MALINA Joanna: Couleurs locales du monde

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MALINA Joanna: Couleurs locales du monde
Le français de demain : enjeux éducatifs et professionnels
Colloque international
28-30 octobre 2010 Sofia
Couleurs locales du monde francophone
La nature et l’évolution des ouvertures sur la
francophonie en Pologne et leur valorisation dans les
curricula universitaires des romanistes1
MALINA Joanna
doctorante en Langues et littératures françaises
Université Paris 8 Vincennes – Saint-Denis en cotutelle avec Université de Sofia « St. Clément d’Ohrid »
« L’acte d’imagination (...) est un acte magique. C’est
une incantation destinée à faire apparaître l’objet auquel on pense, la chose qu’on désire, de façon qu’on
puisse en prendre possession. Il y a, dans cet acte, toujours quelque chose d’impérieux et d’enfantin, un refus
de tenir compte de la distance, des difficultés. »
J.-P. SARTRE, L’Imaginaire, p. 239
1. Introduction
Lorsqu’on parle de l’usage du « français hors de France » (Beniamino, Gauvin, 2005 : 83), la notion de francophonie se pose dans
ses multiples définitions réinventées, réajustées et récusées en
permanence. Dans sa réalité changeante et dans son imaginaire,
la francophonie est diversement pensée et dite selon le contexte
dans lequel elle s’inscrit et dans lequel elle évolue. Sa présence
est due aux facteurs historiques, géopolitiques, socioculturels et
idéologiques propres et différents à chaque espace où la langue
française se manifeste, à chaque domaine qu’elle investit.
De nombreux pays de l’Europe centrale et orientale, dont la Po1
Les lignes directrices de cette contribution s‘inscrivent pour moi dans une recherche de doctorat qui questionne les littératures francophones en tant qu‘une expérience
du « tout-monde » dans la formation universitaire des romanistes en Europe centrale et
orientale sur l‘exemple de la Bulgarie, de la Pologne et de la Roumanie.
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logne, font partie de la réalité politique et culturelle francophones
et en construisent leur propre imaginaire. La tradition francophone s’y est progressivement constituée par le rôle important,
à divers degrés, que la langue française a joué dans cette partie
du vieux continent. Affranchi de la mémoire coloniale, le français
y évolue dans son statut, dans son histoire et parmi d’autres langues étrangères présentes, en tant que langue de culture et en
tant que langue d’enseignement au niveau primaire, secondaire
et supérieur. Dans ce sens, pour penser le français de demain, ce
sont ses lieux de diffusion, les institutions d’enseignement de la
langue/culture française, qu’il semble inévitable d’interroger et
parmi eux notamment les filières universitaires d’études de et en
langue française.
Ces filières ont leurs traditions d’enseignement et de recherche
construites autour des composantes fondamentales des études
françaises stricto sensu que sont la langue, la culture et la littérature. Aujourd’hui, dans leur dynamique, les parcours d’enseignement deviennent davantage interdisciplinaires et s’ouvrent aux
études de traduction, à la littérature comparée, aux études artistiques et culturelles et plus récemment aux études littéraires
francophones. L’enseignement des littératures francophones
se développe rapidement dans plusieurs pays mais de manière
encore hasardeuse et fragmentaire. La question est de savoir
quelles sont les « couleurs locales » du monde francophone littéraire choisies et introduites dans les parcours de formation en
lettres.
Dans ce sens, la réflexion qui suit développe non pas l’idée de
peindre les littératures francophones sous des couleurs flatteuses
ni de traiter de leur « pittoresque », mais celle de questionner les
choix des aires géographiques, des auteurs et des textes, (une
sorte de distribution des « lumières » et des « ombres »), au sein
même de ce vaste ensemble qu’est la francophonie littéraire,
lors de la composition des curricula de formation universitaire en
lettres, sur l’exemple de la formation des romanistes en Pologne.
L’introduction de ce champ dans les parcours de formation
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des romanistes est un engagement pour le pluralisme et pour
la modernité au sein même des filières françaises, un engagement pour le renouvellement des programmes. C’est la condition logique de prise en compte de la diversité mondialisée et la
possibilité d’appréhender une réalité multiple du monde d’aujourd’hui. De même, c’est une ouverture et une acceptation d’un
vaste patrimoine aux implications historiques et géographiques,
linguistiques et culturelles, sociales et économiques, enfin politiques et idéologiques.
