POLITIQUE FINANCIERE, OPPORTUNITES D

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POLITIQUE FINANCIERE, OPPORTUNITES D
POLITIQUE FINANCIERE, OPPORTUNITES D’INVESTISSEMENT
ET ACTIFS INCORPORELS EN EUROPE : THEORIE ET
ETUDE EMPIRIQUE
Christophe THIBIERGE1
Christophe MOUSSU
Département Finance
Ecole Supérieure de Commerce de Paris
79 avenue de la République
75 543 Paris Cedex 11
Tél : (33) 1 49 23 20 79
Fax : (33) 1 49 23 20 80
e-mail : [email protected]
[email protected]
Cahier de recherche ESCP n° 96-129
Mars 1996
1
Les auteurs tiennent à remercier la société TFS-Worldequities, qui a fourni gracieusement l'échantillon sur lequel
a été réalisé l'étude empirique. Il va de soi que les conclusions de l'étude n'engagent que les auteurs.
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RESUME
L’objectif de notre recherche est, d’une part, de discuter certains points conceptuels concernant
les liens entre opportunités d’investissement, actifs incorporels et création de valeur, et d’autre
part, de tester la validité des théories contractuelles de la politique financière sur un échantillon de
grandes entreprises européennes.
L’idée est d’observer si les résultats établis dans le cadre américain ne sont pas dépendants des
mesures retenues, tant en matière d’opportunités d’investissement que de politique financière, et
restent valides dans des pays à structures de financement et de contrôle différents des Etats-Unis,
mais également entre eux. L’utilisation d’une mesure comptable des éléments incorporels nous
conduit à discuter les liens théoriques et empiriques entre le processus de valorisation comptable
de ces éléments et leur valorisation par le marché.
Les résultats obtenus confirment l'importance des opportunités d'investissement dans la
détermination des politiques financières des entreprises en Europe. Toutefois, la théorie du free
cash flow n'est pas validée de façon satisfaisante. Les tests font également apparaître une
sensibilité des résultats au choix des mesures, avec des résultats plus satisfaisants lorsque les
variables sont mesurées en valeurs de marché. L'utilisation d'une mesure comptable nous permet
par ailleurs de valider certaines théories du choix des procédures comptables sur l'échantillon
européen.
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INTRODUCTION
En 1958, F. Modigliani et M. Miller établissent l’indépendance entre les décisions
d’investissement et de financement d’une entreprise dans le cadre de marchés de capitaux parfaits.
En 1961, un résultat similaire est établi par Miller et Modigliani en matière de politique de
dividendes. Dans leur analyse, la firme est représentée comme un ensemble donné
d’investissements, générant des revenus aléatoires sur lesquels chaque investisseur a la même
information. L’hypothèse de fixité de la politique d’investissement est levée par Jensen et
Meckling et par Myers respectivement en 1976 et 1977, ouvrant une voie fructueuse de recherche
concernant la politique financière des entreprises. Smith et Watts (1992) et Gaver et Gaver (1993)
mettent en évidence l’importance des théories contractuelles dans la détermination des politiques
d’endettement, de dividendes et de rémunération des dirigeants aux Etats-Unis, respectivement
sur des moyennes sectorielles et des données d’entreprises.
L’objectif de notre recherche est, d’une part, de discuter certains points conceptuels concernant
les liens entre opportunités d’investissement, actifs incorporels et création de valeur, et d’autre
part, de tester la validité des théories contractuelles de la politique financière sur un échantillon de
grandes entreprises européennes. L’idée est d’observer si les résultats établis dans le cadre
américain ne sont pas dépendants des mesures retenues, tant en matière d’opportunités
d’investissement que de politique financière, et restent valides dans des pays à structures de
financement et de contrôle différents des Etats-Unis, mais également entre eux. L’utilisation d’une
mesure comptable des éléments incorporels nous conduit à discuter les liens théoriques et
empiriques entre le processus de valorisation comptable de ces éléments et leur valorisation par le
marché.
Une première partie propose un rappel des théories contractuelles de la politique financière, qui
placent l’ensemble des opportunités d’investissement des firmes comme un déterminant
fondamental des choix de structure financière et de politique de dividendes des firmes. La
deuxième partie discute les liens théoriques entre opportunités d’investissement et actifs
incorporels et les problèmes conceptuels et empiriques de mesure de ces éléments par le Q de
Tobin. Une synthèse des modes de comptabilisation des éléments incorporels dans les principaux
pays européens est présentée en troisième partie, mettant en évidence les difficultés d’une
approche comptable de ces éléments. La quatrième partie présente une description de la base de
données sur entreprises européennes, la définition et des statistiques descriptives sur les variables
utilisées, les hypothèses et méthodologie retenues. La cinquième partie présente les résultats
économétriques des théories contractuelles sur un échantillon européen. La sixième partie revient
sur la pertinence de la proxy comptable et présente des résultats en faveur d’une théorie
contractuelle de la valorisation de l’incorporel par les firmes en Europe.
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1. Théorie contractuelle de la politique financière: une brève synthèse
La théorie contractuelle remet en cause la fixité de la politique d’investissement des entreprises et
met le processus contractuel au coeur des choix de politique financière. Suivant Jensen et
Meckling (1976), la firme est un “ noeud de contrats ” résultant de l’équilibre du processus
contractuel lié aux objectifs contradictoires des différentes parties en présence : apporteurs de
capitaux, de travail et consommateurs. Appliquant la théorie de l’agence à la détermination de la
structure financière, les deux auteurs abordent deux types de conflits d’intérêt.
Le premier type de conflit analysé concerne l’apport externe de capitaux propres dans une firme.
Partant d’une firme dans laquelle le dirigeant est aussi actionnaire à 100 %, Jensen et Meckling
montrent qu’une ouverture, même minime, du capital d’une entreprise a un impact sur les
incitations du dirigeant qui retire des gains d’une consommation privée qu’il ne supporte plus
intégralement en tant qu’actionnaire. Le conflit entre actionnaires et dirigeant est maximum pour
l’entreprise cotée à actionnariat diffus, dans laquelle la mise en oeuvre du contrôle du dirigeant est
rendue difficile par un problème de “ passager clandestin ” : les actionnaires ont intérêt à mettre
collectivement en oeuvre un contrôle accru du dirigeant mais chaque actionnaire a intérêt à en
retirer individuellement les bénéfices sans en porter les coûts. Les coûts d’agence sont les coûts de
garantie, de contrôle, et la perte résiduelle liés au conflit d’intérêt. L’équilibre du processus
contractuel résulte de la minimisation des coûts d'agence.
Dans son article de 1986, Jensen s’intéresse aux industries disposant de “free cash-flow”
important, défini comme les liquidités disponibles après financement de tous les projets à VAN
positive. Le “free cash-flow” risque en effet d’être alloué à des projets d’investissement non
rentables ou des dépenses somptuaires et doit par conséquent retourner aux actionnaires. De cette
définition, on déduit que les entreprises dont les opportunités d’investissement sont faibles sont
davantage susceptibles de disposer de “free cash-flow”. L’accroissement du dividende (ou le
rachat d’actions) représente une première manière de faire sortir les liquidités d’une firme. Son
inconvénient réside dans le caractère discrétionnaire d’une politique de dividendes : elle représente
une contrainte “molle” sur le dirigeant d’une entreprise. Une contrainte “dure” consiste à modifier
la structure financière en faveur d’un endettement plus élevé. La nécessité de payer des charges
financières accrues est une manière de retourner les liquidités au marché financier. L’analyse du
conflit actionnaire/dirigeant nous conduit donc à une première hypothèse selon laquelle de faibles
opportunités d’investissement sont associées à un niveau de dividendes et d’endettement élevés,
dans un échantillon d’entreprises analysées en coupe instantanée. Le niveau de cash-flow est une
variable complémentaire importante renforçant ou atténuant l’impact du niveau des opportunités
d’investissement sur les choix de politique financière.
Le deuxième conflit auquel s’intéressent Jensen et Meckling concerne les relations entre les
actionnaires et les créanciers financiers. Ignorant le conflit actionnaires / dirigeant dans un premier
temps, ils montrent que l’existence de dette peut conduire à une modification de la politique
d’investissement du dirigeant-actionnaire. En substituant des investissements plus risqués à une
politique d’investissement moins risquée, le dirigeant a la possibilité de transférer de la richesse
des créanciers financiers aux actionnaires, même si le projet d’investissement plus risqué a une
valeur économique plus faible que le projet initial.
