à consulter sur mon blog - Robert Spieler

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à consulter sur mon blog - Robert Spieler
Supplément au n°3 (printemps 2007) de la revue polit ique et culturelle nationale et identitaire
Europe, États, Nations, quel avenir ?
par Robert Spieler
Ancien député,
Président d’Alsace d’abord
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n pouvait espérer que l’élection présidentielle permettrait un débat sur le devenir de
l'Europe et la place des nations et États dans la construction européenne. La guerre de
l'ex-Yougoslavie et les conséquences dramatiques de la guerre américaine en Irak
doivent renforcer l'exigence d'une réflexion approfondie sur ces sujets d'une extrême
importance. Malheureusement, à la place de débats contradictoires mais intelligents, nous
assistons aux querelles de médiocres ambitions et à des confrontations partisanes, où l'idée
même d'Europe est souvent absente.
La difficulté majeure pour les partisans de l'idée européenne est que ses adversaires ont
l'habileté de ne jamais se définir comme tels. Aucun responsable politique, aucun candidat de
gauche ou de droite, fût-il violemment anti-européen, ne l'exprimera crûment. Ils cacheront
leur profonde hostilité à l'émergence d'une Europe souveraine derrière des masques et des
faux-semblants. Parmi ces fausses barbes figure l'idée d' " Europe des Nations " dont je
démontrerai qu'il s'agit en réalité, dans l'esprit de ses partisans, de l'Europe des " EtatsNations ", donc d'une Europe sans souveraineté politique, diplomatique et militaire. Certains
se prétendent partisans de l'Europe tout en exigeant le respect de la règle de l'unanimité entre
Etats pour toutes les questions concernant les affaires politiques, diplomatiques
et militaires. Les démocrates admettront que l'obligation d'unanimité est souvent le signe de
la tyrannie (sous Staline, l'unanimité était la règle) et dans tous les cas la certitude de
l'inefficacité absolue. D’autres, tel Jacques Chirac, prétendent vouloir une Europe de la
puissance : c’est l’hôpital qui se moque de la charité… L’Europe incarnée par les
fonctionnaires de Bruxelles n’est évidemment pas l’Europe de la puissance que j’espère.
L'Europe et les Balkans
Une armée et une diplomatie européennes auraient pu empêcher les événements tragiques que
vécut la Yougoslavie en intervenant dès le début du conflit pour encadrer et guider la
dislocation de ce pays, tout en imposant des règles du jeu fondées sur le respect des
différences. Au lieu de cela, ce sont les intérêts nationaux égoïstes qui ont entraîné la
situation actuelle. L'Allemagne, en reconnaissant très (trop) rapidement la Slovénie et la
Croatie qui sont dans sa zone d'influence, a contribué à accélérer la dislocation folle de la
Yougoslavie. Une nécessaire diplomatie européenne aurait agi avec prudence et méthode,
sans tenir compte des intérêts égoïstes et des impatiences historiques de certains États
européens, tout en permettant, in fine, aux nations composant la Yougoslavie de recouvrer
leur personnalité non comme " États-Nations " avides de conflits et règlements de comptes,
mais comme nations ou régions d'Europe, respectueuses de leurs différences.
Une armée et une diplomatie européennes auraient pu étouffer dans l’œuf les velléités
massacreuses des uns et des autres. L'avenir de la France et de l'Europe passe par la
subsidiarité, qui a pour corollaire le fédéralisme et non le nationalisme.
Le principe de subsidiarité
Le principe de subsidiarité, dans son acception politique, est le principe selon lequel les
attributions de l'échelon supérieur doivent toujours être limitées de façon telle que cet échelon
n'ait à intervenir qu'en cas de défaillance des échelons inférieurs.
Un tel principe est déjà présent chez Aristote et c'est Thomas d'Aquin, dans sa Somme
Théologique, qui définit la société, non comme une juxtaposition d'individus isolés, mais
comme un tout organique dont les membres sont solidaires entre eux. Par la suite, la doctrine
sociale de l'Eglise réaffirmera à maintes reprises la validité du principe de subsidiarité,
notamment à partir de l'encyclique Rerum Novarum (1891). Mais c'est surtout Johannes
Althusius (1557-1638) qui se révèle être le théoricien majeur du principe de subsidiarité, il
se rattache à la tradition antique et médiévale, selon laquelle l'homme est un être social,
qui possède sa nature propre au sein d'un monde ordonné. Dans une telle perspective, un
peuple n'est pas une simple addition d'individus, mais une personne morale, juridique et
politique. Par là, Althusius réagit avec force contre le nominalisme, ancêtre du libéralisme,
selon lequel l'individu prime la communauté. Althusius adhère à la thèse des
monarchomaques, qui prônent la lutte contre l'absolutisme au nom d'un droit d'opposition
pouvant aller jusqu'au régicide. Un pacte solennel doit selon lui lier le peuple et le prince,
lequel ne peut gouverner qu'avec le consentement de ses sujets.
