Sophie NICINSKI - Gestion et Finances Publiques

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Sophie NICINSKI - Gestion et Finances Publiques
questions doctrinales
Sophie NICINSKI
Professeur agrégé de droit public à l’Université Lyon 2
La place des contrats de partenariat
au sein des contrats administratifs
Le droit français et le droit communautaire n’ont pas adopté la même
typologie des contrats publics. Alors que le droit communautaire est fondé
sur quelques grandes catégories, à vocation attractive, le droit français
multiplie ces derniers temps la création de contrats sui generis, distincts
des catégories existantes des marchés et délégations, ces dernières ayant
une vocation répulsive. En effet, on peut résumer les choses de la manière
suivante : les marchés publics au sens communautaire relèvent d’une
définition large et sont soumis à des procédures de passation contraignantes, issues des directives « marchés » (1) ; la catégorie des concessions
(de services ou de travaux) est définie par ces mêmes directives et seules
les concessions de travaux font l’objet d’une procédure de passation
allégée prévue au titre III de la directive précitée ; enfin, il existe une catégorie de contrats « fourre-tout », dont la passation est soumise aux grands
principes du traité. Cette catégorie englobe les concessions de services,
les marchés non soumis aux directives et « tout acte, qu’il soit contractuel
ou unilatéral, par lequel une entité publique confie la prestation d’une
activité économique à un tiers » (point 8 du Livre vert sur les contrats de
partenariat [2]). Il pourrait arriver qu’une nouvelle catégorie soit créée en
droit communautaire et isolée des autres, mais à l’issue d’une longue
réflexion de la Commission sur l’utilité de définir des procédures de passation spécifiques (c’est l’interrogation qui ressort du Livre vert, préc., s’agissant des contrats de partenariat).
En droit français, le choix s’est porté sur une méthode radicalement différente. Deux grandes catégories préexistent : les marchés et les délégations. La distinction entre ces deux types de contrats n’est déjà pas évidente à établir : la doctrine a mis en avant le critère financier, puis celui
du risque, sans d’ailleurs que l’on sache exactement si le second se fond
dans le premier, puis récemment, le Conseil d’Etat (3) a mis l’accent sur
l’objet même de la délégation, qui est l’exploitation effective d’un service
public, objet que l’on avait tendance à oublier, pour passer directement
à l’examen de l’économie financière du contrat. Face à un besoin de
financement de plus en plus grand des collectivités publiques, une
contrainte de limitation de l’endettement (critères de Maastricht) et une
volonté de confier certains projets au secteur privé, voire d’en étaler le
coût, se développent des contrats souvent qualifiés de complexes, destinés principalement à faire réaliser ou à faire financer des équipements
sous maîtrise d’ouvrage privée : baux emphytéotiques administratifs,
convention d’occupation du domaine avec opération de construction,
vente en l’état futur d’achèvement, concessions d’aménagement, créditbail immobilier, etc. Et comme le Code des marchés publics 2006 confirme
le principe de l’allotissement, l’interdiction de paiement différé, la limitation des marchés de conception-réalisation et maintient (après quelques
hésitations) le critère de la maîtrise d’ouvrage publique dans la définition
du marché public (maîtrise d’ouvrage dont la personne publique ne peut
se défaire), ces contrats ne peuvent pas être des marchés au sens français.
Le contrat de partenariat s’inscrit dans cette mouvance, comme si en
droit français il était plus facile de créer un nouvel instrument juridique
plutôt que de réaliser une réforme d’ensemble d’instruments qui apparaissent inadaptés aux contraintes de l’action publique.
La question récurrente en droit français finit par être de savoir si ces
contrats sui generis ne sont pas des marchés ou des concessions au sens
communautaire, auquel cas leur procédure de passation (au-delà des
seuils) doit être compatible avec le droit communautaire. Ainsi, il convient
de confronter les spécificités du contrat de partenariat aux typologies
existantes.
Mais la faiblesse des fondements des typologies existantes conduit à se
demander s’il ne faudrait pas en créer de nouvelles, propres à générer les
liaisons indispensables à opérer entre les spécificités de certains contrats
administratifs spéciaux et les éléments de régimes juridiques à créer,
dépassant le stade du problème de la procédure de passation, à laquelle
le droit français s’arrête trop souvent.
LA PLACE DU CONTRAT DE PARTENARIAT
DANS LES TYPOLOGIES EXISTANTES
Il est désormais admis en jurisprudence que le contrat de partenariat
appartient à la famille des marchés. Cependant de solides arguments
peuvent encore militer pour inclure le contrat de partenariat dans la
famille des concessions.
