La situation des mineurs non-accompagnés en Suisse

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La situation des mineurs non-accompagnés en Suisse
Institut international
des Droits de l’Enfant
Terre des hommes
La situation des mineurs
non-accompagnés en
Suisse
En collaboration avec la Fondation suisse du Service Social International et
l’Institut Universitaire Kurt Bösch
Septembre 2003
La situation des mineurs
non-accompagnés en
Suisse
Par : Aimé Wata
Juriste, étudiant en Master en Droits de l’Enfant, IUKB Sion
Avec la collaboration de : Flore Agnès Nda Zoa
Juriste, stagiaire Terre des Hommes
En collaboration avec la Fondation suisse du Service Social International et
l’Institut Universitaire Kurt Bösch
Septembre 2003
La situation des mineurs non-accompagnés en Suisse
TABLE DES MATIERES
Pages
Avant-propos
3
1.
Pourquoi et comment partir de
chez soi
1.1. Les raisons de l'émigration
1.1.1 Les raisons sociales et économique
a) La situation politico-sociale
b) Accès à l'information
c) Déficience du tissu familial
1.1.2 Les raisons psychologiques
a) Peurs, frustrations et désespoir dus au manque de perspectives professionnelles
b) Ambitions des parents
1.2.
Les moyens de l’émigration
1.2.1 Les organisations criminelles
1.2.2 Le visa obtenu grâce à l’invitation d'un parent ou d’un ami
1.2.3 Se faire passer pour l'enfant d'un diplomate voyageant
ou se trouvant à l'étranger
2.
Le séjour en Suisse : L'asile ou la clandestinité
2.1. L’asile
2.1.1 Passage obligé ou non ?
2.1.2 Statistiques et pays d'origine des MNA déposant la requête d’asile en Suisse
5
5
5
5
6
8
9
9
10
13
13
15
15
2.2.
La clandestinité
2.2.1 La problématique de l’Untertauchen
2.2.2 La clandestinité pour les enfants ne déposant pas de requête d'asile
2.3.
Les mesures de prise en charge prévues pour les MNA clandestins
16
17
18
21
21
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25
25
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35
36
39
39
42
42
42
43
43
44
44
45
47
3.
La délinquance et le MNA
3.1.
Quelques causes
3.1.1 La présence des organisations criminelles
3.1.2 Le manque d’occupation
50
50
50
54
a) RAMNA ayant déposé une demande d'asile entre le 01.01.02 et le 31.12.02
b) Evolution de la situation des RAMNA
2.1.3
Statut du RAMNA dans la procédure d’asile
a) La détermination de l'âge
b) Le statut juridique du RAMNA pendant la procédure d'asile
c) Les mesures de protection du RAMNA pendant la procédure d'asile
2.1.4 Le déroulement de la procédure d'asile
2.1.5 Situation du RAMNA en cas de renvoi et de non-exécution du renvoi
2.1.6 Aperçu de quelques pratiques cantonales
a) Genève
b) Zurich
c) Vaud
d) Bâle
e) Valais
f) Berne
1
La situation des mineurs non-accompagnés en Suisse
3.1.3
3.2.
3.2.1
3.2.2
3.2.3
3.3.
3.3.1
3.3.2
3.3.3
Les besoins financiers
Quelques aspects
Le trafic de stupéfiants
La prostitution
Le vol
La justice des mineurs
La justice suisse des mineurs
Problèmes posés par les mineurs migrants
Problèmes posés par les MNA
56
57
57
58
58
59
59
60
60
4.
4.1.
4.2.
Quelques solutions
Dans le pays d’origine
Dans le pays d’accueil
61
61
62
Conclusion
63
Bibliographie
64
2
La situation des mineurs non-accompagnés en Suisse
AVANT-PROPOS
Depuis la ratification quasi-universelle de la Convention des droits de l’enfant de l’ONU du
20 novembre 1989 (CDE), les Etats cherchent à mettre en oeuvre leurs engagements dans ce
domaine, ce qui ne s’avère pas toujours aisé en pratique. En l’occurrence les grands principes
de la CDE, dont la non-discrimination (art. 2), l’intérêt supérieur de l’enfant (art. 3), le droit à
la survie et au développement (art. 6) et le droit d’être entendu (art. 12) se heurtent parfois à
des intérêts divergents et des réalités sociales difficiles à gérer.
C’est notamment le cas face aux migrations et aux politiques d’asile où l’on est amené à se
poser la question du respect des droits de l’enfant.
La migration est définie comme un transfert passager ou durable du lieu de vie au-delà des
frontières. Son processus comporte plusieurs phases, entre la décision de départ, le transit,
l'arrivée et l'intégration dans le nouveau pays ou le retour au lieu d'origine.1 Contrairement
aux idées reçues, la majorité des migrations se fait entre pays émergeants.2 Cependant, le
phénomène affiche partout des courbes ascendantes et ceci plus particulièrement vers les pays
riches en raison des disparités économiques. Tous les jours, des milliers d'immigrants en
provenance d'Afrique, d'Asie ou d'Europe orientale affluent entre autre vers l'Europe de
l'ouest.
Si les migrations "traditionnelles" ont souvent concerné les adultes et les familles, il n'est pas
rare aujourd'hui que des enfants voyagent seuls, à savoir sans référent parental. Certains
auteurs utilisent la notion technique de "mineurs isolés" tandis que la littérature et les textes
légaux emploient plus communément les notions "d'enfants non accompagnés", de "mineurs
non accompagnés" ou d'"enfants séparés".
Selon la définition du Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (UNHCR), "un
enfant non accompagné est une personne âgée de moins de dix-huit ans, sauf si la majorité
est atteinte plus tôt en vertu de la législation qui lui est applicable, qui est séparée de ses deux
parents et n'est pas pris en charge par un adulte ayant de par la loi ou la coutume, la
responsabilité de le faire".
La terminologie varie entre les Etats, par exemple en ce qui concerne le cercle des personnes
accompagnantes, ce qui va entraîner de sérieuses différences dans la protection qui sera
accordée au mineur. Et pourtant, ces enfants migrants fuyant peut-être des persécutions,
parfois victimes d’exploitation ou répondant à l’espoir de construire une vie meilleure,
peuvent se retrouver dans des situations de vulnérabilité extrême.
Ce travail, comportant 4 parties, se penche sur le parcours des enfants qui arrivent en Suisse
sans leurs parents. Sans être exhaustif, il a pour objectif d’informer toute personne concernée
sur la situation et de susciter des réflexions, des collaborations et des solutions adaptées.
La première partie présente les raisons du départ des mineurs de leurs pays d'origine et les
moyens qu'ils utilisent pour rejoindre la Suisse.
1
Voir dans ce sens Minh Son NGUYEN, Droit public des étrangers, Présence, activité économique et statut
politique, Staempfli Editions SA Berne 2003, p.21.
2
Voir dans ce sens NGUYEN, op.cit., p.22.
3
La situation des mineurs non-accompagnés en Suisse
La deuxième partie traite du dilemme auquel doit faire face le mineur à son arrivée en Suisse
entre le dépôt d’une requête d’asile et la vie dans la clandestinité.
Dans la troisième partie est abordée la question de la délinquance pour ces jeunes étrangers et
la réponse que peut leur donner la justice suisse des mineurs.
Enfin, la quatrième partie propose quelques idées à prendre en compte dans la recherche de
solutions dans les pays d'origine comme de destination, en respectant l’intérêt supérieur de
l’enfant, de tous les enfants.
La rédaction de ce rapport a été assurée par M. Aimé Wata pour le compte de L’Institut
international des Droits de l’Enfant (IDE), en collaboration avec Mlle Flore-Agnès Nda Zoa
du secteur des droits de l’enfant de Terre des hommes(TdH. Une première étude des aspects
factuels et légaux en Suisse et en Europe avait été menée par M. Patrick Moser en 2002 dans
le cadre de la campagne internationale contre le trafic d’enfants lancée par la Fondation
Terres des hommes, relevant l’ampleur que la question des mineurs isolés en provenance des
pays d’Europe de l’Est, de Chine et d’Afrique noire tend à prendre dans les pays occidentaux.
La démarche a, notamment, consisté à rencontrer et à écouter par téléphone des personnes
expérimentées et actives dans le domaine de l’asile ou dans la prise en charge des mineurs
étrangers, en particulier en Suisse romande. En outre, il est fait référence à plusieurs
publications en la matière, ce qui permet une confrontation entre théorie et pratique.
Lausanne et Sion, septembre 2003
Paola Riva Gapany, juriste, LLM, IDE
Sylvie Marguerat, juriste Tdh
4
La situation des mineurs non-accompagnés en Suisse
1. POURQUOI ET COMMENT PARTIR DE CHEZ SOI
1.1. Les raisons de l’émigration
Les enfants séparés peuvent être en quête d’asile par crainte de persécution, par manque de
protection pour cause de violation de droits de l’homme, en raison d’un conflit armé ou d’une
agitation dans leur propre pays. Il se peut aussi qu’ils soient victimes d’un réseau de
prostitution ou d’une autre forme d’exploitation ou qu’ils décident de partir pour échapper à
de grandes privations.
Les raisons de l’émigration des mineurs non accompagnés sont donc multiples. Elles peuvent
s’entremêler et souvent s’entremêlent. Il convient de préciser que dans les procédures d’asile,
les principaux motifs allégués sont les crises politiques, les guerres civiles et religieuses, les
conflits ethniques, la persécution ou la discrimination des minorités.
Nous avons regroupés les causes en deux catégories :
•
les causes sociales et économiques qui sont l’ensemble des contraintes liées à
l’environnement familial, local, national du mineur, et qui rendent difficiles ses
conditions matérielles d’existence. Le mineur n’a pas de contrôle sur elles mais elles
déterminent sa décision ou celle de ses parents de le pousser à partir à l’étranger. Il
s’agit généralement de la situation politique instable, des guerres civiles, de la
persécution des minorités.
•
les raisons plus psychologiques touchant à l’état d’esprit du mineur ou de ses proches,
telles que la frustration, la peur découlant du manque de perspectives, l’ambition des
parents, etc… Elles sont influencées par les causes socio-économiques.
1.1.1 Les raisons sociales et économiques
a)
La situation politico-sociale (guerres civiles, conflits ethniques, embargos)
L’insécurité généralisée dans tout ou partie d’un pays, ou tout simplement les tensions
internes, sont une cause majeure de mouvements des populations qui décident alors de
quitter leur domicile en quête d’un lieu plus sûr. Leur souci est de se mettre à l’abri du
danger.
Les premiers dangers sont les agressions dirigées contre l’intégrité physique : les
assassinats, la torture, le viol, etc. Dans certains cas individuels, sans qu’il y ait de conflit
ouvert, l’Etat ne parvient pas à assurer la protection de ses ressortissants menacés par leurs
concitoyens, par exemple en raison des déficiences d’un système judiciaire, de la corruption
ou de valeurs culturelles contraires, notamment quant au statut de la femme…
D’une part, les conflits armés ont changé de nature pour se dérouler aujourd’hui à l’intérieur
des frontières avec des acteurs dont les motivations ne sont pas toujours claires. D’autre part,
les attaques sur les civils et sur leurs biens ne sont plus une conséquence indirecte et
involontaire de la guerre mais une stratégie bien établie. Et comme l’affirme la directrice de la
division de la protection internationale au Haut-Commissariat des Nations Unies pour les
5
La situation des mineurs non-accompagnés en Suisse
Réfugiés (HCR), les attaques sont alors lancées de manière intentionnelle sur les civils pour
les forcer à quitter leurs maisons et à abandonner leurs propriétés.3
Dans ces conditions, il n’est plus nécessaire de se sentir personnellement visé pour quitter
son domicile. C’est ainsi qu’en plus des activistes politiques identifiés comme tels ainsi que
leurs familles, qui ont toutes les raisons de craindre pour leur vie et leur liberté, des citoyens
anonymes peuvent se sentir également dans l’obligation de quitter leur domicile.
Il en est ainsi particulièrement lorsqu’on considère par exemple que la plupart des guerres
civiles qui se déroulent sur le continent africain ont une connotation ethnique. Une personne
peut ainsi se trouver en danger même sans activité politique connue mais par le simple fait
de son appartenance à une ethnie, appartenance aisément identifiable par son apparence
physique, les traits de son visage ou la consonance de son nom.
