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Stratégies
PRESTATAIRE
Interview….
Paul-Marie Chavanne, directeur général adjoint
du groupe La Poste et président de GeoPost
« La combinaison des compétences d’un réseau mondial de
freight forwarding aérien avec celles de nos réseaux donne de facto
un intégrateur, sans avoir à investir des fortunes »
Il y a quelques mois, le groupe GeoPost rachetait Tigers, un
transitaire basé à Hong Kong. Rien à voir avec les Flying Tigers,
rachetés en 1989 par FedEx pour développer son réseau mondial.
Pourtant, quoique fortuite, l’analogie existe. De création récente,
la société Tigers de GeoPost est la première étape significative
de la construction d’un réseau d’express intercontinental.
En Europe, GeoPost regarde plutôt du côté du commerce
électronique et travaille à la création d’un système de livraison
B to C à partir de ses réseaux monocolis.
L
e 4 avril, Philippe Wahl, président de La Poste, a présenté une
nouvelle organisation de l’équipe
dirigeante qui aura à mener à son
terme le plan d’entreprise « La Poste
2020 : conquérir l’avenir ». Pour la
filiale GeoPost (1), la principale mission
sera « l’expansion d’un réseau
express hybride B to B et B to C en
Europe ». Paul-Marie Chavanne,
directeur général adjoint du groupe et
président de GeoPost, a déjà bien
engagé ce chantier. Mais depuis
quelques années, avec un pragmatisme
patient, il mène également un projet à
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plus long terme qui a conduit GeoPost
à racheter un transitaire – freight forwarder – à Hong Kong en avril 2013. À
terme, il ne s’agit rien moins que de
transformer l’entreprise en un expressiste international, un peu sur le
modèle des géants américains, en
créant des ponts aériens entre les zones
du monde où GeoPost aura
décidé de développer des
réseaux de distribution de
colis. Les accords, rachats
ou prises de participation
vont donc se poursuivre ici
et là au gré des opportunités, jusqu’à la création d’un
réseau mondial de commission de transport international aérien, pendant que
le groupe développe ses
structures de livraison un peu partout
dans le monde. Pour Logistiques
Magazine, Paul-Marie Chavanne fait
le point sur la construction du réseau
intercontinental de freight forwarding
et sur l’avancement du réseau européen hybride.
Logistiques Magazine : En rachetant
Tigers en juin 2013, GeoPost
reprenait un freight forwarder basé
à Hong Kong. Quelles sont les
raisons de cette transaction, plutôt
surprenante pour une filiale de la
poste française ?
Paul-Marie Chavanne : Bien que
nous ne soyons pas un intégrateur,
dont nous ne disposons ni les actifs ni
les savoir-faire, cela fait pas mal
d’années que je réfléchis à la façon
dont nous pouvons nous positionner
sur le marché du transport
intercontinental des marchandises,
avec des visées sur le colis. Or, lorsque
l’on se pose cette question, il n’est pas
difficile de constater très vite que le
métier le plus naturellement moteur
dans ce domaine, c’est le freight
forwarding [transport de fret,
N.D.L.R.]. Et c’est aussi un métier de
courtage et de commission de
transport essentiellement composée
d’un grand nombre d’entreprises,
petites et moyennes, en dehors d’une
quinzaine de grands groupes
internationaux. Il est donc possible d’y
entrer sans avoir à investir des
milliards. La question était de savoir
comment nous allions nous y prendre.
La solution est venue de Lenton, une
sorte de Sodexi (2) basée à Hong Kong,
dans laquelle nous détenions une
participation de 25 % depuis 2009. Par
elle, nous avons été informés que deux
sociétés basées à Hong Kong, Kamino
Logistics Group et Wako Logistics
Group Inc., susceptibles de nous
intéresser pour jeter les bases d’un
réseau de freight forwarding, étaient
en cours de fusion. La nouvelle
entreprise s’est appelée Tigers. Les
deux sociétés disposaient d’une
présence mondiale, de petite taille
certes, mais dont les caractéristiques
correspondaient à ce que nous
cherchions. Kamino était très
implantée aux USA et Wako très
implantée en Asie, notamment en
Chine intérieure, à Hong Kong, en
Australie et un peu en Inde, et elle
avait quelques activités de freight
forwarding en Europe. En
novembre 2011 nous avons pris 2 %
de Tigers, avec la possibilité de
racheter la majorité à horizon de 3 ans,
donc en 2014. Les circonstances ont
voulu que nous rachetions 63,75 % de
Tigers en juin 2013. L’entreprise
réalise un chiffre d’affaires de
250 millions de dollars ; c’est modeste
mais ce réseau de base travaille sur
des créneaux que nous ciblons : la
mode, le textile, le high-tech, tout ce
qui, finalement, donne lieu à du
groupage et dégroupage de petits colis.
