Questions Voltaire, Micromégas, 1752.

Transcription

Questions Voltaire, Micromégas, 1752.
Questions
1/ Quelles ressemblances précises relevez-vous entre les documents A, B et C ? Quelle différence y a-t-il
cependant dans l’identité des personnages à travers lesquels est vu le phénomène de la guerre ?
2/ Quelles critiques implicites comporte le dessin de Plantu ? Quel est le rôle du texte dans cette
« argumentation » ?
Voltaire, Micromégas, 1752.
Micromégas, géant de trente-deux kilomètres de haut, originaire de la planète Sirius, voyage à travers
l'univers. Parvenu sur terre en compagnie d'un habitant de Saturne - un « nain » de deux kilomètres de
haut - il recueille dans sa main le navire d'un groupe de savants qui revient d'une expédition scientifique
au cercle polaire. Il réussit à converser avec ces « insectes » presque invisibles pour lui et admire leur
intelligence et leurs connaissances scientifiques. Il les croit aussi doués de toutes les qualités morales...
À ce discours, tous les philosophes secouèrent la tête; et l'un d'eux, plus franc que les autres, avoua de
bonne foi que, si l'on en excepte un petit nombre d'habitants fort peu considérés, tout le reste est un
assemblage de fous, de méchants et de malheureux. « Nous avons plus de matière qu'il ne nous en faut,
dit-il, pour faire beaucoup de mal, si le mal vient de la matière, et trop d'esprit, si le mal vient de l'esprit.
Savez-vous bien, par exemple, qu'à l’heure que je vous parle il y a cent mille fous de notre espèce,
couverts de chapeaux, qui tuent cent mille autres animaux couverts d'un turban, ou qui sont massacrés par
eux, et que, presque par toute la terre, c'est ainsi qu'on en use de temps immémorial? » Le Sirien frémit et
demanda quel pouvait être le sujet de ces horribles querelles entre de si chétifs animaux. « Il s'agit, dit le
philosophe, de quelques tas de boue grands comme votre talon. Ce n'est pas qu'aucun de ces millions
d'hommes qui se font égorger prétende un fétu sur ces tas de boue. II ne s'agit que de savoir s'il
appartiendra à un certain homme qu'on nomme Sultan ou à un autre qu'on nomme, je ne sais pourquoi,
César. Ni l'un ni l'autre n'a jamais vu ni ne verra jamais le petit coin de terre dont il s'agit, et presque
aucun de ces animaux qui s'égorgent mutuellement n'a jamais vu l'animal pour lequel ils s'égorgent.
-Ah, malheureux! S'écria le Sirien avec indignation, peut-on concevoir cet excès de rage forcenée? II
me prend envie de faire trois pas, et d'écraser de trois coups de pied toute cette fourmilière d'assassins
ridicules. – Ne vous en donnez pas la peine, lui répondit-on; ils travaillent assez à leur ruine. Sachez qu'au
bout de dix ans il ne reste jamais la centième partie de ces misérables; sachez que, quand même ils
n'auraient pas tiré l'épée, la faim, la fatigue ou l'intempérance les emportent presque tous. D'ailleurs, ce
n'est pas eux qu'il faut punir: ce sont ces barbares sédentaires qui, du fond de leur cabinet, ordonnent,
dans le temps de leur digestion, le massacre d'un million d'hommes, et qui ensuite en font remercier Dieu
solennellement. »
Voltaire, Micromégas, chap. VII, 1752.
Voltaire, Candide, 1759.
Le jeune Candide, chassé du château où il a été élevé, enrôlé dans l'armée des Bulgares, découvre le
champ de bataille.
Rien n'était si beau, si leste, si brillant, si bien ordonné que les deux armées. Les trompettes, les fifres,
les hautbois, les tambours, les canons, formaient une harmonie telle qu'il n'y en eut jamais en enfer. Les
canons renversèrent d'abord à peu près six mille hommes de chaque côté; ensuite, la mousqueterie(1) ôta
du meilleur des mondes environ neuf à dix mille coquins qui en infectaient la surface. La baïonnette fut
aussi la raison suffisante de la mort de quelques milliers d'hommes. Le tout pouvait bien se monter à une
trentaine de mille âmes. Candide, qui tremblait comme un philosophe, se cacha du mieux qu'il put
pendant cette boucherie héroïque.
Enfin, tandis que les deux rois faisaient chanter des Te Deum(2) chacun dans son camp, il prit le parti
d'aller raisonner ailleurs des effets et des causes. Il passa par-dessus des tas de morts et de mourants, et
gagna d'abord un village voisin; il était en cendres: c'était un village abare que les Bulgares avaient brûlé,
selon les lois du droit public. Ici des vieillards criblés de coups regardaient mourir leurs femmes égorgées,
qui tenaient leurs enfants à leurs mamelles sanglantes; là des filles éventrées après avoir assouvi les
besoins naturels de quelques héros rendaient les derniers soupirs; d'autres, à demi brûlées, criaient qu'on
achevât de leur donner la mort. Des cervelles étaient répandues sur la terre à côté de bras et de jambes
coupés.