Dans ce contexte incitant bon nombre d’êtres humains à fuir, les enfants se trouvent vite
être parmi les plus vulnérables.
Par ailleurs, les situations de guerre et de troubles internes ont également comme
conséquence la destruction du tissu social et économique et la désorganisation des structures
de production et de distribution, plongeant les populations civiles de la région concernée
dans la misère et l’extrême pauvreté.
Il a, par exemple, été constaté que la plupart des victimes civiles des guerres internes ne
meurent pas directement du fait de la guerre mais de ses conséquences indirectes comme la
maladie et la famine.4 Dans ces conditions, les sanctions internationales imposées aux
belligérants n’en compliquent que davantage les conditions de vie des populations.
Quant aux mineurs en temps de guerre, certains quittent leur domicile pour partir avec des
connaissances ou en compagnie des familles amies. S’agissant de la fuite, elle se fait
souvent par cercles concentriques. Il y a des civils qui décident de rester sur place, d’autres
qui quittent les zones de combat pour aller trouver refuge dans une partie du pays ou qui
traversent la frontière pour aller se réfugier dans les pays voisins ; certains enfin continuent
leur route jusque dans les pays occidentaux d’Europe ou d’Amérique. Dans le chaos et dans
l’urgence de ces départs, il n’est pas rare que les enfants se trouvent séparés de leur famille.
Dans la débandade générale, ils ne savent pas le chemin pris par leurs membres leur famille
et leurs proches. Ils deviennent des mineurs non accompagnés déplacés à l’intérieur de leur
pays ou réfugiés sur le territoire d’un pays étranger.
b)
Accès à l’information (médias donnant une image idyllique de l’occident)
La décision de partir en Occident peut également être la conséquence d’une information
tronquée sur la réalité de la vie dans le pays de destination et le difficile parcours d’un
requérant d’asile.
3
Erika Feller, International refugee protection 50 years on : The protection challenges of the past, present and
future, in Revue internationale de la Croix-Rouge, septembre 2001, vol. 83, p.587
4
En 2002 on dénombrait à l’Est de la RD Congo environ 2 millions de morts en quatre ans de guerre civile,
victimes essentiellement de la famine et des maladies (L'Afrique meurtrière : Guerre civile au Congo, ARTE,
Thema 29.07.2003 ,copyright ZDF 2003)
6
La situation des mineurs non-accompagnés en Suisse
En Afrique par exemple, dans tous les milieux, en particulier parmi les jeunes, est répandue
la croyance que l’Occident est l’endroit où coule le lait et le miel. La tentation est alors
grande de ne pas affronter les difficultés sur place pour trouver des solutions aux problèmes
qui se posent mais d’aller en Occident où tout est possible et la vie meilleure.
Les médias ne jouent pas un rôle anodin : la télévision et la radio montrent en général de
l’Europe un visage attrayant, la nourriture abondante, les routes bien faites et bien
entretenues, les moyens de transport en commun et individuels accessibles à tous, des
habitants heureux et en bonne santé, un système scolaire sans grève, du travail pour tous,
des sportifs fortunés, des vêtements, y compris ceux de marque, en quantité et à la portée de
chacun.
La réalité de la vie quotidienne n’est pas transmise; les difficultés du périple de migrant,
l’isolement et la solitude, les difficultés du marché de l’emploi, le chômage, la pauvreté
parmi les "riches"... Et comme le souligne le rapport d’information de l’Assemblée
nationale française sur les diverses formes d’esclavage moderne : "Les médias contribuent
également à créer une image irréaliste de l’Europe de l’Ouest, en diffusant l’image d’une
société idéale et prospère où la vie est meilleure. Au contraire, dans certaines régions, le
manque cruel de possibilités de s’informer joue également un rôle déterminant. Dans les
zones rurales de Moldavie, où l’électricité est coupée presque chaque jour, où les
informations écrites et audiovisuelles n’arrivent qu’au compte-gouttes, comment faire
savoir que le monde occidental n’est pas vraiment l’Eldorado auquel ces jeunes veulent
croire"5
Il n’est pas inutile de relever le cas particulier des sportifs. La vue dans les médias
occidentaux de la réussite des jeunes footballeurs évoluant dans les championnats européens
encourage aussi d’autres jeunes à tenter leur chance à tout prix. C’est ainsi par exemple que
des sportifs d’Afrique noire en compétition officielle au Maghreb ne reprennent pas l’avion
pour retourner dans leur pays à l’issue de la compétition et choisissent la clandestinité pour
tenter de rejoindre l’Europe par leurs propres moyens. Ils espèrent y briller de la même
manière, sans savoir qu’à côté de cette infime minorité dans la lumière, des centaines
d’autres ont sombré dans la clandestinité et les petits boulots.
En dehors des médias, les membres de la communauté ethnique déjà établis en Europe
propagent aussi des idées inexactes sur leur vie d’exilés.6 Les récits qu’ils font de leur vie
sont embellis à souhait pour fasciner ceux qui sont restés au pays. Et lorsqu’ils y sont en
visite l’étalage de leur réussite apparente (les vêtements de marque, la quantité et la qualité
des biens rapportés) finissent de convaincre ceux qui n’ont pas encore tenter l’aventure
occidentale.
Ces membres de la communauté nationale vivant déjà en Occident se portent volontaires
pour soutenir dans leurs démarches et lors de leur arrivée à destination, les amis, les
membres de famille et les jeunes du quartier qui voudraient les imiter.7 Le choix de la
5
Assemblée nationale française, "Rapport d’information déposé en application de l’art. 145 du Règlement par
la mission d’information commune sur les diverses formes de l’esclavage moderne".
6
Tel est notamment le cas des filles exploitées sexuellement.
7
"Comme les flux migratoires se développent aussi très souvent en raison de l’attrait que les migrants exercent
sur leur entourage, les nouveaux immigrés sont rejoints par des proches, créant d’importantes filières
d’immigration. " Marcello Valli : Les migrants sans permis de séjour à Lausanne, mars 2003, p.18. "Par ailleurs,
toute diaspora africaine qui s’établit longuement dans un pays européen suite à un conflit armé attire à soi des
migrations secondaires et des demandes d’asile fondées de même origine, même des années après la phase aiguë
7
La situation des mineurs non-accompagnés en Suisse
Suisse comme pays d’asile peut donc s’expliquer aussi par ce rôle d’attraction que jouent
les nationaux déjà présents dans le pays.8
S’agissant de l’Afrique en particulier, la musique porte aussi l’image idyllique de l’Occident
et participe à la fascination. Dans de nombreux pays en effet, la musique a une forte
influence sur les jeunes. Les musiciens qui sont des stars et des faiseurs d’opinions,
entretiennent le mythe de l’Occident dans leurs chansons en vantant leur séjour à Paris,
Londres, Bruxelles, Genève, etc. Et les jeunes qui les imitent y compris dans la façon de
marcher, de parler et de s’habiller sont encouragés dans leur volonté de partir à tout prix
pour prendre part à cette vie d’abondance et de luxe.9
Il est sans doute utile de rappeler que la convention de 1969 relative aux réfugiés applicable
sur le continent africain reconnaît automatiquement la qualité de réfugié à toute personne
qui a quitté son pays pour échapper à la guerre ou à des troubles généralisées, sans que cette
personne ait à prouver nécessairement la menace de persécutions dirigées contre elle
particulièrement.10 Il est possible que la tendance des ressortissants africains sollicitant
l’asile en Europe à s’attribuer une nationalité d’un pays en guerre soit motivée en partie par
l’espoir que cela suffira pour obtenir le statut de réfugié. En tout cas cette auto-attribution
empêche l’exécution du renvoi en vertu du principe de la non-exigibilité.11
Un dernier volet relatif à la question de l’information disponible concerne les
représentations diplomatiques et consulaires des pays occidentaux dans les pays
d’émigration. Les informations sur le séjour éventuel d’un étranger en Europe sont
essentiellement de nature touristique vantant les paysages magnifiques et la bonne
disposition des autochtones à l’égard des étrangers. Il n’y a pas d’information sur la
condition des migrants, le statut, la loi applicable, etc...
c)
Déficience du tissu familial (parents décédés, familles séparées, rupture du lien)
La crise économique et sociale qui frappe la plupart des pays pauvres a des conséquences
non-négligeables sur les familles. Les contraintes économiques et la précarité ont créé une
instabilité dans les liens familiaux. La solidarité de jadis n’est plus qu’un lointain souvenir.
Les enfants qui ont perdu leurs parents dans la guerre ou la maladie ne peuvent plus
compter sur leur famille et sont obligés de se débrouiller tout seuls. Les veuves et les
orphelins ne peuvent compter sur les institutions étatiques pour les protéger. Là où elles
existent, ces institutions sont trop faibles et le personnel peu formé.
du conflit" : Jörg Frieden : L’Afrique en Suisse :asile et migration. Eléments d’analyse et de politique, Berne
2002, p.2
8
"Dans chaque cas, qu’il s’agisse de migration ou de protection, la diaspora résidente joue un rôle d’attrait et
d’accueil significatif. " Jörg Frieden, op. cit., p.1
9
En 1997, le CICR a lancé une campagne de sensibilisation à la non-violence en Afrique et a associé à ce projet
des musiciens connus (Youssou N’Dour, Papa Wemba, Lucky Dube, etc) en leur demandant de faire un disque
(So Why ?).
10
Le terme "réfugié" s’applique également à toute personne qui, du fait d’une agression, d’une occupation
extérieure, d’une domination étrangère ou d’événements troublant gravement l’ordre public dans une partie ou
dans la totalité de son pays d’origine ou du pays dont il a la nationalité, est obligée de quitter sa résidence
habituelle pour chercher refuge dans un autre endroit à l’extérieur de son pays d’origine ou du pays dont il a la
nationalité. (art.1,2 convention de l’OUA de 1969 régissant les aspects propres aux problèmes des réfugiés en
Afrique)
11
art 14a,4 LSEE. Sur ce sujet, voir infra p.38 sur la non-exécution du renvoi.
8
La situation des mineurs non-accompagnés en Suisse
Il arrive que les membres de la famille (généralement paternelle) du défunt s’emparent des
biens de la succession. Or, si les traditions ancestrales autorisent la famille à se partager la
masse successorale, c’est à charge de prendre soin de la femme du défunt et de ses enfants.
Une étude d’une ONG française sur les enfants de la rue à Kinshasa a mis en lumière la
relation entre les conflits de succession et la prolifération des enfants de la rue accusés de
sorcellerie et déguerpis du domicile parental.12
La crise économique a également un impact sur la cohésion des familles souvent
nombreuses qui ne peuvent plus entretenir leur progéniture. Les enfants doivent faire preuve
de dynamisme et de créativité pour survivre et prendre soin d’eux-mêmes. Ils ne tardent pas
à croiser le chemin de quelques trafiquants désireux de les aider à aller en Occident.
S’agissant des jeunes comme ceux de l’Afrique de l’Ouest (Libéria, Sierra Léone, Guinée),
la guerre et les troubles internes ont créé un certain nomadisme, une culture de déplacement
d’un endroit à l’autre, soit à l’intérieur d’un même pays, soit d’un pays à un autre. Les
attaches à une famille, un village, un quartier, un travail, une école, etc. sont faibles. La
décision d’aller tenter sa chance à l’étranger lorsque les circonstances se présentent est vite
prise. Et de tels jeunes, souvent évoluant en bandes n’aspirent plus qu’à aller faire fortune
en Occident après avoir fait de menus trafics au pays, par exemple dans le petit commerce,
les salons de coiffure, l’exploitation artisanale des pierres précieuses comme le diamant13, le
trafic de stupéfiants, etc. Ils se motivent mutuellement pour partir coûte que coûte et la
réussite d’un des leurs dans son projet de voyage en Europe nourrit la détermination des
autres à en faire de même.
En outre, la polygamie et la modification du rôle de la femme dans la société affaiblissent
encore les attaches familiales. D’ailleurs il a été constaté une augmentation du nombre de
jeunes femmes arrivant seules sur le territoire helvétique14.
