La France vue par un économiste - Jean
Transcription
La France vue par un économiste - Jean
La France vue par un économiste par Jean-Jacques Rosa in Une certaine idée de la France, Alain Griotteray, Editions France-Empire, 1998 Comme toute entreprise humaine, la France, évidemment, n'est pas éternelle. Société progressivement unifiée au cours des siècles sur un territoire défini peu à peu par la guerre et l'intrigue, elle n'a pas toujours existé et n'existera peut-être plus demain comme entité politique indépendante. L'histoire nous enseigne que les empires, les nations et les civilisations connaissent des phases de grandeur et de décadence c'est-à-dire évoluent et ne sont pas immuables. La France est-elle entrée dans sa phase de sénescence ? Est-elle aujourd'hui "dépassée" ? Et dans ce cas dépassée par quelle autre organisation ou absence d'organisation ? Dépassée au profit de quoi ? La réponse des européistes est sur ce point assez claire : le développement d'un marché mondial rendrait obsolètes les nations de petite ou moyenne dimension et appellerait une restauration du pouvoir politique par passage à une dimension supérieure, celle que l'on peut obtenir par la fusion des Etats-nations existants en un super-Etat continental. La dissolution de la France dans un Etat-nation fédéral est ainsi justifiée, dans leur propos, par la recherche de l'efficacité politique. Mais est-ce bien le cas ? L'approche économique des institutions et des organisations, privées et publiques, discipline nouvelle, permet de suggérer quelques perspectives sur l'avenir de la nation et de l'Etat. Elle consiste à étudier les coûts et les avantages que l'Etat-nation est capable de procurer en fonction de sa dimension. De même qu'elle définit la dimension la plus efficace de l'entreprise privée, l'analyse économique peut éclairer la question de la dimension optimale de l'Etat-nation, celle qui minimise les coûts de production d'un service donné, et maximise donc l'efficacité de la gestion politique. La forme contemporaine d'organisation des sociétés, qui en est venue à dominer toutes les autres par son efficacité supérieure, est l'Etat-nation, invention des temps modernes qui a atteint sa forme achevée au 19ème siècle. Comme son nom l'indique il associe à chaque nation un Etat en une correspondance étroite et fonctionnelle. Selon Le Petit Robert, la nation est "un groupe humain, généralement assez vaste, qui se caractérise par la conscience de son unité et la volonté de vivre en commun", ou encore un "groupe humain constituant une communauté politique, établie sur un territoire défini... et personnifiée par une autorité souveraine" La nation se définit ainsi comme la rencontre d'un peuple parlant une même langue et d'un territoire. En Europe, nombre de ces "nations" se sont constituées lors des grandes invasions qui ont marqué la fin de l'empire romain : les Francs, les Vandales, les Burgondes, les Angles et les Saxons. Ces peuples s'organisent spontanément selon des règles dégagées par la coutume. La force et le prestige individuels jouent un grand rôle dans ces procédures de décision collective assez peu formalisées. Nation, homogénéité culturelle et biens collectifs Les décisions collectives, ou encore "politiques", sont en effet constitutives des "nations" ou des "peuples" parce que ces derniers se rassemblent justement pour produire et consommer des biens collectifs. Les peuples et les nations se forment ainsi, par tradition, affinités et similitude, pour obtenir à moindre coût les biens collectifs que sont la langue, le droit, la défense externe et la police ainsi que certaines formes d'assurance et de solidarité. Pour les économistes, qui en ont fait la théorie, les biens collectifs sont, par opposition aux biens de nature privée, ceux qui ne peuvent être divisés et dont la consommation est par suite identique pour tous les usagers. Chacun peut acheter le téléviseur de son choix, différent de celui du voisin, et un ou plusieurs exemplaires de son journal préféré. Mais la sécurité que procure la défense nationale d'un territoire profite également et simultanément à tous les individus présents sur ce territoire. Paul ne peut pas obtenir plus ou moins de défense nationale que Pierre. La défense est un bien collectif. Il s'ensuit que sa production est beaucoup plus avantageuse quand elle est destinée à un nombre élevé de consommateurs. La sécurité du groupe est aussi coûteuse à produire pour cent personnes que pour mille. Mais dans le second cas le coût par tête sera beaucoup plus faible. Il s'ensuit également que les choix de production des biens