Les mesures provisoires devant la Cour européenne des droits de l
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Les mesures provisoires devant la Cour européenne des droits de l
Les mesures provisoires devant la Cour européenne des droits de l’homme Contribution du Groupe européen des INDH préparée par la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) Groupe de rédaction sur la réforme de la Cour (GT-GDR-C) 29 janvier 2013 Dans le cadre de la mise en œuvre de la déclaration de Brighton du 20 avril 2012 a été mis en place un groupe de travail, le GT-GDR-C, chargé « d’examiner la question des mesures provisoires prévues par l’article 39 du Règlement de la Cour (européenne des droits de l’homme) »1. Ce Groupe s’est réuni une première fois en décembre 2012 et à nouveau du 30 janvier au 1er février 2013. La Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) – membre du Groupe européen des institutions nationales des droits de l’homme (INDH) – souhaite apporter aux membres du Groupe de travail quelques éléments d’analyse et formuler, au nom du Groupe européen, certaines observations et recommandations concernant la pratique de l’article 39. La réflexion menée sur les mesures provisoires devrait être l’occasion d’échanges approfondis entre le greffe et les Etats – ce qui semble déjà être le cas – et devrait également impliquer les représentants des requérants et la société civile. Ainsi, afin de préparer cette contribution, ont été entendus par la CNCDH des avocats pratiquant des recours « article 39 » ainsi que des associations présentes dans les centres de rétention, dans la mesure où la grande majorité des demandes de mesures provisoires concernent des procédures d’éloignement, d’expulsion, ou d’extradition. Si les observations réunies dans cette note tiennent principalement compte du contexte français, elles sont également applicables à d’autres Etats et devraient intéresser le Groupe de travail et le CDDH dans une perspective d’ensemble. Observations liminaires Si jusqu’en 2006, le nombre de demandes de mesures provisoires était stable (moins de 1000 demandes par an pour les 47 Etats parties), il a rapidement augmenté à partir de 2007 (1179 demandes) pour atteindre un pic en 2010 (3775 demandes). Cependant, les statistiques récentes montrent une nette baisse du nombre total de demandes introduites devant la Cour (2779 en 2011, environ 1700 en 2012), tout comme du taux d’acceptation par la Cour c’est-à-dire du nombre de mesures accordées par rapport au nombre de demandes déposées (38% en 2010 ; 12% en 2011 ; et 6% en 2012). Cette baisse doit pouvoir trouver une explication rationnelle. Il conviendrait toutefois de s’interroger sur les raisons et les conséquences de cette baisse si phénoménale et de rappeler l’importance de préserver un dispositif de mesures provisoires effectif devant la Cour européenne. Il doit en outre être rappelé que le champ d’application potentiel des mesures provisoires est plus large que celui du droit des étrangers, même si c’est sur ce terrain que la pratique s’est développée. 1 La déclaration « rappelle que la Conférence d’Izmir a invité le Comité des Ministres à poursuivre l’examen de la question des mesures provisoires prévues par l’article 39 du Règlement de la Cour ; et invite le Comité des Ministres à évaluer si une réduction significative du nombre de ces mesures a été constatée et si les requêtes faisant l’objet de mesures provisoires sont aujourd’hui traitées avec célérité, et à proposer toute action qui apparaîtrait nécessaire. 1 Pour que la procédure de l’article 39 soit utilisée de manière adéquate et qu’elle conserve son intérêt véritable, il est indispensable que les Etats mettent en place des recours internes véritablement effectifs (accès à un interprète, délais suffisants, etc.). L’effectivité des recours internes suppose la plupart du temps, notamment en matière de renvoi d’étrangers, leur caractère suspensif. Il en va du respect du principe fondamental de subsidiarité qui constitue l’un des fondements même du système de la Convention. Or, il a pu être relevé ces dernières années qu’une demande de mesure provisoire représentait, à tout le moins pour ce qui