1.1.2 Les raisons psychologiques
Les raisons du départ à l’étranger peuvent naître dans l’environnement psychologique du
candidat à l’exil ou de son entourage.
a)
Peurs, frustrations et désespoir dus au manque de perspectives professionnelles
Les Etats subissant des crises politiques ou/et économiques sont en grande partie dans
l’impossibilité de créer les conditions favorables à un épanouissement personnel et
professionnel. L’accession à l’indépendance des Etats colonisés ou la chute du Mur de
Berlin ont suscité d’énormes espoirs dans l’esprit des populations en termes de travail, de
position sociale et de richesse.
Par exemple, en Afrique, toute une génération d’hommes et de femmes ont connu la réussite
et la promotion sociale grâce à l’école et a pu faire rêver les jeunes qui voyaient en elle un
modèle. Pendant ces années-là, ceux qui allaient poursuivre des études en Occident se
hâtaient de retourner au pays avec leurs diplômes pour y occuper des postes prestigieux.
12
Bureau international catholique pour l’enfance (BICE) : les enfants dit "sorciers" in Enfants de Partout, n°93,
2003, pp.4-5
13
On notait entre 1999-2000 en Guinée une présence importante d’enfants seuls dans la région de Banankoro à
l’est du pays où se pratiquait l’exploitation artisanale des mines de diamant.
14
Voir dans ce sens: Marcello Valli, op. cit., pp.3, 16 et Jörg Frieden, op. cit., p.4
9
La situation des mineurs non-accompagnés en Suisse
De nos jours cependant, les jeunes n’ont plus de quoi rêver sinon de s’échapper. Même les
personnes instruites ne trouvent pas de travail. Et ceux qui en trouvent ne peuvent pas
décemment en vivre. Les jeunes se retrouvent alors sans horizon et sans avenir dans leur
propre pays, et l’école perd de son utilité et de son prestige.
Il n’est pas étonnant dès lors que dans les pays comme la Guinée où l’école est gratuite15,
les jeunes ne se sentent pas toujours motivés. Et dans le sud-est du pays, la région dite
forestière, on trouve parfois des bâtiments d’écoles flambant neufs mais abandonnés faute
d’élèves. Et si pendant ce temps, ceux qui ont émigré à l’étranger peuvent se permettre de
payer des maisons, envoyer régulièrement de l’argent à leurs familles et créer de petites
entreprises, alors que ceux qui sont restés au pays ne peuvent se le permettre, les jeunes ont
vite fait leur choix pour ne pas finir comme ces loosers.
S’agissant des jeunes en échec scolaire particulièrement, le départ pour l’Europe peut
constituer la seule voie pour prendre une revanche sur l’école, les maîtres et les camarades
plus doués. L’Europe leur apparaît ainsi comme la seule issue vers une reconnaissance
sociale qui leur est refusée et qu’ils ne pourraient conquérir autrement.
Et pour les mineurs qui étaient déjà réfugiés prima facie, (reconnaissance collective de la
qualité de réfugié en application de la convention africaine de 1969 ; par exemple les Sierra
Léonais ou les Libériens en Guinée), en particulier ceux ayant fait un séjour dans les camps
des réfugiés, il a été démontré que le manque de moyens a contraint à ce jour le HCR à ne
garantir que l’instruction primaire. Au-delà de ce stade, rien n’est prévu pour ces jeunes en
dehors de quelques formations aux travaux manuels. Il en résulte chez certains un sentiment
de frustration et de gâchis qui les pousse parfois à succomber aux sirènes des groupes armés
pour donner un sens à leur vie.16
Dans ces conditions, l’envie d’aller tenter sa chance en Europe est très forte et encouragée
par les parents et les proches.
b)
Ambition des parents
Comme il a déjà été mentionné plus haut, les conditions de vie dans certains pays,
notamment d’Afrique, se sont considérablement dégradées. Divers facteurs ont créé un
terrain favorable aux guerres civiles, à l’instabilité politique, et la destruction du tissu social
et économique.17
Dès lors, l’espoir de mener une vie décente est devenu chaque jour plus incertain.
L’exemple des migrants partis en Europe, et qui parviennent à aider leurs proches grâce à un
apport régulier en argent, encourage les familles à mettre tout en œuvre pour réunir les
moyens nécessaire à l’exil de l’un de leurs enfants, lequel pourrait en faire autant.
Le rapport sur la clandestinité à Lausanne18 a relevé par exemple que contrairement à
l’opinion répandue, ce n’est pas les plus pauvres qui émigrent. Car une telle entreprise
15
Les familles doivent cependant fournir l’uniforme, les fournitures scolaires et, dans les villes, assurer le
transport de leurs enfants. Peu de familles malheureusement en sont capables.
16
Jean-François Durieux, Preserving the civilian character of refugee camps : Lessons learned from the Kigoma
Refugee Programme in Tanzania, Rapport, Genève, 1999.
17
Voir supra, sous 1.1.1 a).
18
Marcello Valli, op. cit., p.16.
10
La situation des mineurs non-accompagnés en Suisse
nécessite un investissement important. "Le mouvement de personnes se met aussi au service
des stratégies collectives, tant légales qu’illégales, de la famille ou de groupes organisés qui
envoient des proches ou des associés pour échanger entre l’Afrique et l’Europe des biens et
des services dont les prix divergent considérablement entre les deux continents".19
Il n’est pas rare en effet que la maison familiale (ou d’autres biens de valeur) soit tout
simplement mise en vente pour réunir les moyens nécessaires au voyage de l’enfant et faire
face à toutes les dépenses qu’une telle entreprise implique. Cet élément démontre à
suffisance la complexité de la situation : si la précarité et la pauvreté dans un pays ou une
région poussent des personnes à partir à la recherche d’une vie meilleure en Europe, ce ne
sont pas les plus pauvres qui partent.20
Et d’après Jörg Frieden, la pauvreté n’est pas la cause directe de cette migration mais la
curiosité, l’énergie et l’initiative des personnes décidées à améliorer leur sort et attirées par
les opportunités facilement offertes "en apparence" dans les sociétés du bien-être. Sous cet
angle, la migration est l’expression de l’intégration réelle, bien qu’incomplète, des Etats et
des sociétés africaines dans l’espace économique international.21
Et pour résumer la situation, M. Valli cite des travaux réalisés sur les sans-papiers en
Belgique : "Les migrations n’ont donc pas de logique identifiable aux seules conditions
socio-économiques dans le pays d’origine. La logique qui prédomine est davantage liée aux
résultats attendus dans le pays d’immigration".22
A toutes les étapes du projet migratoire, il est souvent fait recours à des intermédiaires. Ces
intermédiaires travaillent pour leur propre compte ou pour une filière organisée de passeurs
qui promettent contre paiement de faire aboutir le projet de l’enfant et lui apporter l’aide
nécessaire à son arrivée sur place.
Les parents attendent en retour un apport régulier en argent pour résoudre les problèmes de
la vie quotidienne, voire même une somme importante pour initier une activité génératrice
de revenus. A terme, l’enfant pourrait aussi aider d’autres proches à tenter la même
expérience, augmentant d’autant le revenu de la famille pour l’aider ainsi à gravir les
marches de l’échelle sociale.
Il pèse alors sur l’enfant une responsabilité et un poids moral énormes de mériter la
confiance placée en lui par sa famille. Il se sent alors dans l’obligation de réussir dans les
délais plus ou moins courts et à tout prix.
Il n’est pas certain que les familles aient une idée claire de la façon dont cet enrichissement
rapide devrait être atteint en Europe par leurs enfants. Ils comptent sûrement sur les
structures en faveur de la protection de l’enfance mis en place dans les pays industrialisés
pour protéger leurs enfants. C’est pourquoi ces familles considèrent qu’il s’agit en somme
d’une migration comportant des risques faibles ou tout au moins des risques nécessaires
19
Jörg Frieden, op. cit., p.1
L’intervention croissante des réseaux mafieux dans la migration des jeunes notamment d’Afrique de l’Ouest
vers l’Europe (la Suisse en particulier) tend à battre en brèche cette théorie. Ils recrutent de préférence dans les
familles modestes. (M. Abou Diallo, entretien du 16 juillet 2003).
21
Jörg Frieden, op. cit., p.1
22
Adam Ilke et al., Histoires des sans-papiers, Bruxelles, Editions Vista, 2002, P.45, in Marcello Valli, op. cit.
p.16
20
11
La situation des mineurs non-accompagnés en Suisse
proportionnellement aux bénéfices qu’ils pourraient obtenir pour l’ensemble de la famille23
Mais il est aussi vraisemblable que les parents considèrent leurs enfants comme
suffisamment grands pour gagner de l’argent en travaillant.
En effet, on dénombrait en Suisse pour 1999 un nombre total de 64.068 demandeurs d’asile
dont 1.775 mineurs non accompagnés, soit 4% du nombre total. Et 93% de ces mineurs
avaient 15 et 18 ans. En 2000 : 17.611 requérants d’asile dont 727 (soit 4,1%), mineurs non
accompagnés et 92, 8 % âgés de 15 à 18 ans. En 2001 : 20.633 demandeurs d’asile dont
1.387 mineurs, (6,7%), 96,4% âgés de 15 à 18 ans. En 2002 : 26.125 demandeurs d’asile
dont 1.673 MNA (6,4%), 96,5% âgés de 15 à 18 ans.24
Dans de nombreuses cultures (et en Afrique en particulier), les jeunes de cet âge sont
considérés comme parfaitement aptes à travailler. Et n’ayant aucune idée sur la réalité du
marché du travail en Europe, les parents s’imaginent sans doute qu’il suffit d’arriver sur le
sol européen pour trouver du travail et donc gagner de l’argent.
D’autre part, sur le marché local du travail une certaine demande de travailleurs jeunes et
pas chers existe, par exemple dans l’hôtellerie, la restauration, l’habillement et l’agriculture.
Plusieurs recherches l’ont relevé.25 Il est difficile cependant à ce jour de savoir le rôle
qu’elle joue comme facteur d’attraction des migrants en provenance d’Afrique, en
particulier lorsqu’il s’agit de la migration des mineurs.
Mais si on considère que des jeunes migrants africains, dont certains requérants d’asile, sont
actifs dans des secteurs d’activités en marge de la loi, comme la vente de drogue,26 on serait
plutôt tenté d’accréditer la thèse selon laquelle les organisations criminelles jouent un rôle
de premier plan dans l’organisation du voyage, qui se ferait alors à dessein pour alimenter
ce trafic illégal.27
La situation des mineurs non accompagnés en provenance d’autres régions n’est pas
différente. Les réseaux criminels y sont certainement actifs. On a ainsi constaté qu’en
Belgique et en France les mineurs confiés aux centres d’accueil n’arrivaient pas toujours à
destination ou ne s’y éternisaient pas et disparaissaient après avoir pris une douche et un
repas. La présence de voitures suspectes a également été signalée aux abords des centres.28
Les éléments précis font défaut pour circonscrire le phénomène de la migration des mineurs
organisée par des trafiquants de drogue pour le besoin de leur trafic. D’autre part il est
possible que des jeunes basculent dans ces milieux après leur arrivée en Europe lorsqu’ils
découvrent l’écart énorme entre les rêves de richesse caressés au départ de leur pays
d’origine et les difficultés pratiques pour entrer sur le marché du travail et pour se procurer
les biens matériels si abondants et à portée de main.
23
www.iom.int , "Trafficking in unaccompanied minors for sexual exploitation in the European Union", May
2001, p.12
24
Statistiques de l’ODR, 2002. Voir infra sous 2.1.2
25
Marcello Valli, op. cit., pp.16, 32-33
26
Jörg Frieden, op. cit., p.4
27
M. Abou Diallo, entretien précité
28
www.kleinkasteeltje.be , "mineurs non accompagnés: enfermer n’est pas protéger", in Conférence de presse du
22 août 2001 de la Plate-forme "mineurs en exil". Aussi : entretien du 18 mars 2002 de Patrick Moser au
Ministère de la Justice française, Bureau des Affaires judiciaires et de la législation, Direction de la Protection
judiciaire de la Jeunesse, et entretien du 19 mars 2002 avec M. Brassat, directeur du centre de la Croix-Nivert,
accueil d’urgence, Paris.
12
La situation des mineurs non-accompagnés en Suisse
Pour jeter de la lumière sur ce phénomène, il faudrait des études approfondies notamment
auprès des jeunes eux-mêmes pour connaître leur parcours. L’étude des moyens de leur
émigration peut aussi nous renseigner.