Nous sommes aujourd’hui en plein
travail de développement par de
petites acquisitions qui viennent
modestement compléter le réseau ici
ou là. Notre objectif est de grandir
jusqu’à atteindre une couverture
suffisante dans le monde, notamment
dans les pays émergents, et de
focaliser ce réseau sur les secteurs qui
correspondent à nos métiers de
distribution de colis. Au travers de
cette démarche, nous acquérons un
savoir-faire en matière de linehauls
[transports, N.D.L.R.]
intercontinentaux, notamment en
aérien, en matière de douane et de
gestion des opérations aéroportuaires.
C’est ce qui nous manquait et ce que
savent faire les intégrateurs, puisque
c’est la base de leur métier.
L.M. : Quelle stratégie sous-tend
cette construction ?
P.-M.C. : C’est une ambition de
moyen et long terme. La vision
stratégique derrière la création de ce
réseau mondial de freight forwarding
aérien est que la combinaison de ces
compétences avec celles de nos
réseaux donne de facto un intégrateur,
sans avoir à investir des fortunes.
L.M. : Une telle stratégie n’a-t-elle
pas de véritable intérêt que si vous
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disposez de réseaux de
distribution des colis
bien répartis dans le
monde ?
P.-M.C. : Exact ! D’où
l’idée qu’il n’y pas que
l’Europe qui compte.
Notre intention, à terme, est bien
d’utiliser l’activité freight forwarding
pour établir des ponts entre les
différents marchés que nous allons
développer. Et cela, en créant un
maillage suffisant pour générer du
business. Avec notre partenaire turc
Yurtiçi Kargo, dont nous détenons
25 %, nous sommes déjà en Russie,
en Ukraine, en Biélorussie et au
Kazakhstan, dans des joint-ventures à
50/50. Ce réseau, qui va de SaintPétersbourg à Izmir, est connecté sous
la marque DPD, sauf en Turquie.
Aujourd’hui, nous sommes capables
de livrer en Eurasie par route dans
pratiquement tous les pays de la zone.
En Russie, notre présence est très
forte, portée par la croissance d’un
marché du colis qui n’existait pas il y
a 15 ans. Autre étape, en avril 2013
nous avons pris 40 % d’un réseau en
Inde qui s’appelle DTCD : il regroupe
6 000 franchisés. En Afrique
francophone nous avons des jointventures avec les postes, notamment
au Maroc, et nous possédons à 75 %
une société importante en Afrique du
Sud qui s’appelle DPD Laser.
L.M. : Comment va se poursuivre la
construction de ce réseau
intercontinental ?
P.-M.C. : S’agissant de l’extension du
périmètre et des acquisitions, nous
concentrons aujourd’hui notre action
sur l’Asie et l’Afrique. En Afrique
nous sommes intéressés
principalement par le Maroc, car ce
pays tente de s’imposer comme la
plate-forme logistique d’Afrique du
Nord. C’est particulièrement
intéressant pour nous car grâce à
Seur, notre réseau européen va
jusqu’au sud de l’Espagne. Ailleurs
sur le continent, l’Afrique
francophone est un marché
confidentiel pour l’activité colis. Reste
l’Afrique du Sud, où nous sommes
présents, et le Nigeria. En Asie, nous
regardons à la fois du côté des acteurs
de freight forwarding et du côté des
réseaux de distribution. Dans des pays
comme la Thaïlande ou le Vietnam,
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nous cherchons d’abord des
partenariats, qui pourraient aller
jusqu’à une prise de participation
minoritaire, de façon à mieux
comprendre le fonctionnement de ces
marchés.
L.M. : Quel est aujourd’hui votre
dispositif en Chine ?