Contrat de partenariat et marché public
En droit communautaire, un marché public est un contrat à titre onéreux
conclu par écrit entre un pouvoir adjudicateur et un opérateur économique ayant pour objet l’exécution de travaux, la fourniture de produits
ou la prestation de services (art. 1er-2 a de la directive 2004/18). Plus précisément, le marché de travaux est un marché public ayant pour objet
soit l’exécution, soit conjointement la conception et l’exécution de travaux
ou d’un ouvrage, soit la réalisation, par quelque moyen que ce soit, d’un
ouvrage répondant aux besoins précisés par le pouvoir adjudicateur
(art. 1er-2 b de la directive 2004/18). La définition communautaire du
marché de travaux est plus large que celle du droit français sur trois points.
Tout d’abord, le droit communautaire n’exige pas que le pouvoir adjudicateur détienne la maîtrise d’ouvrage des travaux à réaliser. Ensuite, la
notion d’entrepreneur est interprétée de manière très large par la jurisprudence de la Cour, qui n’exige pas que l’entrepreneur dispose lui-même
des moyens matériels et humains pour réaliser les travaux. Ainsi, un lotisseur (4) ou un aménageur (5) peut-être un entrepreneur. Enfin, un marché
(1) Directive 2004/18 pour ce qui est des secteurs classiques et 2004/17 pour les
secteurs spéciaux.
(2) Présenté par la Commission européenne, Com/2004/0327 final.
(3) CE, ass., 4 novembre 2005, Société Jean-Claude Decaux, RFDA 2005, p. 1083,
concl. D. Casas, Contrats et marchés publics décembre 2005, p. 3, comm. F. Llorens
et P. Soler-Couteaux, et nº 297, comm. J.-P. Piétri ; AJDA 2006, p. 120, note A. Ménéménis ; JCP A nº 50/2005, 12 décembre 2005, p. 1825, note F. Linditch, « Mobilier
urbain, vive le critère de l’objet » ; AJDA 2006, p. 1, obs. S. Braconnier.
(4) CJCE, 12 juillet 2001, Province de Milan, aff. C-399/98.
(5) CJCE, 18 janvier 2007, Jean Auroux c/ Commune de Roanne, aff. C-220/05.
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de travaux peut consister en la réalisation d’un ouvrage, par quelque
moyen que ce soit, ce qui inclut par exemple les contrats de promotion
immobilière. Sans qu’il s’agisse d’une divergence quant à la notion même
de marché, on remarque aussi que le droit communautaire admet beaucoup plus largement les marchés de conception-réalisation.
La détermination de la place des contrats de partenariat en droit communautaire dépend de leur définition. Or, il convient de distinguer
l’approche du droit communautaire et la définition – plus précise – donnée
par le droit français. En effet, le droit communautaire ne donne aucune
définition précise du partenariat. Tout au plus, le Livre vert établi par la
Commission (6) identifie quatre éléments : une durée relativement longue
de la relation, impliquant une coopération entre le partenaire public et le
partenaire privé sur différents aspects d’un projet à réaliser ; un financement privé du projet complété (même largement) par des financements
publics ; un rôle important de l’opérateur économique, qui participe à
différents stades du projet (conception, réalisation, mise en œuvre, financement), alors que le partenaire public se concentre sur la définition des
objectifs à atteindre en terme d’intérêt public, de qualité des services, de
politique des prix et de contrôle du respect des objectifs ; la répartition
des risques entre le partenaire public et le partenaire privé. Le caractère
extrêmement large de cette identification conduit la Commission à envisager dans son Livre vert plusieurs qualifications possibles. S’agissant de la
qualification comme marché, même si le partenaire ne réalise pas luimême des travaux, mais fait appel à une entreprise, le contrat de partenariat peut être qualifié de marché de travaux au sens du droit communautaire. Si le contrat porte à la fois sur des travaux et des services
(entretien, maintenance, exploitation, etc.), il conviendra de se référer au
critère de l’objet principal du contrat (art. 1er-2 c et d de la directive
2004/18).