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Myers met en évidence une deuxième forme de conflit entre les actionnaires et les créanciers
financiers concernant le sous-investissement dans des opportunités futures. En effet, au-delà d’un
certain niveau de dette (dette risquée), un dirigeant travaillant dans l’intérêt des actionnaires peut
avoir intérêt à ne pas entreprendre ces opportunités d’investissement car elles conduisent à un
accroissement de la valeur de la dette plutôt que des capitaux propres. Le dirigeant sort alors les
liquidités de la firme sous forme de dividendes avant la maturité de la dette. Plusieurs moyens de
résolution de ce type de conflits existent : la rédaction de clauses contractuelles dans les contrats
de dette (bond covenants), le raccourcissement de la maturité de la dette, la mise en réserve de
fonds destinés à rembourser la dette (sinking fund provision), la limitation de la politique de
dividendes, et enfin la limitation du niveau initial de dette.
L’analyse des conflits actionnaires / créanciers financiers nous conduit par conséquent à une
deuxième hypothèse selon laquelle les entreprises à opportunités d’investissement fortes sont
moins endettées et distribuent un dividende plus faible.
La prise en compte des conflits entre actionnaires et dirigeant d’une part, et entre actionnaires et
créanciers d’autre part, nous permet d’obtenir une théorie contractuelle de la politique financière.
Celle-ci résulte de la minimisation simultanée des coûts d’agence liés aux deux formes de conflits.
C’est le niveau des opportunités d’investissement qui détermine les coûts d’agence relatifs et par
conséquent la politique d’endettement et de dividende des firmes.
Un niveau élevé d’opportunités d’investissement est associé à un niveau bas de dividendes et
d’endettement, et inversement. Le schéma suivant permet une récapitulation :
-
Opportunités d’investissement
Dette élevée
Dividende fort
+
Dette faible
Dividende faible
La prise en compte de l’incertitude sur les opportunités d’investissement (Stulz, 1990) ou des
possibilités de renégociation des contrats (Bergman et Callen, 1991) offrent des limites
conceptuelles à la théorie contractuelle. Toutefois, la force des résultats empiriques trouvés aux
Etats-Unis en faveur de cette thèse laisse penser que ces facteurs ne sont pas déterminants. Par
ailleurs, il existe des théories alternatives de la structure financière et la politique de dividendes :
les théories reposant sur la prise en compte de la fiscalité, des coûts de faillite, des coûts de
transaction ex-post et de problèmes informationnels. Notre objectif n’est toutefois pas de
proposer un modèle complet de détermination de la politique financière, mais de regarder si la
thèse contractuelle permet d’expliquer des différences de politique financière sur un échantillon de
firmes européennes. Une discussion sur la difficulté de distinguer les différentes théories par le
choix des mesures d’opportunités d’investissement est néanmoins nécessaire.
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2. Opportunités d’investissement et actifs incorporels : liens théoriques et discussion de la
mesure par le Q de Tobin.
L’objectif de cette section est dans un premier temps de montrer les liens entre opportunités
d’investissement et actifs “ incorporels ” tels qu’ils apparaissent dans les théories de la structure
financière, et dans un deuxième temps de présenter les problèmes liés aux mesures empiriques de
ces variables.
Déjà Myers (1977) pose que les investissements en recherche et développement, publicité,
formation... ont une influence sur le niveau “d’options réelles” d’une firme (opportunités
d’investissement), sans qu’il précise véritablement leur formation. Par ailleurs, les théories
contractuelles se sont élargies à la prise en compte de l’ensemble des partenaires non financiers
d’une entreprise. Ainsi Titman (1984) montre l’influence du niveau d’endettement sur la capacité
d’une firme à vendre les garanties associées aux produits ; Maksimovic et Titman (1991)
généralisent le résultat à la vente de promesses de biens de haute qualité par les firmes ; Cornell et
Shapiro (1987) insistent sur les liens entre les accords implicites qu’une entreprise peut
développer avec ses partenaires non financiers et les choix de politique financière. L’intérêt de ces
approches est d’endogénéiser l’émergence des opportunités d’investissement et de la création de
valeur : le fait de pouvoir dégager des quasi-rentes sur la vente d’un produit vient par exemple
d’investissements passés importants en publicité, qui induisent ultérieurement une garantie de
qualité d’un produit (modèle de réputation).
D'autre part, la prise en compte des coûts de transaction ex-post par Williamson plutôt que les
coûts d’agence ex-ante conduit au résultat que la nature des actifs financés a un impact sur la
structure de financement. Ainsi la dette constitue une structure de “ gouvernance ” ex-post
appropriée à des actifs peu spécifiques, alors que les actifs spécifiques sont financés par capitaux
propres. Si la théorie de Williamson est différente de la théorie de l’agence, leurs implications
empiriques ne sont pas si faciles à distinguer. En effet, c’est l’investissement dans des actifs
spécifiques qui conduit à l’établissement de quasi-rentes et permet la création de valeur.
Actifs “ incorporels ”, spécificité de l’actif et opportunités d’investissement sont donc des
concepts étroitement liés dont il convient de proposer des mesures empiriques. Or, il n’existe pas
de mesure empirique parfaite de l’ensemble d’opportunités d’investissement d’une firme. Si celuici dépend d’investissements en recherche et développement ou de publicité par exemple, alors ces
derniers représentent une proxy des opportunités d’investissement, et la prise en compte de ces
éléments conduit à proposer des mesures empiriques fondées sur des valeurs comptables. Aux
Etats-Unis, la disponibilité de l’information concernant les dépenses en recherche et
développement, publicité... rend possible l’utilisation directe de ces variables comme proxy de
l’ensemble d’opportunités d’investissement. En Europe, nous disposons de l’actif incorporel
enregistré comptablement qui provient de l’activation de ce type de dépenses. Une présentation
complète des pratiques et réglementations comptables des différents pays européens composant
notre échantillon est proposée plus bas.
Une manière alternative de mesurer les opportunités d'investissement d'une firme est de considérer
la création de valeur telle que la perçoit le marché. En effet, sous hypothèse d’efficience des
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marchés, la valeur des titres reflète les anticipations du marché sur la capacité d’une firme à
générer de la valeur. Le Q de Tobin, défini comme le rapport de la valeur de marché d’une firme à
la valeur de remplacement de ses actifs, est souvent utilisé comme mesure de marché des
opportunités d’investissement d’une entreprise. Un Q moyen supérieur à l’unité est alors le signe
qu’une firme a des opportunités d’investissement rentables et inversement. La véritable mesure
devrait théoriquement être le Q marginal, une firme pouvant avoir un Q moyen inférieur à l’unité
mais un Q marginal supérieur, signifiant que cette firme a en fait des opportunités
d’investissement (Lang et Litzenberger, 1989). Toutefois, si la perception qu’ont les investisseurs
du Q marginal est liée au Q moyen, le problème disparaît.
Par ailleurs, différents déterminants du Q de Tobin sont proposés dans la littérature : l’existence
de rentes monopolistiques, l’existence d’opportunités d’investissement, la valeur du capital
organisationnel ou du capital réputation d’une firme... Les trois derniers déterminants sont
fortement liés et restent cohérents avec notre problématique. Le risque de rentes monopolistiques
semble assez faible dans notre base de données face au nombre d’entreprises dans chaque secteur
et dans chaque pays. Lang et Stulz (1994) considèrent ces éléments comme les « actifs
incorporels » d’une firme et le Q de Tobin comme une mesure de la contribution des actifs
incorporels à la valeur de marché, sous hypothèse d’efficience des marchés financiers.
Enfin, le Q de Tobin, ou son approximation, est parfois utilisé comme proxy pour le niveau
d’asymétries d’information entre une firme et le marché financier. L’idée est que les entreprises à
fortes opportunités d’investissement sont également les entreprises ayant le plus de difficultés à les
communiquer au marché. Si cet argument est convaincant, on comprend mal en revanche
comment des entreprises ayant des difficultés à communiquer leurs opportunités d’investissement
au marché peuvent avoir un Q de Tobin élevé. Pour la même raison, l’utilisation d’un Q de Tobin
comme mesure des opportunités d’investissement pour valider les théories de la structure
financière reposant sur des arguments de signalisation nous semble poser un problème
méthodologique.
La mesure et l’interprétation du Q de Tobin dans les études empiriques méritent par ailleurs une
attention particulière. Premièrement, la mesure utilisée n’est qu’une proxy du Q de Tobin puisque
l’on utilise le ratio:
Valeur de marché des capitaux propres + Valeur comptable de la dette
Actif Economique (comptable)
En effet, la détermination de la valeur de marché de la dette et de la valeur de remplacement de
l’actif suppose la détention d’informations dont nous ne disposons pas. Toutefois, utilisant la base
de données développée par le National Bureau of Economic Research sur les entreprises du
secteur industriel aux Etats-Unis sur les années 1978 à 1987, calculant notamment des Q de
Tobin, Chung et Pruitt (1994) montrent qu’une telle approximation explique plus de 95 % de
ceux-ci. Cette approximation est par ailleurs très fréquente dans la littérature empirique en
finance.