collectifs sont plus faciles lorsque la population est homogène, dotée de préférences semblables, ce qui réduit les conflits de nature politique, ceux relatifs justement aux choix des biens collectifs. L'Etat et l'économie de la frontière Dans la période moderne, les nations ou les peuples sont gouvernés et organisés par des Etats. Pour l'économiste, l'Etat est une entreprise spécialisée dans la production de biens collectifs, et en premier lieu la production de sécurité externe et interne. La production de biens collectifs est d'autant moins coûteuse, et le pouvoir de monopole de l'entreprise-Etat d'autant plus fort et son financement en conséquence plus facile, que la population qu'il contrôle est plus homogène et se différencie plus fortement des populations avoisinantes. Dans ces conditions en effet la mobilité des individus est des plus réduite et par suite l'extraction fiscale est plus commode. L'Etat qui gouverne un peuple homogène, très différencié des autres et donc peu mobile, peut en extraire un maximum de ressources. Les politiques nationales les plus courantes ont ainsi pour objet d'accroître l'homogénéité et la spécificité de la nation par l'éducation obligatoire et identique pour tous, par la restriction de l'immigration et par l'assimilation des immigrants, par le développement du particularisme linguistique et culturel, c'est-à-dire par l'encouragement du nationalisme. Toutes ces politiques se sont beaucoup développées après la révolution industrielle. Auparavant en effet l'Etat ne coïncidait généralement pas avec une nation. A un Etat unique correspondaient souvent des peuples multiples. Au sortir du Moyen Age les appareils militaires et fiscaux appartenaient à des familles et se transmettaient comme un patrimoine privé. L'organisation féodale de la société s'appuyait ainsi sur des sortes de "holdings" de pouvoirs militaires locaux et rassemblait des "peuples" très hétérogènes du point de vue de la langue et des coutumes, pratiquement privés de toute mobilité et souvent même attachés à la terre. Les Etats se sont construits au détriment de ces "holdings" en tant qu'organisations politiques unitaires, centralisées et hiérarchiques établissant un monopole de la violence organisée sur un territoire donné. Comme tels ils ont été naturellement amenés à prendre un plus grand soin de la prospérité des populations qu'ils contrôlaient et auxquelles ils faisaient payer tribut, dans la mesure où ce dernier est d'autant plus abondant, d'année en année, que la production agricole locale est forte. Ce qui suppose des investissements productifs, lesquels supposent à leur tour une certaine sécurité pour les paysans producteurs. Cette exploitation symbiotique devient alors mutuellement profitable, et d'autant plus que la concurrence entre les Etats permet à une partie de la population de faire allégeance aux exploiteurs les moins prédateurs tout en fuyant les plus rapaces. L'Etat militairement le plus efficace et fiscalement le moins vorace attire les individus mobiles les plus productifs. L'histoire de la France, comme celle des autres Etats-nations, est celle de la recherche de la dimension d'équilibre de cette communauté humaine, en rivalité constante avec ses voisines. Chaque Etat définit progressivement, à l'occasion d'innombrables conflits et confrontations militaires et politiques, son équilibre territorial avec les Etats voisins. Ces conflits de bornage sont selon les époques et les nations, défensifs ou de conquête. Parfois les deux simultanément. L'efficacité supérieure d'un Etat sur les autres modes d'organisation politiques, ou sur d'autres Etats, se traduit par son développement géographique, l'agrandissement de son périmètre, lorsque la technologie militaire supérieure donne l'avantage à la grande dimension. De la Renaissance à la Révolution industrielle la dimension moyenne des Etats n'a cessé d'augmenter en raison des mutations des technologies militaires qui demandaient des investissements massifs, englobant ainsi des peuples très divers sous une même autorité. Mais la politique d'homogénéisation des populations n'était pas indispensable dans la mesure où ces dernières étaient encore fondamentalement immobiles, fixées au sol. L'extraction fiscale était alors limitée avant tout par la capacité de développement de l'appareil administratif des monarchies. Nationalisme et révolution industrielle La révolution industrielle cependant détermine un fort mouvement d'urbanisation et de mobilité individuelle qui bouleverse cet équilibre. La matière fiscale se fait plus mobile, moins facilement saisissable. L'appareil