Le droit français a adopté une définition beaucoup plus précise du contrat
de partenariat, que l’on retrouve à l’article premier de l’ordonnance
nº 2004-559 du 17 juin 2004 (et à l’art. L. 1414-1 du CGCT). Un contrat de
partenariat est un contrat administratif par lequel une personne publique
confie à un tiers, pour une période déterminée en fonction de la durée
d’amortissement des investissements ou des modalités de financement
retenues, une mission globale relative au financement d’investissements
immatériels, d’ouvrages ou d’équipement nécessaires au service public,
à la construction ou transformation des ouvrages ou équipements, ainsi
qu’à leur entretien, leur maintenance, leur exploitation ou leur gestion, et,
le cas échéant, à d’autres prestations de services concourant à l’exercice,
par la personne publique, de la mission de service public dont elle est
chargée. Le cocontractant de la personne publique assure la maîtrise
d’ouvrage des travaux à réaliser. Il peut se voir confier tout ou partie de
la conception des ouvrages. La rémunération du cocontractant fait l’objet
d’un paiement par la personne publique pendant toute la durée du
contrat. Elle peut être liée à des objectifs de performance assignés au
cocontractant. Compte tenu de cette définition française, la qualification
du contrat de partenariat français au sens du droit communautaire est
moins hasardeuse. Le Conseil d’Etat n’a pas véritablement montré d’hésitation dans l’arrêt Sueur (7) : « les contrats de partenariat, qui ont vocation
à être passés avec un ou plusieurs opérateurs économiques et en vertu
desquels la rémunération du cocontractant fait l’objet d’un paiement par
la personne publique, constituent des marchés publics au sens de cette
directive ». Le critère financier a donc fait basculer le contrat de partenariat dans la famille des marchés publics.
Pourrait-on envisager une conclusion moins catégorique et déterminer les
hypothèses dans lesquelles le contrat de partenariat appartiendrait plutôt
à la famille des concessions ?
Contrat de partenariat et concession
En droit communautaire, une concession de travaux publics (ou de services) est un contrat présentant les mêmes caractéristiques qu’un marché
public de travaux (ou de services), à l’exception du fait que la contrepartie
des travaux consiste soit uniquement dans le droit d’exploiter l’ouvrage,
soit dans ce doit assorti d’un prix (art. 1er-3 et 4 de la directive 2004/18).
On remarquera que la notion communautaire de concession de services
ne repose nullement sur le transfert effectif de l’exploitation d’un service
public, contrairement à ce qui prévaut en droit français.
Le Livre vert sur les contrats de partenariat envisage aussi la qualification
de concession, toujours à partir des éléments d’identification des contrats
de partenariat en droit communautaire. En droit communautaire, le critère
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du droit d’exploitation et son corollaire, le transfert des aléas inhérents à
l’exploitation distinguent les marchés des concessions. Le lien entre ce
critère et le contrat de partenariat est établi car l’économie de ce dernier
suppose une répartition des risques, et donc du risque d’exploitation. Dès
lors, en considération de la manière dont ce risque est réparti entre les
partenaires, le contrat de partenariat tel qu’il est défini en droit communautaire entrera dans la catégorie des concessions ou dans celle des
marchés. En droit communautaire, il faudra donc se résoudre à une qualification au cas par cas.
Une question continue cependant d’agiter la doctrine s’agissant de savoir
si le contrat de partenariat tel qu’il est défini en droit français pourrait être
une concession au sens du droit communautaire. Il convient de procéder
par étapes. La distinction entre marché et concession repose d’abord sur
l’origine des ressources du cocontractant. Or, l’économie du contrat de
partenariat choisie par la législation française fait apparaître que le partenaire est rémunéré par la personne publique (art. 1er de l’ordonnance
préc.). L’article 11 d de l’ordonnance précitée fait néanmoins apparaître
que le partenaire peut bénéficier de recettes tirées de l’exploitation de
l’ouvrage ou des équipements pour répondre à d’autres besoins que ceux
de la personne publique contractante. Selon le commissaire du Gouvernement Casas dans ses conclusions sur l’arrêt Sueur (8), cette particularité
ne paraît pas de nature à retirer au contrat de partenariat sa qualification
de marché. La rédaction même de l’ordonnance suppose que ce type
de rémunération ne peut être qu’accessoire (9). Dès lors, la rémunération
tirée du droit d’exploitation n’étant qu’accessoire, on peut conclure assez
trivialement que le contrat de partenariat ne peut être une concession.
Le raisonnement doit cependant être poursuivi. L’utilisation du critère de
l’origine des ressources a été perturbée par l’apparition d’un critère voisin,
celui du transfert du risque d’exploitation (10). Ce critère-bis a déployé ses
effets en deux temps. Tout d’abord, il est intervenu un peu comme un
correctif de celui de l’origine des ressources. Ainsi, lorsque dans un contrat,
les ressources tirées de l’exploitation représentent une part minoritaire mais
que le risque est situé dans cette part minoritaire, il faut écarter la qualification de marché (11). Mais le risque est encore lié à la présence de
recettes provenant des tiers aux contrats. L’utilisation de ce critère-bis renvoie simplement à l’idée qu’une rémunération provenant de ressources
fournies par l’exploitation d’un service ou d’un ouvrage peut ne constituer
qu’une part minoritaire (en pourcentage) de l’ensemble des ressources du
cocontractant, mais révéler un véritable risque d’exploitation à sa charge.