Candide s'enfuit au plus vite dans un autre village: il appartenait à des Bulgares et des héros abares(3)
l'avaient traité de même. Candide, toujours marchant sur des membres palpitants ou à travers des ruines,
arriva enfin hors du théâtre de la guerre, portant quelques petites provisions dans son bissac, et n'oubliant
jamais Mlle Cunégonde.
Voltaire, Candide, chap.III, 1759.
1. Mousqueterie: décharge de mousquets (ancienne arme à feu, posée au sol sur une petite fourche et qu'on allumait avec une
mèche).
2. Te Deum: chant religieux de louange et de remerciement à Dieu.
3. Abares: peuplade asiatique qui, au vie siècle, avait envahi l'Europe centrale.
Voltaire, article « Guerre », Dictionnaire philosophique portatif, 1764.
Le Dictionnaire philosophique portatif de Voltaire est composé d'articles classés par ordre alphabétique:
l'auteur en fait une arme de combat militaire qui aborde les principaux thèmes du combat philosophique
des Lumières.
Le merveilleux de cette entreprise infernale(l), c'est que chaque chef des meurtriers fait bénir ses
drapeaux et invoque Dieu solennellement avant d'aller exterminer son prochain. Si un chef n'a eu que le
bonheur de faire égorger deux ou trois mille hommes, il rien remercie point Dieu; mais lorsqu'il y en a eu
environ dix mille d'exterminés par le feu et par le fer, et que, pour comble de grâce, quelque ville a été
détruite de fond en comble, alors on chante à quatre parties une chanson assez longue(2), composée dans
une langue inconnue(3) à tous ceux qui ont combattu, et de plus toute farcie de barbarismes(4). La même
chanson sert pour les mariages et pour les naissances, ainsi que pour les meurtres: ce qui n'est pas
pardonnable, surtout dans la nation la plus renommée pour les chansons nouvelles.
La religion naturelle a mille fois empêché des citoyens de commettre des crimes. Une âme bien née n'en a
pas la volonté; une âme tendre s'en effraye; elle se représente un Dieu juste et vengeur. Mais la religion
artificielle encourage à toutes les cruautés qu'on exerce de compagnie, conjurations, séditions,
brigandages, embuscades, surprises de villes, pillages, meurtres. Chacun marche gaiement au crime sous
la bannière(5) de son saint.
On paye partout un certain nombre de harangueurs(6) pour célébrer ces journées meurtrières; les uns
sont vêtus d'un long justaucorps noir, chargé d'un manteau écourté; les autres ont une chemise par-dessus
une robe; quelques-uns portent deux pendants d'étoffe bigarrée par-dessus leur chemise. Tous parlent
longtemps; ils citent ce qui s'est fait jadis en Palestine, à propos d'un combat en Vétéravie(7).
Le reste de l'année, ces gens-là déclament contre les vices. Ils prouvent en trois points et par antithèses
que les dames qui étendent légèrement un peu de carmin(8) sur leurs joues fraîches seront l'objet éternel
des vengeances éternelles de l'Éternel; que Polyeucte et Athalie(9) sont les ouvrages du démon; qu'un
homme qui fait servir sur sa table pour deux cents écus de marée(10) un jour de carême fait
immanquablement son salut, et qu'un pauvre homme qui mange pour deux sous et demi de mouton va
pour jamais à tous les diables.
Misérables médecins des âmes(11), vous criez pendant cinq quarts d'heure sur quelques piqûres
d'épingle, et vous ne dites rien sur la maladie qui nous déchire en mille morceaux! Philosophes
moralistes, brûlez tous vos livres. Tant que le caprice de quelques hommes fera loyalement égorger des
milliers de nos frères, la partie du genre humain consacrée à l'héroïsme sera ce qu'il y a de plus affreux
dans la nature entière.
Que deviennent et que m'importent l'humanité, la bienfaisance, la modestie, la tempérance, la douceur,
la sagesse, la piété, tandis qu'une demi-livre de plomb tirée de six cents pas me fracasse le corps, et que je
meurs à vingt ans dans des tourments inexprimables, au milieu de cinq ou six mille mourants, tandis que
mes yeux, qui s'ouvrent pour la dernière fois, voient la ville où je suis né détruite par le fer et par la
flamme, et que les derniers sons qu'entendent mes oreilles sont les cris des femmes et des enfants expirant
sous des mines, le tout pour des prétendus intérêts d'un homme que nous ne connaissons pas?
Voltaire, article « Guerre », Dictionnaire philosophique portatif, 1764.
1. Entreprise infernale: la guerre.
2. Une chanson assez longue: le Te Deum, louange à Dieu.
3. Langue inconnue: le latin d'église.
4. Barbarismes: fautes de langue.
5. Bannière: étendard, drapeau.
6. Harangueurs: personnes qui discourent interminablement; désigne ici les prêtres qui font des sermons.
7. Vétéravie: ancien nom de la Rhénanie, région du Rhin.
8. Carmin: colorant rouge vif qui servait à se maquiller.
9. Polyeucte: tragédie de Corneille; Athalie: tragédie de Racine.
10. La marée: le poisson. Dans la religion catholique, pendant la période du Carême, on ne devait pas manger de viande.
11. Misérables médecins des âmes: les prêcheurs.