Cass., 20 mars 2003 - Unité de droit judiciaire

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Cass., 20 mars 2003 - Unité de droit judiciaire
20 MARS 2003
C.02.0309.F /1
Cour de cassation de Belgique
Arrêt
N° C.02.0309.F
S. A.,
demandeur en cassation,
représenté par Maître Bruno Maes, avocat à la Cour de cassation, dont le
cabinet est établi à Tervuren, Jezus Eiklaan, 154, où il est fait élection de
domicile,
contre
ENTREPRISES DE TOITURE D.I.M., société anonyme dont le siège social
est établi à Watermael-Boitsfort, rue du Relais, 104,
défenderesse en cassation,
représentée par Maître Michel Mahieu, avocat à la Cour de cassation, dont le
cabinet est établi à Bruxelles, avenue Louise, 523, où il est fait élection de
domicile.
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I.
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La décision attaquée
Le pourvoi en cassation est dirigé contre l'arrêt rendu le 10 janvier 2002
par la cour d'appel de Bruxelles.
II.
La procédure devant la Cour
Le conseiller Christine Matray a fait rapport.
L'avocat général Xavier De Riemaecker a conclu.
III.
Le moyen de cassation
Le demandeur présente un moyen libellé dans les termes suivants :
Dispositions légales violées
- article 149 de la Constitution coordonnée ;
- articles 1137, 1147, 1148, 1156 et 1315 du Code civil.
Décisions et motifs critiqués
Après avoir considéré
« Que l’expert D. a manqué à ces devoirs en adressant uniquement à la
partie qui l’avait requis un rapport terminé sans que les observations de
l’autre partie n’aient été sollicitées, rapport rédigé au surplus dans une autre
langue que celle de la procédure ;
Que c’est donc à bon droit que le premier juge a estimé ne pouvoir
fonder sa conviction sur ce rapport dont les conclusions ne présentent pas de
garanties d’objectivité et d’impartialité ;
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Que les descriptifs des lieux et les photographies de ceux-ci, réalisés
par l’expert D., sont néanmoins susceptibles d’être pris en considération en ce
qui concerne la matérialité de la situation examinée »,
la cour d’appel décide ce qui suit :
« qu’il ressort de ces descriptifs et clichés que des infiltrations se
manifestaient de manière récurrente, sans cependant que leur origine puisse en
être, prima facie, attribuée à une faute de la (défenderesse) ;
qu’il ressort des motifs ci-avant invoqués que la mission d’expertise
ordonnée par le premier juge est opportune en ce qu’elle devrait permettre
d’appréhender l’origine des infiltrations constatées, leur lien éventuel avec les
travaux confiés à la (défenderesse) ou avec le mode d’exécution de ceux-ci, et
le préjudice éventuel (du demandeur) ».