P.-M.C. : En Chine nous distribuons
nos colis via la poste chinoise et le
groupe Lenton, qui lui-même s’appuie
sur des expressistes privés. Ce sont
des entreprises qui n’existaient pas il a
10 ou 12 ans. Elles se sont
développées exclusivement dans le
B to C et peuvent livrer entre
300 millions et 1 milliard de colis par
an, d’un poids unitaire de l’ordre de
300 à 400 g. Et cela pratiquement
pour un seul client, qui est le site
internet Alibaba. Il y a une véritable
explosion du commerce électronique
en Chine. Comme dans tous les pays
émergents, l’e-commerce s’y
développe plus vite qu’ailleurs car la
consommation y est encore
embryonnaire, et Internet permet aux
commerçants d’éviter l’étape de la
création de boutiques « en dur ». Les
nouveaux consommateurs découvrent
le monde au travers de leurs écrans,
qui mettent à leur portée une gamme
infinie de produits. Ce phénomène va
booster la consommation via Internet
dans les zones à faible densité de
population, sur des territoires étendus
comme dans les grandes villes. Le
commerce électronique profitera en
plus de l’incroyable difficulté de
circuler dans ces zones. À Pékin ou
Moscou, l’embouteillage est
permanent, les difficultés et le coût de
l’accès aux marchandises amplifient la
demande de livraison à domicile. Se
faire livrer chez soi va devenir la
règle.
L.M. : Revenons en Europe pour
parler de la construction d’un réseau
hybride B to B/B to C. GeoPost ou
ses filiales ont déjà annoncé des
projets de mise en place de
consignes automatiques en France
ou de transformation du réseau DPD
en Allemagne et au Benelux. Où en
est ce chantier ? Pourquoi est-il
lancé aujourd’hui ?
P.-M.C. : Notre activité express a
commencé dans le B to B et petit à
petit nous avons vu apparaître le
B to C au sein même des activités
initialement B to B. Le choix que nous
avons fait en 2008 a été de considérer
que le marché du B to C allait devenir
très important pour l’express. Et nous
avons décidé de l’attaquer
frontalement en nous développant à
partir de notre réseau européen
B to B, sachant que la problématique
du B to C est très différente. L’enjeu
est simple, lors de ma prise de
fonction en 2001, le chiffre d’affaires
de GeoPost dans le B to C était
inexistant. Nous prévoyons
maintenant que cette activité
représentera plus de 50 % de nos
volumes et de notre chiffre d’affaires à
l’horizon 2020. Déjà, le B to C c’est à
peu près 45 % du chiffre d’affaires de
notre filiale DPD UK, 38 % du chiffre
d’affaires de Chronopost et 23 % de
celui de DPD Allemagne. Sur
l’ensemble de l’Europe, le B to C
atteint une part d’environ 33 à 34 %
de l’activité et du chiffre d’affaires.
Nous en sommes en ce moment à la
mise en œuvre d’un plan de
développement décidé à l’automne
dernier qui sera déployé en 2014.
Nous n’allons pas pour autant
abandonner nos clients B to B qui
constituent, et pour longtemps encore,
la partie majoritaire de notre chiffre
d’affaires, mais nous voulons
résolument adresser toutes les
problématiques de la livraison finale,
et des services autour de cette
livraison qui caractérisent le B to C,
en développant progressivement des
solutions dans l’ensemble de l’Europe.
Nous voulons être capables de livrer à
domicile, en point relais ou dans des
consignes automatiques, en proposant
des solutions de retour des colis
faciles à utiliser et qui soient
économiquement acceptables pour les
chargeurs et les destinataires.
L.M. : Quel est le calendrier de
chantier ?
P.-M.C. : À l’horizon de 2016-2017
nous pensons disposer d’un réseau
européen homogène capable d’offrir
aux destinataires et clients du B to C
livraisons à domicile, points relais,
consignes et solutions de retour tout
en continuant d’assurer des livraisons
point à point B to B, voire en
développant du C to C là où il y aura
des points relais en nombre suffisant.
Cela, grâce à un système et à des
process extrêmement simples
d’utilisation. Nous sommes le seul
réseau spécialisé dans le petit colis et
présent partout en Europe à s’être
lancé dans un tel projet.
L.M. : Avec quelles étapes ?
P.-M.C. : Pickup Service est en train
de construire un réseau européen de
points relais adossé au réseau DPD
qui devrait être opérationnel en 2015.
Il l’est déjà en France, en Allemagne,
au Benelux, au Portugal et bientôt en
Suisse. L’année prochaine ce sera au
tour de l’Espagne et de la GrandeBretagne de rejoindre le réseau de
Pickup Services. Progressivement,
nous allons installer aussi des points
relais dans les pays d’Europe de l’Est.