Face à Althusius, et à la même époque, c'est la conception absolutiste de la souveraineté qui
triomphe avec " Les six livres de la République " publiés par Jean Bodin en 1571. Pour Bodin,
la loi n'est pas autre chose que le commandement du prince, qui lui-même " n'est pas sujet à
ses lois ". " Tel est notre bon plaisir ", dira Louis XIV. Cette conception de la souveraineté a
jeté les bases de la monarchie absolue, mais aussi plus tard du nationalisme jacobin. « Dès
que la nation existe, elle est naturellement souveraine », affirme la Constitution de 1791. Il
s'agit bien sûr toujours de la même souveraineté illimitée, conférant le même droit despotique
aux détenteurs du pouvoir.
Pour une Europe souveraine
Dans son acception pratique, la subsidiarité implique que chaque collectivité (Europe, Etat,
Région, Commune) soit maîtresse dans les domaines de proximité où sa compétence se révèle
plus pertinente et efficace que celle de l'échelon supérieur ou inférieur. Il parait ainsi évident
que l'Europe n'a de sens que si une diplomatie et une armée communes, en plus de la
monnaie, lui permettent d'agir et de peser sur son destin. Dès lors que cette diplomatie et cette
armée communes n'existent pas, l'Europe se retrouve dans une relation de vassalisation à
l'égard des États-Unis qui, ne nous y trompons pas, mènent en toute logique égoïste une
politique qui correspond à leurs intérêts propres et non à ceux d'une Europe dont ils redoutent
l'émergence.
Les partisans du nationalisme intégral, de gauche ou de droite, de Jean-Pierre Chevènement à
Jean-Marie Le Pen, devraient se poser en toute objectivité la question de ce que pèse une
diplomatie et une armée françaises à l'échelon de l'Europe et du monde. Il est curieux
d'ailleurs de constater que ceux qui crient le plus fort contre la soumission à l'Amérique et qui
défendent de façon la plus sourcilleuse " l'indépendance nationale ", renforcent ce même
leadership américain en empêchant l'émergence d'une Europe politique, diplomatique et
militaire.
Régionalisation ou décentralisation ?
Quant à la définition de ce qu'est le fédéralisme, par opposition à la notion de décentralisation,
il est intéressant de lire ce qu'écrivait le jeune Charles Maurras, l'ami de Frédéric Mistral et du
Félibrige, qui n'avait pas encore rejoint ni l'idée royaliste, ni celle du nationalisme intégral.
Voilà l'explication lumineuse que donne Maurras de ces deux concepts : " Monsieur Léon
Bourgeois est un ministre décentralisateur et il décide de fonder des Universités en dehors de
Paris. Mais c'est l'État qui les crée, qui les paye, qui nomme les professeurs. L'Etat,
possédant la finance, demeure le patron des professeurs, des administrateurs, jusqu'à
l'appariteur et au portier. Et tous ces gens ont les yeux et le cerveau tournés vers Paris d'où
vient la lumière des programmes et le tintement des écus ". Et Maurras ensuite d'expliquer : "
Qu'aurait fait M. Bourgeois s'il était fédéraliste ? Il aurait donné aux peuples de chacune des
provinces le moyen de se pourvoir... et le pouvoir politique et administratif ". Ces pouvoirs
une fois organisés et élus, comme il se doit, ayant l'argent, feraient ce qu'il faudrait faire. La
décentralisation est un mensonge, un os vide de moelle. Il n'y a pas de décentralisation sans
celle du pouvoir politique.
États et Nations
Parler de l'Europe des Nations sans définir le terme "nation" entraîne les plus grandes
ambiguïtés. J’accepte la définition de Barrès, " la nation, c'est la possession d'un antique
cimetière et la volonté de faire valoir cet héritage indivis ", mais je préfère celle du
politologue Georges Burdeau : " la Nation relève plus de l'esprit que de la chair. C'est un rêve
d'avenir partagé ". II y a bien sûr le sol, la géographie, le climat, la langue, la civilisation, la
culture, influencées de façon décisive par la religion et aussi par l'histoire. Seuls quelques
éléments parmi ceux-ci peuvent suffire pour que l'on se reconnaisse comme faisant partie de
la nation que l'on a choisie. De tout cela résulte une conscience collective, qui fait qu'une
communauté se distingue des autres.
Au Moyen âge européen, les "nations" existaient dans une acception totalement différente de
celle « d'État-Nation ». Le terme "nation" n'avait à l'époque aucune signification politique. Il
personnifiait et traduisait l'appartenance communautaire et linguistique différente des
personnes qu'il groupait. C'est ainsi que les "nations" bretonnes, picardes, françaises,
normandes, toulousaines se regroupaient au sein du royaume de France.
