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PA-43 ATELIER SUR LA TRADUCTION APPLIQUEE AU DIALOGUE INTERCULTUREL FRANCE-ASIE : THEORIES TRADUCTOLOGIQUES ET PRATIQUES TRADUISANTES Coordination : Wanda DRESSLER ; [email protected] SYNTHESE DE L’ATELIER Cet atelier multidisciplinaire visait à explorer les problèmes posés par les rapports entre traduction et communication interculturelle, en particulier à travers le dialogue littéraire établi entre Occident/Orient, et plus précisément le dialogue France/Asie par le biais des différentes pratiques traduisantes. Le premier intervenant, Jean-René Ladmiral, philosophe, Pr. émérite de l’U. de Paris X Nanterre, ancien Directeur du laboratoire de traductologie MODYCO, a évoqué comment la théorie traductologique qui est tentative de construction d’une épistémologie de la traduction, rend compte de la diversité des pratiques traduisantes. Cette théorie les légitime, d’une certaine façon, par son pluralisme et l’esquisse rendue de plus en plus nécessaire d’une typologie de ces pratiques pour que le traducteur parvienne à situer sa pratique dans un continuum entre une traduction au plus près du texte source et la recréation d’un nouveau texte qui renvoie le plus fidèlement possible à l’esprit du texte source et à sa matérialité linguistique ou poétique (si possible). Le but de la traduction étant de réaliser la meilleure compréhension interculturelle possible c’est à dire, un pont subtil entre deux cultures, celle-ci est en fait la création d’un « oecumène », au sens profane et religieux du terme, la traduction sacralisant pour ainsi dire les textes mis en contiguïté. Une bonne traduction se réalise toujours un peu « à l’aveuglette ». Elle dépend beaucoup du défi sémantique et littéraire que le traducteur arrive à relever à travers cet exercice complexe de mise en relation de deux textes portés par des cultures traversées, dans le cas présent par le clivage réel ou présupposé et revisité entre des cultures asiatiques et européennes. Rada Ivekovic, philosophe, Pr à l’université de St Etienne, indianiste, a introduit dans la réflexion la notion de normes des traduction imposées généralement par les commanditaires des traductions qui de fait établissent un contrôle ou filtrage sur la circulation des textes. C’est encore plus vrai quant il s’agit de voisins avec lesquels on partage des frontières communes. Ce sont d’ailleurs ces frontières que la traduction cherche à établir pour qu’il y ait un pont et un espace commun de compréhension interculturelle sans toutefois produire de l’indifférenciation. Un écart de différenciation établi selon les procédés de construction nationale (création des nations serbes et croates par exemple) se crée dans le mouvement de coconstruction de la langue et de la nation, précise-t-elle. En général, le but de la traduction est de créer ou recréer un espace commun de compréhension interculturelle pour faciliter le dialogue, la convivialité et éviter les conflits ou la guerre. Il semble pour Rada Ivekovic très difficile de réduire l’écart qui se produit entre deux langues, chacune créant son propre système de différenciation nationale et à travers lui l’unité de chacune des langues. La langue elle-même est traduction d’une réalité qui doit renaître dans une autre langue, portée à la faveur d’une nouvelle traduction qui doit trouver ce sens commun aux entités séparées, sans pour autant les réduire à des schèmes simplistes comme ceux qui circulent par exemple entre Occident et Orient. C’est aussi de cet écart dont parle Véronique Alexandra-Journeau, musicologue, sinologue, Pr à l’université de Paris IV(entre autres) , à propos des traductions du chinois en français et en anglais dont la différence paraît irréductible car elle met en jeu ce qui différencie les langues et les cultures et qui fait système. Chaque langue utilise différents procédés pour communiquer du sens et construire le sens de sa culture à travers sa langue. Elle évoque l’exemple de la métaphore souvent intraduisible car profondément ancrée dans chaque culture, les modes de construction PA-43 grammaticaux (eux –aussi très spécifiques agencements du monde), la polysémie des termes qui fait qu’une traduction est toujours une traduction intercontextuelle de savoirs normatifs. Ces écarts qui se voient amplifiés quand l’histoire nationale est par trop différente comme entre la Chine et la France peuvent être au contraire réduits idéologiquement quand l’ère est au rapprochement idéologique et politique des peuples comme ce fut le cas au moment de la guerre froide entre ceux qui ont adhéré au communisme. Intervient alors, en place de l’écart, un rapprochement idéologique lié à un contexte qui sert de trame commune à la traduction et à la réception des œuvres, notamment entre Orient et Occident « rouges ». Cet l’exemple de ce rapprochement conjoncturel que tend à nous montrer Gulnar Sarsikeyeva, Pr. de langue romane et traductologue de l’Université d’Astana au Kazakhstan : celui d’un contexte révolutionnaire spécifique qui fait migrer un texte confiné dans « l’ombre » de la steppe lointaine à la « lumière » des littératures soviétiques publiées par les communistes enthousiastes de la première heure, tel Aragon en France. Celui-ci par cette collection fait découvrir à une frange du lectorat français (relativement préparée –le lectorat communiste) et plus largement à la presse nationale, un grand auteur et dramaturge kazakh, Mukhtar Aouesov qui retrace la vie du peuple kazakh au travers d’un long romain fleuve. De multiples écueils attendent ce type de traduction qui nécessitent une re visitation complète de la part des traducteurs kazakhs contemporains de ces oeuvres généralement traduites en français à partir de la langue relais du russe pour être admises par un lectorat contemporain qui a d’autres attentes. Aux difficultés rencontrées pour dépasser ces schématismes hérités de périodes politiques très spécifiques qui biaisent fortement les traductions de ces époques, s’ajoutent celles qui naissent de l’ignorance quasi-totale, côté occidental, des spécificités de cette littérature centrasiatique contemporaine écrite. Celle-ci est en fait l’aboutissement d’une fécondation séculaire d’une littérature orale qui a subi elle-même plusieurs transformations ou mutations contextuelles encore mal étudiés pour les périodes les plus anciennes. La traduction des oeuvres des auteurs anti coloniaux et acculturés à la culture européenne des nouveaux cadres kazakhs du début du XXeme siècle ne peuvent en effet se comprendre qu’en resituant le contexte spatio-temporel de l’écriture de ces œuvres et leur relative continuité avec les formes d’expression verbales orales qui passent traditionnellement par la poésie avant de migrer vers le roman, l’essai ou l’article de presse. Tous ces thèmes abordés disent la complexité des pratiques traduisantes. Celles-ci sont avant tout une pragmatique qui réalise un travail de connaissance et d’interconnaissance tout à fait fondamental et visent à suggérer au mieux, au lecteur de l’autre langue un mode de lecture, un mode de reliance multidimensionnelle qui est loin d’épuiser le sens d’un texte. Elles invitent au mieux au dialogue, à la découverte de l’autre langue et de l’autre culture et de son univers toujours polysémique. Elles dépendent à ce titre beaucoup du talent du traducteur.