1.2. Les moyens de l’émigration
Les candidats à l’émigration ont recours à une diversité de moyens. Et dans ce domaine leur
imagination n’a pas de limite pour contourner le durcissement des conditions d’accès au
territoire des Etats occidentaux. Ils peuvent recourir à des passeurs ou obtenir un visa grâce à
l’invitation d’un parent ou d’un ami.
Le mineur candidat à l’exil doit disposer d’une somme d’argent importante pour entreprendre
son périple européen. Mais les informations dont il dispose pour entreprendre son voyage sont
souvent inexactes.
1.2.1 Les organisations criminelles
Les pays d’Europe occidentale, dont la Suisse, ont durci leur législation en matière
d’immigration, notamment pour l’obtention d’un visa. Mais cela n’a pas découragé les
vocations à l’émigration chez les personnes originaires des pays émergeants. Dans ces
conditions, il s’est créé et développé un marché florissant de passeurs. Ces derniers exploitent
le besoin présent dans une population toujours plus croissante et désireuse d’atteindre
l’Occident pour y faire fortune et/ou échapper à diverses persécutions. tout simplement pour
mener une vie décente, et échapper aux privations de leur quotidien.
La question des moyens pour atteindre les Etats de l’espace Schengen et la Suisse a tout
récemment fait la une des journaux après le naufrage, le 20 juin 2003 au large de la Tunisie,
d’une embarcation transportant 250 immigrants illégaux originaires d’Afrique noire. Deux
cents clandestins périrent noyés. La presse commenta longuement le rôle néfaste joué par les
passeurs qui ne reculent devant rien pour exercer leur trafic et alimenter l’immigration
clandestine.29
Ces derniers promettent souvent d’apporter leur concours pour faire traverser les frontières
des Etats, soit au point des passages officiels avec la complicité des agents impliqués dans le
trafic, soit de manière illégale à travers des endroits uniquement connus des membres du
réseau.30
S’agissant des migrants en provenance d’Afrique noire, il est apparu à la suite du naufrage
tragique précité que grâce aux passeurs, les candidats à l’émigration remontent le continent en
direction des pays du Maghreb via le désert du Sahara. Une fois arrivés au Maroc, en Tunisie
ou en Algérie, ils prennent des embarcations pour traverser la Méditerranée et accostent en
Espagne, en Italie ou en France. Le voyage dure des mois voire des années au cours desquels
il faut trouver les moyens de survivre grâce à de petits boulots comme employés de maison ou
dans le bâtiment. Des ghettos entiers (comme celui du quartier de Dely Ibrahim à Alger) se
sont ainsi créés dans ces pays de transit où s’entassent les candidats en route pour l’Europe.31
Parmi eux des mineurs non-accompagnés sous surveillance d’un adulte.
29
Caroline Stevan, L’union européenne en butte aux galère des clandestins, in Tribune de Genève du 26 juin
2003, p.6
30
Christian Lecomte, Immigration clandestine : les longues traversées des naufragés du désert et de la mer, in Le
Temps du 24 juin 2003, p.29
31
idem
13
La situation des mineurs non-accompagnés en Suisse
C’est le point de vue de Caroline Stevan. "Globalement, les jeunes hommes célibataires sont
d’autant plus nombreux que leur pays d’origine est éloigné. Mais la proportion de femmes,
d’enfants et de familles augmente. La plupart des migrants irréguliers sont âgés de 15 à 40
ans".32
Cette position est d’autant plus vraisemblable qu’il semble que les mineurs non accompagnés
ne viennent pas en Suisse par avion.33 Il est par conséquent permis d’admettre que des enfants
puissent accoster clandestinement en compagnie des adultes sur les côtes méditerranéennes
des Etats de l’espace Schengen et parviennent en Suisse par la voie terrestre avec l’aide des
passeurs.34
Sur cette question le rapport Frieden affirme : "Les requérants d’asile, qu’ils se fassent ou non
aider par les passeurs, semblent entrer majoritairement en Europe par la voie maritime, à
travers la Méditerranée, puis l’Italie ou l’Espagne. Ils auront traversé le Sahara en transitant
par le Niger soit par le Mali ou auront remonté progressivement la côte ouest-africaine à bord
de toutes sortes d’embarcations. Ce voyage peut prendre des mois, voire des années".35
Outre la filière africaine, celle des pays de l’Europe de l’Est comporte deux axes, l’une qui
passe par l’Allemagne et l’autre qui traverse l’Italie.36 D’autre part, il existe des réseaux
chinois qui exploitent des mineurs confiés parfois par les parents eux-mêmes. Ils opèrent
grâce à des visas obtenus pour des séjours dans des pays d’Afrique. Au cours de l’escale dans
un pays d’Europe occidentale, les migrants sortent et sont pris en mains par une
organisation.37
Mais les passeurs peuvent également procurer à l’enfant des documents fabriqués, avec un
faux visa ayant toutes les apparences d’un vrai.
Car dans la foulée des réseaux, est né un trafic important de faux documents grâce à des
personnes dotées de dons certains de contrefaçon. Il n’est pas rare que les chancelleries
occidentales se lancent dans une course-poursuite avec les faussaires en changeant
régulièrement la forme des visas avant qu’ils ne soient reproduits par les malfaiteurs et
délivrés en série hors des ambassades.
Il n’est pas clair jusqu’à quel point les techniques modernes de contrôle des documents de
voyage dans les aéroports sont fiables et quelle est leur marge d’erreur. Cependant, les
contrôles aux frontières ainsi que les restrictions dans la politique d’octroi de visas et de
permis de séjour ne peuvent pas supprimer l’immigration illégale. Pour l’instant ces mesures
ont eu pour effet immédiat de limiter l’immigration légale sans arriver à supprimer
l’immigration illégale. Les mineurs ont d’ailleurs tendance à se débarrasser de leurs papiers
d’identité.
32
Caroline Stevan, op. cit.
Contacté par Patrick Moser, l’aéroport de Kloten à Zurich déclare n’avoir jamais constaté l’arrivée de MNA
par avion et pense que ce moyen de transport serait hors de portée des ressources financières des enfants.
34
Si on peut considérer les pays limitrophes comme point de départ des migrants entrant illégalement en Suisse,
on peut également admettre que des personnes entrées légalement en Suisse en possession d’un visa traversent
ensuite la frontière pour s’introduire sur le territoire d’un Etat de l’espace Schengen.
35
Jörg Frieden, op. cit., p.3
36
Il existe également la filière: Asie-Moyen-Orient-Europe via la Turquie ou la Syrie. (Caroline Stevan : op. cit.)
37
Assemblée nationale française, op.cit
33
14
La situation des mineurs non-accompagnés en Suisse
1.2.2 Le visa obtenu grâce à l’invitation d’un parent ou d’un ami
Outre l’immigration illégale exposée ci-haut, il est possible que le mineur obtienne un visa en
toute légalité.
L’enfant peut ainsi voyager en compagnie d’un adulte qui le fait passer pour un de ses enfants
car l’embarquement d’enfants seuls à bord des avions est désormais soumis à des conditions
très restrictives.
D’autre part, le mineur qui a des amis ou de la famille en Europe peut obtenir une invitation
grâce à laquelle il peut se faire délivrer un visa. Dans ce cas, les personnes concernées lui
fourniront les documents nécessaires pour se faire accepter à bord de l’avion, et la garantie
qu’elles viendront le chercher à l’aéroport de destination.
S’agissant des sportifs et des artistes, l’invitation peut venir d’un sponsor, d’un producteur,
d’un club sportif ou d’un agent. Le mineur peut dans ce cas, s’il a décidé d’introduire une
demande d’asile, faire disparaître ses papiers dans l’avion pour éviter toute identification et
tout renvoi éventuel si sa demande est rejetée.
Il peut également séjourner légalement pendant une période donnée, celle de la validité de son
visa d’entrée, puis décider à échéance de rester grâce à une demande d’asile et ne pas honorer
l’obligation de retourner dans son pays. Dans ce cadre, la délivrance des visas de touriste a
tout simplement été rendue quasi-impossible dans plusieurs chancelleries occidentales pour
les ressortissants de certains Etats d’Afrique.
Une autre pratique qui se répand est celle d’obtenir un visa pour assister à une conférence ou
un cours, et ensuite refuser de retourner dans son pays en introduisant une demande d’asile
avant, pendant ou après le cours ou la conférence.
Il existe également diverses possibilités pour obtenir légalement (mais indûment) un visa :
1. se faire enregistrer sur la liste d’une troupe d’artistes en tournée en Europe,
2. se faire enregistrer sur la liste des joueurs d’une équipe appelée à participer à une
compétition sportive
1.2.3 Se faire passer pour l’enfant d’un diplomate voyageant
ou se trouvant à l’étranger
Ces démarches nécessitent bien sûr une entente préalable avec les personnes intéressées qui
acceptent un paiement en échange de leur collaboration pour faciliter la supercherie.
Il est difficile de dire dans quelle mesure les mineurs qui nous intéressent recourent ou ont
recouru à l’une ou l’autre des possibilités d’obtention d’un visa telles qu’énumérées ci-haut.
Rappelons cependant que le recours à des pratiques illégales d’immigration n’a en principe
aucune incidence sur les mérites d’une demande d’asile.38 Il suffit que le requérant d’asile
fournisse à l’auditeur, entre autres, les renseignements utiles sur son identité, son origine et
son parcours, et honore ainsi de son devoir de collaboration pendant la procédure d’asile.39
Mais le mineur arrivé en Suisse peut aussi décider de ne pas faire de demande d’asile.
38
39
Cf. art 31 Convention de 1951 relatif au statut des réfugiés
Art 13 PA, art 8 LAsi.
15
La situation des mineurs non-accompagnés en Suisse
2. LE SEJOUR EN SUISSE :
L’ASILE OU LA CLANDESTINITE
Dès son arrivée en Suisse, la présence du MNA sera régie par le droit des étrangers. A l’heure
actuelle, sous réserve de quelques exceptions plutôt anecdotiques40 la Suisse ne reconnaît la
pleine et entière libre circulation sur son territoire aux ressortissants d’aucun Etat. Le droit de
présence n’est accordé qu’à la suite d’une procédure aboutissant à la délivrance d’une
autorisation individuelle.41 C’est ainsi que le MNA qui arrive en Suisse doit commencer une
procédure de régularisation de sa situation conformément à la loi sous peine de tomber dans la
clandestinité.
La législation sur la présence des étrangers sur le territoire helvétique peut être structurée en
deux régimes: celui dit ordinaire et ceux dits spéciaux.42
Le régime ordinaire est celui qui est fondé sur la LSEE43 et ses actes normatifs dérivés. Il
connaît deux sortes d'autorisations de présence de l'étranger sur le territoire suisse:
l’autorisation de séjour et l’autorisation d'établissement.44 Ses orientations actuelles résultent
de la révision de l'ordonnance sur la limitation du nombre d'étrangers (…) qui donne la
préférence aux ressortissants des pays de l’Union européenne (UE) et de l'Association
européenne de libre échange (AELE). En revanche, la politique d'admission à l'égard des
étrangers non-ressortissants des pays de l'UE et de l'AELE est très restrictive. Une ouverture
est réservée seulement aux cadres, spécialistes et aux personnes qualifiées.
C'est ainsi que les MNA venant des pays non membres de l'AELE ou de l'UE auront peu de
chance à cause des conditions posées, de régulariser leur situation par le biais d'un permis de
séjour B45, L46, G47, ou Ci48 ou encore d'un permis d'établissement C49.
Les régimes spéciaux quant à eux sont ceux reposant sur les accords bilatéraux et le droit
d'asile. Le régime spécial des accords bilatéraux est fondé sur trois textes: Le premier est
l'Accord du 21 juin 1999 entre la Communauté européenne et ses Etats membres et la Suisse
sur la libre circulation des personnes50. Le second est l'Accord du 21 juin 2001 amendant la
Convention du 04 janvier 1960, instituant l'Association européenne de libre échange,51 et le
40
Loi fédérale sur le séjour et l’établissement des étrangers du 26 mars 1931, telle que modifiée et complétée à
ce jour.