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Une deuxième critique de cette mesure tient aux modalités d’enregistrement comptable des actifs
incorporels. En effet, toutes choses égales par ailleurs, deux entreprises effectuant les mêmes
dépenses en recherche et développement, valorisées de manière identique par le marché, n’auront
pas le même Q de Tobin si l’une active ces dépenses et l’autre non. En effet, l’entreprise activant
les dépenses a un actif comptable plus lourd et donc un “ Q ” plus faible de manière mécanique
(Lindeberger et Ross, 1981). Ces différences peuvent poser un problème en cas de biais fort lié à
des réglementations et pratiques comptables différentes en matière de valorisation comptable de
l’incorporel, ce qui est analysé dans la partie suivante. Le biais éventuel doit toutefois être
relativisé en prenant en compte les niveaux moyens faibles des actifs incorporels comptabilisés
comme le révèle la 4ème partie.
3. Normes et information comptable sur les incorporels en Europe
Avant de détailler les normes comptables concernant l'incorporel en Europe, il n'est pas
négligeable de rappeler quelques différences entre les Etats-Unis et l'Europe. En effet, alors
qu'aux Etats-Unis, la comptabilité a été conçue comme un outil économique ayant pour vocation
l'information des marchés, les normes comptables européennes sont issues de cadres conceptuels
spécifiques à chaque pays2, et montrent encore aujourd'hui une grande diversité entre elles, bien
que les 4ème et 7ème directives européennes aient été appliquées dans tous les pays de la
Communauté. Ainsi, en matière de comptabilisation des incorporels, on constate une grande
diversité de normes suivant les pays. Cette diversité est due à des cadres normatifs différents,
qu'on peut résumer en trois points pour les incorporels.
Le premier point de différence entre les pays correspond à la question suivante : à partir de quel
moment la dépense engagée sur un exercice a-t-elle un impact sur la rentabilité future de
l'entreprise, en d'autres termes, à partir de quel moment une dépenses cesse-t-elle d'être une
charge pour devenir un investissement ou un actif ? La règle générale veut que les dépenses
incorporelles soient passées en charges de l'exercice. L'activation des dépenses incorporelles n'est
autorisée que si ces dépenses répondent à un certain nombre de critères. Le critère commun à tous
les pays et tous les actifs est que l'engagement de la dépense doit induire une génération de
ressources futures3. Pour certains pays (par exemple l'Italie), c'est la seule contrainte réglementant
l'activation d'une dépense incorporelle. Toutefois, pour la plupart des pays européens, plusieurs
critères sont nécessaires pour qu'une dépense puisse être considérée comme un investissement, et
puisse donc être activée au bilan. On peut regrouper ces critères en trois conditions : le projet sur
lequel porte la dépense incorporelle est identifié de manière précise ; il y a une grande probabilité
de succès technique ou de commercialisation du projet ; l'entreprise a marqué sa volonté de mener
à bien le projet.
Le deuxième point de distinction entre pays est dû aux rapports de la comptabilité avec la fiscalité
du pays. Comme le soulignent notamment G. G. Mueller (1994) ou C. Nobes (1992), on peut
2
En ce qui concerne les actifs incorporels, le projet de norme E 50 (norme émise par l'IASC sur la
comptabilisation des actifs incorporels) est encore en discussion à l'heure où nous rédigeons cette étude.
3 Même si cela n'est pas toujours précisé dans les textes, il est fortement sous-entendu que cette génération de
ressources doit se faire sur plusieurs exercices.
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distinguer deux modèles de pays, qui induisent deux types de pratiques : le modèle continental
(Allemagne, Belgique, France, Espagne) et le modèle anglo-américain (Royaume-Uni, Pays-Bas).
Dans le modèle continental, les pays assoient l'imposition des sociétés sur leurs documents
financiers. Cela implique que les documents financiers présentés correspondent à une vision
juridique, fiscale, et codifiée de l'entreprise : les actifs incorporels ne sont reconnus que s'ils ont
été acquis (puisque la transaction dégage un montant taxable), s'ils bénéficient d'une protection
juridique (cette protection matérialise l'existence d'un droit, et permet donc de lui assigner une
valeur) ou si l'on peut prouver qu'ils contribuent à l'augmentation de la valeur du patrimoine de
l'entreprise. Par exemple, dans des pays dont les documents financiers répondent strictement à des
critères fiscaux (l'Allemagne, la Suisse), les éléments incorporels développés en interne (i.e. non
acquis) ne peuvent être inscrits à l'actif du bilan. Par opposition, dans les pays du modèle angloaméricain, les documents financiers sont dans une large mesure indépendants du calcul de
l'assiette fiscale : la comptabilité doit servir à la représentation économique et à la prise de
décision. La reconnaissance des actifs incorporels ne se limite pas à des aspects fiscaux, et les
textes offrent généralement plus de liberté.
Enfin, la valeur des actifs incorporels et l'évolution de cette valeur constituent un troisième point
de différence dans les normes comptables européennes. Tous les pays européens valorisent leurs
éléments incorporels à leur prix d'acquisition (cas d'un élément acquis) ou à leur coût de
production (cas d'un élément développé en interne), c'est-à-dire en coût historique4. Cela soulève
évidemment la question de la validité des valeurs comptables par rapport aux valeurs de marché,
d'autant plus que les pays ne s'accordent guère sur l'évolution de la valeur comptable des actifs
(diminution de valeur ou réévaluation). Ainsi, pour traiter le cas d'une diminution de valeur d'un
actif incorporel, trois types de pratiques comptables coexistent : (1) amortissement de l'actif
incorporel sur une durée fixée légalement (cette durée est souvent fixée à cinq ans pour les
éléments incorporels considérés comme étant à forte dépréciation - les frais de R&D, les logiciels
utilisés par l'entreprise - mais d'autres pratiques existent. Par exemple, en ce qui concerne
l'amortissement du Goodwill, l'Espagne et l'Italie fixent une durée d'amortissement maximum de
10 ans) ; (2) amortissement de l'actif incorporel sur sa durée de vie économique. Dans ce cas
particulier, il n'y a pas de limite fixée légalement à la durée d'amortissement. On voit ainsi dans la
pratique des éléments incorporels être amortis sur des durées pouvant aller jusqu'à 40 ans. La
seule contrainte porte ici sur la légitimité du choix d'une durée, cette légitimité conditionnant la
déductibilité fiscale des charges d'amortissement ; (3) maintien de l'actif incorporel pour sa valeur
d'origine, et dépréciation éventuelle par provisions. Cette pratique est souvent utilisée pour les
actifs incorporels qui ont un fort caractère de permanence : c'est le cas des marques inscrites au
bilan. Enfin, dans le cas d'une augmentation de valeur des actifs incorporels, en règle générale il
n'est pas possible de pratiquer une réévaluation. Seul le Royaume-Uni autorise cette pratique en
Europe, tandis que tous les autres pays pratiquent le principe de prudence et n'autorisent pas de
réévaluation libre (i.e. hors consolidation).
Ces distinctions sont doublées par un plus ou moins grand détail des normes : la plupart des pays
proposent une liste d'éléments incorporels pouvant être inscrits à l'actif, ces éléments variant d'un
4
On pourra noter que, bien que les Pays-Bas autorisent la tenue de documents comptables en valeurs actuelles (par
opposition aux valeurs historiques), cette permission ne s'étend pas aux éléments incorporels : ceux-ci ne peuvent
être comptabilisés qu'en coûts historiques.
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pays à un autre, et le degré de précision des exemples variant suivant les pays. Le tableau suivant
résume les normes comptables de chaque pays5 pour les principaux actifs incorporels, soit : le
Goodwill (comptes consolidés) ou fonds commercial (comptes sociaux) ; les frais de R&D,
dissociés en Recherche fondamentale et Développement ; les Frais d'établissement, dissociés en
Dépenses de constitution et Dépenses de 1er établissement.
Goodwill / Fonds
Recherche
Développement
Dép. de
Dép. de 1er
Commercial
fondamentale
constitution
établissement
Allemagne
A (4 ans/DV) - R
C
C
C
A (4 ans) - C
Belgique
A (5 ans/DV)
C
A (5 ans/DV) - C A (5 ans) - C
C
Danemark
A (5 ans/DV)
C
A (5 ans) - C
A (5 ans) - C
A (5 ans) - C
Espagne
A (10 ans)
C
A (5 ans) - C
A (5 ans) - C
A (5 ans) - C
France
A (5 ans/DV)
C
A (5 ans) - C
A (5 ans) - C
A (5 ans) - C
Italie
A (10 ans/DV)
A (5 ans) - C
A (5 ans) - C
A (5 ans) - C
A (5 ans) - C
Royaume-Uni
A (40 ans) - R
C
A (DV) - C
C
C
IASC
A (40 ans)
C
A (DV) - C
C
C
CEE
A (5 ans/DV) - R
C
A (5 ans/DV) - C A (5 ans) - C
A (5 ans) - C
NB : A = inscription à l'Actif et amortissement, soit sur une durée maximum (ex: 5 ans), soit sur la durée de vie du
bien (DV) ; R = déduction des réserves ; C = passage en charges de l'exercice.
