La fièvre vitulaire, une question de calcium!
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La fièvre vitulaire, une question de calcium!
MÉDECINE VÉTÉRINAIRE Par NICOLE RUEST, médecin vétérinaire, Clinique vétérinaire Centre-du-Québec La fièvre vitulaire, une question de calcium! La fièvre vitulaire, ou fièvre du lait, se caractérise rise par une diminution du calcium sanguin qui survient habituellement tout juste avant ou quelques heures après le vêlage. Mais il y a moyen de prévenir ou guérir. La fièvre vitulaire est l’une des maladies métaboliques les plus communes chez la vache laitière, environ 5 % en sont affectées annuellement. Contrairement à ce que son nom peut laisser penser, la vache atteinte n’est pas fiévreuse. C’est sa capacité de se lever ou de demeurer debout qui diminue progressivement à cause d’un taux de calcium insuffisant, celui-ci étant nécessaire pour la contraction musculaire. Si la calcémie n’est pas corrigée, il arrive parfois que la fièvre vitulaire entraîne la mort de l’animal. LES FAITS L’incidence des fièvres vitulaires augmente avec le nombre de parités et une production laitière accrue. Les primipares développent rarement cette condition, car elles produisent moins de colostrum et ont la capacité de mobiliser le calcium rapidement de leur squelette en croissance. Les races jersey et guernsey sont plus susceptibles d’être affectées; les races holstein et suisse brune le sont modérément et les races ayrshire et shorthorn sont moins fréquemment atteintes. Le trois quarts des vaches vont présenter des signes cliniques de fièvre vitulaire dans les 24 heures suivant la parturition. Chez certaines, la condition se manifestera seulement 24 à 48 heures après le vêlage (environ 12 %) et pour d’autres, la condition apparaîtra à tout moment du stade de production (7 %). Le terme hypocalcémie non parturiente ou fièvre vitulaire atypique est utilisée pour ce genre de condition, car ce n’est pas une fièvre vitulaire (vitulus = veau) au sens propre du terme. Lorsque la fièvre vitulaire survient pendant la parturition (6 %), il y a souvent dystocie, car les contractions utérines sont moins fortes. Une hypocalcémie subclinique (sans signe clinique) est présente chez environ 50 % des vaches de plus de deux lactations. Cette diminution en calcium survient habituellement 12 à 24 heures après le vêlage et prédispose à d’autres conditions. Le risque de déplacement de caillette est augmenté, car les contractions du rumen et de la caillette sont affectées. Lors d’hypocalcémie, les sphincters des trayons peuvent être moins efficaces pour fermer l’orifice du canal du trayon après la traite, ce qui favorise la mammite. OUI, MAIS POURQUOI? En début de lactation, la demande en calcium est intense et soudaine. Chaque litre de colostrum en contient LA CHRONIQUE VÉTÉRINAIRE EST SOUS LA RESPONSABILITÉ D’UN COMITÉ DE RÉDACTION QUI RÉVISE CHACUN DES ARTICLES AVANT PUBLICATION. GILLES FECTEAU, FMV Saint-Hyacinthe, coordonnateur du comité de rédaction; PAUL BAILLARGEON, ZOETIS; GUY BOISCLAIR, Merck santé animale; YVES CARON, Clinique vétérinaire St-Tite; ANNIE DAIGNAULT, Clinique vétérinaire Saint-Césaire; MAXIME DESPÔTS, Clinique vétérinaire St-Louis-Embryobec; DAVID FRANCOZ, FMV Saint-Hyacinthe; JEAN-PHILIPPE ROY, FMV Saint-Hyacinthe; ISABELLE VEILLEUX, Clinique vétérinaire Centre-du-Québec; NICOLE RUEST, Clinique vétérinaire Centre-du-Québec. Pour questions ou commentaires : [email protected]. MAI 2015 LE PRODUCTEUR DE LAIT QUÉBÉCOIS LAIT_MAI-2015.indd 45 45 2015-04-16 09:19 MÉDECINE VÉTÉRINAIRE de 2 à 3 g. Afin de maintenir un taux de calcium sanguin normal en début de lactation, la vache doit remplacer celui perdu dans le lait en mobilisant celui des os et de la diète. Ceci se fait grâce à l’hormone parathyroïde (PTH). Lorsque la concentration en calcium dans le sang diminue, la PTH stimule sa réabsorption par les reins. Si c’est insuffisant pour rétablir la calcémie, elle stimule également la mobilisation du calcium osseux. La PTH favorise aussi la conversion de la vitamine D ingérée en une