concerne la France, le seul recours véritablement efficace contre une décision de renvoi vers un autre pays dans certaines circonstances (procédure Dublin II, procédure prioritaire d’examen de la demande d’asile, régime dérogatoire dans les départements d’Outre-mer). Le principe de subsidiarité implique également une exécution rapide des arrêts de la Cour européenne par les Etats membres du Conseil de l’Europe, afin de permettre une mise en œuvre effective de la Convention européenne en droit interne et de conduire, notamment lorsque l’arrêt concerne les recours internes, à une diminution probable du nombre de demandes d’application de mesures provisoires. Plus l’arrêt de la Cour sera exécuté rapidement, moins la Cour aura à appliquer des demandes de mesures provisoires portant sur le même sujet et ayant le même objet2. Observations sur la procédure de l’article 39 Les propositions formulées ci-dessous sont réparties en trois parties, correspondant à la chronologie de la procédure de l’article 39. 1) La formulation de la demande de mesure provisoire Les informations relatives à la date et à l’heure de renvoi du requérant Sur le guide édicté par le Président de la Cour énonçant un certain nombre d’instructions pratiques à suivre lors d’une demande de mesure provisoire qui se trouve sur le site Internet de la Cour, il est précisé que « la Cour pourra ne pas traiter les demandes reçues moins d'un jour ouvré avant la date prévue d'exécution de la mesure d'éloignement ». Même s’il peut sembler utile d’instaurer un certain formalisme dans la procédure relative aux mesures provisoires, il est tout autant nécessaire de s’assurer que les règles édictées ne portent pas une atteinte disproportionnée aux droits de l’homme. Or, il a pu être remarqué que certaines demandes très sérieuses, dans lesquelles le requérant encourait des risques importants de traitements contraires à l’article 3 de la Convention en cas de renvoi, ont été rejetées en raison du non-respect du délai d’un jour franc. Il convient par exemple de rappeler – à tout le moins pour ce qui concerne la France - les situations particulières de l’Outre-mer et des zones d’attente à la frontière, qui justifient une application flexible du délai d’un jour ouvré. En outre, pour que cette règle puisse fonctionner, les requérants doivent avoir connaissance de la date et de l’heure de leur renvoi. Or, de fait, en France par exemple, les requérants ou leurs représentants sont rarement informés à l’avance du jour et de l’heure de leur départ. De plus, dans certains cas, le délai de renvoi est inférieur à un jour franc. Le cas de sortants de prison, placés quelques heures en rétention puis immédiatement renvoyés, ainsi que celui du régime dérogatoire de départements ultramarins qui ne prévoit pas de recours suspensif des mesures d’éloignement, lesquelles sont exécutées en majorité en moins de 24 heures, peut à cet égard être évoqué. 2 Voir, par exemple, l’arrêt I.M. c. France du 2 février 2012 et qui a des conséquences en matière de recours internes. 2 En outre, sur la page internet consacrée aux mesures provisoires, il est indiqué que les demandes doivent être envoyées du lundi au vendredi et que celles transmises après 16h30 « ne pourront pas en principe être traitées le jour même ». Il est évident que le greffe de la Cour est soumis à des contraintes logistiques, en raison de la mobilisation des juges et des juristes, et de la difficulté à joindre le Gouvernement concerné en cas d’application d’une mesure. Là encore, la nécessaire flexibilité doit être reconnue dans le cadre de la procédure, pour ne pas porter préjudice aux droits des requérants en restreignant de manière excessive leur possibilité de présenter des demandes de mesures provisoires. La mise en place de permanences au sein du greffe de la Cour et des ministères concernés ou encore, de numéros de téléphone spéciaux, devraient être généralisée. Les Etats devraient porter à la connaissance des requérants ou de leurs représentants la date et l’heure de leur départ dès que celle-ci est prévue, afin de permettre le dépôt suffisamment en amont d’une demande de mesure provisoire et de s’assurer d’une meilleure gestion du