Ce tableau mérite trois commentaires importants. Premièrement, il ne rend compte que des
principaux actifs incorporels et leur méthode de comptabilisation. En fonction des pays étudiés,
d'autres éléments peuvent être considérés comme actifs incorporels, et leur traitement varie
suivant les pays (ex : l'Italie est le seul pays à autoriser l'activation des dépenses de publicité ;
l'Allemagne et la Suisse sont les seuls pays à ne pas autoriser l'activation des éléments incorporels
développés en interne ; le Royaume-Uni et l'Irlande sont les seuls pays autorisant la réévaluation
des actifs incorporels), ajoutant à la disparité d'ensemble. Ensuite, ce tableau fait apparaître des
traitements comptables alternatifs : par exemple, les entreprises peuvent choisir de passer leurs
dépenses de R&D en charges de l'exercice (diminuant ainsi leur résultat comptable d'autant) ou les
inscrire en actif au bilan (répartissant ainsi la charge de ces dépenses sur la durée de leur
amortissement). Les entreprises peuvent donc afficher des politiques comptables différentes. Enfin
ce tableau, déjà disparate suivant les pays, donne un aperçu des normes et non des pratiques. De
fait, il y a encore une source de différences importantes dans la pratique (ex : bien que la norme
soit d'activer le Goodwill, dans la pratique, des pays comme le Royaume-Uni ou le Danemark
optent en majorité pour la déduction des réserves). Cette disparité des pratiques peut trouver son
explication dans le fait que les normes ont souvent un caractère de recommandation plus que
d'obligation. Ainsi, les dirigeants peuvent procéder à des choix discrétionnaires quant à leur
politique comptable, par exemple pour des raisons de fiscalité ou d'information vis-à-vis de tiers
(actionnaires, banquiers).
5
Le lecteur souhaitant développer ces notions pourra se référer à L. Klee et al. (1992) et C. Thibierge (1994).
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4. Présentation des données, méthodologie et hypothèses, et description des variables
Description des données
L'étude porte sur un échantillon initial de 2184 entreprises européennes cotées (données
comptables consolidées et boursières) prises sur l’année 1992. Certains secteurs ont été retirés de
l'échantillon initial parce qu’ils présentent un fonctionnement financier atypique (Banques,
Compagnies d’assurances, Immobilier) ou parce que leur fonctionnement économique est difficile
à appréhender compte tenu des données dont nous disposons (Holdings par exemple). Le
caractère réglementé ou public de certains secteurs (Télécommunications, Distribution d’eau)
nous a également conduit à les retirer de l’échantillon.
Après élimination des secteurs et observations aberrantes, l'échantillon comporte 1 457 sociétés6,
réparties comme suit par pays :
Allemagne
Belgique
Danemark
Espagne
France
Italie
Royaume-Uni
TOTAL
Nombre de sociétés
207
45
82
113
231
112
667
1 457
La sélection d’un tel échantillon comporte plusieurs biais. D’abord, le fait de retenir des
entreprises cotées implique un biais en faveur des entreprises les plus grandes. L’importance de la
proxy de marché des opportunités d’investissement rend néanmoins impossible une démarche
alternative. D’autre part, le développement plus ou moins important des marchés actions
nationaux entraîne des différences quant au nombre d’entreprises pour chaque pays, impliquant
notamment un nombre plus important d’entreprises anglaises dans l’échantillon. Les tests
effectués par pays doivent permettre de présenter l’impact de ce biais sur les résulats. Enfin, un
dernier biais relié au précédent (en ce qui concerne les firmes anglaises) tient à des tailles
moyennes d'entreprises différentes par pays. Ce biais est pris en compte par les tests par pays et
l'intégration de la taille dans les régressions.
Choix des variables
Pour vérifier la robustesse des résultats au choix des mesures des variables, les variables
expliquées sont calculées en valeurs de marché et en valeurs comptables. Il est notamment
intéressant de regarder l’impact de la proxy de marché (Q de Tobin) sur la politique financière
mesurée comptablement, ce qui permet d’éviter le caractère éventuellement « mécanique » des
corrélations entre les variables de politique financière et d’opportunités d’investissement toutes les
deux prises en valeurs de marché. A ce titre, notre travail constitue une avancée par rapport aux
6
La liste détaillée des raisons sociales des entreprises peut être obtenue auprès des auteurs.
11
travaux de Smith et Watts (1992) et Njiokou (1994) utilisant uniquement des valeurs de marché.
Par ailleurs, comme l’indiquent Rajan et Zingales (1995), l’utilisation de données internationales
est un enjeu important pour lisser d’éventuelles corrélations spurieuses des variables rendant non
significatives les régularités empiriques mises en évidence sur des échantillons purement
nationaux, et notammment sur données américaines. A partir des données comptables et
boursières fournies, les variables suivantes ont été calculées pour chaque société :
Politique de dividendes :
P-OUT = Dividende / Bénéfice (mesure comptable)7 ;
REND = Dividende par action / Cours (mesure de marché).
Endettement :
DFT C = Dettes Financières Totales / Capitaux Propres (mesure comptable) ;
DFT M = Dettes Financières Totales / Capitaux Propres (mesure de marché) ;
DFL M = Dettes Financières Long Terme / Capitaux Propres (mesure de marché) ;
FFi = Frais Financiers / Actif Economique (mesure comptable) ;
Opportunités d'investissement :
INC = Actifs incorporels / Actif Economique (mesure comptable) ;
Q = Valeur de Marché / Actif Economique (mesure de marché) ;
Mesure de cash-flow :
CF = Cash Flow d'exploitation / Actif Economique (mesure comptable).
Concernant l'endettement, les trois premières variables sont des mesures en terme de structure
financière qui correspondent aux théories contractuelles énoncées plus haut. Le niveau de frais
financiers est davantage une proxy du niveau de contrainte financière liée à l'endettement et de la
probabilité de faillite que les variables de stocks précédentes. Cette mesure est utilisée dans la
dernière partie de l'étude. Le fait de rapporter les frais financiers au cash flow d'exploitation plutôt
qu'au total de l'actif économique ne modifie pas les résultats. Enfin, le cash flow d'exploitation
retenu correspond au résultat avant amortissements, frais financiers et impôt. Le fait de retenir un
cash flow avant prise en compte des frais financiers permet d'éviter un biais mécanique lors des
tests de l'endettement en fonction du cash flow. En effet, un endettement important conduit à des
frais financiers plus importants, donc à un cash flow après frais financiers plus faible, établissant
une relation négative entre endettement et une telle mesure du cash flow, sans fondement
économique.
7
Les taux de distribution supérieurs à 100% ont été éliminés de l'échantillon dans un premier temps. Un
commentaire sur les tests utilisant l'intégralité de l'échantillon est donné lorsque ceux-ci donnent des résultats
différents.
12
Statistiques descriptives
Moyenne
Dettes financières totales (valeur comptable)
Dettes financières totales (valeur de marché)
Dettes financières Long Terme (marché)
Frais Financiers / Actif économique
Taux de distribution des dividendes
Taux de rendement
Q de Tobin
Cash Flow d'Exploitation / Actif économique
Immob. Incorporelles / Actif économique
Actif économique comptable
(en millions USD, fin 1992)
Actif économique marché
(en millions USD, fin 1992)
0.77
0.8
0.41
1.45%
33.86%
2.75%
1.31
16.88%
3.22%
1820.53
Premier
Quartile
0.22
0.12
0.05
0.00%
12.02%
1.13%
0.93
10.71%
0.00%
74.56
2148.7
90.65
Médianes
Dettes financières totales (valeur comptable)
Dettes financières totales (valeur de marché)
Dettes financières Long Terme (marché)
Frais Financiers / Actif économique
Taux de distribution des dividendes
Taux de rendement
Q de Tobin
Cash Flow d'Exploitation / Actif économique
Immob. Incorporelles / Actif économique
Actif économique comptable (en millions
USD, fin 1992)
Actif économique marché (en millions USD,
fin 1992)
All
0.56
0.30
0.13
0.88%
37.10%
2.47%
1.23
20.05%
0.75%
425.53
Bel
Dan
Esp
Fra
Ita
R-U
0.85
0.58
0.64
0.66
1.19
0.36
0.56
0.51
0.83
0.54
1.02
0.19
0.33
0.30
0.25
0.29
0.49
0.09
1.95% 1.38% 2.50% 1.67% 2.02% 1.04%
38.30% 13.25% 0.00% 25.30% 25.90% 40.70%
2.47% 0.88% 1.96% 2.01% 2.31% 3.05%
1.12
1.06
0.91
1.06
0.94
1.33
19.16% 16.24% 10.90% 15.32% 10.86% 16.66%
2.66% 0.03% 0.98% 7.74% 1.73% 0.00%
182.2
93.95 241.82 569.11 598.09 140.60
553.40
229.43
123.26
Médiane
0.49
0.34
0.16
1.29%
33.20%
2.50%
1.13
16.18%
0.20%
239.87
Dernier
Quartile
0.94
0.87
0.43
2.82%
49.87%
3.95%
1.49
21.87%
2.53%
954.93
Nombre
d'observations
1 426
1 383
1 386
1 452
1 244
1 387
1 442
1 432
1 451
1 452
279.28
1135.54
1 452
203.08
652.44
538.29
191.78
On peut constater qu'il y a une certaine cohérence entre les différentes mesures du levier retenues.
