freud-et-le-changement

Transcription

freud-et-le-changement
Freud et le changement d’objet
La petite fille, écrit Freud, désire – tout comme le petit garçon – être le pénis de la mère, lui «
faire un enfant ». Pour rester en fait l’unique objet de son amour, continuer ainsi d’être tout pour
cette mère qui est encore tout pour elle- même.
« Où est le plaisir de ma mère ? Quelle est cette relation mystérieuse de ma mère à cet « autre sans
sein » (Klein) et bizarrement doté d’un pénis ? Serait-ce cet en-plus qui attire ma mère et la
détourne ainsi de moi ? Cet en plus qui manifestement est la propriété du père et dont
malheureusement elle ne dispose pas ? Naît alors chez la petite fille ce que Freud a nommé :
« l’envie du pénis », c’est-à-dire un désir d’être le phallus de la mère, dans l’espoir de conserver –
par cette identification masculine primaire – l’amour absolu de l’objet primaire.
La petite fille ne met bien sûr pas longtemps à se rendre compte de l’impossibilité physique de
satisfaire un jour ce désir de « faire un enfant à la mère », d’avoir un pénis. Elle doit consentir à
n’avoir jamais en soi cet appendice magique. Elle vit cette absence en un premier temps comme
un en-moins. Elle n’est donc, ni ne sera jamais tout pour sa mère ! Cette découverte est ressentie
par elle comme une profonde déconvenue, une «blessure narcissique», écrivait Freud. Elle est
aussi forcément vécue comme une potentielle menace d’abandon, puisqu’un autre, doté de cet
attribut si fascinant, semble prendre toute la place dans l’esprit de la mère, alors qu’elle croyait
l’occuper totalement. « L’envie du pénis » est aussi, sinon surtout, une façon de ne pas être
abandonnée de l’objet maternel.
Blessée narcissiquement, la petite fille s’aperçoit assez rapidement qu’elle dispose cependant elle
aussi d’un en-plus : la possibilité de maternité. Ainsi passe-t-elle du désir de faire un enfant à la
mère, au désir d’avoir un enfant du père, le long de « l’équation pénis-enfant». Ainsi, à compenser
une blessure narcissique, change-t-elle d’objet.
C’est de cette façon que Freud a pensé le changement d’objet.
Beaucoup de psychanalystes pensent malgré tout aujourd’hui que le besoin de panser la blessure
narcissique, s’il en est une condition nécessaire, n’est pas le moteur unique dudit changement
d’objet.
Il faut aussi que la mère incite sa fille à ce changement, la pousse à déplacer la génitalisation de
son amour sur un autre objet. La mère, par son refus de cette homosexualisation primaire du lien
à l’objet– étape naturelle de la relation mère-fille – devient de la sorte une actrice essentielle du
processus. « Je ne veux pas que tu m’aimes comme cela », lui signifie-t-elle, implicitement. La
petite fille comprend que vouloir continuer d’érotiser la mère, dans l’espoir de la conserver tout à soi,
est précisément ce qui risque de la lui faire perdre ! C’est donc aussi parce que la mère fait
rapidement entendre à sa fille qu’elle n’est pas du tout intéressée par l’expression génitale de son
amour, parce qu’elle repousse sans la culpabiliser cette homosexualisation primaire du lien, que la
petite fille accepte de discriminer psychiquement amour maternel et désir sexuel.
Une injonction maternelle de différenciation, ou ce qui revient au même un interdit d’homosexualisation du lien,
s’avère nécessaire pour que se produise le changement d’objet.
Il existe donc bien dans l’explication freudienne du développement psychique de la petite fille un
certain phallocentrisme, au moment où celle-ci accorde spontanément au phallus la valeur absolue
d’un en-plus, moment sans l’existence duquel on ne comprendrait pas le venue de sa « blessure
narcissique ».
Si par contre, dans l’esprit du théoricien, la possession du phallus continue d’être réellement un enplus, et celle du vagin un en-moins, on est de toute évidence en présence d’un résidu de ce
phallocentrisme infantile imaginaire.
Tout phallocentrisme n’est que la résurgence d’une « théorie sexuelle infantile » attribuant
immédiatement au pénis la valeur absolue d’un en-plus.
On sait qu’une fois accompli ce «changement d’objet » préœdipien, la petite fille n’en a pas fini
pour autant avec le changement d’objet. Il lui faut en effet désinvestir le père de sa pulsion
sexuelle, et déplacer celle-ci hors du système familial !