Griefs
1. Dans ses conclusions d’appel, le demandeur invoquait notamment :
Quant à l’obligation de résultat à charge de la (défenderesse) :
qu’à titre plus subsidiaire encore et si, par extraordinaire, la cour
d’appel devait suivre la thèse de (la défenderesse) et estimer que le rapport de
l’expert D. est ‘nul’, quod non, encore conviendrait-il de considérer ce qui
suit ;
que si, en principe, la mission de l’entrepreneur consistant à bien
exécuter le travail convenu s’analyse en une obligation de moyen, la doctrine
et la jurisprudence s’accordent pour considérer que des entrepreneurs chargés
d’un travail précis dont la réalisation ne présente que peu d’aléas sont tenus
d’une obligation de résultat ;
que la jurisprudence a ainsi retenu une obligation de résultat à charge
d’entrepreneurs spécialisés chargés de travaux d’étanchéité de caves,
d’étanchéité de piscines et d’imperméabilité d’une toiture ;
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que sur le plan de la preuve, le créancier d’une obligation de résultat
peut se limiter à établir l’existence de l’obligation et le fait que le résultat
promis n’a pas été atteint ; que la faute est alors présumée dans le chef du
débiteur de l’obligation de résultat qui ne pourra s’exonérer que s’il démontre
l’intervention d’une cause étrangère (force majeure, erreur invincible) ;
qu’en l’espèce, le (demandeur) a fait appel à (la défenderesse) pour
qu’il soit remédié à des problèmes d’infiltrations d’eau localisées dans le
living ;
que (la défenderesse) a conseillé au (demandeur) de procéder au
renouvellement complet du versant arrière de la toiture ;
que (la défenderesse) a contracté une obligation de résultat à l’égard
du (demandeur) lui imposant d’observer les règles de l’art, d’effectuer les
travaux qu’exigeaient la nature et la destination de l’ouvrage, en d’autres
termes placer une toiture étanche ;
que le résultat promis et que le (demandeur) était en droit d’attendre
n’a pas été atteint par (la défenderesse) ; que (la défenderesse) serait
malvenue d’affirmer le contraire lorsqu’on sait que :
1. début avril 1993, soit deux mois après la fin des travaux, le
(demandeur) constate que, par temps de pluie, de l’eau s’infiltre toujours dans
son living ;
2. le 7 avril 1993, le (demandeur) écrit à (la défenderesse), sans
susciter la moindre contestation de sa part : ‘le renouvellement du toit
couvrant le living a été fait uniquement dans le but spécifique de remédier à
ces infiltrations d’eau, problème dont vous aviez connaissance. Vous étiez déjà
intervenu avant et donc, après une analyse du problème, vous avez conseillé de
procéder à une solution de fond […] par le renouvellement du toit. J’ajoute
que le long des plinthes tombent encore des poussières, des morceaux de
feuille, etc., ce qui montre que le vent pénètre et qu’une meilleure isolation
thermique ne paraît donc pas non plus être entièrement assurée’ ;
3. sur une période de deux ans, (la défenderesse) intervient à plusieurs
reprises sans jamais parvenir à remédier au défaut d’étanchéité de la toiture ;
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4. le 1er février 1995, (la défenderesse) informe le conseil du
(demandeur) qu’elle sollicite un avis auprès du Centre scientifique et technique
de la construction ‘pour résoudre définitivement ce problème’ ;
5. ce même 1er février 1995, elle marque son accord sur le principe
d’une expertise amiable ;
6. le 14 mars 1995, elle participe à la réunion d’expertise et s’engage à
effectuer les travaux qui seront préconisés par l’expert ;
7. le 3 avril 1995, (la défenderesse) se déclare incompétente « en ce qui
concerne le remède à apporter » et précise qu’il y a lieu de faire appel aux
services d’un tiers ;
8. en septembre 1995, le (demandeur) s’adresse à l’entrepreneur D.P. ;
que le fait que le résultat promis n’ait pas été atteint fait présumer une
faute dans le chef de (la défenderesse) ;
que (la défenderesse) n’apporte pas la preuve d’une cause étrangère
qui l’exonérerait de sa responsabilité contractuelle résultant du manquement à
son obligation de résultat ;
que c’est donc à tort que le premier juge a désigné un expert judiciaire
avec pour mission ‘d’indiquer si des observations utiles quant à la
détermination d’une faute éventuelle de la défenderesse peuvent encore être
faites’ alors qu’il résulte de ce qui précède que la responsabilité de (la
défenderesse) est établie et engagée à l’égard du (demandeur) ».
