.
 L’adaptation de ressources existantes :
o L’extension du service Allô prof : ce service d’aide aux devoirs pourrait leur offrir une
réponse de jour ;
o La formation à distance pour les études secondaires : actuellement accessible
seulement aux jeunes à partir de 16 ans, elle pourrait être ouverte aux jeunes qui
font leur secondaire à la maison ;
o La participation au réseau des Écoles éloignées en réseau : les petites écoles qui
participent à ce réseau pourraient inviter les enfants éduqués en famille à se joindre
à eux, de la maison ou à partir d’un lieu choisi par eux ;
 La création de ressources spécifiques pour l’apprentissage en famille :
o Des rencontres d’information pour les parents : le responsable régional pourrait
organiser des rencontres à l’intention des PÉ pour les informer de son
fonctionnement ;
o Un soutien financier pour l’achat de matériel éducatif : un soutien financier tel que
des cartes d’achat prépayées ou un remboursement pourraient être accordé pour
l’achat de matériel éducatif ;
o La mise en ligne des informations et des ressources officielles pertinentes, sur les
sites du MEESR et des CS : les PÉ pourraient ainsi trouver facilement les informations
officielles relatives à la scolarisation à la maison et les ressources utiles13;
o La consolidation des groupes de soutien : Les participants suggèrent que les groupes
de soutien d’apprentissage en famille aient pignon sur rue, pour mieux servir les
familles ; ils suggèrent que les PÉ sollicitent le ministère de la Famille pour financer
ces organisations jouant un rôle important de socialisation des enfants, de partage
entre les familles et de vie communautaire ; ils suggèrent aussi de solliciter le
Secrétariat à la condition féminine pour soutenir l’empowerment des mères qui
choisissent de s’engager dans cette forme d’éducation et son développement.
13
Voir, par exemple, les sites des ministères de l’Éducation de l’Alberta et de la Colombie-Britannique, qui
offrent une information complète et détaillée aux PÉ de ces provinces.
11
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Conclusion
Pour apprécier cette proposition de solution pour la gouvernance de l’apprentissage en famille au
Québec, il faut se rappeler que seules ont été retenues les suggestions jugées acceptables ou idéales
pour l’ensemble des participants14, visant l’obtention d’un consensus. Ainsi, ils ont accepté de
délaisser certaines de leurs préférences et certains de leurs idéaux pour le bénéfice d’une
collaboration efficiente, profitable à l’enfant, à la famille et à la société. Cette collaboration efficiente
est rendue possible par un retrait des éléments conflictuels, pallié par d’autres stratégies; par des
efforts consentis pour rejoindre l’autre partie dans ses attentes, sa vision de l’éducation et sa réalité;
par la reconnaissance des structures de la communauté des PÉ et du champ d’action des AS; par
l’augmentation des bénéfices liés aux efforts de collaboration; par une vision élargie de l’éducation
des jeunes et de son évaluation; et surtout, par une focalisation sur les éléments jugés à la fois
importants et consensuels.
La proposition de gouvernance élaborée par le comité d’experts «de terrain» rejoint en plusieurs
points les recommandations du rapport du Protecteur du citoyen, dans l’esprit comme dans les
moyens. Cependant, en réponse à la recommandation faite au MEESR d’entreprendre un examen
des pratiques actuelle des CS puis une mise en commun des «bonnes pratiques» pour favoriser la
collaboration avec les PÉ, le comité propose déjà une solution détaillée. Une différence est
marquante : au final, la gestion par les CS est écartée.
Par ailleurs, cette proposition rejoint aussi les recommandations de la Coalition for Responsible
Home Education, mais dans une version adaptée au contexte québécois. D’une part, qu’elle tient
compte de nos institutions et de nos ressources ; d’autre part, qu’elle est moins élaborée et moins
ambitieuse que ce qui est possible aux États-Unis, où le mouvement de homeschooling est beaucoup
plus développé et plus outillé, par exemple en ce qui a trait aux services offerts aux familles et à la
subtilité de l’évaluation et de l’accompagnement15.
Les résultats préliminaires de cette étude pourront nourrir le dialogue du MEESR et du Protecteur du
citoyen et éventuellement être vérifiés avec un groupe plus large. Considérant la croissance du
mouvement d’apprentissage en famille, ils pourront aussi contribuer à la réflexion et à la formation
des instances scolaires et des parents-éducateurs, au Québec et dans la francophonie.
14
Il est également très intéressant de prendre connaissance des éléments qui ont été rejetés unanimement ou
jugés inacceptables par certains participants. Cette liste ne fait pas partie de cet article par souci de concision,
mais pourrait éclairer les décideurs et éviter des échecs.
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Selon la CRHE, les meilleures pratiques d’évaluation sont celles qui évaluent la progression des
apprentissages des enfants plutôt que leur atteinte d’un niveau selon l’âge, et qui exigent l’enseignement de
toutes les matières scolaires. De plus, les instances scolaires offrent l’accès à plusieurs activités scolaires ou
parascolaires des écoles publiques et prévoient des services spécialisés pour les enfants handicapés ou en
difficulté d’apprentissage ou d’adaptation (dépistage, plan d’intervention, évaluation adaptée). Enfin, une
concertation entre les intervenants scolaires, sociaux et de santé permet la dispensation à la maison des
services de santé offerts en milieu scolaire (vaccins, examens de la vue, etc.) ainsi qu’une protection des
enfants à risque. La CRHE recommande également un financement dédié au service des enfants scolarisés à la
maison, par souci d’équité avec les enfants dont l’éducation est prise en charge par l’école publique.
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Résultats préliminaires – mai 2015
©Christine Brabant, 2015
Faculté des sciences de l’éducation
Département d’administration et fondements de l’éducation
Références
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Résultats préliminaires – mai 2015
©Christine Brabant, 2015