militaire, que l'on pouvait considérer rétrospectivement comme relativement "léger" jusque là, s'industrialise et devient "lourd", bureaucratique et répond, par avance en quelque sorte, à des critères "tayloriens". C'est l'armée "de masse". La dimension moyenne des Etats tend à augmenter encore tandis que leurs besoins de financement de l'appareil militaire s'accroissent. Il faut "mobiliser" des ressources financières et humaines plus fuyantes, ce qui passe par une homogénéisation des populations que contrôle l'Etat pour permettre une plus intense extraction fiscale. C'est la politique du nationalisme et la généralisation de l'Etat-nation qui se confirme après la révolution française. L'Etat ainsi homogénéisé, "nationalisé", affirme son efficacité supérieure vis-à-vis de l'Etat plurinational traditionnel comme par exemple l'Autriche-Hongrie, ou par rapport aux petites principautés allemandes. Les liens plus lâches qui fondaient les empires anciens et les féodalités se dissolvent. Principautés et autres communautés locales sont absorbées dans des nations unitaires et le colonialisme asservit la plupart des peuples du monde à quelques grands Etatsnations européens. C'est la grande période de ces Etats-nations, qui atteint son apogée au 19ème et au 20ème siècles. C'est l'ère des grands empires et de l'expansionnisme. L'unification culturelle, forme initiale de la pensée unique, est poussée par le pouvoir central, de Napoléon 1er à Jules Ferry, sur le territoire national comme dans les colonies. C'est le déclin imposé des langues régionales, des patois, des cultures locales. La cohésion de la nation en est accrue à mesure du développement des modes de transport qui permettent de mieux contrôler et d'unifier - administrativement - le territoire, tout en le conduisant à se différencier économiquement. C'est une période d'intense propagation de l'idéologie de l'Etat-nation, le nationalisme. Celui-ci, selon le dictionnaire, est une "exaltation du sentiment national ; attachement passionné à la nation à laquelle on appartient, accompagné parfois de xénophobie et d'une volonté d'isolement". Ces caractéristiques donnent à l'Etat une forte capacité d'assimilation. Des Antilles à la Réunion ou aux îles du Pacifique on retrouve une forte empreinte culturelle (langue, modes de vie, mœurs, administration publique) incontestablement française. L'école et l'armée constituent les deux instruments de cette assimilation. L'homogénéisation qui en résulte est systématiquement forcée et recherchée. La quête de la plus grande dimension des Etats, facteur d'efficacité politique et militaire, conduit à des confrontations et à des guerres entre nations. Celles-ci se font particulièrement violentes et générales avec l'expansion de puissants Etats-nations en Europe, qui entraînent dans leur sillage des colonies de tous les continents. Les guerres entre européens deviennent ainsi des guerres mondiales. En matière économique le protectionnisme marque la première moitié du 20ème siècle, à l'apogée de l'expansionnisme rival des Etats-nations. Simultanément, favorisé par l'économie de guerre, le poids des Etats ne cesse d'augmenter au sein des économies nationales. La formule extrême est atteinte avec le communisme et le nazisme dans lesquels l'appareil de production national tout entier est subordonné aux directives du pouvoir politique. Le totalitarisme est l'effort d'homogénéisation complète, poussée à l'extrême, de la population que l'Etat veut contrôler dans tous les actes de la vie publique et privée et même dans les pensées des individus. La contre-révolution contemporaine En cette fin du 20ème siècle, les bouleversements politiques que nous vivons, en Europe comme hors d'Europe, sont dus à ce que le mouvement précédent d'expansion et d'unification des Etatsnations a cédé la place à un mouvement de sens inverse, à un reflux. La mutation des techniques, militaires et de communication, pousse à l'atomisation de toutes les organisations, y compris les entreprises publiques que sont les Etats-nations. C'est vrai en particulier de l'entreprise militaire. Aujourd'hui la grande dimension ne constitue plus un avantage décisif comme le montrent les échecs des Etats-Unis au Vietnam et de l'Urss en Afghanistan, ou encore les difficultés des grandes puissances coalisées pour mettre un terme à la guerre civile dans un petit pays comme le Yougoslavie. Cela vaut également en matière économique. Les marchés nationaux s'ouvrent sur l'extérieur, ce qui réduit l'avantage exceptionnel dont bénéficiaient les grandes nations du fait de leur vastes débouchés économiques intérieurs. Dans