temps. La Cour devrait informer les représentants des requérants de la possibilité de transmettre certaines pièces avant même la fin des recours suspensifs, dans le cas où une demande de mesure provisoire est susceptible d’être déposée. La Cour devrait appliquer de manière flexible la règle relative au délai d’ « un jour ouvré » afin de ne pas courir le risque de ne pas traiter une demande sérieuse de mesure provisoire au seul motif qu’elle n’a pas été formulée suffisamment tôt Il convient également de tenir compte d’un éventuel décalage horaire, notamment dans les départements d’Outre-mer. Il conviendrait d’envisager la mise en place de « permanences » de juges et de juristes au sein du greffe de la Cour européenne ainsi qu’au sein des ministères concernés, ou encore la mise à disposition de numéros de téléphones spéciaux, afin de permettre le dépôt et le traitement d’une demande le soir et le week-end lorsque l’urgence l’exige. La formation des représentants à la procédure des articles 39 Le nombre de demandes considérées comme étant « hors du champ de l’article 39 » », c’est-àdire tardives, incomplètes ou inadaptées, a globalement diminué : en France, il s’agit de seulement 1% des demandes en 2012. Cette diminution peut notamment s’expliquer par la meilleure communication de la Cour sur les mesures provisoires, notamment le guide susmentionné mis en ligne en juillet 2011. Les ONG font elles aussi un effort de communication auprès des requérants, notamment en diffusant des modèles de requêtes sur leur site Internet3. Cependant, si les associations présentes dans les centres de rétention sont pour la plupart formées à cette procédure, ce n’est pas le cas de tous les avocats qui ne sont pas toujours familiers d’une telle procédure et peuvent parfois penser qu’il est nécessaire d’épuiser toutes les voies de recours internes, même celles ne présentant pas un caractère suspensif, avant de faire une demande de mesure provisoire. Un effort de formation des avocats sur la procédure de l’article 39 s’avère donc nécessaire. A cet égard, il convient de noter que de tels efforts sont déjà mis en œuvre ou commencent à l’être, notamment dans le cadre du programme HELP (Human Rights Education for Legal Professionals) du Conseil de l’Europe. Ce programme devrait inclure des formations relatives à la procédure des mesures provisoires. 3 Par exemple, en France, le Gisti met en ligne un modèle de demande de mesure provisoire. 3 Des informations relatives à la procédure des mesures provisoires devraient être diffusées le plus largement possible et des formations devraient être développées au sein des écoles d’avocats et dans le cadre de leur formation continue. 2) L’examen de la demande par la Cour L’examen individualisé de la demande et la prévention d’un afflux de demandes L’examen d’une demande de mesure provisoire doit être exclusivement fondé sur une analyse du risque personnel et réel de dommage irréparable. Cependant, par le passé, la Cour a pu faire faire droit de manière quasi-systématique à des demandes de mesures provisoires pour les ressortissants de certaines nationalités et recevoir ainsi un afflux de demandes émanant de personnes de la même nationalité. Ce fut par exemple le cas de ressortissants sri lankais d’origine tamoule, entre 2008 et 2010. Ce fut également le cas pour les renvois des migrants vers la Grèce en vertu du Règlement Dublin II : la Cour a systématiquement fait droit à une demande d’article 39 lorsque le requérant devait être renvoyé en Grèce dans les mois qui ont précédé l’arrêt de Grande Chambre M.S.S. c. Belgique et Grèce du 21 janvier 2011. Ce phénomène explique en partie le nombre important de demandes et d’indication de mesures provisoires en 2010. Depuis cet arrêt, les Etats ont progressivement cessé de renvoyer les migrants vers la Grèce, conduisant à la réduction significative du nombre de demandes de mesures provisoires. Ces situations caractérisées par un afflux de demandes de mesures provisoires ont conduit à un engorgement de la Cour, s’ajoutant à l’engorgement existant. Afin de prévenir un tel phénomène, la Cour devrait être encouragée à signaler à l’Etat défendeur, dans le cadre d’une