Aperçu - WISE Philosophy

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Aperçu - WISE Philosophy
Les régimes m'ont gâché la vie
Caroline Desages
Hyperprotéiné, hypocalorique, dissocié,
hypoglucidique... Les régimes
amaigrissants, Caroline les a tous tenté,
et en a fait les frais. À force de yo-yo et de
kilos repris, ce n'est plus seulement son
corps qu'elle n'a plus supporté, mais son
image toute entière. Jusqu'à sa rencontre
avec le médecin qui a révolutionné sa façon de vivre son poids, et lui a appris à travailler sur son
comportement alimentaire. Elle raconte.
D’aussi loin que je me souvienne, je me suis trouvée trop grosse. À 14 ans, j’ai vu mon premier
nutritionniste, qui m’a prévenue qu’il me faudrait «faire attention» toute ma vie. Au rayon des
privations, j’avais pris perpète, avec en option des coupe-faim qui s’avéreraient mortels
quelques années plus tard. Durant vingt ans, j’ai tout essayé, du fromage blanc en perfusion aux
capsules de pamplemousse censées vous faire fondre, des régimes dissociés aux sachets
protéinés. Mes grossesses ont été des carnages. En vingt-cinq ans, j’ai probablement pris et
perdu plus de cent kilos.
J'avais une image de moi déplorable, je me sentais laide, énorme, mauvaise mère, mauvaise
épouse, mauvaise journaliste. Mon mal-être se répercutait sur mes enfants, sur mon travail.
Après avoir lu un de ses livres, j'ai consulté Jean-Philippe Zermati, médecin nutritionniste
spécialiste des troubles du comportement alimentaire, dont l'approche me semblait différente.
Avec lui, pas de séances humiliantes de pesée, pas de discours culpabilisant, pas d'interdits. Pas
de promesses non plus. Le deal était clair : trouver mon poids déquilibre, celui-ci pouvant être
celui que je pesais à l'époque. Pour cela, il fallait retrouver ma faim, mais aussi ma satiété, et
travailler sur l'acceptation de mes émotions et de ce que j'étais. Une démarche qui m'a fait
maigrir, et qui m'a sauvée du marasme dans lequel je m'enferrais depuis des années. Parce que
se libérer de ce poids n'influe pas que sur la taille des jeans. L'onde de choc est immense,
affectant la vie de famille, le rapport aux autres et à soi-même, et la vie professionnelle...
Avec mes enfants, j'ai relâché la pression
Ma crainte a toujours été que mes filles prennent le même chemin que moi et subissent les
affres de mon comportement alimentaire. Paniquée à l'idée qu'elles soient trop grosses, je me
suis transformée dès leur naissance en nutritionniste, brandissant la menace des kilos dès
qu'’elles se resservaient du gâteau au chocolat. Résultat, à 7 ans, mon aînée connaissait la
teneur en calories de n'importe quel plat et commençait à se priver, en dépit d'un corps quasi
squelettique. Il était temps d'agir avant que la seconde soit elle aussi contaminée.
Avec cette nouvelle méthode, terminé les cours de diététique. Puisque j'apprenais à manger
selon ma faim, pourquoi ne pas leur accorder à elles aussi ce droit ? Conséquence immédiate,
une sérénité retrouvée à l'heure des repas. J'ai peu à peu réussi à ne pas finir mon assiette et
accepté que mes enfants fassent de même. Sans pour autant les punir en les privant de dessert.
On peut ne plus avoir faim de salé, mais avoir gardé une place pour du sucré. Plus de
rationnement de sucreries, l'idée est de me faire confiance, mais aussi de leur faire confiance.
Et le fait de laisser un paquet de bonbons en libre-service n'a pas pour conséquence qu'il soit
instantanément vidé.
Quant aux légumes, cuisinés par envie et non par obligation, ils sont eux aussi appréciés par la
famille. Dégustés parce qu'ils sont goûteux et non « parce qu'ils ne font pas grossir ». Bien que
mangeant moins, je cuisine désormais beaucoup plus. Pas comme ce fut le cas des années
durant pour me nourrir par procuration, voire « avec l'envie inavouable de faire grossir les
autres plutôt que soi », comme l'analyse la psychologue et nutritionniste Laurence Haurat
(auteure avec Laura Hanaert-Hebey de Libérons l'assiette de nos enfants ! et avec Annabelle
Demouron d'Ex-Fan des régimes aux Éditions La Martinière, 2010 et 2012). Simplement par
plaisir, celui de respirer les saveurs, de toucher les aliments et de concocter de bons petits
plats.
Avec mes amis, j'ai cessé d'en parler
Face à l'entourage amical, la question est plus complexe. En la matière, les préjugés et les
croyances ont la vie dure, et me voir parfois refuser un dessert au motif que je n'ai plus faim
provoque souvent des interrogations, voire quelques inquiétudes. Sans parler des frites, que je
commande et déguste désormais sans scrupule, sachant que ce que je mange lorsque j'ai faim
ne me fait pas grossir.