2. Lieux d’imaginaire et territorialité du français
Un lien intellectuellement et politiquement indissociable met
côte à côte les trois concepts : langue – culture – littérature.
Ensemble et un par un ces véritables lieux d’imaginaire sont
structurés par les registres de perception de l’ordre du social, du
symbolique et de l’imaginaire difficilement mesurables dans leur
densité et saisissables dans leur possible.
Ces lieux d’imaginaire ont longtemps été associés aux lieux géographiques consignés comme leurs lieux d’origine à l’instar des
langue – culture – littérature française survalorisées et maintenues dans les seules frontières de l’Hexagone. La France métropolitaine, dans ses conquêtes d’influence sur d’autres pays (par
l’impérialisme culturel, par l’expansionnisme territorial et économique, et enfin par le colonialisme) était la source première
de fabrication des modèles linguistique, culturel et littéraire français, de projection d’images et de représentations, et cela pour
des raisons essentiellement idéologiques. Par cet ancrage référentiel, elle enfermait dans une NORME (celle du « bon usage »
et celle des « belles lettres ») et de ce fait dans une domination
et une dépendance des seules valeurs considérées légitimes. Cependant, loin de ses frontières, en tout lieu influencé ou subjugué
par son « rayonnement », en Afrique, aux Antilles, en Amérique
du Nord, en Asie ou en Europe, la norme exportée par la France
a pris d’autres envers et d’autres envolées. L’espace francophone
se déploie aujourd’hui dans une dynamique indomptable à traCouleurs locales du monde francophone
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vers des imaginaires différents, des registres d’expression linguistique empreints des transferts culturels et à travers des modes
d’écriture affranchis. Les différents horizons géographiques, un
grand nombre de pays, de systèmes politiques, de religions, de
cultures, de langues enfin, en présence desquels se trouve le
français dans son statut de langue maternelle, seconde, étrangère, de communication ou de culture, font de la francophonie
un espace pluriel et composite aux frontières mouvantes et souvent insaisissables. C’est un espace qui rompt l’intégrité centralisatrice et marque l’éclatement de la pensée monolithique associant une langue à une culture, à une nation et en conséquence
à une littérature.
3. De l’appartenance et des frontières
L’idée d’une appartenance, d’une « territorialisation » (cf. Beniamino, Gauvin, 2005) des entités telles qu’une langue, une culture
et une littérature suppose non seulement l’idée d’une identité
unique et exclusive enracinée dans un lieu, mais aussi celle des
frontières. Or, les frontières géopolitiques coïncident rarement
et difficilement avec les extensions d’une langue ou une littérature qu’elle crée. Les premières, rigides et définies dans leur
cohérence et leur unité étroite et enfermante, sont l’expression
d’un exclusivisme national et d’une « fixité identitaire » (Glissant,
Chamoiseau, 2007). Pour les secondes, les cartes ‘’territoriales’’
ne peuvent être dessinées. Leur configuration est une suite des
transcendances de réalités déterminées, une alternance des
contours éclatés et des transgressions désobéissantes, une succession d’intuitions créatrices, de résistances et d’émancipations.
Elles créent des géographies nouvelles, autres, linguistiques et
littéraires, de tous les lieux du monde, de tous les lieux d’imagination, dans l’idée d’une géopoétique (cf. Kenneth White).
Bien que l’on puise toujours dans les ressources de l’imaginaire
assigné à UNE origine, en l’occurrence française, et profondément
inscrit dans l’Histoire, bien que l’on ressente encore sa puissance,
son pouvoir et son fort capital symbolique, il n’est plus conceCouleurs locales du monde francophone
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vable de considérer l’ensemble langue – culture – littérature sous
un angle générique et national dans sa manière absolue et absolutiste de se projeter dans le monde et de projeter sur le monde,
de le définir et de l’interpréter, enfin de lui imposer un « canon ».
