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17.
ZOOM
Alors que la France s'apprête à
commémorer l'Appel du 18 juin,
c'est tout un pan de notre histoire
qui ressurgit sous la plume d'un
homme d'exception, l'Yssingelais
Pierre Paillon. Soixante-treize ans
plus tard, l'ancien matelot du
contre-torpilleur Le Léopard sort
de son silence, à l'invitation de ses
amis de la Légion d'honneur et de
l'Ordre national du mérite, en particulier Henri Delolme de Riotord,
médecin-général inspecteur du
service de santé des armées et le
colonel Raymond Mouyren Grand
Croix de la Légion d'honneur.
Pierre Paillon signe "Dans l'enfer de Dunkerque" (paru aux éditions du Roure) un livre élégamment écrit dans lequel il livre un
témoignage de tout premier plan.
A bientôt 95 ans, l'auteur fait
partie de ceux que Maeterlinck
désignait par la formule "les forçats de la plume", à l'instar des
mineurs de Mons.
La transition est toute trouvée
pour évoquer les origines de
Pierre Paillon qui connut dans sa
jeunesse le pays minier : la région
stéphanoise. Il est né dans une
famille de commerçants d'Unieux
dans la Loire. Son père exerça
longtemps le métier de marchand
de vin au Pertuiset. Pierre Paillon
est le troisième d'une fratrie de
cinq enfants. Il a quitté tout jeune
l'école (à pas 13 ans) avec pour
seul viatique un certificat d'études
(précieux à l'époque) et pour devenir pâtissier. Il a gravi les échelons :
apprenti, petit second, puis second,
travaillant à Montbrison, Rive-deGier, Pélussin et surtout dans une
maison reconnue de Firminy.
Lorsque en 1952, il décrocha le
prestigieux titre de meilleur
ouvrier de France glacier (avec
une Tour Eiffel en glace vive entièrement réalisée au burin à l'exception des pieds ciselés au fer
rouge), il n'était déjà plus Ligérien
mais avait rejoint la Haute-Loire,
pour profiter en famille du bon air
d'Yssingeaux.
Invalide de guerre à 100 %,
Pierre Paillon n'a retrouvé la plénitude de sa santé qu'en 1956.
Madame Paillon a longtemps tenu
un économat dans la cité aux cinq
coqs tandis que son époux dont la
santé ne lui permettait pas de
reprendre la pâtisserie, entamait
une brillante carrière de chroniqueur spécialisé, collaborant à de
très nombreuses revues gastronomiques. Il est même à l'origine de
l'une celles-ci : "Le 9e art français", cédée par la suite à la Vie
des métiers.
UN HOMME, UNE OEUVRE
Du "Manuel de l'apprenti pâtissier" aux "Flâneries gourmandes
au pays des sucs", Pierre Paillon
est l'auteur du quinzaine d'ouvrages. Ses qualités tant professionnelles que publiques lui ont
valu de si nombreuses reconnaissances, "à l'exception des arts et
lettres" précise l'intéressé, qu'il
serait vain ici de les énumérer.
Tel : 04 71 09 32 14
Fax : 04 71 02 94 08
[email protected]
Portrait :
Pierre Paillon,
pâtissier-matelot
N'en déplaise à Gide, on peut
être prolixe et avoir toujours des
choses intéressantes à raconter :
Pierre Paillon n'est pas prêt de
mettre un point final à son oeuvre :
il vient de produire un manuscrit
sur les vins (quoi de plus naturel
pour un fils de négociants en spiritueux) et leur mariage avec les
plats. Ne reste plus qu'à trouver
l'éditeur.
Yssingeaux est devenu depuis
maintenant quelques décennies le
port d'attache du matelot Pierre
Paillon qui ne s'est pas contenté
d'y exercer son talent d'écrivain. Il
a largement apporté sa pierre dans
l'économie locale.
C'est ici l'aspect de sa biographie, sans doute le plus connu des
Yssingelais, et Altiligériens en
général. Parmi les nombreuses
sommités des métiers de bouche
qu'il a côtoyées, il y eut Jean Millet avec qui il donna naissance
sous l'impulsion de Jacques Barrot breuses connaissances dans le
à l'Ecole nationale de la pâtisserie. milieu de l'agro-alimentaire.