Toutes les "nations" acceptaient de cohabiter au sein du même État. Bonaparte, avant qu'il ne
devienne Napoléon, pouvait s'écrier : « Les Français n'ont pas de nationalité ».
C'est la Révolution française et le jacobinisme révolutionnaire qui vont inventer la " Nation ",
avec un « N » majuscule, telle que les Français la conçoivent aujourd'hui. La monarchie
constituait l'élément fédérateur qui unissait au sein du royaume les " nations ", les " provinces
" qu'il contenait.
La Monarchie détruite, ce fut l'idée de Nation qui remplaça le Roi comme principe fédérateur.
Les jacobins inventent la " Nation " une et indivisible, abstraite et théorique au sein de
laquelle les nations et les provinces vont être forcées de disparaître et de s'intégrer. Et Barrère
de s'écrier le 27 janvier 1794 à la tribune de la Convention : " Nous avons révolutionné le
Gouvernement, les moeurs, la pensée, révolutionnons aussi la langue - le fédéralisme et la
superstition parlent le breton ; l'émigration et la haine de la République parlent allemand ; la
Contre-révolution parle italien ; le fanatisme parle basque. Brisons ces instruments de
dommage et d'erreur ! ".
À deux siècles de distance, nous entendons aujourd'hui l'écho de Barrère dans les propos de
certain(e)s... Les hommes de 1793 veulent transformer l'humanité et régir les sociétés
politiques en fonction de concepts abstraits. Tous les fanatismes, tous les massacres, tous les
génocides sont inclus au départ dans la philosophie de l'État-Nation.
Le nationalisme va s'étendre comme une traînée de poudre à travers l'Europe. Seul de tous les
penseurs politique de son époque, Proudhon, éclairé par l'exemple français, perçoit les
dangers que la réalisation de l'unité allemande et de l'unité italienne va faire courir à l'Europe
et à la liberté. Il annonce, soixante ans à l'avance, l'avènement du fascisme : " Ce système
(l'État-Nation) ne peut aboutir à autre chose qu'à un nouveau despotisme, à un despotisme
comme l'Italie n'en avait pas connu depuis les Césars ". Il le prévoit aussi pour l'Allemagne :
" L'Allemagne cherche sa fédération, malheur au monde si elle venait à verser dans l'ornière
unitaire ". Quelle incroyable prescience ! Il a fallu quelques guerres civiles européennes et
quelques dizaines de millions de morts pour se rendre compte que Proudhon avait raison et
pour que la plupart des États européens abandonnent enfin le modèle d'Etat-Nation qui avait
fait leur malheur.
Un nouveau modèle pour l'Europe
L'Allemagne, l'Italie, l'Espagne ont choisi le modèle fédéral où l'application du principe de
subsidiarité donne à leurs régions ou provinces des pouvoirs et des moyens qui leurs
permettent de gérer mieux, plus efficacement, plus démocratiquement que ne le feraient des
États-Nations centralisés. Seule la France persiste dans le modèle dépassé d'État-Nation. Dès
lors que nous abandonnerons ce modèle et que les deux concepts d'État et de Nation seront
enfin scindés, la France pourra s'intégrer harmonieusement dans une démarche de
construction d'une Europe souveraine, respectueuse des nations et des régions qui la
composent. Écoutons ce que disait Tocqueville, qui estimait que la démocratie est menacée
constamment par la centralisation étatique et qui prônait la revitalisation des institutions
provinciales et régionales. Prenons conscience que le nationalisme belliqueux est le résultat de
la fusion de l'idée étatique et de l'idée nationale, qu'État n’est pas obligatoirement synonyme
de Nation et qu'un État Européen pourrait se créer sans que soient supprimées les nations et
provinces existantes, et sans que cet État ne se transforme (surtout pas !) lui même en ÉtatNation européen.
Certains se reconnaîtront en priorité dans la Nation France, d'autres dans la " petite patrie "
régionale, d'aucuns dans la grande Nation Européenne. Beaucoup se sentiront Alsaciens,
Français et Européens avec le même profond sentiment d'appartenance à ces trois " idées "
nullement contradictoires, même si certains hiérarchiseront leur sentiment d'adhésion à ces
trois concepts. En scindant l'idée de Nation et d'État, un des plus puissants ferments de
division et de guerre civile européenne sera éliminé.
Il est grand temps que la France cesse d'être le dernier dinosaure de l'Europe et intègre enfin
le champ de la modernité, qui est européenne, forcément européenne et identitaire.
Le site de Robert Spieler : www.robert-spieler.net
le site d’Alsace d’abord : www.alsacedabord.org
et celui de Jeune Alsace : http://jeune-alsace.hautetfort.com
Vous pouvez aussi consulter le site de l’Idée Bretonne : www.lideebretonne.org
Site de Synthèse nationale : www.synthesenationale.com