La Suisse sous la férule de la NSA
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La Suisse sous la férule de la NSA
11 Politique fédérale La Suisse sous la férule de la NSA ? La coopération des services suisses de renseignement avec le système d’espionnage de l’Agence nationale de sécurité des États-Unis (NSA) soulève des questions inédites. Les Verts sont particulièrement attentifs aux menaces qui pèsent sur la protection de la personnalité. U n État peut-il vivre sans espions ? Le cas échéant, comment s’y livrer en respectant les droits humains ? Comment se garder de l’espionnage des autres pays ou d’entités privées ? Questions épineuses qui surgissent toujours plus et singulièrement en Suisse, depuis que le fuitage sur internet a été lancé à grande échelle par l’association Wikileaks. Plus encore, son émule, Edward Snowden, a mis à mal la NSA, responsable du renseignement électronique et de la sécurité des systèmes d’information et de traitement des données de son gouvernement. Le paradoxe est patent : des milieux désireux de protéger leurs congénères contre la violation de leur sphère personnelle diffusent à tout va des éléments privés recueillis sur le commun des mortels. Il n’y a pourtant pas là de contradiction ; il s’agit du procédé le plus efficace pour faire connaître et contrer l’une des plus vastes entreprises d’intrusion. Cette fois-ci la réaction a été rapide et générale. Il n’en avait pas été de même lorsque, en 1998, de premières révélations avaient commencé à lever le voile sur le réseau d’interception satellitaire des télécommunications Echelon, de la même NSA ; il fallut attendre 2 002 pour que le Parlement européen s’en indignât, sans grand lendemain. D’ailleurs les ÉtatsUniens n’ont pas été les seuls à procéder de la sorte. Bulletin Vert N° 35, janvier 2014 L’accord de coopération avec les États-Unis Parallèlement, au plus fort de la réaction aux attentats du 11 septembre 2001, la Suisse avait conclu un accord de coopération (Operative working arrangement ou OWA) avec les États-Unis d’Amérique, annoncé aux Chambres fédérales, mais pas soumis à leur approbation ; le Conseil fédéral affirmait que cet engagement ne touchait pas « les droits civiques ou d’autres droits dans une mesure incompatible avec le droit applicable en Suisse ». L’OWA fut étendu et remplacé en 2006 par l’Accord entre la Confédération suisse et les États-Unis d’Amérique sur la constitution d’équipes communes d’enquête pour lutter contre le terrorisme et son financement. Cette fois-ci, le Parlement approuva le traité, contre l’avis des Verts, qui furent les seuls à s’y opposer. Encore en vigueur, il autorise la participation des agents étrangers aux opérations d’instruction comprenant des mesures de contrainte et il accorde à chaque partie la possibilité de transmettre à l’autre des renseignements contenus dans des banques de données et des documents archivés. Interventions des Verts À la lumière des derniers développements, qui montrent à quel point les intérêts d’ensemble de la Suisse, de sa population et de ses entreprises peuvent être foulés aux pieds, les Verts ont décidé d’intervenir sous différents angles, d’abord en remettant en question l’accord de 2006, qui nous lie à un partenaire encore moins fiable que prévu et en remettant en question le traditionnel lien de confiance avec lui. Leur exigence de mise en œuvre du Ministère public de la Confédération (MPC) face aux indices de violation de la souveraineté du pays par des agents étrangers ou suisses (Protectas a notamment été mise en cause) a d’ores et déjà été satisfaite avant son dépôt formel, le Conseil fédéral venant d’autoriser le procureur à ouvrir l’enquête qu’il souhaite diligenter dans ce sens. Mais une évaluation globale de la dimension de l’espionnage des États-Unis au préjudice de la Suisse demeure une nécessité que l’enquête du MPC ne suffira sans doute pas à satisfaire ; c’est là que l’intense activité de la Délégation des Commissions de gestion, composée de trois membres de la commission de chaque chambre, dont le Vert Ueli Leuenberger, prend toute son importance. La tâche de cet organisme discret consiste en la surveillance des activités relevant de la sécurité de l’État et du renseignement et en l’examen de l’action étatique dans des domaines qui doivent rester secrets. Des dégâts qui restent à évaluer Jusqu’à maintenant le sentiment prédomine que le souci s’est concentré sur la manière dont le Service de renseignement de la Confédération a accompli sa tâche, le cas échéant en travaillant avec ses homologues étrangers, mais pas assez sur l’efficacité de notre contre-espionnage, ni sur les dégâts des services étrangers de renseignement pour les intérêts publics et privés de notre pays. Quid en particulier du tort causé à la réputation de neutralité de la Genève internationale, véritable nid d’espions ? Quid aussi de l’usage des antennes paraboliques de Loèche Verestar, l’entreprise qui a racheté les antennes il y a une dizaine d’années, soupçonnée de collaborer avec les renseignements américains ? Au cœur des valeurs vertes, la protection de la personnalité est en péril. Nous y veillons avec soin. Luc Recordon Conseiller aux États (VD) 11