Ecole dont Pierre Paillon a suivi
SON PREMIER RÊVE :
non seulement la genèse mais
ÊTRE MARIN
aussi le développement jusqu'à
"J'hume l'air à plein poumon, je
l'arrivée de ses amis Alain suis heureux et détendu. Je réalise
Ducasse et Yves Thuriès. Celui-ci, mon premier rêve : être marin"
meilleur ouvrier de France pâtis- écrit Pierre Paillon. "Dans l'enfer
sier mais aussi glacier a été noté de Dunkerque", il confie que c'est
par un certain… Pierre Paillon qui d'abord sur le Guépard (premier
faisait partie du jury lors du navire sur lequel il servit avant le
concours des MOF.
Léopard) qu'il a apprécié la
Autre réalisation et pas des marine
nationale. Mais il n'imagimoindres : la société Sevarome
qui connut ses balbutiements rue nait sûrement pas en avril 1939,
de Verdun avant de voguer quant il rejoignit Toulon, fier
jusqu'au quartier de La Guide. "Je comme Artaban avec son unine pouvais pas reprendre mon forme à col bleu et pompon rouge
métier de pâtissier, alors j'ai eu pour effectuer son service milil'idée de créer en 1964 cette unité taire dans la Royale (il venait
d'essences aromatiques" explique d'avoir tout juste 20 ans) qu'il allait
Pierre Paillon, ajoutant un brin participer à la plus douloureuse
nostalgique : "C'était le bon bataille franco-allemande après
temps". Là encore, le créateur ne celle inoubliable de Verdun, vingtmanqua pas d'exploiter ses nom- cinq ans plus tôt. Cette bataille est
L’EVEIL - Dimanche 16 juin 2013
celle de Dunkerque en mai-juin
1940.
Pierre Paillon a connu sa première affectation en tant que cuisinier du commandant. De Bizerte
en Tunisie à Narvik en Norvège, il
va très vite réaliser que "la drôle
de guerre est à ranger définitivement dans la boîte aux souvenirs",
que tout militaire, tout marin, "est
un mort en sursis".
Dans son livre, Pierre Paillon
décrit toute la cruauté de la
bataille de Dunkerque où le Léopard "naviguait au milieu de
bateau en perdition et en feu,
d'hommes à la mer qu'il fallait
repêcher, de bombes qui tombaient de partout".
Et puis, il y eut ce 6 juin où le
navire quitta Dunkerque pour
emmener en Angleterre le grand
reporter de guerre Joseph Kessel.
"Je le revois comme si c'était hier
sur le pont du bateau avec ses long
cheveux blonds bouclés rejetés en
arrière, sa carrure de lutteur et sa
détermination" commente l'auteur.
Kessel travaillait pour le compte
de Paris Soir. Il devait regagner la
France via Le Havre pour fournir
son reportage.
Pierre Paillon livre un témoignage sans concession sur nos
Alliés anglais, "les dignes enfants
de la perfide Albion", qui retiendront l'équipage des mois durant à
Folkestone et à Portsmouth, le parqueront dans un camp, derrière
des... barbelés !
Sans doute les Britanniques
avaient-ils estimé que les Français
à bout de souffle risquaient de se
faire saisir le bateau par les Allemands.
Pierre Paillon a décidément la
dent dure contre les citoyens de sa
gracieuse majesté quand il
explique : "Il gardaient pour eux et
leur fantassins les roulantes que
nous ne devions pas mériter. Nous
avions quant à nous les mêmes
chaudières qui servaient à la
pitance des porcs dans le Massif
Central".
Le matelot-cuisinier sera rendu
à la vie civile en décembre 40.
Pierre Paillon poursuivra en
quelque sorte le combat, participant aux balbutiement de "l'Armée des ombres" décrite plus tard
par Kessel, contribuant à Firminy
à l'action d'un groupe clandestin
mené par Régis Crochat de
Retournac, sans toutefois entrer
dans l'organisation : "Je n'étais pas
communiste" admet-il.
La "trahison sans honneur" britannique ne l'empêchera pas malgré tout de s'enrôler dès 1942 dans
le groupe Ange, une branche du
réseau Buckmaster, qu'il quittera
fin décembre 44 lors de sa dissolution, avec le grade d'adjudant,
marqué dans sa chair et reconnu
invalide de guerre.
Pour Henri Delolme : "Son
témoignage est une pierre angulaire du devoir de mémoire que
nous devons à nos enfants et
petits-enfants".
Philippe SUC

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