En accord avec l'étude de Rajan et Zingales (1995), les sociétés en Allemagne et au Royaume-Uni
apparaissent comme étant structurellement les moins endettées. L'Italie, l'Espagne et la Belgique
montrent les niveaux d'endettement les plus élevés. Ces commentaires restent vrais au niveau de
l'endettement long terme. En matière de dividendes, l'Espagne et le Danemark présentent des
niveaux faibles de distribution et de rendement, et le Royaume-Uni, les niveaux les plus élevés.
Comme nous l'avons déjà souligné, la taille médiane des sociétés anglaises est inférieure à celle
des autres grands pays (France, Italie, Allemagne, Espagne), en raison du développement
important du marché financier britannique.
13
Méthodologie et hypothèses
L'objectif de l'étude empirique est de tester les théories contractuelles de la structure financière et
de la politique de dividendes sur l'échantillon retenu. La méthodologie retenue est d'effectuer en
premier lieu des tests paramétriques de comparaison de moyennes (F test) et des tests nonparamétriques de comparaison de rangs (Kruskal-Wallis et Mann-Whitney) sur les variables de
politique financière entre des groupes à fortes et à faibles opportunités d'investissement.
L'hypothèse testée est que l'ensemble d'opportunités d'investissement est un facteur déterminant
de la politique financière. Le niveau de Cash-Flow apparaît comme une deuxième variable
importante puisque ce sont les entreprises à fort cash-flow et faibles opportunités d'investissement
(c'est-à-dire fort free cash flow) qui devraient avoir la politique financière la plus contraignante.
Dans un premier temps, l'échantillon a donc été scindé en 4 groupes selon deux critères :
indicateur de cash-flow supérieur ou inférieur à la médiane ; Q supérieur ou inférieur à la
médiane8. Les tests réalisés sur l'ensemble de l'échantillon sont ensuite repris pays par pays. Dans
une deuxième temps, des régressions des variables de politique financière sur le Q, cash-flow, et la
taille sont ensuite entreprises sur l’échantillon, et pays par pays pour contrôler par la taille et
identifier l’impact respectif du Q et du cash-flow. Dans un troisième temps, les tests de moyennes
et de rangs sont répliqués en utilisant les actifs incorporels comme mesure comptable de
l'ensemble d'opportunités d'investissement. Les résultats obtenus indiquent la nécessité de tester la
pertinence de notre proxy comptable, ce qui est l’objet de la partie 6.
5. Présentation et analyse des résultats
Comparaison des politiques financières sur l'échantillon total suivant les 4 groupes
Compte tenu d'une scission selon deux critère (Cash-Flow et Opportunités d'investissement), on
obtient 4 groupes de sociétés, soit par exemple pour la variable DFT M :
Groupe
Groupe 1
Groupe 2
Groupe 3
Groupe 4
Variable expliquée : DFT M
Tests paramétriques
Moyenne
F
G1
1.14
96.22**
G2
0.19
G3
1.48
G4
0.37
8
Nombre de sociétés
169
515
470
211
Cash-Flow élevé et Q faible
Cash-Flow élevé et Q élevé
Cash-Flow faible et Q faible
Cash-Flow faible et Q élevé
Tests non-paramétriques
Rang
χ²
857
531.45**
416
967
563
Méthodologie utilisée par Lang, Stulz et Walking (1991) et Njiokou (1994).
14
Variable expliquée : DFL M
Tests paramétriques
Moyenne
F
G1
0.74
55.25**
G2
0.11
G3
0.71
G4
0.20
Tests non-paramétriques
Rang
χ²
858
374.24**
461
913
571
Variable expliquée : DFT C
Tests paramétriques
Moyenne
F
G1
0.74
28.01**
G2
0.49
G3
1.01
G4
0.74
Tests non-paramétriques
Rang
χ²
736
111.66**
570
839
682
Variable expliquée : REND
Tests paramétriques
Moyenne
F
G1
3.39%
5.46**
G2
2.82%
G3
2.69%
G4
2.50%
Tests non-paramétriques
Rang
χ²
772
20.57**
708
631
646
Variable expliquée : P-OUT
Tests paramétriques
Tests non-paramétriques
Moyenne
F
Rang
χ²
G1
30.71%
27.62**
562
97.38**
G2
41.27%
708
G3
25.93%
480
G4
38.29%
658
** : significatif au seuil de 1%
* : significatif au seuil de 5 %
ns : non significatif (p>0.1)
Test paramétrique: test de comparaisons multiples de moyennes
Test non paramétrique: test de Kruskal et Wallis de comparaisons multiples de rangs
F: test de Fisher d’analyse de la variance à un facteur
χ²: test du Chi-deux d’indépendance
Cette première série de tests fait apparaître les résultats suivants : quelle que soit la méthodologie
retenue, la classification en 4 groupes fait apparaître des différences pour toutes les variables avec
des niveaux de signification élevés. Une validation totale des théories contractuelles devrait
conduire à un classement faisant apparaître une opposition entre le groupe 1 et le groupe 4. La
théorie n'est parfaitement validée que pour le rendement. Toutefois, les variables d'endettement en
valeurs de marché révèlent des niveaux en accord avec la théorie en ce qui concerne les
opportunités d'investissement : les entreprises à Q élevé ont un endettement faible, et inversement.
Le fait de ne pas valider totalement les théories tient probablement à un effet cash flow négatif sur
15
l'endettement qui va à l'encontre de la théorie du free cash flow de Jensen, prévoyant une relation
positive entre cash flow et endettement à opportunités d'investissement constantes. Ces résultats
pourront être enrichis par les régressions présentées plus bas. En ce qui concerne la mesure
comptable de l'endettement, la distinction n'est retrouvée que dans les tests non-paramétriques, et
avec un niveau de signification inférieur. Cela révèle l'impact du choix des mesures de politique
financière sur les résultats obtenus. Cet impact est encore plus flagrant pour le taux de distribution
des dividendes qui fait apparaître une relation positive avec le Q. L'utilisation de l'échantillon
comprenant les taux de distribution supérieurs à 100% ne modifie pas ces résultats, mais accroît
significativement le taux de distribution moyen des entreprises à faible cash-flow. Cela signifie que
les entreprises générant des liquidités faibles distribuent leurs réserves.
Lorsque l'on scinde l'échantillon en deux groupes selon le Q de Tobin, on retrouve l'importance de
cette variable sur les niveaux d'endettement
Groupe
Groupe 1
Groupe 2
Fortes opportunités (i.e. Q > médiane)
Faibles opportunités (i.e. Q < médiane)
Variable expliquée : DFT M
Tests paramétriques
Moyenne
F
G1
0.25
282.71**
G2
1.41
Tests non-paramétriques
Rang
Z
463
-22.56**
949
Variable expliquée : DFL M
Tests paramétriques
Moyenne
F
G1
0.14
168.13**
G2
0.72
Tests non-paramétriques
Rang
Z
498
-19.18**
911
Variable expliquée : DFT C
Tests paramétriques
Tests non-paramétriques
Moyenne
F
Rang
Z
G1
0.57
60.17**
608
-9.77**
G2
0.96
821
** : significatif au seuil de 1%
* : significatif au seuil de 5 %
ns : non significatif (p>0.1)
Test paramétrique: test de comparaisons multiples de moyennes
Test non paramétrique : test de Mann-Whitney et Wilcoxon de comparaisons de rangs 2 à 2
F: test de Fisher d’analyse de la variance à un facteur
Z : test d'indépendance des deux groupes.
16
Comparaison des politiques financières par pays suivant les 4 groupes
Dans cette étude par pays, seuls les tests non-paramétriques sont mentionnés, en raison de la
faible taille de certains échantillons (Belgique). De fait, quand la taille de l'échantillon le permet,
des tests paramétriques donnent les mêmes résultats.
