Embrouilles à Embrun Diya Lim La course folle et autres récits

Transcription

Embrouilles à Embrun Diya Lim La course folle et autres récits
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3600
MOT DE LA DIRECTION
Suzanne Richard Muir
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L’insécurité linguistique
Véronique Sylvain
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Vivre de façon exponentielle
Paul Savoie
Miroir des langues en dynamique
sociale Julie Boissonneault
Le cas d’Angèle
Tina Desabrais
Entre doute et défiance
Herménégilde Chiasson
La confusion linguistique
Éric Robitaille
Halogène
Le Partenariat transpacifique...
Jean Chicoine
Une unilingue anglophone...
Véronique Sylvain
Visages
20
D
25
Monique Bertoli et Jacques Flamand
Michèle Bourgon
ialogue
Céleste Lévis
Véronique Sylvain
Arts visuels
26
30
36
Cheryl Rondeau
Raymond Aubin
38
40
42
À tu et à moi
Josette Noreau
45
Patchostars
Jacques A. Côté
46
47
48
Prudent
Véronique Sylvain
Caroline Archambault et
Virgini Bédard Agnes Tremblay
Pierre Raphaël Pelletier
Michel Dallaire
Théâtre
Le iShow
Danièle Vallée
Le père
Charles Leblanc
Musique
Littérature
Sous la banquise
Laurent Poliquin
Bisbille à Manille
Jean Fahmy
51
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53
54
55
56
58
Racines de neige
Claude Rochon
Sous la jupe
José Claer
Un ami, un nuage
Gilles Lacombe
Une fleur au fusil
Vittorio Frigerio
Confessions sans pénitence
Michèle Matteau
Entre fleuve et rivière
David Bélanger
Green Mustang
Christine Klein-Lataud
Littérature jeunesse
60
61
62
63
64 P
Ma maman toute neuve
Cécile Beaulieu Brousseau
Embrouilles à Embrun
Diya Lim
La course folle et autres récits
Aurélie Resch
Quand les défis s’en mêlent
Aurélie Resch
erspectives
3600
Halogène
Convergence
Visages
Dialogue
Arts visuels
Danse
Théâtre
Musique
À l’écran
Littérature
Littérature jeunesse
Du bon pied
Photo : Caroline Archambault
12 360° || L’INSÉCURITÉ LINGUISTIQUE
LA CONFUSION LINGUISTIQUE
PAR ÉRIC ROBITAILLE
Pour moi qui suis Québécois d’origine et qui vis en
Ontario depuis 16 ans, l’insécurité linguistique se manifeste
curieusement. Car j’habite à Sudbury, cette ville horriblement
bilingue dans laquelle on parle français et anglais, parfois
dans la même phrase. Cela contribue à créer un climat de
confusion linguistique qui, plus d’une fois, m’a placé dans
des situations humiliantes. Sans compter ma difficulté à
prononcer correctement les mots anglais. Voici quelques
exemples :
Septembre 1998 : je dois commander ma première bière
en anglais à Sudbury. C’est au Peddler’s Pub. Mes collègues
de Radio-Canada viennent juste de s’installer à une table. Je
vais commander au bar, pour éviter qu’on entende la piètre
qualité de mon anglais.
« I want… a beer, please », que je demande maladroitement
au serveur. Celui-ci, un francophile, entend mon accent et il
essaie de me répondre en français, pour m’aider.
Serveur : O. K., tu voulez un bière ; est-ce que tu avoir
un tab1 ?
Moi : Yes, I have one (je pense qu’il me demande si j’ai
une table).
Serveur : Toi avoir déjà des bières sur ton tab ?
Moi (je regarde ma table : mes collègues y ont mis leurs
six bières) : Yes, I have six.
Serveur : Veux-tu payer right now pour les bières sur ton
tab ?
Moi (incrédule) : Euh... I won’t pay for these beers.
Serveur : Who will pay pour les bières sur ton tab ?
Moi : I suppose that the people who drank the beers will
pay for their own beer.
Serveur (embarrassé) : Usually, si un bière être sur ton
tab, tu devoir payer pour ton bière.
Moi (indigné) : Ah ben sacrament, peut-être en Ontario
but not in Québec, maudit voleur !
Septembre 1999 : trouvant qu’on met trop de glace dans
mes boissons à Sudbury, je décide de commander mon jus
d’orange… sans glace. Je retrouve le même serveur que l’an
dernier.
1 Le terme anglais tab, ou restaurant bill, signifie une addition ou une note de
restaurant.
Moi : I want a juice without… glace, please. (Par nervosité,
j’ai oublié que « glace » se dit ice en anglais. J’ai donc utilisé
le mot français, en espérant qu’il me comprenne.)
Serveur (déstabilisé) : You want me to put it direct dans
ton bouche ? (Il avait compris : I want a juice without glass.)
Septembre 2000 : à la radio, je dois parler de la victoire
des Blackhawks de Chicago, la veille, contre les Maple Leafs
de Toronto. Sans m’en rendre compte, avec ma mauvaise
prononciation, je parle plutôt du triomphe des Black Cocks.
Roger (mon technicien, en ondes) : Tu aimes ça, toi, les
Black Cocks ?
Moi (qui ne comprends pas son allusion) : C’est pas mon
équipe, mais je les regarde parfois un peu.
Roger : Ah ! O. K. Chacun ses fantaisies. Ils ont des
problèmes de bâton élevé, les Black Cocks ?