4. Des littératures francophones
Langue d’origine, langue imposée ou langue choisie, le français
dans le monde est une langue aux histoires diffuses et souvent
conflictuelles, aux héritages (ou fardeaux) singuliers mais souvent communs, aux réalités tantôt périlleuses tantôt prometteuses, une langue, enfin, aux imaginaires vifs et foisonnants.
Ces dimensions différentes du français produisent un écho multiple (et se font écho) particulièrement à travers des productions
littéraires dans tous les lieux du monde où les écrivains, pour des
raisons diverses, choisissent cette langue comme un moyen d’expression de leur créativité. Les auteurs classés « francophones »
s’approprient la langue française, la « volent » (Joubert, 2006a),
la « bariolent des couleurs locales » (Joubert, 2006b : 24), la pensent et la réinventent en continu dans la traversée des frontières,
des cultures et des autres langues. Ils la « fabriquent » « dans
les huis clos de l’écriture » (Gauvin, 2004 : 13) en enrichissant
le vaste patrimoine littéraire français et francophone. Mais les
enjeux de l’existence de ces littératures sont aussi « emblématiques de la scène littéraire mondiale » (Gauvin, 2007 : 15). La
francophonie littéraire, la « littérature-monde » en français (Le
Bris, Rouaud, 2007) brise un certain nombre de clivages dans le
champ, la théorie et la pratique, l’histoire et le patrimoine littéraires. Lieu des confrontations multiples, elles « semblent à
chaque fois déjouer les ensembles littéraires pourvus de frontières constituées par la critique » (Beniamino, 2002 : 16).
Les textes des auteurs francophones, tout autant que les autres
littératures liées à l’histoire des empires coloniaux européens
(hispanophones, lusophones ou anglophones), offrent l’exemple
du désistement du modèle jadis imposé. Leur nature est fougueuse. Elles invitent à reconsidérer « le culte de la langue [franCouleurs locales du monde francophone
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çaise] » (Casanova, 1999 : 93) qui a construit le mythe de son
génie, de sa clarté et de sa pureté. Elles sont dans le dépassement du spatial-national par le décentrement des lieux de leur
production et, souvent, de leur édition. Elles sont ces créations
mouvantes, quelquefois difficiles à localiser, à l’image du monde
actuel et du lecteur contemporain « perméable à des cultures
différentes, parfois [lui-même] sans racines solides » (Ranaivoson, 2004 : 5)
De lieu en lieu, partout dans le monde, les auteurs témoignent
de l’originalité et des extensions du champ littéraire francophone
et donnent à voir et à mesurer le monde autrement, depuis leur
périphérie par rapport à la France centralisatrice, dans les possibles et « impossibles » de la langue française créant ainsi les
imaginaires improbables et ouverts sur le monde, une poétique
de la Relation (cf. É. Glissant) ayant, pour le fond, des extensions
politiques d’une langue commune.
Parmi ces auteurs, à titre d’exemple, il y a ceux qui relèvent de
l’espace européen (de la francophonie littéraire européenne) depuis Frédéric II de Prusse et Catherine II de Russie, depuis Jean
Potocki (Pologne) et Oscar V. Lubicz-Milosz (Lituanie), Charles
de Coster (Belgique) et Oscar Wilde (Irlande), August Strindberg
(Suède) et Rainer M. Rilke (Autriche), Fernando Arrabal (Espagne) et Emil Cioran (Roumanie), Agota Kristof (Hongrie/Suisse)
et Liliana Lazar (Roumanie)1. Mais les lieux de contacts possibles
sont évidemment bien plus larges.
Toute approche des textes littéraires de la francophonie est empreinte du mouvement viatique des traversées des frontières du
temps et de l’espace, des histoires liées à la présence du français
dans le monde, des identités aux appartenances multiples et des
imaginaires abondants tout comme ces mêmes auteurs sont des
transfuges et des nomades des lieux, des histoires, des langues/
cultures et des styles différents...
1
Liliana Lazar est la récipiendaire du Prix des Cinq Continents de la
Francophonie 2010 pour son premier roman « Terres des affranchis ».