Il résulte de ce qui précède que la cour d’appel, en se bornant à
considérer « qu’il ressort des descriptifs des lieux et clichés que des
infiltrations se manifestaient de manière récurrente, sans cependant que leur
origine puisse en être, prima facie, attribuée à une faute de la (défenderesse) »,
de sorte qu’une expertise judiciaire est nécessaire, ne répond point aux
conclusions circonstanciées de celui-ci suivant lesquelles : (a) la défenderesse
avait contracté une obligation de résultat à l’égard du demandeur, (b) le fait
que le résultat promis n’ait pas été atteint faisait présumer une faute dans le
chef de la défenderesse et (c) la responsabilité de la défenderesse était établie
et engagée à l’égard du demandeur, dès lors qu’elle n’apportait pas la preuve
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d’une cause étrangère qui l’exonèrerait de sa responsabilité contractuelle
résultant du manquement à son obligation de résultat et, à tout le moins, laisse
incertain le motif pour lequel elle a rejeté le moyen proposé par le demandeur
et, partant, ne motive pas régulièrement sa décision (violation de l’article 149
de la Constitution coordonnée).
2. Pour déterminer si une obligation présente le caractère d’une
obligation de résultat ou de moyen, il faut se référer à l’intention commune des
parties.
Une obligation de résultat oblige le débiteur à obtenir le résultat, à
moins qu’il prouve l’existence de la force majeure qu’il invoque, le juge qui
considère que cette preuve n’est pas apportée, n’étant pas tenu de constater la
faute du débiteur.
En l’occurrence, la cour d’appel se borne toutefois à considérer qu’il
ressort des descriptifs des lieux et clichés réalisés par l’expert D. « que des
infiltrations se manifestaient de manière récurrente, sans cependant que leur
origine puisse en être, prima facie, attribuée à une faute de la (défenderesse) »,
de sorte qu’une expertise judiciaire est nécessaire à cet égard, notamment afin
de déterminer dans quelle mesure ces infiltrations sont dues aux travaux
confiés à la défenderesse et/ou au mode d’exécution de ceux-ci.
Dans la mesure où elle décide ainsi, implicitement, que l’obligation
assumée par la défenderesse est une obligation de moyen, sans se référer à ni
vérifier l’intention commune des parties, comme le prescrit l’article 1156 du
Code civil, la cour d’appel ne justifie pas légalement sa décision (violation des
articles 1137, 1147, 1148, 1156 et 1315 du Code civil).
IV.
La décision de la Cour
Sur la fin de non-recevoir opposée au pourvoi par la défenderesse
et déduite de ce que le pourvoi n'est pas dirigé contre une décision
définitive :
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Attendu que le moyen reproche à l’arrêt de décider que l’obligation
assumée par la défenderesse était une obligation de moyen, en omettant de
vérifier l’intention des parties, alors que le demandeur soutenait que cette
obligation devait s’analyser en une obligation de résultat ;
Attendu que l’arrêt considère que l’examen par l’expert désigné par le
premier juge « ne porte aucun préjudice aux droits de défense respectifs des
parties qui pourront, lors des débats sur le fond de la cause, soumettre au
premier juge tous les moyens en droit et en fait qu’elles estimeront utiles de
soulever « et étend la mission de cet expert » de manière à ce que le premier
juge puisse être éclairé de façon claire et précise sur les circonstances qui ont
entouré la confection des devis relatifs aux travaux réalisés par la
(défenderesse) » ;
Que l’arrêt ne se prononce pas sur la nature des obligations souscrites
par les parties ;
Que la fin de non-recevoir est fondée ;
PAR CES MOTIFS,
LA COUR
Rejette le pourvoi ;
Condamne le demandeur aux dépens.
Les dépens taxés à la somme de cinq cent quatre-vingt-six euros quatre-vingtneuf centimes envers la partie demanderesse et à la somme de cinquante et un
euros cinquante et un centimes envers la partie défenderesse.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, première chambre, à Bruxelles, où
siégeaient le président de section Claude Parmentier, les conseillers Philippe
Echement, Didier Batselé, Daniel Plas et Christine Matray, et prononcé en
audience publique du vingt mars deux mille trois par le président de section
Claude Parmentier, en présence de l’avocat général Thierry Werquin, avec
l’assistance du greffier Marie-Jeanne Massart.