Moi (qui ne comprends toujours rien) : Euh oui, ils jouent
cochon parfois.
Vous imaginez à quel point mes collègues se foutent de
ma gueule, ce jour-là.
Août 2001 : pendant l’été, je suis chroniqueur à l’émission
du matin de Radio-Canada diffusée à Moncton. Depuis deux
mois, on parle des restes d’un monstre marin non identifié
trouvé sur les berges de Terre-Neuve au printemps. Une
histoire étrange.
Ce matin-là, sur mon fil de presse anglais, apparaît
soudainement le titre suivant : The truth about the monster.
Nous sommes alors à 10 secondes du retour en ondes de
l’émission. Je souligne la chose à Martine, l’animatrice. Elle
me dit : « Je te lance là-dessus tout de suite ! »
Martine (en ondes) : Alors, Éric, nous avons enfin la clé
de l’énigme pour ce mystérieux monstre marin.
Je suis en train de lire le titre complet de la nouvelle.
Je trouve que l’explication est scabreuse. Néanmoins, c’est
mon travail de rapporter l’histoire fidèlement…
Moi : Martine, le fameux monstre marin en question, ce
n’était que du sperme de baleine.
Martine (qui rougit) : Voyons, Éric : comment aurait-on pu
confondre un monstre marin avec… du sperme de baleine ?
Moi : Je ne sais pas, Martine, mais... (je suis assez épais
pour improviser une explication scientifique) je présume
360° || L’INSÉCURITÉ LINGUISTIQUE
qu’une baleine mâle bien constituée doit produire une
grande quantité de sperme… Au contact de l’eau salée,
il doit y avoir une réaction chimique. Lorsque toute cette
substance s’agglutine sur les berges de Terre-Neuve, peutêtre que ça ressemble à du sperme de baleine…
Martine (consternée par ma bêtise) : Éric... Je présume
que sur votre fil de presse, c’est écrit : « The truth about the
monster : Sperm whale ». Il serait bien que vous sachiez que
sperm whale est une expression anglaise pour cachalot.
Vous imaginez à quel point les Acadiens se foutent de
ma gueule, ce matin-là.
Restons dans le mauvais goût. C’est si rare dans Liaison.
La confusion linguistique, c’est encore plus gênant quand
ça se produit avec ma blonde. Mireille est une francophone
née en Ontario qui parle un français impeccable. Mais parfois,
il y a de l’ambiguïté quant à l’interprétation de certaines
expressions.
Automne 2005. Mireille et moi discutons de questions
morales.
Mireille : Chéri, tu sais que je suis une fille ouverte
d’esprit en général. Mais sur certaines positions, je peux être
extrêmement anale.
Moi : Ah oui !!!!
Au Québec, quand une fille affirme qu’elle est anale
sur certaines positions, c’est une invitation à explorer des
sentiers sauvages. À Sudbury, c’est le contraire ! Ça veut dire
que le sentier sauvage est fermé et que des gardiens de la
faune t’attendent avec un fusil de chasse si tu essaies de
t’en approcher.
Autres sources de confusion linguistique avec mes amis
franco-ontariens :
En Ontario français :
• On n’est pas propriétaire d’une voiture, on « appartient
un char ».
• On ne va pas à Cuba, on va « au » Cuba.
• On ne promène pas son pitou, on « va marcher le
chien ».
• On ne perd pas son temps, on « fourre » le chien
(après « l’avoir marché » ?).
C’est mélangeant !
Mon premier fils, Raphaël, est né au Québec mais il a
déménagé avec moi à Sudbury à l’âge de deux ans.
Après sa première journée à la garderie de Sudbury, il
se comportait encore comme un Québécois. Mais après sa
deuxième journée, il se comportait déjà en Franco-Ontarien !
Fin de la première journée de garderie
Raphaël : Papa, sais-tu ce qui n’est pas juste et qui s’est
passé à l’école aujourd’hui ? Nicolas n’a pas voulu partager
son biscuit au chocolat !
Fin de la deuxième journée de garderie
Raphaël : Oh dad, sais-tu ce qui est vraiment pas fair et
qui s’est happené at school aujourd’hui ? Nico a pas voulu
sharer son chocolate cookie !
Les enfants apprennent si vite de nouvelles langues !
Quand je me suis rendu compte que Raphaël aimait trop
parler anglais, j’ai instauré une loi familiale. J’ai appelé ça le
Règlement 172. J’ai interdit à mes enfants de parler anglais à
la maison avant d’avoir 17 ans. (Parce qu’anyway, après 17
ans ils sont tellement grands que je n’ai plus aucune autorité
sur eux.)
Aujourd’hui Raphaël a 19 ans, il vit en français et il en est
fier. Mais il parle aussi anglais à la perfection. Comme ses
jeunes frères et sœurs, il ne connaîtra jamais la confusion
linguistique qui a tant fait souffrir son père en Ontario. ||
Éric Robitaille est animateur de Grands Lacs café, le magazine
radiophonique culturel d’ICI Radio-Canada Première pour
le sud et le nord de l’Ontario. Il a aussi écrit et réalisé le
spectacle d’humour intitulé Honte à rien.
2 L’auteur fait un clin d’œil au Règlement 17, une mesure adoptée par le gouvernement
ontarien en 1912 jusqu’en 1944 pour limiter, voire éliminer, l’utilisation du français
dans les écoles élémentaires de langue française de l’Ontario.
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