Allemagne
G1
G2
G3
G4
Variable expliquée : DFT M
Rang
χ²
150
57.18**
70
141
79
Variable expliquée : DFL M
Rang
χ²
152
54.04**
80
137
78
G1
G2
G3
G4
Variable expliquée : REND
Rang
χ²
101
16.38**
111
77
72
Variable expliquée : P-OUT
Rang
χ²
75
19.67**
101
65
61
Variable expliquée : DFT C
Rang
χ²
127
21.17**
88
129
87
Belgique
G1
G2
G3
G4
Variable expliquée : DFT M
Rang
χ²
24
ns
17
27
17
Variable expliquée : DFL M
Rang
χ²
23
ns
18
28
14
G1
G2
G3
G4
Variable expliquée : REND
Rang
χ²
23
13.10**
17
31
11
Variable expliquée : P-OUT
Rang
χ²
22
9.90*
16
17
4
Variable expliquée : DFT C
Rang
χ²
19
ns
24
21
17
Danemark
G1
G2
G3
G4
Variable expliquée : DFT M
Rang
χ²
48
23.63**
21
48
29
Variable expliquée : DFL M
Rang
χ²
52
17.95**
24
45
32
17
Variable expliquée : DFT C
Rang
χ²
44
ns
33
44
45
G1
G2
G3
G4
Variable expliquée : REND
Rang
χ²
39
ns
43
36
33
Variable expliquée : P-OUT
Rang
χ²
40
9.32*
46
29
38
G1
G2
G3
G4
Variable expliquée : DFT M
Rang
χ²
31
33.70**
17
62
34
Variable expliquée : DFL M
Rang
χ²
33
19.84**
36
59
40
G1
G2
G3
G4
Variable expliquée : REND
Rang
χ²
65
9.91**
71
47
44
Variable expliquée : P-OUT
Rang
χ²
53
14.35**
74
41
49
Variable expliquée : DFT C
Rang
χ²
30
23.68**
25
61
53
France
G1
G2
G3
G4
Variable expliquée : DFT M
Rang
χ²
136
93.94**
52
149
87
Variable expliquée : DFL M
Rang
χ²
134
83.39**
56
148
87
G1
G2
G3
G4
Variable expliquée : REND
Rang
χ²
122
ns
105
110
102
Variable expliquée : P-OUT
Rang
χ²
102
ns
112
99
109
18
Variable expliquée : DFT C
Rang
χ²
118
35.58**
73
137
113
Italie
G1
G2
G3
G4
Variable expliquée : DFT M
Rang
χ²
39
37.34**
12
64
21
Variable expliquée : DFL M
Rang
χ²
49
26.05**
12
61
24
G1
G2
G3
G4
Variable expliquée : REND
Rang
χ²
77
18.24**
50
46
43
Variable expliquée : P-OUT
Rang
χ²
64
11.40**
55
41
53
Variable expliquée : DFT C
Rang
χ²
37
13.76**
29
60
46
Royaume-Uni
G1
G2
G3
G4
Variable expliquée : DFT M
Rang
χ²
383
186.14**
220
452
304
Variable expliquée : DFL M
Rang
χ²
375
100.31**
244
413
305
Variable expliquée : REND Variable expliquée : P-OUT
Rang
Rang
χ²
χ²
G1
399
10.95*
201
29.63**
G2
298
285
G3
307
226
G4
307
315
** : significatif au seuil de 1%
* : significatif au seuil de 5 %
Variable expliquée : DFT C
Rang
χ²
312
19.97**
293
369
345
ns : non significatif (p>0.1)
En ce qui concerne les variables d'endettement, l'Allemagne, le Danemark et la France se
comportent comme l'échantillon total, avec un effet Q important, y compris sur les mesures
comptables. Pour le Royaume-Uni, l'Italie et l'Espagne, un effet cash-flow semble dominer pour
les variables d'endettement en valeur comptable, révélant la sensibilité des résultats au choix des
mesures. En Espagne, cet effet reste valable pour toutes les mesures d'endettement. La Belgique
ne donne pas de résultats significatifs pour l'endettement. Pour ce qui est du taux de rendement, le
Danemark et la France ne donnent pas de résultats significatifs. L'Italie se comporte comme
l'échantillon, c'est-à-dire valide les théories contractuelles, et le Royaume-Uni dans une moindre
mesure. L'importance du Q est retrouvée en Belgique, alors qu'en Allemagne et Espagne, un effet
cash-flow semble dominer. En ce qui concerne le taux de distribution, des résultats plus
conformes aux théories contractuelles sont retrouvés pour tous les pays sauf le Royaume-Uni (où
existe un effet positif du niveau d'opportunités d'investissement sur le taux de distribution). Le
nombre important d'entreprises anglaises dans l'échantillon explique le résultat biaisé trouvé au
19
niveau de l'échantillon global. A ce niveau de résultat, des régressions linéaires, permettant de plus
d'introduire le facteur taille, doivent préciser les impacts respectifs des niveaux d'opportunités
d'investissement et de cash-flow.
Régressions linéaires des variables de politique financière sur les opportunités
d'investissement en valeur de marché, la taille et le cash-flow
Variables Dépendantes
Intersection
Q de Tobin
Taille
Cash-Flow
(Nombre d'observations) (t-statistique) (t-statistique) (t-statistique)
(t-statistique)
DFT M
0.94
-0.44
0.15
-0.02
(n = 1380)
(3.43**)
(-7.24**)
(3.37**)
(-5.90**)
DFL M
0.03
-0.24
0.15
-0.01
(n = 1382)
(ns)
(-6.09**)
(5.11**)
(-2.76**)
DFT C
0.13
-0.09
0.18
-0.01
(n = 1422)
(ns)
(-2.20*)
(6.01**)
(-6.16**)
P-OUT
5.78
1.51
3.24
0.51
(n = 1232)
(ns)
(ns)
(3.42**)
(6.40**)
REND
2.60
-0.70
0.05
0.05
(n = 1374)
(5.73**)
(-6.80**)
(ns)
(7.11**)
Taille = Log(Actif Economique en valeur comptable)
** : significatif au seuil de 1%
* : significatif au seuil de 5 %
ns : non significatif (p>0.1)
R² ajusté
(F statistique)
0.12
(64.80**)
0.08
(40.44**)
0.08
(40.34**)
0.05
(22.40**)
0.04
(22.11**)
On retrouve un effet négatif significatif du Q sur les variables d'endettement et le taux de
rendement. Le taux de rendement présente de plus un lien positif avec le cash-flow,
conformément aux théories contractuelles. Concernant la taille, ce facteur est en général utilisé
comme proxy des coûts de faillite dans les études empiriques sur la structure financière (par
exemple Titman et Wessels, 1988) : plus la taille est grande, plus le niveau de diversification est
élevé et la probabilité de faillite, donc les coûts de faillite anticipés, faibles. L'endettement
accroissant la probabilité de faillite, son niveau est positivement relié avec la taille. Conformément
à la théorie des coûts de faillite, le facteur taille est relié positivement aux variables d'endettement
dans les tests. Par ailleurs, l'introduction de la taille nous permet de limiter les biais énoncés plus
haut. Enfin, comme pressenti dans les études précédentes, le cash-flow a un impact négatif sur la
dette et positif sur le niveau de dividendes, quelles que soient les mesures utilisées. L'effet cashflow sur les dividendes est conforme aux théories contractuelles, en revanche, la théorie du free
cash flow n'est pas validée pour les variables d'endettement. Pour préciser ce résultat, les mêmes
régressions ont été menées sur l'échantillon d'entreprises dont le Q est inférieur à la médiane, c'està-dire sur le groupe d'entreprises disposant d'opportunités d'investissement faibles, donc de free
cash-flow potentiel important. Les résultats restent identiques à ceux obtenus sur l'échantillon
total. Cette relation négative entre endettement et cash-flow rapporté à l'actif, donc rentabilité
économique des firmes, est conforme à l'hypothèse de Myers et Majluf (1984) de financement
hiérarchique des firmes. Dans cette théorie, les firmes ont une préférence pour l'autofinancement
et par conséquent, un niveau élevé de cash flow, donc d'autofinancement, permet de recourir peu
à du financement externe, donc de l'endettement, même si ce dernier est préférable aux
augmentations de capital. Toutefois, comme le font remarquer Rajan et Zingales (1995), la
relation positive entre free cash flow et endettement escomptée par Jensen suppose un
fonctionnement efficace du marché du contrôle, contraignant les firmes à sortir de la liquidité par
un endettement plus important. Compte tenu de l'échantillon, il est difficile de savoir si les
20
dirigeants des firmes à fort free cash flow arrivent à s'affranchir de la discipline de la dette, en
raison d'un mauvais fonctionnement du contrôle. Les résultats établis sur l'échantillon corroborent
donc moins la théorie du free cash flow que le lien opportunités d'investissement - variables de
politique financière établi par Myers pour les firmes à fortes opportunités d'investissement. Les
tableaux suivants donnent les résultats des régressions pays par pays pour trois des variables de
politique financière.