hormone responsable du transport actif du calcium de la diète à travers la paroi intestinale. Lorsqu’une vache souffre d’une fièvre vitulaire, ce mécanisme pour maintenir la calcémie est moins efficace. LES SIGNES CLINIQUES PAR ÉTAPE Les signes cliniques s’installent en 3 stades. Les premiers signes d’hypocalcémie chez la vache laitière sont subtils : elle est encore apte à se lever, 46 elle est nerveuse et excitée ou excitable. L’animal piétine et ne mange pas. Le stade 1 dure moins d’une heure. Au stade 2, la vache n’est plus capable de se lever, elle étend la tête (tire la langue) ou la tourne sur son flanc. Elle peut avoir des tremblements musculaires et sa température rectale est diminuée. Ses extrémités sont froides et ses pupilles sont dilatées. Puisque le rumen ne se contracte pas, la vache peut être légèrement ballonnée et constipée. Ce stade peut durer d’une à douze heures. Au stade 3, la vache est couchée sur le côté (décubitus), n’est plus consciente et le ballonnement est sévère. La situation est urgente, car si elle n’est pas traitée rapidement, la mort est inévitable. ÉTABLIR UN BON DIAGNOSTIC Diagnostiquer une fièvre de lait n’est pas difficile en soi. L’histoire du cas et les signes cliniques sont souvent suffisants. Toutefois, certaines conditions peuvent causer un décubitus chez la vache et induire en erreur : une toxémie suite à une métrite ou une mammite, une blessure physique (comme une fracture du bassin), une paralysie d’un nerf ou encore une rupture de tendon. Il est important de s’assurer, par un bon examen physique de l’animal, qu’il ne s’agit pas de l’une de ces conditions avant de débuter ou de poursuivre la thérapie de calcium. MODE D’ACTION DES BOLUS DE CALCIUM Les bolus de calcium contiennent de 25 à 100 g de calcium sous la forme de chlorure, de sulfate ou de propionate de calcium. Lorsqu’ils sont administrés, ils augmentent le niveau de calcium dans l’intestin rapidement; une faible partie est absorbée de façon passive. Par exemple, 4 g de calcium seront absorbés dans le sang d’une vache ayant reçu un bolus qui en contient 50 g. Le chlorure de calcium va également causer une légère acidose chez l’animal, ce qui l’aidera à MAI 2015 LE PRODUCTEUR DE LAIT QUÉBÉCOIS LAIT_MAI-2015.indd 46 2015-04-16 09:19 rétablir son niveau de calcium en améliorant la réponse des tissus à la PTH. PRÉCAUTIONS D’USAGE Une attention particulière doit être portée lors de l’administration de bolus pour éviter de lacérer la région du pharynx; la tête doit être maintenue droite et surélevée et il faut utiliser le lance-capsule adéquatement. L’animal doit être suffisamment alerte pour conserver son réflexe de déglutition et ainsi ne pas créer une pneumonie par aspiration. Le chlorure de calcium est irritant et peut causer des ulcères dans la gueule, l’œsophage, le rumen et la caillette. Il est donc préférable d’utiliser des bolus de calcium entourés d’une capsule de protection. Attention aux doses toxiques de calcium administrées de façon orale : 250 g de calcium sous forme soluble peuvent tuer certaines vaches! Si on injecte du calcium sous la peau, il faut limiter la quantité administrée par site pour favoriser une bonne absorption. Les solutions avec glucose sont à proscrire en injection souscutanée, car c’est un bon milieu de croissance pour les bactéries et elles peuvent favoriser la formation d’abcès. LA VACHE NE SE RELÈVE TOUJOURS PAS OU ELLE A FAIT UNE RECHUTE Soixante pour cent des vaches atteintes de fièvre vitulaire vont se lever dans les 30 minutes qui suivent l’administration de calcium et 15 % de plus le feront dans les deux heures suivantes. Les animaux qui ne répondent pas au premier traitement de calcium doivent être réévalués et traités de nouveau au besoin. Un test sanguin effectué 6 à 12 heures après le traitement de calcium permettra de vérifier la calcémie de l’animal et d’évaluer si la thérapie doit être poursuivie. Environ 40 % des vaches qui restent à terre plus de 24 heures vont éventuellement guérir, mais six d’entre elles sur dix ne se lèveront jamais. La plupart de ces