Impact de deux découvertes majeures du Cirad sur la reproduction
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Impact de deux découvertes majeures du Cirad sur la reproduction
A propos d'innovation... L 'impact positif sur l'économie, l'environnement, la société et le marché de deux découvertes majeures du Cirad sur la reproduction du café arabica Sophia Alami Tazi (DGD-RS) ; Benoît Bertrand (Bios) Le café est l'une des principales marchandises agricoles échangées sur les marchés internationaux. Sa culture fait vivre 20 à 25 millions d'agriculteurs (majoritairement de petits exploitants) à travers le monde et sa chaîne de valeur génère plus de 100 millions d'emplois. Mais il existe un paradoxe à propos du café : bien que sa consommation ne cesse d'augmenter, avec de belles opportunités pour le qualitatif, les revenus des cultivateurs restent bas. Le Cirad, qui a fortement investi dans la recherche sur le café ces 60 dernières années, pense que l'amélioration de la qualité et des rendements est l’une des clés qui résoudront ce paradoxe. Créer de nouvelles variétés... La qualité du café – de même que la rentabilité de la culture – est liée à la qualité du matériel génétique. Deux espèces sont concernées : Coffea arabica, de qualité supérieure, et Coffea canephora, qui produit le « robusta », plus fort en caféine. Le potentiel de progression qualitative se trouve dans la première, mais sa diversité génétique est restreinte et son amélioration génétique sévèrement limitée car cette espèce se reproduit uniquement par les graines et non par multiplication végétative. Entre les années 1950 et 1980, les recherches menées par le Cirad ont consisté à collecter et caractériser la diversité génétique des deux espèces et à étudier minutieusement leur biologie cellulaire. Au début des années 90, en coopération avec plusieurs centres de recherche (Catie, Icafe, Anacafe, Procafe, Ihcafe en Amérique Centrale), le Cirad a produit de bons hybrides F1 d'arabica dont le rendement et la qualité étaient supérieurs. Malheureusement, ils se trouvaient dans l’incapacité de produire des graines homogènes à grande échelle, l’espèce étant autogame, et ne disposaient pas de méthode de propagation végétative. … et rendre enfin possible la production de masse La principale innovation résolvant cette incapacité est venue des travaux du Cirad sur l’embryogenèse somatique, qui permet de régénérer des embryons à partir de tissus somatiques. Le Cirad a mis au point une technologie d'immersion temporaire des embryons (Rita ®) qui a rendu possible la production de masse d'embryons prégermés. L’embryogenèse somatique n'est à ce jour maitrisée que pour cinq végétaux (deux espèces de caféiers, le cacaoyer, le palmier à huile et le pin) : le Cirad est à l'origine de cette technique pour C. arabica et le palmier à huile. Une seconde innovation était nécessaire pour établir les procédures de transfert des embryons prégermés du laboratoire au champ. Le Cirad a ainsi initié la « plantation directe », qui a permis non seulement une bonne reprise des embryons, mais aussi de réduire significativement les coûts. Les deux innovations ont rendu enfin possible la diffusion de l'hybride F1 aux planteurs. 2,5 millions d'échantillons plantés en Amérique du Sud Le Cirad a lancé la production à grande échelle d’embryons en partenariat avec ECOM, une entreprise privée basée au Nicaragua. Plus de 8 millions d’embryons ont été produits en bioréacteurs en 2010 et 2011. Après une sélection rigoureuse sur la qualité, 2,5 millions d'hybrides F1 ont été plantés par des cultivateurs dans plusieurs pays d'Amérique Centrale. L'opération a généré la création de 50 emplois au Nicaragua par ECOM, dont 15 très spécialisés. L'impact économique a été évalué deux fois, par l’IFC et le Catie au Costa Rica. A l’échelle des exploitations, un accroissement du rendement de 40 % ainsi qu'une amélioration de la qualité ont été observés. De plus, les hybrides F1 ayant été spécifiquement produits pour des systèmes agroforestiers, l’accroissement du rendement a été obtenu dans les conditions traditionnelles de culture à l'ombre. L'opération contribue donc non seulement à la préservation de l'agroforesterie, mais aussi à celle de l'environnement, car les cultivateurs de café qui souhaitent augmenter leurs revenus s'orientent généralement vers la culture sur parcelles agricoles défrichées. Une étude plus récente menée par l'INCAE – une institution de hautes études spécialisée dans le marketing en Amérique Centrale – auprès des cultivateurs a confirmé l'augmentation très significative de leurs revenus. Enfin, il existe bel et bien un marché pour le développement de cette opération : plusieurs torréfacteurs ont exprimé leur intérêt pour le profil aromatique de ces nouveaux cultivars. Un processus complexe d'interactions a conduit à l'innovation L'hybridation et la micropropagation constituent une révolution pour la reproduction de Coffea arabica. Cela dit, il faudrait un milliard de nouveaux plants chaque année pour renouveler le parc mondial, ce qui limite l'impact réel de cette opération. Il serait nécessaire de produire annuellement plus de 100 millions de plants de C. arabica (soit 10 % de ce qui est remplacé chaque année dans les cultures) pour obtenir un impact significatif. Nous sommes convaincus que l'expérience Nicaraguayenne (laboratoire pilote et transfert technologique) constitue un modèle reproductible dans plusieurs autres pays à travers le monde. www.cirad.fr Le Cirad utilise ce cas parmi d'autres pour mieux illustrer le mécanisme d'innovation liant les nouvelles avancées scientifiques et leur impact global. Il n'est pas encore universellement admis que l'innovation en agriculture n'est pas un simple transfert linéaire – avec par exemple une division claire du rôle des chercheurs et des spécialistes du transfert d'embryons –, mais bel et bien un processus circulaire et complexe d'interactions entre les scientifiques et les cultivateurs, nécessitant un apprentissage mutuel et l'intégration des connaissances et des pratiques locales et scientifiques. Ce cas montre enfin que les développements novateurs puisent leur source dans une longue histoire d'investissement dans la recherche. Acronymes Catie, Centro Agronómico Tropical de investigación y enseñanza Icafe, Instituto del café de Costa Rica Anacafe, Asociación Nacional del Café de Guatemala Procafe, Fundación Salvadoreña para la investigación del Café Ihcafe, Instituto Hondureño del café de Honduras ECOM Agroindustrial Corporation IFC, International Finance Corporation (IFC), a member of the World Bank Group INCAE, Business school of Costa Rica and Nicaragua Q u e l q u e s publications : Bertrand B., Alpizar E., Llara L., SantaCreo R. Hidalgo M., Quijano JM., Montagnon C., Georget F., Etienne H., 2011. Performance of Arabica F1 hybrids in agroforestry and full-sun cropping systems in comparison with pure lines varieties. Euphytica. 181(2):147-158 Correia M., Diabate M., Béavogui P., Guilavogui K., Lamanda N., De Foresta H., 2010. Conserving forest tree diversity in Guinée Forestière (Guinea, West Africa): the role of coffee-based agroforests. Biodiversity and conservation, 19(6): 1725-1747 Daviron B., Ponte S., 2007. Le paradoxe du café. Paris, Quæ, 360 p. (existe en anglais et en espagnol). Ménendez-Yuffá A., Barry-Etienne D., Bertrand B., Georget F., Etienne H., 2010) A comparative analysis of the development and quality of nursery plants derived from somatic embryogenesis and from seedlings for large-scale propagation of coffee (Coffea arabica L.). Plant Cell Tissue and Organ Culture. 102:297-307. DOI 10.1007/s11240-010-9734-4