DFT M par pays
Pays
Allemagne
Belgique
Danemark
Espagne
France
Italie
Royaume-Uni
Intersection
(t-statistique)
1.30
(2.41*)
0.31
(ns)
1.58
(ns)
3.00
(2.09*)
1.09
(ns)
2.17
(ns)
0.39
(ns)
Q de Tobin
(t-statistique)
-0.52
(-4.08**)
-0.33
(ns)
-0.99
(-2.53*)
-0.81
(-1.69)
-1.04
(-4.35**)
-2.12
(-3.11**)
-0.32
(-4.19**)
Taille
(t-statistique)
0.03
(ns)
0.24
(ns)
0.17
(ns)
0.03
(ns)
0.21
(1.77*)
0.38
(1.76*)
0.16
(2.31*)
Cash Flow
(t-statistique)
-0.01
(ns)
-0.02
(ns)
-0.02
(ns)
-0.07
(-4.34**)
-0.01
(ns)
-0.07
(-3.87**)
-0.01
(-2.08*)
R² ajusté
(F statistique)
0.14
(12.09**)
0.09
(2.44)
0.10
(3.83*)
0.20
(9.41**)
0.12
(11.56**)
0.18
(8.84**)
0.07
(16.95**)
Intersection
(t-statistique)
1.43
(ns)
1.32
(ns)
0.31
(ns)
0.84
(ns)
0.90
(1.95)
-0.26
(ns)
-0.06
(ns)
Q de Tobin
(t-statistique)
-0.38
(-1.71)
0.71
(ns)
-0.17
(ns)
0.10
(ns)
-0.28
(-2.08*)
0.18
(ns)
-0.02
(ns)
Taille
(t-statistique)
0.07
(ns)
-0.08
(ns)
0.17
(ns)
0.09
(ns)
0.09
(ns)
0.31
(1.87*)
0.15
(4.70**)
Cash Flow
(t-statistique)
-0.02
(-1.82)
-0.03
(ns)
-0.01
(ns)
-0.04
(-4.11**)
-0.02
(-2.09*)
-0.05
(-3.74**)
-0.01
(-4.01**)
R² ajusté
(F statistique)
0.05
(4.69**)
0.00
(ns)
0.00
(ns)
0.12
(5.78**)
0.07
(6.65**)
0.11
(5.52**)
0.07
(17.62**)
DFT C par pays
Pays
Allemagne
Belgique
Danemark
Espagne
France
Italie
Royaume-Uni
21
REND par pays
Pays
Intersection
Q de Tobin
Taille
Cash Flow
R² ajusté
(t-statistique) (t-statistique) (t-statistique)
(t-statistique)
(F statistique)
Allemagne
2.70
-0.38
-0.13
0.05
0.06
(2.67*)
(ns)
(ns)
(3.56**)
(5.46**)
Belgique
8.91
-4.58
0.07
-0.02
0.18
(2.15*)
(-2.77**)
(ns)
(ns)
(4.08*)
Danemark
-0.74
-0.57
0.46
0.02
0.04
(ns)
(ns)
(1.90)
(ns)
(2.13)
Espagne
-0.72
-0.23
0.45
0.13
0.10
(ns)
(ns)
(ns)
(3.61**)
(5.08**)
France
0.85
-0.98
0.26
0.06
0.05
(ns)
(-2.84**)
(ns)
(3.43**)
(5.05**)
Italie
2.99
-2.41
0.07
0.15
0.21
(ns)
(-2.04*)
(ns)
(5.02**)
(10.14**)
Royaume-Uni
3.09
-0.84
0.13
0.04
0.09
(5.46**)
(-7.72**)
(ns)
(4.77**)
(20.74**)
** : significatif au seuil de 1%
* : significatif au seuil de 5 %
ns : non significatif (p>0.1)
A l'exception du Danemark pour l'endettement en valeur comptable et de la France pour le
rendement, les résultats obtenus par comparaisons de moyennes et de rangs sont confirmés par
ces tableaux. Hormis quelques exceptions, les signes obtenus pour les régressions sur l'échantillon
total restent les mêmes. Toutefois, l'effet Q, qui reste très important sur les variables de politique
financière en valeurs de marché, devient parfois non significatif lorsque l'on passe à des mesures
comptables. Le facteur taille a un impact souvent non significatif. En revanche, le cash-flow a
souvent l'impact négatif sur l'endettement constaté avec l'échantillon total.
La meilleure qualité des résultats lorsque des valeurs de marché sont utilisées comme variables
explicatives et expliquées nous conduit à tester la théorie contractuelle en utilisant notre proxy
comptable pour les opportunités d'investissement. Comme avec le Q de Tobin, des tests de
comparaison de moyennes et de rangs sont effectués sur deux sous-groupes de l'échantillon, en
utilisant cette fois le critère des opportunités d'investissement en valeur comptable.
Groupe
Groupe 1
Groupe 2
Fortes opportunités (i.e. INC > médiane)
Faibles opportunités (i.e. INC < médiane)
Variable expliquée : DFT M
Tests paramétriques
Moyenne
F
G1
0.95
17.27**
G2
0.63
Tests non-paramétriques
Rang
Z
796
-9.95**
582
22
Variable expliquée : DFL M
Tests paramétriques
Moyenne
F
G1
0.48
8.65**
G2
0.34
Tests non-paramétriques
Rang
Z
796
-9.83**
585
Variable expliquée : DFT C
Tests paramétriques
Moyenne
F
G1
0.98
71.36**
G2
0.55
Tests non-paramétriques
Rang
Z
833
-11.08**
592
Variable expliquée : REND
Tests paramétriques
Moyenne
F
G1
2.59%
7.40**
G2
2.92%
Tests non-paramétriques
Rang
Z
648
-4.09**
736
Variable expliquée : P-OUT
Tests paramétriques
Moyenne
F
G1
31
14.04**
G2
37
** : significatif au seuil de 1%
Tests non-paramétriques
Rang
Z
583
-3.77**
660
* : significatif au seuil de 5 %
ns : non significatif (p>0.1)
On constate une différence significative pour chaque variable entre les deux groupes en utilisant la
mesure des actifs incorporels comptabilisés au bilan (INC). Concernant l'endettement, on obtient
des résultats allant à l'encontre de la théorie : les sociétés supposées à fortes opportunités
d'investissement, mesurées par cette proxy comptable, sont celles qui ont un fort endettement,
quelle qu'en soit la mesure. En revanche, en matière de politique de dividendes, la théorie se
trouve confirmée. Face à des divergences importantes dans les résultats en fonction des mesures
utilisées, une étude des liens entre Q de Tobin et incorporel nous paraît nécessaire. De plus, les
résultats faisant apparaître une relation inverse entre endettement et incorporel nécessitent un
développement spécifique.
23
6. Q de Tobin, actifs incorporels et politique financière : une analyse théorique des résultats
Q de Tobin et actifs incorporels
Pour analyser le lien entre Q de Tobin et actifs incorporels on procède à une régression linéaire du
Q par la variable INC. Le tableau suivant en donne les résultats, sur l'échantillon total ainsi que
pays par pays, pour tenir compte de l'effet éventuel d'une diversité des procédures comptables
européennes.