décision individuelle, l’existence soit d’une situation telle que tout renvoi vers le pays en question devrait être temporairement suspendu, soit d’affaires pendantes devant elle, qui seraient de nature à justifier une application généralisée de mesures provisoires. La conclusion rapide de « protocoles d’accords » entre la Cour et les Etats visant à prévenir un afflux de demandes propres à justifier l’application d’une mesure provisoire, ou à garantir un traitement efficace de demandes en cours, devrait également être encouragée. Sur la base d’informations données par la Cour, il est indispensable que l’Etat anticipe une éventuelle situation de « saturation » due à un afflux massif de demandes de mesures provisoires en répercutant au niveau national les décisions de la Cour. Dès lors que l’Etat constate l’application de demandes de mesures provisoires de manière répétitive liée à une situation donnée, il doit en prendre rapidement acte en mettant en place les mesures adéquates au niveau interne. Le caractère contradictoire de la procédure L’une des pistes de réflexion avancée est l’introduction d’une phase contradictoire préalable au prononcé de l’article 39. A cet égard, il convient d’emblée de rappeler que l’Etat défendeur peut à tout moment apporter des informations complémentaires à la Cour et contester l’application d’une mesure provisoire. Il est en outre utile de relever que, depuis la mise en place de la procédure centralisée en septembre 2011, une certaine forme de contradictoire a été instituée, immédiatement après le prononcé de la mesure provisoire dans la mesure où désormais, l’application de l’article 39 peut être accompagnée d’une « communication immédiate » de l’affaire au Gouvernement défendeur (le jour même ou, au maximum, dans les 15 jours qui suivent). La mise en place de cette communication immédiate tend à faire débuter instantanément la phase contradictoire de la procédure, en supprimant le délai entre l’application de la mesure provisoire et le début de la procédure au fond. Une fois le dossier transmis au Gouvernement, celui-ci possède en effet tous les éléments pour contester, si nécessaire, la mesure provisoire demandée par la Cour. 4 Ainsi, au vu des améliorations apportées par la procédure centralisée et du caractère particulièrement urgent des demandes de mesures provisoires, l’introduction d’une phase contradictoire avant même le prononcé de la mesure provisoire n’apparait pas opportun. En revanche, la mise en place d’une procédure d’application temporaire d’une mesure provisoire a parfois pu être constatée et pourrait constituer une partie de la solution (voir, en ce sens, §35 du document GT-GRD-C(2013)001)). Ainsi, des mesures provisoires peuvent être appliquées pour une durée déterminée, une ou deux semaines par exemple, le temps pour le requérant d’apporter des précisions sur sa demande, notamment par la production de documents complémentaires, et pour le Gouvernement d’y répondre. A l’issue de la période fixée, les juges de la Cour statuent à nouveau sur la demande de mesure provisoire, en décidant soit de prolonger la mesure provisoire, soit de la lever. Une telle procédure d’application avec une date précise, même si elle peut constituer une surcharge de travail pour la Cour, a le mérite de concilier le besoin de protection immédiate du requérant avec celui d’un débat contradictoire permettant de statuer de manière éclairée sur la demande L’introduction d’une phase contradictoire avant même le prononcé de la mesure provisoire n’apparait pas souhaitable. Cependant, si celle-ci devait être mise place, elle devrait, en tout état de cause : - S’accompagner nécessairement d’une suspension du renvoi du requérant, le temps qu’il soit définitivement statué sur la mesure (voir, en ce sens, § 29 du document GTGDR-C(2013)001). - Ne pas conduire à allonger considérablement le délai entre la demande de mesure provisoire et la décision de la Cour. - Ne pas se faire au détriment du requérant, qui se trouve dans une situation de vulnérabilité, et ne pas l’empêcher, de quelque manière que ce soit, d’effectuer ou de maintenir des recours au niveau interne. La motivation de la décision de la Cour Il