Le second temps est plus difficile à saisir et semble directement lié aux
tentatives de qualification du contrat de partenariat. En effet, le risque
peut dépendre de la rémunération versée par la personne publique. Ce
n’est plus l’origine des ressources qu’il faut prendre en compte mais se
demander si le niveau de rémunération du cocontractant varie selon
l’exploitation qui est faite. En d’autres termes, le cocontractant est-il certain d’obtenir sa rémunération ou celle-ci dépend-elle de sa performance
de telle sorte qu’il supporte le risque d’exploitation ? Le risque ne provient
plus des recettes versées par des tiers, mais du niveau de la rémunération
versée par la personne publique, lui-même lié à la performance du cocontractant dans l’exécution du contrat. L’article premier de l’ordonnance
du 17 juin 2004 vise exactement cette situation en prévoyant que la rémunération peut être liée à des objectifs de performance assignés au cocontractant. Dans ses conclusions sur l’arrêt Sueur, D. Casas (12) estime que
« l’article 11 de l’ordonnance prévoit, il est vrai, que les contrats devront
contenir une clause établissant le "partage des risques" entre les contractants, ce qui peut faire penser à une concession. Mais il reste que l’article
(6) Préc.
(7) CE, sect., 29 octobre 2004, Rec., p. 393, RFDA 2004, p. 1110, concl. Cassas, BJDCP
2005, nº 38, p. 65, concl. Cassas, obs. CM, AJDA 2004, p. 2383, chron. Landais et
Lenica, CMP décembre 2004, p. 20 note G. Eckert, DA 2005, nos 3, 4 et 5, note
A. Ménéménis.
(8) Concl. sur l’arrêt Sueur préc., RFDA 2004, p. 1110.
(9) Voir en ce sens F. Brenet et F. Melleray, Les contrats de partenariat de l’ordonnance du 17 juin 2004, Litec, 2005, p. 78.
(10) Ce critère figure en droit communautaire dans la Communication interprétative
de la Commission sur les concessions en droit communautaire (JOCE 2000/C,
121/02, 29 avril 2000. Voir également le Livre vert sur les contrats de partenariat,
préc., point 36). Il est aussi utilisé par le juge français : CE, 15 juin 1994, Syndicat
intercommunal des transports publics de la région de Douai, Rec. p. 807 ; TA Stasbourg, 15 septembre 2000, Société entreprise Michel Ruas, CMP 2001, comm. nº 7
note F. Llorens ; CAA Douai, 5 juin 2001, Société des ateliers de mécanique du pays
d’Ouche, nº 87DA10602 ; CAA Bordeaux, 27 juillet 2001, Communauté de communes Saint-Savin, BJDCP 2002, p. 324, obs. R. Schwartz ; CAA Nantes, Préfet du
Cher, BJDCP 2004, p. 401, obs. R. Schwartz.
(11) CE, 30 juin 1999, SMITOM Centre-Ouest seine-et-marnais, AJDA 1999, p. 714,
concl. C. Bergeal.
(12) Préc.
questions doctrinales
premier de l’ordonnance dispose expressément que "la rémunération du
cocontractant fait l’objet d’un paiement par la personne publique pendant toute la durée du contrat". Dans ces conditions, même si cette rémunération peut être "liée à des objectifs de performance assignés au cocontractant", et quelle que soit la complexité du montage financier, dont le
risque reposera d’ailleurs in fine, par le biais des mécanismes de garanties,
sur la personne publique, on ne peut être en présence que d’un marché ».
D. Cassas écarte un peu trop vite à notre sens la qualification de concession en retenant que le risque pèsera in fine sur la personne publique.
En effet, si l’on est certain que le contrat de partenariat opère un « partage
des risques », on ne peut qu’être extrêmement surpris par l’imprécision de
la détermination des risques à répartir au sein du contrat de partenariat
et du sort pour le moins incertain du risque d’exploitation qui est le risque
qui nous intéresse ici. Pour la MAAP (fiche nº 1 du 5 octobre 2006, Analyse
préliminaire de l’intérêt du recours au contrat de partenariat), le risque
d’exploitation fait référence à la haute qualité du service, à sa disponibilité
sans interruption (13). Une doctrine avisée (14) avance que « le risque
technique devrait peser sur le partenaire et le risque commercial sur la
personne publique » (le risque commercial étant considéré comme synonyme de risque d’exploitation). A l’inverse, pour le rapport du Groupe des
banques et organismes financiers membres de l’Institut de gestion déléguée (Le Moniteur, 20 octobre 2006, cahier détaché nº 3, nº 5369), « il est
en effet parfaitement logique que le partenaire privé assume les risques
correspondant aux missions qui lui sont confiées au titre du contrat de
partenariat, notamment (et dans la plupart des cas) les risques... d’exploitation... ». Compte tenu de ces incertitudes, il nous semble que la qualification des contrats de partenariat ne pourra être faite qu’au cas par cas.