41
Art. 1a LSEE : "Tout étranger a le droit de résider sur le territoire suisse, s’il est au bénéfice d’une autorisation
de séjour ou d’établissement, … ou si, selon la présente loi, il n’a pas besoin d’une telle autorisation".
42
Minh Son Nguyen, Droit public des étrangers, Présence, activité économique et statut politique, Ed. Staempfli
SA Berne, 2003, p. 92
43
Loi fédérale sur le séjour et l’établissement des étrangers du 26 mars 1931 telle que modifiée et complétée à ce
jour.
44
Art. 1a LSEE:"Tout étranger a le droit de résider sur le territoire suisse s'il est au bénéfice d'une autorisation de
séjour ou d'établissement, … ou si, selon la présente loi, il n'a pas besoin d'une telle autorisation".
45
Art.14 al. 4 OLE
46
Art.13 lit. d OLE, art. 20 al.3 OLE, art. 20 al.1 OLE, art. 22 OLE
47
Art. 23 al. 1 OLE
48
Art. 4 al. 2 OLE
49
Art. 6 LSEE
50
Cet Accord ouvre les frontières de la Suisse aux ressortissants des Etats membres de l'UE et leur accorde
notamment un droit d'entrée et de sortie, le droit de séjour, d'accès à une activité économique dépendante ou
indépendante. Voir dans ce sens Nguyen op. cit. p. 100.
51
L'Association européenne de libre-échange (AELE) comprend l'Islande, le Liechtenstein, la Norvège et la
Suisse. La convention du 21 juin 2001 prévoit un passage graduel à la libre circulation des personnes entre la
Suisse et les autres membres de l'AELE. Voir dans ce sens Nguyen op. cit. p. 101.
16
La situation des mineurs non-accompagnés en Suisse
troisième est le Protocole bilatéral spécial entre la Suisse et le Liechtenstein annexé à la
Convention instituant l'AELE52.
Le régime spécial du droit d'asile est quant à lui fondé sur le droit international public
(notamment par la convention de Genève de 1951 relative au statut des réfugiés)53 et la loi
fédérale sur l'Asile du 26 juin 1998. Il poursuit des objectifs d'ordre humanitaire et vise une
catégorie particulière d'étrangers prévue par la LAsi. Elle offre une possibilité à toute
personne non concernée par les accords spéciaux précités et qui remplit les conditions exigées
par la loi pour obtenir l’asile de régulariser son séjour. La même possibilité s’offre aux MNA
s’ils ne veulent pas devenir clandestins.
2.1. L’asile
Le droit d'asile est conçu comme une forme de protection accordée à l'étranger victime de
persécution.54
En cette matière, il est important de clarifier les notions d'asile, de réfugié ou encore de
requérant d'asile.
L'asile est défini comme la protection qu'un Etat accorde sur son territoire (…) à un individu
qui est venu la chercher, tandis que le terme réfugié est une qualité attribuée à un étranger qui
en remplit les conditions. Ce qui signifie que l'asile n'est accordée qu'au réfugié, tandis qu'une
personne reconnue comme réfugié peut être exclue de l'asile. Le requérant d'asile quant à lui
est un étranger qui a déposé une demande d'asile au sens de l'art. 18 LAsi55 et qui n'a pas
encore fait l'objet d'une décision définitive et exécutoire.
Jusqu'au début des années quatre-vingts, la Suisse a accueilli des étrangers dans le cadre
d'actions spéciales (Hongrois, Tchèques, Tibétains, Chiliens, Vietnamiens, Cambodgiens,
Laotiens etc.) A la fin de ces années-là, elle a connu une augmentation importante de
demandeurs d'asile. Alors qu'en 1979, le nombre de demandes d'asile déposées en Suisse était
encore inférieur à 1000, il a dépassé 10.000 pour la première fois en 1987. En 1989, il s'est
élevé à 24.2425, en 1991 à 41.629,56 et en 2002 à 26.125.57
Selon l'Office fédéral des réfugiés, les grandes lignes de la politique de la Confédération en
matière d'asile sont les suivantes:
•
•
Quiconque est menacé ou persécuté dans son Etat d'origine selon les critères reconnus
par le droit international public obtient l'asile en Suisse.
En cas de détresse humaine dans les régions ravagées par la guerre ou les catastrophes,
la Suisse s'emploie à apporter rapidement son aide sur place.
52
Cette réglementation spéciale a été prévue pour tenir compte de la pression migratoire venant de la Suisse vers
le Liechtenstein. Voir dans ce sens Nguyen op. cit. p. 101.
53
Ainsi que son protocole de 1967relatif au statut des réfugiés
54
Nguyen, op. cit. p. 102; art. 2 al.2 LAsi.
55
Sylvie Cossy, Le statut du RMNA dans la procédure d’asile, Thèse de Licence et de Doctorat, Ed. Bis et Ter,
Lausanne, 2000, p. 413.
56
Gattinker Mario: La procédure d'asile et de renvoi, Berne, 1999; p. 14.
57
Signalons que ce nombre comprend aussi les enfants nés en Suisse pendant la procédure d’asile de la mère.
Chaque année les naissances comptent pour 5 à 10 % du nombre total (ODR, courrier du 27 août 2003)
17
La situation des mineurs non-accompagnés en Suisse
•
•
Lorsqu'un grave danger empêche toute intervention dans une région, la suisse admet à
titre provisoire sur son territoire les groupes de victimes.
Parallèlement, le Conseil Fédéral s'évertue à trouver, en collaboration avec les
gouvernements des autres pays, des solutions efficaces et durables afin d'endiguer les
causes de fuite et de migrations involontaires.58
2.1.1 Passage obligé ou non ?
Les causes qui amènent les MNA à quitter leur pays sont diverses. Et si certains mineurs ont
vraiment besoin de protection au sens du droit d'asile, ce n’est pas le cas pour tous.
Ces derniers veulent contourner la rigueur de la politique migratoire de la Suisse en recourant
à l’asile pour pouvoir rester légalement dans le pays, du moins pendant un certain temps, et
commettent, ce faisant, un abus du droit d’asile.
La même logique guide les candidats adultes à se déclarer mineurs pour pouvoir bénéficier
des mesures favorables liées à la minorité.
L’Office fédéral des réfugiés est pleinement conscient du problème et s’est exprimé à ce
propos :
La procédure d’asile permet de reconnaître parmi les nouveaux requérants d’asile ceux qui ont
le droit de revendiquer une protection (…). En effet, nombre d’entre eux ne font pas partie de
la catégorie des réfugiés et des personnes déplacées par la guerre, mais appartiennent au
groupe des migrants, dont la venue en Suisse est motivée par l’envie de connaître une vie
meilleure. Or, craignant de n’avoir aucune chance d’obtenir une autorisation d’entrée et de
travail, ils tentent d’atteindre leur but en utilisant la voie de la procédure d’asile. Bien que
cette manière d’agir puisse apparaître compréhensible aux yeux des intéressés, elle n’en
constitue pas moins un abus en matière d’asile.59
Les autorités chargées de l’asile et les autorités de la police des étrangers doivent rejeter le
plus rapidement possible de telles demandes et exécuter systématiquement le renvoi des
intéressés. C’est là le seul moyen de réduire l’attrait de la procédure d’asile aux yeux des
étrangers en quête de travail.60
Le droit suisse ne reconnaît pas un droit subjectif à l’asile. Un ressortissant étranger n’a pas
un droit à obtenir l’asile, mais un droit à l’observation d’une procédure clairement définie.
L’article premier définit l’objet de la loi sur l’asile: a) Elle règle l’octroi de l’asile et le statut
des réfugiés en Suisse; b) Elle règle la protection provisoire accordée en Suisse à ceux qui en
ont besoin (personnes à protéger) ainsi que leur retour dans le pays d’origine ou de
provenance ou dans un Etat tiers.
La Confédération est compétente pour octroyer l’asile (art. 121 Constitution fédérale). Les
cantons jouent néanmoins un rôle important dans la procédure d’asile; ils sont chargés
d’auditionner les requérants sur leurs motifs et peuvent préparer les décisions à l’intention de
58
www.asyl.admin.ch/franz/asyl
Principes du droit d’asile, in www.asyl.adm.ch/franz/asyl
60
idem. Signalons que pour Elena Rossi, parlant de la Résolution de l’UE concernant les MNA nationaux des
pays tiers (juin 1997), l’intérêt supérieur de l’enfant devrait guider les Etats dans leur lutte contre l’immigration
clandestine s’ils veulent se conformer à la CDE. (Elena Rossi, Rapatrier ou garder dans le pays d’accueil ?…, in
RAJS-JDJ n°221-Janvier 2003)
59
18
La situation des mineurs non-accompagnés en Suisse
l’office fédéral des réfugiés (art. 29 al. 1er et 31 LAsi). Outre l’audition sur les motifs d’asile,
les cantons sont encore compétents en matière de logement (art. 28 LAsi), d’assistance (art.
80 LAsi) ainsi que pour exécuter le renvoi ordonné pas l’office (art. 46 LAsi).
Sur le plan fédéral, diverses autorités ont un rôle à jouer en matière d’asile :61
L’office est avant tout responsable de la procédure de première instance. Il est compétent,
entre autres, pour décider de l’octroi ou non de l’asile (art. 25 LAsi), prononcer le renvoi (art.
44 LAsi), autoriser l’entrée en Suisse du requérant (art. 20 al. 2 et 21 al 1er LAsi).
La commission de recours (CRA) est une autorité de nature judiciaire (art. 2 OCRA62) qui
statue de manière définitive sur les recours formés contre les décisions de l’office (art. 105
LAsi; art. 1 et 2 OCRA).
Les missions diplomatiques suisses et les postes consulaires à l’étranger – ou représentations
suisses – peuvent recevoir des demandes d’asile (art. 19 et 20 LAsi) de requérants se trouvant
à l’étranger ou n’ayant pas été autorisés à entrer sur le territoire suisse lors du dépôt de leur
demande à un poste frontière et continuer la procédure des requérants qui ont déposé leur
demande d’asile à l’aéroport, mais qui n’ont pas été autorisés à entrer en Suisse (art. 13 al. 1er
OA 1). Elles sont aussi appelées à récolter des informations sur la situation dans le pays que le
requérant veut fuir, afin de confirmer ou infirmer ses allégations.
Les centres d’enregistrements ou CERA sont créés et gérés par la Confédération (art. 26
LAsi). On en dénombre actuellement quatre répartis aux quatre coins de la Suisse, à savoir à
Bâle, Chiasso, Vallorbe et Kreutzlingen. Une fois autorisé à entrer en Suisse, le requérant doit
se rendre dans un de ces quatre centres, avant d’être attribué à un canton (art. 27 al. 2 LAsi).
Le requérant se trouvant déjà en Suisse peut y déposer sa demande d’asile (art. 19 al. 1er
LAsi). Il y sera soumis à un premier entretien, sommaire, sur les motifs qui l’ont poussé à
quitter son pays d’origine ou de provenance. Ces centres sont régulièrement surpeuplés, la
Confédération peut créer des centres de transit et des foyers de secours (art. 18 OA 1) où sont
logés provisoirement les requérants d’asile avant de pouvoir se rendre dans un centre
d’enregistrement en vue d’être enregistré et attribués à un canton.
Sur le plan cantonal, il faut mentionner les autorités compétentes en matière d’asile,
déterminées par le droit cantonal, dont le rôle tout au long de la procédure d’asile est très
important.
En matière procédurale, l’asile ressortit au droit administratif; dès lors, les principes généraux
de la loi sur la procédure administrative et de la loi d’organisation judiciaire s’appliquent en la
matière, ce qui est confirmé à l’article 6 LAsi. Il existe des dispositions propres à l’asile qui
complètent ou remplacent certains principes de la loi sur la procédure administrative.63
La procédure d’asile est dominée part la maxime inquisitoire. L’autorité compétente est
chargée de constater les faits d’office : elle dirige la procédure, définit les faits pertinents et
61
Sylvie COSSY, op. cit., pp 91ss
Ordonnance concernant la Commission suisse de recours en matière d’asile du 11 août 1999 (RO 1999,
p.2413 ; RS 142.317)
63
Sylvie COSSY, op. cit., p 98
62
19
La situation des mineurs non-accompagnés en Suisse
les preuves nécessaires. Dans ce contexte, cette dernière est relativisée par un devoir de
collaboration qualifié des parties (art. 8 LAsi) et par le fait que la qualité de réfugié ne doit
pas être prouvée mais rendue "vraisemblable", c’est-à-dire que l’autorité doit la tenir pour
"hautement probable" (art. 7 LAsi).