Quand mes kilos ont commencé à s'envoler, j'ai été confrontée à des réactions parfois
inattendues. Compliments étrangement tournés, me laissant penser qu'« avant » je n'étais tout
de même vraiment pas terrible ; ou, au contraire, avertissements quant au risque de « perdre
trop ». Sans parler de ceux m'expliquant que cette nouvelle moi plus mince, ce n'était en réalité
« pas moi ». Ah ? Hypersusceptibilité de ma part ou maladresse mal intentionnée ?
« Peut-être un peu des deux », répond Laurence Haurat, ajoutant surtout qu'« aucune parole
n'est recevable lorsque l'on porte un regard négatif sur soi, ce qui est souvent le cas des
personnes au régime. Tout peut être sujet de vexation car, en réalité, c'est de notre propre
appréciation qu'il s'agit, et celle-ci n'évolue pas toujours au même rythme que la perte des kilos
».
Histoire de ne pas me fâcher avec tous mes proches ou de passer des soirées entières à
m'expliquer, j'ai petit à petit décidé de cesser de me justifier et d'en parler. Et ça marche !
Aujourd'hui, personne ne fait plus attention à ce que je choisis ou non sur la carte. J'ai aussi
appris à ne plus répondre à la question du nombre de kilos envolés pour ne pas transformer
cette démarche en « performance ». Surexposer mon amaigrissement risquerait en effet de me
mettre à nouveau sous pression. Perdre du poids ne devrait jamais être perçu comme une
victoire, parce qu'en reprendre signerait alors un échec, m'a expliqué Jean-Philippe Zermati.
Autrement dit, la peur de regrossir finirait par me faire grossir.
Avec mon mari, j’ai rallumé la lumière
Mon homme ne m'avait quasiment jamais vue nue. J'avais, au fil des années, mis au point une
technique imparable pour me déshabiller sous la couette et n'avais même plus besoin de lui
demander d'éteindre la lampe tant il était impensable que nos ébats supportent la moindre
lumière. Aujourd'hui, sans être devenue naturiste, il n'est pas rare que je traverse la chambre
en tenue d'Ève sans même m'en rendre compte, et ce pour son plus grand plaisir. Si cette
nouvelle version de moi lui plaît, il me rappelle toutefois souvent qu'il n'avait rien contre
l'ancienne.
D’abord sujet d'agacement, une partie de moi refusant de croire que ce qui me semblait affreux
ait pu lui convenir, j'ai là aussi compris ce que me répétait inlassablement Jean-Philippe Zermati
: il n'est pas nécessaire de se plaire pour s'aimer. En l'occurrence, nul doute que mes robes plus
ajustées plaisent à mon époux, mais il est tombé amoureux de moi plus grosse et, par
conséquent, d'autre chose que de mon tour de taille. Ce qui ne l'empêche pas d'apprécier de
me voir oser le deux-pièces sur la plage, de ne plus m'entendre geindre que je n’ai rien à me
mettre ou que j'ai grossi.
Au travail, j'ai enfin pris des risques
Cerise sur le gâteau, peut-être un hasard, peut-être pas, mais au terme de deux années de
thérapie, j'ai fini par sauter le pas, abandonnant un poste confortable et sûr pour une vie plus
précaire de pigiste. Un rêve caressé depuis une éternité sans jamais avoir eu le courage de
passer à l'acte, tétanisée d'angoisse à l'idée de me planter. La création de mon blog Pensées de
ronde et les milliers d'encouragements et d'échanges que j'ai pu recevoir pendant toute mon «
expérience Zermati » m'ont beaucoup aidée pour retrouver confiance en moi. Avoir appris à
accepter mes émotions, négatives comme positives, à me faire confiance pour gérer ce qui
jusque-là m'échappait tant manger de manière naturelle et non compulsive ma donné des
ailes.
Les régimes étaient sur le point, je crois, de me faire disparaître. Les avoir bannis de ma vie m'a
permis de me retrouver. Le fait est que m'habiller est devenu un plaisir, au point même
d'adopter dans un premier temps un style complètement différent, plus près du corps, à la
limite de l'aguicheur. Un jeu qui n'a toutefois pas duré. Mes nouveaux contours apprivoisés, j'ai
fini par me lasser de cette autosatisfaction, comprenant aussi que je restais la même et qu'avoir
minci ne m'avait pas soudain transformée en cover-girl.
Je mentirais en prétendant ne pas avoir peur parfois que le charme disparaisse. Il m'’arrive
d'être tentée de refaire attention si je constate que j'ai repris un peu de poids. Je ne me suis pas
non plus débarrassée de la balance, même si je ne monte dessus qu'une fois par mois. Je n'ai
enfin pas arrêté de fumer, de peur, notamment, de voir mes vieux démons alimentaires
resurgir. Mais je crois que j'ai, malgré tout, fait un sacré bout de chemin...