Reste à considérer une dernière hypothèse, celle dans laquelle le risque
demeure un critère de classification des contrats administratifs spéciaux,
mais que le seul risque d’exploitation n’est pas ou plus un critère d’analyse
adéquat. L’exemple du contrat de partenariat conduirait plutôt à se
demander qui, de la collectivité publique ou du partenaire, supporte globalement le risque financier de l’opération. Même si cette appréciation
peut se révéler délicate, voire impossible, c’est la seule qui permette de
dire si tel ou tel contrat de partenariat appartient plutôt à la famille des
marchés ou plutôt à la famille de concessions.
Reste aussi à répondre à une dernière question : le contrat de partenariat
est-il une délégation de service public au sens français du terme ? Selon
l’analyse de F. Llorens (15), l’objet même du contrat de partenariat exclut
la qualification de délégation de service public, puisque le partenaire ne
peut être chargé que des prestations facultatives concourant à l’exercice
par la personne publique de la mission dont elle est investie, ce qui signifie
que la gestion même du service public demeure à la charge de l’Administration. Mais le partenaire peut se voir confier l’exploitation d’un
ouvrage ou d’un équipement. Or, dans certains cas, cette exploitation va
être difficilement dissociable de la gestion d’un service public auquel
l’équipement est affecté (16). On peut ajouter à cette analyse le fait que
sont reconnus comme des délégations de service public les contrats
confiant à des cocontractants des missions dont les contours sont mouvants et dont l’éloignement par rapport au « noyau dur » du service public
(si tant est que l’on puisse appréhender le service public de cette manière)
est variable, cela parce que certains services publics font l’objet d’un
émiettement en un ensemble des prestations et que chaque prestation
est elle-même qualifiée de service public (17). Mais même si l’objet d’un
contrat de partenariat révèle qu’une activité qualifiable de service public
est effectivement confiée au partenaire, ce qui pourrait ne pas être si rare
que cela, rien n’indique que sa rémunération sera substantiellement liée
aux résultats de l’exploitation (voir l’analyse ci-dessus).
Que le contrat de partenariat soit qualifiable de marché ou de concession
au sens communautaire, ou encore de délégation de service public au
sens français, ses spécificités appellent de nouveaux critères de classification et conduisent à s’interroger sur le véritable intérêt d’une classification,
qui doit être d’identifier un régime juridique dépassant le simple stade de
la passation.
LA PLACE DU CONTRAT DE PARTENARIAT
DANS LES TYPOLOGIES A CRÉER
Les critères d’identification des contrats administratifs spéciaux se multiplient, mais renvoient tous à un degré plus ou moins fort d’externalisation
d’une mission incombant initialement à une collectivité publique.
La multiplication des critères d’identification
des contrats administratifs spéciaux
L’identification d’un contrat administratif spécial, comme le contrat de
partenariat, repose sur des critères qui semblent se multiplier et qui, finalement, constituent autant de particularités « dérogatoires » au régime des
marchés ou des délégations.
On distingue ainsi les contrats globaux des contrats à mission unique. Les
contrats comportant une mission globale constituent normalement une
dérogation au Code des marchés publics et à la loi MOP du 12 juillet 1985,
laquelle interdit le cumul des fonctions de conception et des fonctions de
construction. La famille des contrats globaux regroupe donc les METP sectoriels (18), les contrats de partenariat (19) et, dans une moindre mesure,
les baux emphytéotiques (classiques ou sectoriels [20]) et les conventions
de bail (classiques [21] ou sectorielles [22]). On peut y rajouter les délégations de service public comportant la réalisation d’équipements affectés
au service public dont la gestion est déléguée.
Le champ d’application des contrats administratifs spéciaux permet également de les classer, en ce que la limitation à un champ d’application
précis du recours à tel ou tel type de contrat est une indication qu’il sera
dérogatoire à la famille des marchés publics. Le législateur a réduit le
champ d’application d’un contrat nouvellement créé, parce qu’il apparaît dérogatoire à une catégorie classique considérée comme de droit
commun (et parce que le Conseil constitutionnel a inventé un droit
commun de la commande publique...). Ainsi, les METP, certains baux
emphytéotiques administratifs ou certains baux à construction sont dits
« sectoriels » en ce qu’ils ne peuvent être conclus que pour des missions
relatives à des bâtiments destinés à satisfaire les besoins de certaines administrations (justice, police, armées, services pénitentiaires, pompiers, santé,
etc.). Les contrats de partenariat s’inscrivent dans cette catégorie, non
(13) F. Llorens (« Typologie des contrats de la commande publique », CMP, mai 2005,
nº 7) a une analyse beaucoup plus critique de la signification de ce critère et de
son utilité : « le risque d’exploitation fait l’objet d’une approche plus intuitive que
rigoureuse et s’avère en définitive introuvable. On n’en connaît ni la nature (risque
de perte ou simple risque de variation de la marge bénéficiaire), ni l’origine (risque
commercial ou risque industriel), ni le degré d’intensité » ; « la notion de risque est
impuissante à justifier la distinction entre marchés publics et DSP, laquelle repose
en définitive sur le seul critère de la rémunération liée substantiellement aux résultats
de l’exploitation du service ».