L’audition sur les motifs d’asile prévue à l’article 29 LAsi concrétise d’une part le droit du
requérant d’être entendu, son devoir de collaborer à l’administration des preuves et, de l’autre,
le devoir des autorités de se faire une représentation complète de la situation.
Le droit d’être entendu comprend plusieurs aspects, à savoir le droit de s’expliquer, le droit de
consulter le dossier, le droit de présenter des moyens de preuve, le droit de se déterminer sur
l’administration des preuves, le droit à un interprète, à un mandataire, à l’assistance judiciaire
gratuite et le droit à une décision motivée.64
Sur le plan de la procédure, le droit d’asile ne distingue en principe pas suivant que le
requérant est majeur ou mineur : les règles applicables sont identiques.65 Les statistiques de
l’ODR nous renseigne sur l’âge des requérants d’asile, leur nombre et leur provenance.
64
65
Sylvie COSSY, op. cit., p 108
Sylvie COSSY, op. cit., pp 87ss
20
La situation des mineurs non-accompagnés en Suisse
2.1.2 Statistiques et pays d'origine des MNA déposant des requêtes
d'asile en Suisse
a)
RAMNA ayant déposé une demande d'asile entre le 01.01.02 et le 31.12.0266
Tableau n° 1 : Année de naissance / Sexe Statistique 2002
Année de naissance
Hommes
1984
1985
1986
1987
1988
1989
1990
1991
1992
1993
1994
1995
1997
2000
Total :
66
Femmes
335
723
337
66
22
8
2
2
1
1
1
1'498
89,5%
Total
32
58
49
14
13
3
1
2
2
1
-
175
10,5%
367 (21,9 %)
781 (46,7 %)
386 (23,1 %)
80 (4,8 %)
35
11
2
1
2
2
1
3
1
1
1'673
Statistiques de l’ODR, 2002
21
La situation des mineurs non-accompagnés en Suisse
Tableau n° 2 : Pays d'origine / Sexe Statistique 2002
Pays d'origine
Guinée
Nigeria
Sierra Leone
Nation. inconnue
Algérie
Angola
Irak
Ethiopie
Yougoslavie
Liberia
Mali
Somalie
Côte d’Ivoire
RDC
Biélorussie
Lituanie
Cameroun
Géorgie
Moldavie
Sri Lanka
Mongolie
Albanie
Russie
Mauritanie
Afghanistan
Inde
Soudan
Guinée Bissau
Turquie
Macédoine
Bénin
Burundi
Erythrée
Pakistan
Arménie
Bulgarie
Togo
Niger
Chine
Bangladesh
Bosnie et H.
Burkina Faso
Ukraine
Yémen
Hommes
241
154
148
102
63
41
57
12
40
41
40
31
35
12
28
30
22
28
27
20
15
25
20
22
20
21
20
20
14
16
15
10
5
9
7
2
7
7
5
5
3
4
5
5
Femmes
6
9
2
2
20
2
33
3
9
3
20
3
7
7
11
4
1
1
3
2
7
1
6
1
1
2
1
-
Total
247 (14,8 %)
163 (9,7 %)
150 (9 %)
104 (6,2 %)
63 (3,8 %)
61 (3,65 %)
59 (3,5%)
45 (2,7%)
43 (2,6 %)
41 (2,5 %)
40
40
38
32
31
30
29
28
27
27
26
25
24
22
21
21
21
20
17
16
15
12
12
9
8
8
8
7
6
5
5
5
5
5
22
La situation des mineurs non-accompagnés en Suisse
Pays d'origine
Hommes
Femmes
Total
Gabon
Ouganda
Azerbaïdjan
Iran
Roumanie
Sénégal
Syrie
Tunisie
Zimbabwe
Cap Vert
Congo
Corée
Libye
Tadjikistan
Tchad
Gambie
Ghana
Israël
Jordanie
Liban
Madagascar
Maroc
Ouzbekistan
Rwanda
Sahara occidental
Vietnam
4
3
3
3
3
3
3
3
2
2
2
1
2
2
1
1
1
1
1
1
1
1
1
1
1
1
1
1
1
1
-
4
4
3
3
3
3
3
3
3
2
2
2
2
2
2
1
1
1
1
1
1
1
1
1
1
1
Total :
1'498
89,5%
175
10,5%
1'673
23
La situation des mineurs non-accompagnés en Suisse
b)
Evolution de la situation des RAMNA
Requérants d’asile mineurs non accompagnés (RAMNA) en Suisse
Tableau comparatif des années 2000, 2001 et 2002
2000
2001
2002
Nombre total de requérants
17'611
d'asile
Nombre et % de RMNA
727 (4,1 %)
20'633
1'387 (6,7 %)
26'125
1'673 (6,4 %)
% de RMNA entre
15-18 ans
Sexe masculin
92,8 %
96,4 %
96,5 %
82,6 %
88,9 %
89,5 %
17,4 %
11,1 %
10,5 %
Sierra Leone: 96 (13,2 %)
Guinée: 266 (19,1 %)
Guinée: 247 (14,8 %)
Guinée: 77 (10,6 %)
Sierra Leone: 229 (16,5 %)
Nigeria: 163 (9,7 %)
Albanie: 68 (9,4 %)
Algérie: 67 (4,8 %)
Sierra Leone: 150 (9 %)
Somalie: 61 (8,4 %)
Somalie: 61 (4,4 %)
Nat. inconnue: 104 (6,2 %)
Yougoslavie: 45 (6,2 %)
Yougoslavie: 56 (4 %)
Algérie: 63 (3,8 %)
Ethiopie: 32 (4,4 %)
Irak: 54 (3,9 %)
Angola 61 (3,65 %)
Sri Lanka 27 (3,7 %)
Angola 51 (3,7 %)
Irak: 59 (3,5 %)
Irak: 26 (3,5 %)
Albanie: 48 (3,4 %)
Ethiopie: 45 (2,7 %)
Angola: 23 (3,1 %)
Nat. inconnue: 47 (3,3 %)
Yougoslavie: 43 (2,6 %)
Nat. inconnue: 23 (3,1 %)
Afghanistan: 35 (2,5 %)
Liberia: 41 (2,5 %)
Turquie: 22 (3 %)
Russie: 34
Algérie, Afghanistan,
Guinée Bissau, Nigeria,
Bangladesh, RDC: 10-20
Mali: 33
Mali, Somalie,
Côte d’Ivoire, RDC,
Biélorussie, Lituanie:
30-40
Sexe féminin
Pays d’origine
principaux
Mauritanie: 32
Nigeria, RDC, Ethiopie,
Turquie, Sri Lanka: 20-30
Côte d’Ivoire, Burkina Faso,
Inde, Biélorussie,
Macédoine, Soudan,
Géorgie, Lituanie, Guinée
Bissau, Pakistan: 10-19
Cameroun, Géorgie,
Moldavie, Sri Lanka,
Mongolie, Albanie, Russie,
Mauritanie, Afghanistan,
Inde, Soudan, Guinée
Bissau: 20-29
En conclusion, les statistiques confirment les tendances générales observées depuis quelques
années déjà :67
• Les RAMNA originaires de l’Afrique de l’Ouest tiennent le haut du pavé
• Les garçons sont plus nombreux que les filles
• La provenance des RAMNA tend à se diversifier
• Les RAMNA sont en grande partie proche de leur majorité (en 2002 96,5% entre 15 et
18 ans)
• Le pourcentage des RAMNA ne varie pas beaucoup : 4,1% (2000), 6,7% (2001), 6,4
(2002).
67
Voir sur ce sujet : Jörg Frieden, op. cit.
24
La situation des mineurs non-accompagnés en Suisse
2.1.3 Le statut du RAMNA dans la procédure d’asile
Les droits et les obligations du RAMNA dans la procédure d’asile sont déterminés par la loi.
Il existe en plus des mesures spéciales de protection liées à l’âge mais la minorité doit être
d’abord établie.
a)
La détermination de l’âge
Les demandes d’asile des mineurs non accompagnés sont traitées en priorité au centre
d’enregistrement. Les mineurs capables de discernement sont brièvement interrogés jusqu’à
la décision d’attribution selon l’art. 27, al 3 LAsi. Pour les MNA, cette attribution doit
intervenir en peu de jours ouvrables. Pour les mineurs incapables de discernement, le
représentant légal doit déposer la demande d’asile et entreprendre les actes légaux
nécessaires.68
Lors d’une brève audition des mineurs, les données personnelles, les liens familiaux et
l’encadrement dans le pays de provenance, ainsi que les premières informations concernant
les raisons du départ du pays de provenance doivent être établies.69
En outre, le centre d’enregistrement en charge de la demande doit présenter les données les
plus précises possibles sur l’âge exact et la capacité de discernement du requérant d’asile.
En cas de doute sur l’âge indiqué, des analyses de l’âge osseux sont demandées, pour autant
que les effectifs en personnel du centre d’enregistrement le permettent.70
Les résultats doivent figurer dans un rapport radiologique. Les autres résultats obtenus au
centre d’enregistrement sur l’âge et la capacité de discernement doivent de plus être inscrits
dans un formulaire et n’ont qu’une valeur indicative dépourvue de force probante. Les deux
dossiers sont à joindre au dossier du RAMNA. Le résultat de l’analyse osseuse est
communiqué aux autorités cantonales.71
Devant les autorités cantonales, si des doutes subsistent quant à l’âge du RAMNA, il
appartiendra à ces dernières, d’entente avec l’ODR, d’entreprendre les investigations
nécessaires, pour autant que cela n’ait pas été fait au centre d’enregistrement.72La valeur
probante des tests osseux a donné lieu à une vive controverse en Suisse et à l’étranger.
Si les enfants isolés sont erronément identifiés en tant qu'adultes, ils ne seront pas habilités à
bénéficier de la protection globale accordée aux enfants en vertu de la loi internationale.
Cependant, on se représente souvent mal l'âge des enfants car ils arrivent fréquemment avec
de faux documents ou sans. Par ailleurs, les offices des réfugiés, qu'ils soient suisses ou
européens, n'entrent pas en matière sur la demande d'asile d'un requérant qui a trompé les
autorités sur son identité. Le dol peut être constaté par l'analyse dactyloscopique ou par
d'autres moyens de preuves, tels des témoignages ou d'autres moyens de preuves objectifs.
68
Directives relatives aux demandes d’asile émanant des requérants d’asile non accompagnés et d’adultes
incapables de discernement du 20 septembre 1999, p.3
69
idem, pp.3-4
70
ibidem, p.4
71
ibid.
72
Ibid. p.5
25
La situation des mineurs non-accompagnés en Suisse
En Suisse, ce principe trouve son application dans l'article 32, alinéa 2 let. b LAsi. Dans le
message du Conseil fédéral qui présentait cette réglementation, il était précisé que la
tromperie au sens de cette disposition73 devait porter sur l'identité, laquelle comprend, outre
le nom, le prénom et la date de naissance, la ou les nationalités, voire l'origine de
l'intéressé.74 La date de naissance apparaît donc incontestablement comme un élément
constitutif de l'identité.