échecs de traitement sont dus à des problèmes musculo-squelettiques et non à l’hypocalcémie comme telle. Le quart des vaches qui ont répondu favorablement au traitement de calcium IV initialement vont rechuter 12 à 48 heures plus tard. Les animaux les plus à risque sont les vaches souf- frant de la condition avant le vêlage, les vaches plus âgées et les grosses productrices. Les fièvres vitulaires en prépartum répondent moins favorablement au traitement, car le poids du fœtus et du placenta font que l’animal est plus pesant et qu’il a plus de difficulté à se lever. Le risque de rechute peut être réduit si une bouteille additionnelle de gluconate de calcium 23 % est donnée sous-cutanée lors du traitement initial de calcium intraveineux. Une autre option consiste à administrer un bolus de calcium oralement une fois que l’animal est suffisamment alerte. MIEUX VAUT PRÉVENIR QUE GUÉRIR! La prévention de la fièvre du lait débute d’abord et avant tout avec une diète adéquate durant le tarissement et en prévêlage. Alimenter la vache tarie avec une diète déficiente en calcium ou utiliser une alimentation dont la différence en cations et anions (DCAD) est faible, voilà 2 façons pour diminuer les risques de fièvre vitulaire. Une diète faible en calcium stimule la sécrétion de PTH qui favorise la résorption osseuse, active les reins à réabsorber le calcium urinaire et aide à la conversion de la vitamine D pour un meilleur transport de calcium à travers la paroi intestinale. Une diète DCAD cause une acidose métabolique chez l’animal et favorise l’action de l’hormone PTH. Au moment du vêlage, supplémenter la vache avec du calcium aide à réduire le risque de fièvre vitulaire. Le traitement intraveineux n’est pas recommandé si la vache n’a pas de signes cliniques, car le pic de calcium sanguin créé inhibe la production de PTH et peut causer une rechute de calcium sanguin 12 à 18 heures plus tard. Les suppléments de calcium oraux ou sous-cutanés sont de meilleurs choix en prévention. Le traitement peut être poursuivi jusqu’à 24 heures post-partum. Si votre vache a réussi à passer à travers cette période critique sans démontrer de signes cliniques de fièvre vitulaire, il est peu probable qu’elle rechute, surtout si son appétit est bon. Et la voilà enfin prête pour une nouvelle lactation et capable de faire face à la grande demande en calcium que cela lui impose. ■ LES RÈGLES DU TRAITEMENT DE LA FIÈVRE VITULAIRE 1 RÈGLE NUMÉRO Il faut traiter rapidement la vache si elle est en décubitus afin d’éviter qu’elle développe des dommages musculaires sévères et irréversibles. Après quatre heures commence déjà une ischémie des muscles et des nerfs (le sang circule moins bien), suivie d’une nécrose (mort) des tissus. 2 RÈGLE NUMÉRO Le gluconate ou borogluconate de calcium 23 % doit être donné lentement. Afin d’éviter un arrêt cardiaque due à une hypercalcémie, il est conseillé d’administrer le calcium à raison de 1 g/minute. Pour une bouteille standard de 500 ml (8,5 à 11,5 g de calcium), cela équivaut à donner le calcium sur une période d’environ 12 minutes. 3 RÈGLE NUMÉRO Donner une dose suffisante de calcium, mais sans qu’elle soit excessive. Il est recommandé d’administrer 2 g de calcium par 100 kg de poids corporel (environ une bouteille et demie pour une vache de 700 kg). Le surplus donné sera éliminé dans l’urine. Un traitement intraveineux augmente le calcium au-dessus des valeurs normales pour environ 4 heures et augmente le calcium sérique de 15 à 22 mg/dl. 4 RÈGLE NUMÉRO Le stade de la fièvre vitulaire détermine le type de calcium à administrer. Pour le stade 1 (vache debout), les bolus de calcium oraux ou les solutions injectables utilisées en sous-cutané sont idéaux, car ils sont absorbés graduellement sur une période de quelques heures. Lorsque la vache est en décubitus, il faut privilégier les solutions injectables en intraveineuse pour un apport en calcium immédiat. Sans traitement, la vache en stade 2 ou 3 meurt dans 75 % des cas. MAI 2015 LE PRODUCTEUR DE LAIT QUÉBÉCOIS LAIT_MAI-2015.indd 47 47 2015-04-16 09:20