(14) F. Brenet et F. Melleray, ouvrage préc., p. 141.
(15) « Typologie des contrats de la commande publique », CMP, mai 2005, nº 7.
(16) A ce sujet voir aussi L. Richer, « Le partenariat public-privé, une menace pour
la délégation de service public ? », Délégation de service public : Bulletin d’actualité
nº 2/2004, avril 2004, p. 2.
(17) S. Nicinski, « Les associations et le droit administratif. Plaidoyer pour la convention
d’objectifs et de moyen », DA, juin 2006.
(18) Dénommés ainsi par P. Delvolvé (« Les contrats globaux », RFDA 2004, p. 1079),
bien qu’à la différence des anciens METP, le prix correspondant à la construction
ne puisse pas être étalé. Concernant les établissements pénitentiaires, la mission du
cocontractant couvre la conception, la construction et l’aménagement, ainsi
qu’éventuellement, des fonctions autres que celles de direction, de greffe et de
surveillance (art. 2 de la loi nº 87-432 du 22 juin 1987 relative au service public
pénitentiaire, modifié par la loi nº 2002-1138 du 9 septembre 2002). Concernant les
immeubles affectés à la police ou à la gendarmerie nationale, aux armées, aux
services de la défense, à la brigade des sapeurs-pompiers de Paris, la mission du
cocontractant porte à la fois sur la conception, la construction, l’aménagement
l’entretien et la maintenance d’infrastructures (art. 3.I et V de la loi nº 2002-1094 du
29 août 2002, d’orientation et de programmation pour la sécurité intérieure, modifiée par la loi nº 2003-73 du 27 janvier 2003 et la loi nº 2003-239 du 18 mars 2003).
Concernant les centres de rétention ou de zones d’attente, la mission du cocontractant porte à la fois sur la conception, la construction, l’aménagement, l’entretien, l’hôtellerie et la maintenance (art. 35 septies de l’ordonnance nº 45-2658 du
2 novembre 1945, issu de la loi nº 2003-1119 du 26 novembre 2003). Les établissements de santé peuvent confier à un cocontractant une mission portant à la fois
sur la conception, la construction, l’aménagement, l’entretien et la maintenance
de bâtiments ou d’équipements ou sur une combinaison de ces éléments
(art. L. 6148-7 du CSP, issu de l’ordonnance nº 2003-850 du 4 septembre 2003).
(19) Mission globale relative au financement d’investissements immatériels,
d’ouvrages ou d’équipements nécessaires au service public, à la construction ou
transformation des ouvrages ou équipements, ainsi qu’à leur entretien, leur maintenance, leur exploitation ou leur gestion, et, le cas échéant, à d’autres prestations
de services concourant à l’exercice, par la personne publique, de la mission de
service public dont elle est chargée. Le cocontractant de la personne publique
assure la maîtrise d’ouvrage des travaux à réaliser. Il peut se voir confier tout ou
partie de la conception des ouvrages.
(20) L’article L. 1311-2 du CGCT peut être utilisé pour la construction d’immeubles
qui profiteront à la collectivité publique bailleur, sachant que le bail sera conclu en
vue de l’accomplissement d’une mission de service public ou pour réaliser une
opération d’intérêt général.
(21) Art. L. 1311-5.I du CGCT pour les collectivités territoriales (avec la même condition liée à l’accomplissement d’une mission de service public ou la réalisation d’une
opération d’intérêt général).
(22) Art. L. 2122-15 du CGCP, qui ne fait référence qu’à des bâtiments à construire.
Mais le décret nº 2004-18 du 6 janvier 2004 modifié prévoit que la convention peut
mettre à la charge du cocontractant une mission d’entretien et de maintenance
des installations.
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questions doctrinales
pas en ce qu’ils ne peuvent être conclus que pour des besoins précis, mais
en ce que les conditions entourant leur conclusion doivent faire apparaître
une urgence ou une complexité du projet.