Dans le cadre d'une procédure d'asile introduite par un adolescent, ou par une personne qui
se prétend telle, des tests radiographiques osseux du poignet de l'adolescent sont effectués
par l’autorité compétente en vue de déterminer son âge. Il existerait en effet un lien de
connexité entre l'âge osseux révélé par le cliché radiographique et l'âge chronologique. En
fonction de l'état de progression de la fusion des cartilages de croissance, il serait possible
de définir avec une certitude suffisante l’âge chronologique d’une personne. La constatation
repose sur l'image radiologique qui est comparée à des tables de références, les tables de
GREULICH et PYLE. 75
L'atlas Greulich/Pyle définit des standards moyens pour des garçons et des filles. Selon ces
tables de référence, la fusion des cartilages est achevée en moyenne à 19 ans pour un jeune
adolescent et à 18 ans pour une jeune fille. Les spécialistes parlent alors d'âge adulte. Audelà de cet âge (osseux) maximal, le spécialiste ne peut que constater l'âge adulte du sujet,
sans qu'il soit possible de déterminer depuis combien de temps cet âge a été atteint.76
Sur le plan clinique, ces tables ont été élaborées pour définir une maturation osseuse
précoce ou tardive par rapport à la moyenne. Elles permettent au praticien de prévoir
l'ampleur de la croissance à venir et ce avec une fiabilité suffisante. En outre, ces tables ont
été établies sur base d'études effectuées aux Etats-Unis dans les années 30 et 40 sur une
population de "race blanche". Sur le plan méthodologique, il convient encore de relever que
l'atlas en référence visait en premier lieu à diagnostiquer une maturation précoce ou tardive
chez l'enfant dont on connaît l'âge chronologique, mais non pas à attribuer un âge
chronologique en fonction de l'âge osseux.77
Force est de constater que, dans le domaine de l'asile, les requérants ne proviennent pas de
la région géographique prise en compte par l'atlas de référence. Par ailleurs, d'autres études
constatent que d'une manière générale, la maturation osseuse des personnes de type
européen était plus précoce dans les années 90 que dans les années 30.78 Cette plus grande
précocité est encore plus marquée pour les sujets d'autres ethnies.79 Ainsi, la maturation
osseuse est plus précoce chez les enfants d’origine africaine.
D'autres études montrent que des difficultés socio-économiques et dès lors nutritionnelles
peuvent entraîner un retard de maturation. Le vécu du jeune, l'endroit où il a grandi, les
circonstances dans lesquelles il a évolué sont autant de facteurs pouvant jouer sur les
résultats des tests contestés.
73
Anciennement article 16, alinéa 1er let. b LAsi, entré en vigueur le 1er juillet 1998
Message du Conseil fédéral relatif aux mesures d’urgences dans le domaine de l’asile et des étrangers (AMU,
RO 1998 p. 1582) du 13 mai 1998, FF 1998 III p. 2835.
75
www.ark-cra.ch, JICRA 2000 / 19 - 178
76
idem
77
ibid.
78
Etude LODER et ONTELL, www.ark-cra.ch, JICRA 2000 / 19 - 179
79
L'étude précitée offre quelques exemples parlant de cette situation.
74
26
La situation des mineurs non-accompagnés en Suisse
Il existe donc de nombreux risques de sur-estimation ou de sous-estimation de l'âge réel
d'un adolescent sur la base de ces tests radiographiques. Il découle de ce qui précède qu'il
n'est pas possible, sur la base d'un examen osseux, de rendre des conclusions fiables
concernant la possible majorité d’un requérant, même si l'intéressé présente un squelette de
type adulte. Ainsi, il peut parfois exister un écart de deux ans et demi à trois ans entre l'âge
réel et l'âge osseux. C'est ainsi qu'on a pu voir en France en 6 mois un même jeune se voir
attribuer par différents experts, tout d’abord l’âge de 13 ans, puis lors d’un deuxième
examen l’âge de 15-16 ans, et finalement un peu plus de 16 ans à l’occasion d’un troisième
et dernier examen !80 De nombreux gouvernements ont ainsi révisé leur manière de procéder
pour déterminer l'âge de celui qui se prétend mineur.
En Suisse, la Commission de recours en matière d'asile (la CRA) a clos la controverse en
rendant en 2000 une décision de principe.81 Dans sa décision, elle explique qu'une tromperie
au sens de l'article 32, alinéa 2 let. b LAsi ne saurait être constatée sur la base de la
radiographie des os de la main, l’âge osseux pouvant varier d’une personne à une autre en
fonction de sa race et de son sexe. La Commission estimait donc que lorsque l'âge déclaré
par le requérant se situait dans des limites standards reconnues en matière de détermination
de l'âge osseux (écart de 2 ans et demi à 3 ans), l'ODR ne pouvait s'appuyer sur l'examen
radiologique pour refuser d'entrer en matière sur la demande d'asile.82
D'autres méthodes ne sont cependant pas exclues, puisque l'article 7, alinéa 1er de
l'Ordonnance 1 sur l'asile relative à la procédure83 stipule que "lors de l'établissement des
faits, il est possible de déterminer si l'âge indiqué par le requérant d'asile "mineur"
correspond à son âge réel en recourant à des méthodes scientifiques".
En Suède, la détermination de l'âge des enfants isolés est effectuée sur la base de
l'évaluation des dents et du squelette. En Italie, des radiographies du coude et même de la
tête sont également pratiquées.
Aux Pays-Bas, en vertu d'une nouvelle procédure, on pratique également des radiographies
de la clavicule (en plus de celles de la main et du poignet) afin de voir si le lien avec le
sternum est entièrement réalisé; si tel est le cas, cela signifie que la personne est âgée de 20
ans et plus.84
En Allemagne, les examens dentaires et les rayons X des os du poignet étaient généralement
pratiqués même contre la volonté de l'enfant si les autorités le jugeaient nécessaire.
Cependant, de nombreux docteurs et juristes rejettent ces examens, principalement parce
qu'ils représentent une atteinte à la liberté de protection contre les blessures et les atteintes
physiques, et parce qu'ils sont imprécis.85 De nos jours, en l'absence de base légale,86 dans
les cas où l'on émet des doutes, l'âge est estimé via un "entretien d'inspection".
Dans la plupart des Etats, des tests psychologiques divers sont pratiqués en vue de
déterminer l'âge. Dans de nombreux cas, ces tests impliquent des radiographies.
80
"Les enfants isolés arrivant en France : mise au point", Jean-Pierre ROSENCZVEIG, JDJ n°195 - mai 2000
JICRA, 2000/19-178 (consid. 7, consid. 7,c, consid. 8)
82
Cependant, si l’écart est de plus de trois ans, les tests osseux ont valeur probante et entraîne non entrée en
matière pour tromperie sur l’identité : JICRA 2001/23-184
83
RS 142.311, art. 7, Situation particulière des mineurs dans la procédure d'asile
84
Sandy RUXTON, op. cit., p. 45
85
Sandy RUXTON, op. cit., p. 45
86
www.ark-crs.ch, JICRA 2000 / 19 - p. 187 2001/23-184
81
27
La situation des mineurs non-accompagnés en Suisse
Alternativement, les évaluations de l'âge peuvent également inclure le contrôle de signes de
puberté ce qui requiert l'examen des parties génitales. La police française des frontières, par
exemple, demande presque systématiquement que de tels examens soient pratiqués, et l'on
en explique le but aux enfants.
Les principes directeurs du HCR87 indiquent qu'il faudrait tenir compte non seulement de
l'aspect physique de l'enfant mais aussi de sa maturité psychologique. Les méthodes de
détermination de l'âge ne doivent présenter aucun danger et respecter la dignité humaine. Si
l'âge exact est incertain, il faut accorder à l'enfant le bénéfice du doute.
L'impact de l'examen de l'évaluation de l’âge attestant qu'un demandeur est un adulte peut
avoir un effet perturbateur. De même, il est permis de penser que l'utilisation des rayons X
puisse avoir un impact négatif sur leur santé. On peut également se poser des questions
quant à la qualification des professionnels pratiquant les examens. Dans de nombreux cas,
l'équipe médicale concernée ne connaît pas les antécédents ethniques et culturels de l'enfant.
Certains d'entre eux ne sont pas des spécialistes en pédiatrie ou n'ont pas de connaissances
spéciales en matière de maturité et de développement de l'enfant.
En Suisse, la décision de la CRA mentionnée ci-haut88 a eu comme conséquence de rendre
exceptionnel le recours aux tests osseux, (en raison notamment de leur coût élevé): ces tests
sont actuellement effectués uniquement en cas d’abus manifeste.89 Et dans ce cas, il est
procédé à l’Institut médico-légal de Zurich à un examen complet : tests psychologiques,
examens morphologiques, statuts dentaire et examen du poignet : il faut que les trois piliers
concordent pour conclure à la majorité.90 Car les résultats de ces tests sont lourds de
conséquences sur le sort du mineur, notamment quant à son statut pendant la procédure.
b)
Le statut juridique du RAMNA pendant la procédure d’asile
(qualité, capacité, exercice des droits civils)
Lors de l’audition sommaire au centre d’enregistrement les données les plus précises
possibles doivent être présentées concernant l’âge et la capacité de discernement du
RAMNA.91
La capacité de discernement est relative et se détermine par rapport à la faculté d’agir
raisonnablement en vue d’un acte défini (art 16 CCS). En matière d’asile, pour déterminer
la capacité de discernement, il faut examiner si l’intéressé est en mesure de comprendre la
signification et l’objectif d’une procédure d’asile, ainsi que d’exposer les raisons et les
craintes qui l’ont amené à quitter l’Etat de provenance. Cet examen s’effectue à la lumière
de toutes les circonstances entourant le cas d’espèce (l’âge du mineur, la capacité de
voyager seul, la scolarité, la référence à un besoin de protection, l’attitude cohérente).92
En cas de doute, les investigations nécessaires doivent être entreprises par l’autorité
cantonales et l’ODR. Et lorsque l’autorité cantonale arrive à la conclusion que l’incapacité
87
www.sce.gla.ac.uk, Directives UNHCR, 1997
Voir supra p.24
89
Le mineur peut s’y opposer s’il invoque des motifs légitimes, avec certificats médicaux à l’appui.
90
M. Tinguely : entretien du 13 août 2003
91
Directive relative aux demandes d’asile émanant des RMNA et d’adultes incapables de discernement du 20
septembre 1999, p.4
92
idem, pp.1-2
88
28
La situation des mineurs non-accompagnés en Suisse
de discernement est manifeste, elle transmet le dossier à l’ODR sans procéder à l’audition,
après en avoir informé l’autorité tutélaire.93
L’absence de la capacité de discernement nécessite l’intervention du représentant légal (art
18 CCS). Et l’absence de capacité de discernement sans représentation légale signifie
l’absence de la capacité d’exercer des droits civils et également de la capacité d’ester en
justice.94
En principe, le dépôt d’une demande d’asile est un droit strictement personnel relatif (art
19,2e al CCS).95 Ainsi, « toute personne mineure ayant la capacité de discernement est
capable de relater en l’absence d’un représentant ou d’une personne de confiance des faits
qui l’ont touchée personnellement…96
Cette position est confirmée par une abondante jurisprudence de la CRA et du service de
recours du Département fédéral de justice et police : "( …) La procédure d'asile s'inscrit
dans le cadre de la défense de droits strictement personnels et qu'en conséquence le
requérant d'asile mineur capable de discernement a le droit de participer, sans qu'il soit
nécessaire de le soumettre à une représentation légale pour ce faire, à la procédure d'asile le
touchant et d'entreprendre personnellement tous les actes nécessaires à l'obtention de ce
statut (dépôt d'une demande d'asile, droit d'être entendu oralement sur ses motifs d'asile, et
droit de former recours contre la décision le touchant)". 97
"(…) Force est de constater qu’un mineur capable de discernement a la capacité d’ester en
justice s’agissant de l’exercice de ses droits strictement personnels (cf. art 19 al 2 CC),
cadre dans lequel s’inscrit la procédure d’asile; à cet égard, il dispose d’une capacité civile
active "inconditionnelle", en ce sens qu’elle n’est pas subordonnée au consentement du
représentant légal (cf. en ce sens les arrêts publiés dans JICRA 1996 no3 p.16ss, spéc.
consid. 2c p.20ss, et JICRA 1999 n° 25 p. 159ss, spéc. consid. 6 p. 161s., et réf. cit.;
Deschenaux/Steinauer, Personnes physiques et tutelle, Berne 2001, p. 66ss, spéc. N. 213, n.
220ss et n. 228ss)".98
L’application en droit d’asile des règles du droit civil ci-dessus énoncées cadre parfaitement
avec le droit de participation reconnu au mineur par la Convention des droits de l’enfant (art
12). On peut cependant se demander si au niveau psychologique, il est toujours dans
l’intérêt supérieur de l’enfant de se présenter seul devant une instance judiciaire ou
administrative qui, convenons-en, peut être intimidante même pour un adulte qui comparaît
seul.99 D’autre part la question de savoir si un mineur qui est accompagné d’un adulte autre
que son père ou sa mère doit être considéré comme accompagné ou non est très délicate.100
La prudence semble être la règle dans les centres d’enregistrement pour décourager les
93
Directive relative aux demandes d’asile émanant de RMNA et d’adultes incapables de discernement du 20
septembre 1999, p.5
94
idem, p.2
95
ibid., p.1
96
ibid., p.6
97
JAAC 61.15, extrait d’une décision de la CRA du 30/1/1995
98
Décision non publiée du DFJP du 13 août 2002 sur recours contre la décision de l’ODR du 26 février 2002, p.