le même temps toutes les organisations centralisées que sont les entreprises publiques et privées tendent à se contracter. L'efficacité n'est plus l'apanage des plus grandes. Les petites firmes et les petits Etats prospèrent tout aussi bien que les grands. Les Etats-nations les moins puissants, les moins homogènes éclatent. Au lieu que le grand Etat, plus efficace militairement et économiquement, cherche à homogénéiser par une culture nationaliste sa population, les Etats tendent à se fragmenter pour se réduire aux dimensions des unités de populations nationales les plus homogènes. Depuis 1950 le nombre total des Etats dans le monde est passé de 74 à 192. La dimension médiane de leurs populations ne dépasse pas aujourd'hui les 6 millions d'habitants. Parmi les plus grands Etats les plus efficaces et les plus "légers" en part de leur prélèvement fiscal sur le produit national (Etats-Unis) survivent plus facilement que les plus "lourds" (URSS). Les plus homogènes (Pologne, Hongrie) survivent mieux que les plus hétérogènes (Tchécoslovaquie, Yougoslavie). A l'intérieur, l'effort porte désormais sur la réduction des frais généraux des Etats. La difficulté à lever des impôts de plus en plus pesants, alors que les citoyens, les capitaux et les entreprises sont de plus en plus mobiles, obligent les gouvernements à se défaire des entreprises publiques qui produisent des biens par nature privés, à alléger le poids des administrations. Le nationalisme pâtit nécessairement de ces évolutions. Il s'accommode mal de la décolonisation, voire de la décomposition des Etats, de la diminution de prestige des militaires et des fonctionnaires qui va de pair avec la réduction de leurs budgets. Mais si l'Etat est affaibli dans son emprise sur les citoyens (cela s'appelle aussi la démocratie), s'il doit se recentrer sur son métier principal et parfois réduire son périmètre territorial, la nation subit de son coté des mutations majeures. L'homogénéité nationale est affaiblie par la mondialisation des échanges, d'hommes, de marchandises, d'idées. Les facilités de la communication et des transports de masse rapides accroissent l'ouverture des économies, favorisent les échanges, offrant aux individus une multiplicité de choix culturels. L'uniformisation française pratiquée avec assiduité depuis Louis XIII est soudain confrontée à la possibilité cosmopolite jadis réservée à un petit nombre. Chacun peut à son gré mélanger les cultures des différentes nations et des cultures extra nationales. Même si la culture nationale reste dominante, en grande partie en raison de la langue, il y a renaissance des cultures régionales et revendication régionaliste. Il s'ensuit que l'identité nationale devient plus floue. Ses contours sont moins marqués. Les fameux "caractères nationaux" subsistent mais s'estompent. Les français parlent plus volontiers anglais aux touristes qu'il y a vingt ou trente ans. Les musiques de tous pays coexistent désormais dans les goûts du public. Cette interrogation sur la nature de l'identité nationale polarise l'attention sur les non-nationaux, sur l'immigration. Celle-ci n'est pas nécessairement plus importante en volume que par le passé. Mais alors que l'homogénéisation selon le modèle national unique était jadis très forte, elle s'impose moins aujourd'hui face aux tentations de la diversité et de la mobilité. D'où l'inquiétude, la crise d'identification des nationaux face à des problèmes qui ne sont pas vraiment nouveaux. Au total, on en vient à douter de l'Etat-nation parce que l'entreprise Etat est en reconversion et doit réduire sa dimension dans la société et parce que l'entreprise d'autre part la nation est moins homogène et a désormais des contours moins définis. Mais il ne faut pas exagérer l'importance de ce danger. Nous ne sommes pas dans une ère d'intenses migrations internationales car la pauvreté diminue dans une bonne partie du monde sous-développé. Or c'est la pauvreté qui est le ressort principal de l'émigration. Et d'autre part nous ne sommes pas dans une période d'intense colonialisme, ce qui exclut des mouvements majeurs de peuplement "agressif". Il n'y a, de ce fait, pas de comparaison possible entre l'ampleur des migrations contemporaines avec celles du 19ème siècle. La perspective de la France Des tendances précédentes qui affectent les Etats et qui diversifient les nations, les européistes tirent la conclusion que les Etats-nations du continent sont dépassés, impuissants, non pas comme on pourrait le penser parce qu'ils sont trop vastes ou trop hétérogènes pour maintenir leur dimension et leur unité, mais au