Pendant longtemps, le critère financier (origine des ressources) a servi (et
sert encore) à établir la distinction entre la famille des marchés et la famille
des concessions. Il semble que l’émergence de nouveaux contrats
conduise à déployer les ressources du critère financier, en prenant en
compte, par exemple, le critère de la faculté d’étalement du financement
lié à la construction d’ouvrages (c’est en effet le cœur du problème,
l’Administration ayant de moins en moins de deniers publics). D’un côté
on distingue les marchés publics et les METP sectoriels, auxquels s’applique
l’interdiction de paiement différé de l’article 96 du Code des marchés
publics 2006. De l’autre, on remarque la présence des baux emphytéotiques (avec opération de construction), des baux à construction et des
contrats de partenariat. Toujours à propos du critère financier au sens
large, il est peut-être plus intéressant encore de classer les contrats selon
qu’ils échappent aux critères de Maastricht ou pas. Cette formulation un
peu rapide traduit en réalité l’intérêt pour les contrats qui n’endettent pas
les collectivités publiques. Eurostat a adopté le 11 février 2004 une décision
relative au traitement comptable des partenariats public-privé, en vertu
de laquelle les actifs liés à un PPP sont classés comme actifs non publics
(et donc non enregistrés dans le bilan des administrations publiques) si le
partenaire privé supporte le risque de construction et le risque de la disponibilité ou de la demande. Le risque de construction fait référence à
des évènements comme la livraison tardive, le non-respect des normes,
la déficience technique, etc. Toujours selon la décision Eurostat, l’Etat est
réputé supporter ce risque lorsqu’il effectue des paiements réguliers sans
tenir compte de l’état effectif des actifs. Le risque de disponibilité renvoie
à l’incapacité à livrer le volume contractuellement convenu ou le nonrespect de certaines normes liées aux prestations rendues aux usagers de
l’équipement. L’Etat est supposé supporter un tel risque lorsqu’il n’a pas la
capacité de pénaliser son partenaire en réduisant les paiements. Le risque
lié à la demande couvre la variabilité de la demande, liée à des événements extérieurs au comportement du partenaire (nouvelles technologies,
nouvelle concurrence, ralentissement de l’économie, etc.). L’Etat est
réputé supporter ce risque lorsqu’il paie un prix garanti au partenaire (23).
La maîtrise d’ouvrage publique ou privée, liée à la détention de droits
réels par l’occupant du domaine public (lorsque le contrat porte occupation du domaine public), est aussi un critère utile de classification des
contrats publics. Là encore, on trouve d’un côté les METP sectoriels et les
marchés, avec une maîtrise d’ouvrage publique, et, de l’autre, les contrats
de partenariat, les délégations, les baux emphytéotiques et les baux à
construction pour lesquels la maîtrise d’ouvrage est privée.
Il serait tentant de dresser un classement selon le degré de prise de risque
du cocontractant de l’Administration. Mais, d’une part, il existe une pluralité de risques comme l’a démontré l’économie du contrat de partenariat, ce qui rend délicate une classification fondée sur la « prise de risque »
en général et, d’autre part, il faut se garder de toute naïveté en la matière,
en partant des délégations considérées comme généralement risquées
et en allant vers les marchés dans lesquels l’attributaire n’est réputé
assumer aucun risque. Comme l’a très bien démontré J.-C. Douence (24),
on a tendance à inclure dans la famille des délégations de service public
des contrats dans lesquels le cocontractant n’encourt aucun risque de
déficit et dans celle des marchés publics des contrats dont le titulaire
assume un risque industriel qui peut déboucher sur un déséquilibre financier de son contrat et une perte d’exploitation.
Une nouvelle typologie
fondée sur le critère de l’externalisation
Le critère de l’externalisation renvoie à l’idée que l’Administration est plus
ou moins susceptible de s’en remettre à des tiers pour satisfaire ses besoins
qui sont en réalité ceux de la population qu’elle administre. Les critères de
l’externalisation peuvent être délicats à déterminer. On pense naturellement à l’idée de « délégation » d’une mission, qui implique un transfert de
gestion et de responsabilité, l’Administration ne conservant qu’un simple
contrôle. On se réfère aussi à l’origine du financement (par les utilisateurs
de l’équipement ou par l’Administration elle-même), critère distinct de
celui de la prise de risque (l’Administration ou son cocontractant supporte
les risques). La maîtrise d’ouvrage confiée au partenaire privé est aussi un
indice d’un certain degré d’externalisation. D’autres indices sont moins
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importants, comme celui de la durée plus ou moins longue de la collaboration entre l’Administration et son partenaire, une durée longue révélant
plutôt une externalisation. La définition précise des spécifications de l’équipement (et plus généralement la conservation du rôle de concepteur) à
réaliser est au contraire un indice de la volonté de maîtrise de l’Administration sur un projet.