Q de Tobin
Pays
Intersection
INC
R² ajusté
(t-statistique) (t-statistique)
(F statistique)
Allemagne
1.39
-0.00
0.00
(36.21**)
(ns)
(ns)
Belgique
1.19
-0.00
0.01
(19.61**)
(ns)
(ns)
Danemark
1.10
0.01
0.00
(23.26**)
(ns)
(ns)
Espagne
0.95
0.00
0.00
(24.05**)
(ns)
(ns)
France
1.20
-0.00
0.00
(31.25**)
(ns)
(ns)
Italie
0.97
0.00
0.00
(41.52**)
(ns)
(ns)
Royaume-Uni
1.47
0.00
0.00
(44.63**)
(ns)
(ns)
Ech. Total
1.32
-0.00
0.00
(69.47**)
(ns)
(ns)
** : significatif au seuil de 1%
* : significatif au seuil de 5 %
ns : non significatif (p>0.1)
On constate qu'il n'existe aucune relation linéaire significative entre Q de Tobin et actifs
incorporels. Cela soulève deux questions importantes sur la nature des incorporels affichés au
bilan : puisqu'il ne semble pas y avoir de lien entre l'affichage d'éléments incorporels à l'actif et la
valorisation par le marché, quels sont les mécanismes motivant une firme, et particulièrement un
dirigeant, pour afficher de l'incorporel à son actif ? Et dans quelle mesure ces mécanismes
expliquent-ils cette relation non significative entre le Q de Tobin et les actifs incorporels ? Nous
proposons deux premières explications, fondées sur le caractère discrétionnaire de la décision
d'activer de l'incorporel. Premièrement, on peut mettre en avant une confidentialité des meilleures
firmes : ne désirant pas afficher publiquement leurs niveaux de recherche, dépenses publicitaires
ou formation, niveaux dont l'importance est a priori stratégique puisque ces firmes sont
performantes, les firmes ne les activent pas. On obtiendrait ainsi que les firmes les mieux
valorisées par le marché affichent peu d'incorporel. Deuxièmement, on peut évoquer un effet de
brouillage des moins bonnes firmes. Pour des firmes peu performantes, l'affichage d'importants
actifs incorporels (censés générer des résultats futurs) peut servir de communication financière
pour rassurer les investisseurs. Ces deux hypothèses peuvent conduire à une déconnexion entre le
véritable niveau d'incorporel et d'opportunités d'investissement d'une firme d'une part, et la
valorisation comptable de l'incorporel d'autre part. Sous hypothèse d'efficience des marchés, une
corrélation non significative entre le Q de Tobin et le niveau d'actifs incorporels peut facilement
24
être obtenue. Toutefois, la mise en évidence d'une relation négative entre endettement et actifs
incorporels nous conduit à proposer une troisième hypothèse, existant déjà dans la littérature
théorique sur les choix des procédures comptables (Watts et Zimmerman, 1986).
Watts et Zimmerman (1986) établissent en effet que les dirigeants d'entreprises ont intérêt à
choisir les procédures comptables permettant d'augmenter le résultat de l'exercice au détriment
des résultats futurs, pour profiter des contrats d'intéressement aux résultats ou se libérer des
clauses des contrats de dette (debt covenants). Compte tenu de ce qui a été évoqué sur les normes
comptable concernant l'incorporel, on peut poser que les politiques d'activation de l'incorporel
permettent de desserrer la contrainte de liquidité pesant sur les entreprises : une activation
consiste à reporter comptablement certaines dépenses qui auraient dû être constatées sur
l'exercice, et ainsi peut permettre de limiter les contraintes de la dette imposées par les
actionnaires. Cette explication met en avant un comportement conforme à l'application de la
théorie de l'agence aux choix de procédures comptables. L'hypothèse est testée en procédant à des
régressions linéaires cherchant à expliquer l'incorporel par des variables de politique financière et
de taille. L'endettement mesuré par le niveau des frais financiers, pertinent comme proxy de la
contrainte de liquidité, est utilisé à côté des variables de politique financière précédentes.
Régression de l'incorporel sur la variable de politique financière Vpf et la taille
Variable dépendante =
Intersection
Variable Vpf
INC
(t-statistique) (t-statistique)
avec Vpf = DFT M
-7.76
-0.01
(n = 1380)
(-5.97**)
(ns)
avec Vpf = DFT C
-7.55
0.64
(n = 1423)
(-5.93**)
(3.38**)
avec Vpf = FFi
-8.21
0.14
(n = 1450)
(-6.41**)
(2.68**)
avec Vpf = REND
-7.47
-0.19
(n = 1380)
(-5.68**)
(2.28*)
-8.25
-0.02
avec Vpf = P-OUT9
(-5.81**)
(-2.12*)
(n = 1239)
Taille = Log(actif total hors éléments incorporels)
Taille
(t-statistique)
2.00
(8.47**)
1.88
(8.04**)
2.06
(8.89**)
2.05
(8.71**)
2.24
(8.70**)
R² ajusté
(F statistique)
0.05
(36.48**)
0.06
(44.12**)
0.05
(42 ; .21**)
0.05
(40.03**)
0.06
(38.94**)
La corrélation positive entre l'endettement et le niveau d'incorporel est validée pour les mesures
comptables (Dette Comptable et Frais Financiers). Cela confirme que les procédures comptables
concernant l'incorporel pourraient être choisies pour compenser des contraintes d'endettement
fortes. On retrouve d'autre part la relation négative déjà constatée entre les variables de dividende
(rendement et taux de distribution) et les actifs incorporels. Concernant cette relation, une
explication cohérente avec l'hypothèse de desserrement d'une contrainte financière est la suivante.
Si l'on suppose que la politique de dividendes a un caractère discrétionnaire plus important que le
niveau d'endettement, notamment parce que le niveau de dividendes peut être modifié à chaque
exercice (contrainte "molle"), alors les dirigeants recherchant de la liquidité par la valorisation de
l'incorporel sont également enclins à limiter le volume de dividendes versés. Enfin, on constate
que la taille des entreprises est reliée positivement au niveau des incorporels, ce qui va à l'encontre
9
Les tests sur l'échantillon global (y compris taux de distribution supérieurs à 100%) donnent des résultats allant
dans le même sens pour la variable P-OUT, avec les mêmes niveaux de significativité.
25
de résultats établis par Watts et Zimmerman (1978) et Zmijewski et Hagerman (1981). On peut
toutefois se demander dans quelle mesure le biais déjà souligné concernant la sélection des
entreprises (entreprises cotées, et donc ayant déjà une certaine taille) ne remet pas en cause le test
de cette hypothèse sur la taille.
Par ailleurs, le fait que les comptes étudiés sont en majorité des comptes consolidés peut créer un
biais dont nous avons déjà parlé en évoquant les normes comptables : dans les comptes
consolidés, le goodwill incorpore non seulement des éléments incorporels, mais aussi les primes
d'acquisition des sociétés rachetées. La mesure des éléments incorporels par le goodwill pourrait
ainsi être biaisée. Toutefois la suppression de ce biais ne peut que renforcer les résultats obtenus.
En effet, si l'on identifiait ces primes d'acquisition, pour autant qu'on puisse le faire, les retirer des
capitaux propres contribuerait à augmenter tous les indicateurs d'endettement, et renforcerait ainsi
la relation. Si au contraire ces primes d'acquisition représentent l'essentiel de l'actif incorporel,
alors les tests précédents établissent l'absence de liens entre politique de croissance externe et Q
de Tobin.
7. Conclusions et futures voies de recherche
En conclusion, on peut synthétiser les apports de cette étude dans les points suivants. Cette étude
est une des premières à tester la validité des théories contractuelles sur un échantillon purement
européen. Notre volonté n'est pas de tester l'ensemble des déterminants des structures financières
en Europe, mais plutôt de vérifier que les opportunités d'investissement sont un déterminant fort
de ces structures financières. Sur l'échantillon étudié, l'hypothèse est validée. Ce résultat est
d'autant plus intéressant qu'il est obtenu dans des pays à systèmes financiers et de contrôle
différents de ceux existant au Etats-Unis, et entre eux, avec un échantillon large en terme de
secteurs (par opposition aux études américaines, qui se cantonnent souvent aux secteurs à forte
composante industrielle). Concernant la théorie du free cash flow, qui s'intéresse aux entreprises à
faible potentiel de croissance, les tests donnent une relation négative entre les variables
d'endettement et le cash flow, validant peu cette théorie, mais plutôt la théorie du financement
hiérarchique énoncée par Myers et Majluf (1984).
Cette étude montre aussi la sensibilité des résultats obtenus en fonction des mesures qui ont été
retenues pour les variables, ceci tant pour les variables expliquées que pour les opportunités
d'investissement. L'utilisation de données internationales permet certainement de limiter les
relations spurieuses pouvant exister entre les mesures de politique financière et d'opportunités
d'investissement lorsque les tests sont réalisés sur un échantillon national. La sensibilité des
résultats au choix des mesures laisse penser que certains effets mécaniques peuvent persister.
L'utilisation d'une proxy comptable, le niveau d'actifs incorporels, a permis d'établir le caractère
peu significatif de cette variable pour rendre compte du niveau d'opportunités d'investissement
d'une entreprise, et donc du véritable niveau des "incorporels", au sens de Lang et Stulz (1995).
La relation négative entre actifs incorporels et variables d'endettement, déterminée dans nos tests,
peut être interprétée comme le choix de procédures comptables par les dirigeants visant à
desserrer une contrainte financière.
26
Par ailleurs, la proximité de théories alternatives de la politique financière (théorie de l'agence
stricto sensu, théorie du capital organisationnel, théorie des coûts de transaction notamment) et le
niveau d'agrégation des proxy pour l'ensemble d'opportunités d'investissement d'une entreprise
rendent difficile une véritable discrimination entre ces théories. L'identification des parties
prenantes à la création de valeur, donc à l'émergence des opportunités d'investissement, et la
recherche de mesure empiriques, paraît indispensable à une meilleure compréhension des relations
entre politique financière et opportunités d'investissement en Europe.
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