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5. Études de la francophonie littéraire en Pologne
En Pologne, ce sont notamment les départements universitaires
d’études françaises appelés Instituts (ou Chaires) de philologie romane
(ou française) qui apportent une contribution certaine dans la diffusion
de la langue et dans l’enseignement de la littérature française et, depuis
peu des littératures francophones. La tradition philologique a assigné
à la composante littéraire un rôle capital dans la formation. Une très
bonne connaissance de la culture littéraire était une des valeurs sûres
de cette tradition. Les départements construisent leurs enseignements
sur un modèle langue – culture – littérature, schéma disciplinaire et monologique traditionnel, qui est le principe fondamental de ces études et
qui donne à ces parcours une identité forte dans l’association étroite de
la littérature aux études du langage et aux diverses sciences humaines
(l’histoire, la sociologie, l’anthropologie culturelle, la philosophie, ...).
Cette articulation disciplinaire est comprise traditionnellement dans
une approche territoriale et nationale. Souvent, elle est traditionnelle
aussi dans l’approche formelle et critique des textes (dans leur classification et leur interprétation).
Face au pragmatisme imposé par le marché du travail, les Instituts
de philologie romane élargissent leur compétences en introduisant
les enseignements à visée professionnelle (cours de marketing, de
la théorie de la communication, du droit civil, de la micro- ou macroéconomie1) enseignés tantôt en français tantôt en polonais.
Quant aux littératures francophones, si nous ne pouvons pas encore avancer l’idée d’un « habitus disciplinaire » (D’Hulst, Moura,
2003 : 10), ces îlots existent tout de même.
L’Institut de philologie romane de l’Université de Varsovie est
à ce titre exemplaire. Le curriculum de formation inscrit depuis
plusieurs années la francophonie littéraire dans les parcours.
Pour l’année 2010/2011, plusieurs séances consacrées à la découverte et à l’étude des littératures venant des différentes
zones géographiques francophones sont proposées sous forme
de cours monographiques ou séminaires thématiques à partir de
1
Les exemples cités sont les cours proposés par l‘Université de Silésie en
3ème année de licence pour l’année 2010/2011.
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la 3ème année1. A travers les intitulés des séances se dessine un
panorama des lieux, des auteurs et des textes. Il est question
de la francophonie européenne dans les séances intitulés Littérature belge d’expression française, Paysages de la modernité
dans le roman belge francophone ou Le texte et l’image dans les
lettres belges du XIXe et du XXe siècle et il s’agit alors d’une francophonie géographiquement et culturellement proche. Une périodisation de la littérature belge et les problèmes fondamentaux
liés à sa spécificité en tant que littérature francophone (identité,
langue, centre/périphérie, altérité, ancrage culturel ou nordicité)
sont abordés à travers les textes des auteurs comme Charles De
Coster, Camille Lemonnier, Georges Eekhoud, Maurice Maeterlinck, Georges Rodenbach, Marie Gevers, Franz Hellens, Michel
de Ghelderode, Dominique Rolin, Jean-Pierre Verheggen ...
L’approche des littératures francophones est élargie dans les séances
intitulées Littérature francophone au Québec et aux Caraïbes au XXe
et XXIe siècles, Littératures francophones du sud de l’Océan Indien
du XVIe au XXIe siècle, Littératures francophones hors d’Europe : postcolonialisme, transculture, métissage ou Littératures francophones
non-européennes, où se croisent et se confrontent les littératures du
Québec, des Antilles-Guyane françaises, de Haïti et, partiellement,
du Maghreb et de l’Afrique sub-saharienne dans une approche
comparatiste et autour des problématiques caractéristiques pour
la pratique littéraire et l’esthétique des écrivains de ces espaces (la
situation d’énonciation à l’époque coloniale et postcoloniale, l’aliénation, l’altérité et le métissage identitaire, l’imaginaire de la langue
française, le rapport à l’espace-temps, le travail de la mémoire, les
questions de polyphonie et polysémie). Les textes convoqués sont
notamment ceux de Jacques Poulin et de Jacques Godbout, de Régine Robin et de Ying Chen, de Dany Laferrière et de Sergio Kokis
ou encore de Maryse Condé et de Simone Schwarz-Bart, de Patrick
Chamoiseau et de René Dépestre pour n’en citer que quelques uns.