ressort du document émanant du greffe de la Cour (référencé GT-GDR-C(2012)009) que si la motivation des décisions relatives à l’article 39 s’avère possible dans certains cas limités, les contraintes matérielles restreignent de fait son utilisation. En effet, une formulation précise et circonstanciée des raisons de l’application des demandes de mesures provisoires s’accorde mal avec les contraintes de temps auxquelles le greffe est soumis dans un contexte d’urgence. En outre, la communication immédiate de l’affaire au Gouvernement défendeur tend à rendre une telle motivation superflue puisque l’ensemble du dossier lui est désormais transmis dès l’application de l’article 39 du règlement, avec les questions que la Cour souhaite poser aux parties. Or, ces questions peuvent permettre de comprendre les éléments pris en compte par la Cour pour prendre sa décision d’application d’une mesure provisoire. Il est toutefois nécessaire, pour entrevoir la motivation de la Cour, que les questions posées le soient de façon suffisamment précise4. Par ailleurs, en l’absence de motivation de chaque décision, il serait toutefois utile que la Cour dispense des informations générales sur les critères utilisés dans le traitement des demandes de mesures provisoires, sans que cela entraine la divulgation d’informations sensibles. 4 Ainsi, une question trop générale du type : « Existe-t-il des motifs sérieux de croire à l’existence d’un risque réel de traitements contraires à l’article 3 de la Convention en cas de renvoi du requérant vers son pays d’origine ? » est trop vague pour pouvoir en déduire les éléments ayant motivé la décision de la Cour (voir, à titre d’exemple, les questions posées dans la requête n° 56877/11, A.K. c. France, communiquée au Gouvernement français le 12 décembre 2012). 5 Une motivation de la décision de la Cour en cas d’application de l’article 39 n’apparait pas adéquate compte tenu des contraintes matérielles mentionnées par le greffe. En revanche, pour pallier ce manque de motivation, il serait utile que la Cour fournisse des informations générales sur les critères utilisés dans le traitement des mesures provisoires. Il serait également nécessaire que les questions posées au Gouvernement défendeur dans le cadre de la communication de l’affaire soient les plus précises possibles afin de refléter au mieux les éléments retenus par la Cour pour décider de l’application de la mesure provisoire. 3) L’exécution de la décision d’application d’une mesure provisoire L’obligation de l’Etat de se conformer à la mesure provisoire L’application d’une mesure provisoire, une fois notifiée à l’Etat, doit être immédiate et systématique. Même si, comme cela est souligné ensuite, des difficultés résultent de l’exécution pratique de la mesure en France, il n’existe pas depuis 2005 de problème lié à un défaut pur et simple d’application par la France d’une mesure provisoire. A cet égard, par une ordonnance du 30 juin 2009, le juge des référés du Conseil d’Etat a considéré que l’inobservation par le Gouvernement des mesures provisoires prescrites sur le fondement de l’article 39 du règlement de la Cour constituait un manquement aux stipulations de l’article 34 de la Convention européenne des droits de l’homme5. Le Conseil d’Etat a ainsi tiré les conséquences de la jurisprudence de la Cour issue de l’arrêt Mamatkoulov et Askarov c/ Turquie du 4 février 20056. Cependant, il n’est pas inutile de rappeler que le recours aux assurances diplomatiques est jugé inopérant par la Cour européenne des droits de l’homme et ne peut à lui seul faire obstacle à l’application d’une mesure provisoire par la Cour7. Par ailleurs, si le principe de l’application obligatoire d’une mesure provisoire n’est pas remise en cause, certaines questions concrètes peuvent se poser : - Ainsi, dans le cas où un requérant ne serait pas renvoyé vers l’Etat pour lequel la mesure provisoire a été indiquée par la Cour mais vers un autre Etat8, se pose la question de l’effet pour cet Etat de la décision de la Cour demandant l’exécution d’une mesure provisoire, et ce d’autant plus s’il est membre du Conseil de l’Europe ? La Cour aurait-elle dans ce cas la 5 Voir ord. réf. 30 