Pourquoi partir sur l’idée d’externalisation ? Le degré d’externalisation nous
semble directement pouvoir influencer le régime applicable aux différents
contrats spéciaux. Non pas tant dans la passation du contrat. Il faudrait
peut-être dépasser d’idée que la passation d’un contrat de longue durée,
qui confie la responsabilité et le financement d’un projet ou l’exploitation
d’une mission de service public à un opérateur privé, doit nécessairement
laisser une large place à la négociation et à l’intuitu personae. Le contrat
de partenariat en est le contre-exemple type. De longue durée, confiant
une mission globale et impliquant une certaine prise de risque par le partenaire, il est néanmoins conclu selon des procédures de marché public.
Le marché public n’est d’ailleurs pas réfractaire à la négociation. Il nous
semble qu’à partir du moment où l’Administration s’adresse à des opérateurs économiques pour leur confier une mission (ce qui est le seul point
commun à tous les types de contrats évoqués ici), il est tout à fait envisageable de définir un régime commun de passation, quitte à prévoir des
procédures négociées lorsqu’elles sont justifiées par l’intuitu personae. Il
est peut-être temps de revoir les distinctions consacrées en droit communautaire et en droit français, qui, après tout, n’ont rien de sacré. En
revanche, à force de s’intéresser aux procédures de passation, le régime
d’exécution de ces contrats semble délaissé. Les contrats, dans lesquels
l’Administration conserve la maîtrise entière du projet doivent définir les
attributs de cette « maîtrise » (c’est déjà le cas pour les marchés). Les
contrats, par lesquels l’Administration externalise une mission, doivent prévoir des procédures de contrôle, des procédures de modulation des
sommes versées en fonction des résultats atteints par le partenaire (si
l’Administration en verse), une souplesse dans la faculté d’avenanter, etc.
L’ordonnance du 17 juin 2004 sur les contrats de partenariat n’atteint que
très partiellement cet objectif, en se contentant de renvoyer aux clauses
du contrat (art. 11 de l’ordonnance) et partant, à la liberté contractuelle
des parties pour la détermination d’un régime d’exécution. Cela conduit
d’ailleurs à se demander si le législateur et le juge administratif doivent
fixer un régime d’exécution pour tous les contrats permettant à l’Administration d’externaliser une mission (en sus des règles générales applicables
aux contrats administratifs) ou s’ils peuvent s’en remettre à la liberté
contractuelle des parties, en leur indiquant seulement les éléments du
régime d’exécution sur lesquels elles sont tenus de s’entendre (c’est
l’option choisie par l’ordonnance précitée du 17 juin 2004).
On pourrait donc appréhender les contrats administratifs spéciaux relevant de la commande publique sous forme d’échelle croissante d’externalisation. Les marchés au sens français sont les contrats n’admettant quasiment aucune externalisation (maîtrise d’ouvrage publique, financement
par un prix payé par la collectivité publique, mission unique définie précisément par la collectivité publique). Les METP sectoriels laissent plus de
marge de manœuvre au cocontractant en lui confiant une mission globale, mais le financement résulte d’un prix non différé et la maîtrise
d’ouvrage est publique. Les contrats de partenariat occupent une position
intermédiaire en ce que le financement reste assuré par la personne
publique, mais étalé sur toute la durée du contrat. La maîtrise d’ouvrage
est privée et la mission dont le partenaire est investi est globale. De ce
point de vue, on peut placer à ce niveau les baux emphytéotiques administratifs et les autorisations d’occupation du domaine public constitutives
de droits réels lorsqu’ils sont le support d’opérations de constructions destinées à être louées en retour à la collectivité publique bailleur. Puis viennent enfin les concessions du droit communautaire et plus généralement
les délégations de service public françaises confiant une mission unique
ou globale à un cocontractant rémunéré par l’exploitation d’un ouvrage
ou d’un service.
La place du contrat de partenariat au sein des contrats administratifs est
définitivement « intermédiaire », en ce qu’il se situe à la jonction de la
logique du marché public et de celle de la concession et en ce qu’il
autorise une « semi-externalisation » d’une mission.
(23) Sur cette décision, voir les analyses de F. Melleray et F. Brenet, Les contrats de
partenariat de l’ordonnance du 17 juin 2004, préc., p. 82 et 83 ; P. Lignères,
« L’influence de la dette publique et des normes Eurostat sur les contrats publics »,
DA 2004, pratiques nº 5.
(24) J.-Cl. Douence, « Le critère financier de la délégation de service public à
l’épreuve de la pratique contractuelle », Mél. Moderne, Dalloz, 2004, p. 501.