1
Les éléments mentionnés proviennent des descriptifs des séances
disponibles en ligne sur le site Internet de l‘Institut de philologie
romane de l‘Université de Varsovie : http://www.irom.uw.edu.pl/pl/
studia/przedmioty
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En dehors de la capitale, les séances consacrées aux littératures
francophones dans les parcours en lettres françaises sont encore
rares, mises à l’écart des programmes d’enseignement ou y occupent une position aléatoire et périphérique (ne font pas partie du tronc commun de la formation et ne sont de ce fait pas
enseignées à titre obligatoire pour tous les étudiants en licence
et en master). On retrouve des séances consacrées à l’Histoire
de la littérature francophone du Canada et à la Littérature belge
contemporaine (francophone) à l’Université de Silésie et à l’Université Jagellonne).
En d’autres termes il s’agit d’une francophonie restreinte et choisie.
Rares sont encore les séances comme celle intitulée Introduction
à l’histoire de la littérature francophone du XXe siècle (Université
de Białystok) où l’on retrouve côte à côte les auteurs comme Émil
M. Cioran (Roumain), Marguerite Yourcenar et Amélie Nothomb
(Belges), Anne Hebert et Antonine Maillet (Canadiennes : Québécoise et Acadienne), Driss Chraïbi et Tahar Ben Jelloun (Marocains),
Mouloud Feraoun et Tahar Djaout (Algériens).
Le refoulement des littératures francophones dans les périphéries de la littérature française est explicite dans la composition
des programmes et exprime la conception restrictive des belles
lettres appliquée dans les départements en question. Cette marginalisation rend compte aussi des choix faits par les concepteurs des curricula afin de donner aux études romanistiques une
orientation souhaitée.
Il me semble qu’une formation en philologie romane/française n’est
plus envisageable sans l’étude des textes littéraires francophones.
Ce ne sont pas uniquement des raisons esthétiques qui sont en jeu,
mais c’est une réalité du monde que nous vivons qui est en jeu. Le
français, dans son « extension » linguistique, culturelle et littéraire
francophone (et dans mon exemple du contexte polonais) apparaît
comme une possibilité et un imaginaire DES langues, DES cultures et
DES littératures. Dès lors, on se rend compte à quel point le modèle
traditionnel philologique d’études, figé dans son articulation au singulier (UNE langue – UNE culture – UNE littérature) devient caduc.
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6. Conclusion
Le français, langue « déterritorialisée » et « terre d’accueil » (cf.
A. Brincourt) donne lieu à un composite difficilement saisissable
et les textes littéraires francophones en apportent un témoignage exemplaire. C’est dans cette dynamique de langue mais
aussi des lieux pluriels (de culture et de littérature) que se déploie la francophonie moderne.
Dans une formation en philologie romane, il est important de
fournir aux étudiants des outils pour comprendre la réalité sociale dans laquelle ils vont s’insérer en tant que traducteurs,
enseignants ou dans tout autre métier en tant que citoyens du
monde où la conscience et la compréhension de la géographie
de la langue française et le poids de celle-ci dans les rapports linguistiques et culturels à l’échelle mondiale sont les paramètres
indispensables.
Pour les études littéraires généralement, et en l’occurrence pour
les études romanistiques, la prise en compte du phénomène de
la mondialisation et du caractère hybride du monde actuel, sousentend la nécessité d’ouverture à la diversité, à la richesse et à
l’hétérogénéité dont le contexte immédiat est la francophonie
littéraire pour la philologie française, ou d’autres espaces linguistiques et culturels selon les langues (aire lusophone, hispanophone, anglophone, russophone, etc.), et, au-delà, à la littérature mondiale et dans une démarche comparatiste.
L’un des objectifs d’un tel engagement est de lutter contre l’uniformisation du monde et contre l’interdépendance déséquilibrée entre des pays, entrainant aussi l’interdépendance des
littératures (p.ex. francophones par rapport aux françaises) qui
sont les valeurs défendues par Édouard Glissant qui a fait de sa
pensée de l’UN l’axe majeur de sa réflexion en lui opposant la
fécondité du Divers.
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