contraire parce qu'ils sont selon eux trop petits. Leur diagnostic témoigne ainsi d'un complet contresens sur les évolutions en cours. Ils conservent le raisonnement du début de ce siècle selon lequel la grande dimension était la clé de la puissance et de l'efficacité politique. Or tout au contraire l'efficacité des petits Etats et des petites nations a augmenté par rapport à celles des grands Etats pluri-nationaux. Tant sur le plan militaire qu'économique. Vouloir par conséquent constituer un Etat pluri-national de dimension continentale c'est renoncer à l'efficacité ou même courir tout simplement à l'échec. C'est pourquoi il faut rappeler l'évidence. Vigoureusement concurrencé à l'international et soumis à une exigence plus grande de la part des citoyens, l'Etat ne va cependant pas disparaître. La France est un Etat-nation de dimension substantielle mais non exagérée. Et sa population est fort homogène par comparaison avec nombre d'autres pays. Il s'ensuit, de même, que la nation ne va pas disparaître. Les langues sont durables, ne s'effacent pas en un jour ou en quelques décennies. Les mœurs aussi, le droit également. Les solidarités établies de longue date ne sont pas facilement extensibles. Et bien que les modes de vie individuels se différencient, l'identité nationale, devenue plus diverse, ne disparaît pas. La nation continue d'exister même si le nationalisme s'affaiblit. Ce qui est en cause, en réalité, c'est la redéfinition par la nation du rôle de son Etat au sein de la société et de l'économie en fonction de l'amoindrissement de sa capacité d'extraction fiscale due à l'ouverture de son économie et aux techniques modernes de communication. Il doit impérativement s'alléger et réduire son absorption des ressources nationales. C'est l'enjeu des privatisations, de la recherche d'une efficacité accrue dans la sphère publique, et de la décentralisation. Les Etats sont amenés à se recentrer sur leur métier principal, tout comme les autres entreprises, pour mieux répondre aux attentes des citoyens. De l'allégement du poids de l'Etat dans la société résultera un accroissement de son efficacité pour la production des biens publics fondamentaux que sont la sécurité intérieure et extérieure, la justice. Et en matière de politique économique il est tout simplement faux d'affirmer que les Etats moyens ou même petits ont perdu toute marge d'action : la Grande-Bretagne, le Canada, la Suisse ont une politique économique spécifique qui n'est pas celle de la Suède ou de la France. On évoque souvent aussi la menace que constitueraient les multinationales, qui se renforceraient alors que les Etats s'affaibliraient. Le dialogue serait faussé en faveur des premières. Mais en réalité les entreprises subissent le même mouvement de réduction de leurs dimensions et d'intensification de la concurrence que les Etats. Ces derniers ne peuvent plus se permettre de les taxer inconsidérément, sous peine de les faire fuir ailleurs. Mais ce nouvel équilibre fiscal n'implique pas que les entreprises puissent imposer quoi que ce soit aux Etats. Elles sont, comme les Etats, obligées de mieux servir les consommateurs. En définitive ce sont ces derniers, acheteurs de services privés ou usagers de services publics, qui voient se renforcer leurs pouvoirs. Les individus sont confortés au détriment des grandes organisations. Dans ce contexte, le vrai danger pour la France vient de la volonté de certains de la saborder en tant qu'Etat indépendant pour des avantages mythiques, par fusion au sein d'un super-Etat comme le veut le projet d'unification politique européenne. Cela pourrait être souhaitable si cela permettait d'offrir à moindre coût les services collectifs. Mais la tendance vers la petite dimension des organisations nous montre le contraire. Cela vaudrait également s'il était possible de constituer une nation européenne. Mais l'Europe est beaucoup trop composite pour servir de base à un Etat viable, fut-il fédéral. Sa grande dimension n'est ni nécessaire ni avantageuse pour la production des biens collectifs. Son grand marché unifié est de moins en moins nécessaire au développement des entreprises, au fur et à mesure de l'ouverture des marchés mondiaux. La France par contre conserve la dimension d'un Etat qui pourrait être efficace s'il réformait ses mécanismes archaïques, et une nation qui n'est pas menacée de dissolution contrairement à ce que redoutent les alarmistes même si elle devient moins nationaliste. La France n'est sûrement pas éternelle, mais elle a un bel avenir devant elle si ses élites cessent de s'acharner à la figer pour la détruire. JJR