Dans le même temps, nous déployons
un partenariat avec Neopost annoncé
en janvier pour lancer, en France
d’abord, et j’espère assez vite dans
d’autres pays européens, un réseau de
consignes automatiques. Nous
sommes en train de concrétiser le
partenariat avec Neopost. La
répartition des rôles joue sur la
complémentarité des compétences,
Neopost supporte l’investissement,
installe les machines et en assure la
maintenance. Nous, nous en assurons
le remplissage et la gestion. En France,
nous aurons deux joint-ventures pour
installer 3 000 à 4 000 consignes
gérées par Pickup Services d’ici à
2017, l’une pour un réseau dédié à La
Poste-GeoPost (environ 1 000
machines) et une autre pour un réseau
ouvert auquel La Poste-Geopost aura
accès, mais qui sera accessible aussi à
d’autres acteurs. Je suis très confiant.
Nous fabriquons en Europe un
concept de livraison multicanal où les
gens choisiront la solution de livraison
qui leur conviendra le mieux à un
moment donné. Le seul point noir
dans tout cela est la baisse continue
des prix au colis, car la concurrence
reste extrêmement forte en Europe,
contrairement aux USA où il ne reste
que deux acteurs. Le fait que nous
soyons sur un marché en croissance
du fait de l’e-commerce ne change
rien à cette tendance. La
caractéristique du B to C est que l’on
travaille pour des acteurs du
commerce électronique, dont les plus
importants sont des clients
extrêmement puissants, très
concentrés.
L.M. : Comment cette caractéristique
du marché de l’e-business tire-t-elle
les prix de la livraison à la baisse ?
P.-M.C. : Face à ces clients très
puissants, plus le marché de la
distribution de colis évolue vers le
B to C et plus le marché de l’offre doit
se concentrer. La seule manière de
répondre à la concentration extrême
de la demande c’est la concentration
de l’offre, sinon vous êtes broyés.
Nous voulons parier sur la
consolidation du marché européen de
la distribution de colis. Je pense qu’il
restera trois grands acteurs et nous
serons l’un des trois. Quand le marché
sera suffisamment concentré, nous
aurons des relations mieux équilibrées
avec nos gros clients et les choses
rentreront dans l’ordre du côté des
prix. Dans l’immédiat, c’est beaucoup
une question d’investissement dans
des réseaux, des systèmes de tri
performants et en systèmes
d’information. Il faut avoir les reins
solides, d’autant que l’on aperçoit
aussi la possibilité d’une concurrence
nouvelle de la part de grands acteurs
du commerce électronique qui
« désoptimisent » leur système
d’entreposage. Ils multiplient les
entrepôts dans la proximité des très
grandes villes de façon à réaliser de
substantielles économies sur leur
budget transport. Ils ne passent plus
par des réseaux de distribution de
colis, mais pilotent directement les
livraisons en utilisant des systèmes de
transport standard, donc moins
coûteux.
Propos recueillis par Luc Battais
(1) GeoPost est la filiale express du groupe La
Poste. Elle regroupe les réseaux DPD, Seur, Chronopost, Exapaq ainsi que Pickup Service (gestion du
réseau de points relais). Elle supporte les participations dans des sociétés comme Colizen
(distribution du dernier kilomètre), mais aussi
toutes les participations dans des sociétés comme
les JV avec Neopost, Sodexi, Lenton (Hong Kong),
IBC (USA) et Yurtiçi Kargo (Turquie). Pour les
besoins de cet article, le concept d’express est
celui du groupe La Poste. Il recouvre aussi bien la
messagerie rapide monocolis de DPD, Seur et
Exapaq que l’express de Chronopost et, désormais,
l’express intercontinental tel que le pratiquent
ceux que l’on a appelés les intégrateurs (UPS,
FedEx, etc.).
(2) Paul-Marie Chavanne fait référence au modèle
économique de Sodexi, filiale commune d’Air
France (65 %) et GeoPost (35 %), installée à l’aéroport de Roissy-Charles-de-Gaulle. Sa vocation est
de proposer un réseau mondial de distribution de
colis au départ des aéroports via accords avec des
prestataires locaux. Sodexi assure aussi les réservations en soute et dans les avions, ainsi que la
réception à destination. À Hong Kong, Lenton est
notamment filiale de GeoPost et de la compagnie
Cathay Pacific.
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