juin 2009, Ministre de l’intérieur, de l’outre-mer et des collectivités territoriales c/ Beghal, n° 328879 « Considérant que les mesures provisoires prescrites sur le fondement de l'article 39 du règlement de la Cour européenne des droits de l'homme ont pour objet de garantir l'effectivité du droit au recours individuel devant cette cour prévu à l'article 34 de la Convention ; que leur inobservation constitue un manquement aux stipulations de ce dernier, qui stipule que les parties contractantes s'engagent à n'entraver par aucune mesure l'exercice du droit de recours individuel devant la cour ; que par suite, en l'absence d'exigence impérieuse d'ordre public, M.A étant assigné à résidence sans qu'il soit soutenu qu'il ne respecterait pas les obligations qui découlent de cette mesure, ou de tout autre obstacle objectif empêchant le gouvernement français de se conformer à la mesure prescrite et dont il aurait informé la Cour afin de l'inviter à réexaminer la mesure conservatoire prescrite, l'exécution à destination de l'Algérie de l'arrêté d'expulsion du 19 décembre 2007 constituerait une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale ; (…) ». 6 Voir également l’arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme, Paladi c. Moldova du 10 mars 2009. 7 Voir l’arrêt Othman (Abu Qatada) c. Royaume-Uni du 17 janvier 2012. 8 Voir par exemple le cas de Yassine Ferchichi, ressortissant tunisien renvoyé vers le Sénégal par la France en décembre 2009. 6 - possibilité d’informer l’Etat en question de l’application d’une mesure provisoire, même s’il n’était pas à l’origine, l’Etat défendeur ? Se pose en outre la question, dans le cas d’une suspension d’un éloignement vers un Etat membre du Conseil de l’Europe par l’application d’une mesure provisoire en raison d’un risque de violation par cet Etat de l’article 2 ou 3 de la Convention européenne, de la possibilité pour la Cour d’associer, ensuite, cet Etat à la procédure au fond. Le processus de réflexion engagé devrait être l’occasion d’éclaircir ces points, qui aussi complexes soient-ils, n’en sont pas moins pertinents. L’exécution de la mesure à court terme Des difficultés d’exécution peuvent parfois être liées au délai avec lequel les autorités internes chargées de l’application de la mesure sont effectivement prévenues de l’existence d’une nouvelle mesure. En effet, le circuit de transmission des informations peut parfois s’avérer particulièrement long, ce qui est préjudiciable au requérant qui reste dans une situation incertaine. Ainsi, peut-il arriver que les autorités internes soient prévenues très tardivement de la mesure, alors même que le requérant se trouve déjà en salle d’embarquement voire dans l’avion. Par ailleurs, des difficultés techniques internes aux Etats ne devraient pas pouvoir justifier l’inexécution d’une mesure provisoire. La mise en place d’un système sécurisé de transmission des informations, déjà adopté pour certains Etats, devrait être généralisée. Dans le cas où la décision d’application de la mesure provisoire arriverait trop tard, se pose la question de savoir jusqu’à quel moment dans le processus d’éloignement l’Etat est-il compétent pour mettre une mesure provisoire à exécution ? Est-ce qu’une fois l’avion fermé mais non décollé ou décollé mais non atterri, l’Etat ne pourrait-il pas appliquer la mesure ? Les réflexions en cours devraient être l’occasion de clarifier ce point. Alors même que la mesure provisoire a été indiquée par la Cour européenne, le requérant peut parfois rester plusieurs jours au sein du centre de rétention. Le prononcé par la Cour d’une mesure provisoire n’implique pas nécessairement en pratique la remise en liberté du requérant. Il conviendrait de remédier à ce problème, notamment en formant les directeurs des centres de rétention au sens et à la portée d’une mesure provisoire décidée par la Cour. Alors même que le requérant se trouve « protégé » par la mesure provisoire, il arrive également qu’il soit à nouveau appréhendé par les autorités policières, retenu au commissariat, voire même placé en centre de rétention. Il apparait parfois difficile de faire entendre aux autorités policières ou administratives la portée réelle d’une telle mesure. Un renforcement de la formation de l’administration au sens et à la portée d’une mesure provisoire indiquée par la Cour apparait donc indispensable. Une transmission directe et rapide de l’information de la Cour jusqu’aux autorités chargées de l’éloignement devrait être assurée et le recours au système sécurisé de transmission d’informations entre la Cour et les Gouvernements devrait être généralisé. Les effets d’une mesure provisoire devraient être immédiats et uniformes sur l’ensemble du territoire national et s’appliquer à l’ensemble des autorités et organes de l’Etat. Les fonctionnaires devraient bénéficier de formations adéquates sur les mesures provisoires décidées par la Cour européenne. Le statut du requérant à la suite de l’application d’une mesure provisoire Une fois la mesure provisoire appliquée, se pose la question du statut du requérant à qui s’applique cette mesure et de son accueil sur le territoire de l’Etat ayant souhaité procéder à son renvoi. 7 Il existe en France la possibilité pour le requérant d’être admis au séjour ou, à défaut, d’être assigné à résidence. Prévue au nouvel article L.561-1 du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA), l’assignation à résidence peut être prononcée en faveur d’une personne étrangère qui justifie « être dans l'impossibilité de quitter le territoire français ou ne peut ni regagner son pays d'origine ni se rendre dans aucun autre pays ». La personne est assignée à résidence « jusqu'à ce qu'existe une perspective raisonnable d'exécution de son obligation ». Cependant, il n’y a pas d’assignation à résidence prononcée de manière uniforme et systématique, et si c’est le cas, elle ne s’accompagne pas d’une autorisation provisoire de séjour et de travail. Dès lors, les requérants restent assignés à résidence sans avoir la possibilité de subvenir à leurs besoins. Au-delà des considérations humanitaires, l’une des conséquences de l’absence de structures d’accueil et de statut juridique clair est la « perte de la trace » des requérants une fois que ceux-ci sortent du centre de rétention, d’autant que le délai d’examen de la requête au fond par la Cour européenne dure souvent plusieurs mois (21 mois environ selon les dernières statistiques). L’admission au séjour avec autorisation de travail, ou à défaut, l’assignation à résidence avec autorisation de travail, doivent pouvoir être envisagées comme une solution satisfaisante. Plus encore, il devrait être envisagé de doter le requérant d’un statut protecteur lui permettant de bénéficier, le cas échéant, d’un hébergement et d’une aide financière. La Cour devrait poursuivre ses efforts pour réduire au maximum les délais d’examen des requêtes au fond, facteurs d’incertitudes pour le requérant. L’articulation entre les procédures nationales et la procédure devant la Cour européenne Une fois que l’article 39 est appliqué et que la requête au fond est pendante devant la Cour européenne, même si rien ne s’oppose à ce que la procédure interne continue, les procédures nationales sont parfois suspendues, par exemple en matière de demande d’asile ou d’admission au séjour. Il peut également arriver que les autorités internes demandent expressément au requérant de se désister de la procédure au fond devant la Cour européenne s’il désire obtenir une admission au séjour. Une même personne, alors même qu’elle se trouvait « protégée » par l’application d’une mesure provisoire par la Cour, a aussi parfois pu être appréhendée et placée à nouveau en centre de rétention. Il est indispensable que des consignes soient données au niveau national à l’égard des administrations et des juridictions afin que l’application d’une mesure provisoire par la Cour européenne n’altère en aucune manière d’autres droits du requérant, et notamment celui d’initier des procédures (de régularisation, par exemple) ou de faire des recours au niveau interne. En tout état de cause, l’épuisement des recours non-suspensifs avant la décision au fond de la Cour pourrait permettre à celle-ci de prendre appui sur des décisions internes plus fournies et plus récentes et s’inscrirait dans le plein respect du principe de subsidiarité. 8