2 al 4
99
Or le but de la Convention des droits de l’enfant est également d’assurer la protection de l’immaturité et de la
fragilité de l’enfant. Il serait sans doute souhaitable que le mineur renonce expressément à être assisté pour être
privé du droit à un représentant. “An interview for status determination can be very traumatic for a child.
Arrange to have a trusted adult accompany the child during the interviewing process…” Guidelines 1994, pp.
102-103
100
Patrick Moser, op. cit., p.37
29
La situation des mineurs non-accompagnés en Suisse
trafic et les enlèvements d’enfants ou leur exploitation aux seules fins d’obtenir des
allocations familiales.101
La loi interne et la loi internationale ont prévu des mesures de protection spécifiques en
faveur du RAMNA.
c)
Les mesures de protection du RAMNA pendant la procédure d’asile
Mesures prévues par le droit international
Il s’agit des mesures qui sont contenues dans les conventions que les Etats ont ratifiées et
auxquels ils se sont volontairement engagés à se soumettre.102
•
Le droit des réfugiés
- La Convention de 1951 relatif au statut des réfugiés
En principe l’enfant est absent de la convention de 1951 sans doute pour des raisons
historiques. Car avant l’adoption de la Convention des droits de l’enfant en 1989, l’enfant
n’était pas considéré comme un sujet de droit à part entière.
C’est ainsi que même lorsque les dispositions de la Convention de 1951 traitent des
questions spécifiques aux enfants (art 22 : non discrimination dans l’éducation primaire;
traitement favorable dans l’éducation secondaire), le terme utilisé est celui de "réfugiés"
tout court. Mais le HCR soutient que l’enfant est bel et bien concerné si, comme les adultes,
il est à la recherche de protection pour échapper à la persécution.103
Ainsi donc toutes les garanties reconnues aux réfugiés sont également applicables aux
enfants : non-refoulement; non-discrimination; caractère social et humanitaire de l’asile;
coopération internationale; non-pénalisation pour entrée illégale sur le territoire de l’Etat
d’accueil; non-expulsion, excepté pour des raisons d’ordre public ou de sécurité nationale;
coopération avec le HCR.104
- Les directives du HCR
En 1994 et 1997, le HCR a édicté des lignes directrices sur la question des RAMNA.105 En
ce qui concerne la procédure d’asile par exemple, il recommande de nommer un tuteur ou
un conseiller une fois faite l’identification du RAMNA et de faire mener les auditions sous
une forme adaptée à l’âge du requérant par une personne spécialement formée à cet effet.
Les demandes d’asile d’enfants ou d’adolescents devraient être traitées en priorité et leur
appréciation devrait tenir compte de manière adéquate du degré de développement du
mineur et des limites possibles de ses connaissances au sujet de la situation dans son pays
d’origine. En cas de décision négative, les autorités devraient déterminer avec soin quelle
est la solution qui correspond le mieux au bien de l’enfant. Ainsi, les autorités sont tenues
101
Un "service de coordination en matière de lutte contre la traite d’êtres humains et le trafic de migrants" a été
créé au l’Office fédérale des étrangers. Il est chargé d’engager des enquêtes pénales en cas de soupçon
d’enlèvement d’enfants ou de trafic (M. Tinguely, entretien précité).
102
Sur ce sujet, voir la Convention de Vienne sur le droit des traités du 23 mai 1969; notamment le principe
Pacta sunt servanda à l’art.26 (Tout traité lie les parties et doit être exécuté par elles de bonne foi). D’autre part
la coutume internationale (ensemble des pratiques acceptées comme étant le droit) constitue également une
source importante du droit international.
103
Refugee Children : Guidelines on Protection and Care, UNCHR Geneva, 1994, p.17
104
Erika Feller, International refugee protection 50 years on : The challenges of the past, present and future, op.
cit., p. 589
105
Guidelines HCR, 1994; 1997
30
La situation des mineurs non-accompagnés en Suisse
dès le début de la procédure d’entreprendre des recherches dans le pays d’origine pour
localiser les parents du mineur. Si ces recherches échouent, un rapatriement ne doit être
décidé qu’à la condition que des services compétents assument la responsabilité d’assurer
au mineur une protection et un encadrement adéquat.106
•
La Conférence de la Haye107
Les mesures de protection des mineurs sont également organisées sur le plan international
dans le cadre de la Conférence de la Haye de droit international privé (36 conventions à ce
jour) dont la Suisse est membre :
- La Convention du 25 octobre 1980 sur les aspects civils de l’enlèvement international
d’enfants.108 Selon l’article 2 CdH, les Etats contractants prennent toutes mesures
appropriées pour assurer dans les limites de leur territoire la réalisation des objectifs de la
Convention. A cet effet, ils doivent recourir à leurs procédures d'urgence. Et l’article
premier dispose : "La présente Convention a pour objet : a) d'assurer le retour immédiat des
enfants déplacés ou retenus illicitement dans tout Etat contractant; b) de faire respecter
effectivement dans les autres Etats contractants les droits de garde et de visite existant dans
un Etat contractant".
- La convention du 25 mai 1993 sur la protection des enfants et la coopération en matière
d’adoption internationale. Cette convention dispose à l’art 1er a) qu’elle a pour objet
"d'établir des garanties pour que les adoptions internationales aient lieu dans l'intérêt
supérieur de l'enfant et dans le respect des droits fondamentaux qui lui sont reconnus en
droit international". D’autre part, en vertu de l’article 6, la Suisse a désigné des autorités
tant fédérales que cantonales chargées de satisfaire aux obligations découlant de cette
convention.109
Pour la Suisse, ces conventions n’ont qu’un impact limité, dans la mesure où les principes
qui y sont prévus sont déjà consacrés par le droit interne. On peut cependant remarquer que
l’adoption de la Convention relative aux droits de l’enfant a induit la reconnaissance de la
personnalité du mineur; les Etats sont ainsi obligés d’adapter leur législation et leur pratique
dans le sens d’une plus grande écoute et une prise en compte de l’enfant.110
•
La Convention relative aux droits de l'enfant (CDE)
Les quatre principes directeurs de la Convention sont: la non discrimination (art. 2), l'intérêt
supérieur (art. 3.1), le droit à la vie, à la survie et au développement (art. 6), le droit de
l'enfant d'exprimer librement son opinion et que ses opinions soient dûment prises en
considération. (art.12).
- Le principe de non-discrimination (art.12)
Ce principe énoncé à l’art 2 CDE signifie que tous les enfants se trouvant sur le territoire
d’un Etat jouissent de tous les droits contenus dans la convention sans égard au statut de
106
Mario GATTINKER, "La procédure d’asile et de renvoi – octroi de l’asile et renvoi selon la loi sur l’asile du
26 juin 1998 ", publié par l’Organisation suisse d’aide aux réfugiés (OSAR), Berne, octobre 1999,pp.97-98.
107
http://www.hcch.net/f/conventions/index.html
108
FF 1966 I 358
109
Au niveau fédéral : Office fédéral de la Justice, Service de la protection internationale des enfants,
Taubenstrasse 16, 3003 Berne, E-maiil :[email protected]
110
Sylvie COSSY, op. cit., p. 219
31
La situation des mineurs non-accompagnés en Suisse
chacun : réfugiés, requérants d’asile, déboutés de l’asile, etc.111
Notons aussi que la clause de non discrimination n'empêche pas de traiter différemment des
situations qui ne sont pas identiques si la distinction repose sur une raison suffisamment
objective et légitime.112
- Le principe de l'intérêt supérieur de l'enfant (art 3.1)
En tant que principe directeur, l'intérêt supérieur de l'enfant s'applique à toute question
relative à l'enfant. Il implique que dans tout sujet relatif aux enfants, les adultes ont le devoir
de faire ce qui est le mieux pour eux. C'est ainsi que l’article 3.1 stipule : "Dans toutes les
décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait des institutions publiques ou
privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes
législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale.113
Ce principe est sans doute l'un des plus importants dans tout ce qui est en relation avec le
respect des droits de l'enfant. Et d’après le HCR, c’est le plus important, car derrière
chaque article de la CDE se profile le principe de l’intérêt supérieur de l’enfant.
Il faut cependant ajouter que d'autres principes tels : l'équité ou le besoin de protection de la
société revêtent aussi une grande importance et qu’on ne peut pas poser de manière générale
et abstraite le principe de la prééminence de l'intérêt supérieur de l'enfant. Dès lors, il faut
tenir compte de l'ensemble des circonstances données au moment où une décision doit être
prise.114
- Le droit à la survie et au développement de l’enfant (art. 6)
La vie est "la condition sine qua non pour qu'une personne puisse bénéficier de tous les
droits et libertés qui lui sont reconnus. Ce droit ne se limite pas seulement à l'existence
physique, mais garantit aussi l'ensemble des fonctions corporelles et morales nécessaires à
l'existence."115
Il est important de relever que chaque article de la Convention poursuit le bien-être et le
développement de l’enfant.116
- Le droit d’être entendu (art. 12)
Le droit d’être entendu est l’un des droits fondamentaux consacrés par la Convention.
L’enfant est considéré ici comme un sujet de droit jouissant d’une volonté propre distincte
de celle de ses parents ou de ses représentants légaux. Et c’est ainsi que selon son âge, son
degré de maturité et la complexité de l’affaire, son avis doit être pris en considération.117
La participation de l’enfant peut concerner les affaires familiales (art 7, 10), la communauté
(art 15, 17), ou les enfants ayant des besoins spécifiques, par exemple ceux vivant avec un
handicap (art 23). D’autre part en les impliquant dans le processus décisionnel, les adultes
peuvent prendre des décisions mieux informées qui tiennent compte des désirs ou des
craintes des enfants, et ces derniers peuvent développer leur sens critique et de l’analyse.
111
Guidelines 1994, op. cit., p.23
M. Philippe Tinguely, entretien précité.
113
http://www.globenet.org/enfant/cide.html
114
Voir dans ce sens Sylvie Cossy: op. cit., p.208.
115
FF 1997 I 148
116
Guidelines 1994, op. cit., p. 28
117
Sylvie Cossy, p.212.
112
32
La situation des mineurs non-accompagnés en Suisse
Cette implication grandira en importance au fur à mesure que l’enfant grandira en âge et en
maturité.118
Notons que le Tribunal fédéral a admis que l’art. 12 CDE était une norme directement
applicable qui pouvait faire l’objet d’un recours de droit public pour violation des traités
internationaux.119
Outre les quatre principes ci-dessus, la CDE contient des dispositions particulières
applicables aux mineurs et présentant un intérêt dans le cadre de cette étude, entre autres les
art 19, 20, 22, 23,39, etc.
Les Etats d’accueil sont donc responsables de tout requérant d’asile mineur non
accompagné; ils doivent tenir compte de son intérêt supérieur, prendre dans les plus brefs
délais toutes les mesures que sa situation exige et tâcher dans la mesure du possible de
découvrir les causes qui ont conduit à sa séparation d’avec ses parents.
Mesures de protection prévues par le droit suisse d’asile
Le droit interne suisse prévoit plusieurs mesures destinées à protéger les mineurs et à pallier
l'absence des détenteurs de l'autorité parentale. Certaines de ces règles constituant le droit de
la tutelle, sont régies par le code civil suisse. La loi sur l'asile institue quant à elle la
personne de confiance, chargée de la défense des intérêts du mineur.
•
Les mesures tutélaires prévues par le CCS
L’autorité cantonale en matière d’asile est tenue d’annoncer sans délai à l’autorité tutélaire
tout cas susceptible d’aboutir à une mise sous tutelle ou sous curatelle.120
- La tutelle des mineurs
D’après le CC, tout mineur qui n’est pas sous l’autorité parentale sera pourvu d’un tuteur
(art 368, al 1). Il en est de même en cas de retrait de l'autorité parentale (art. 311 CC), de
décès, ou d'absence".121
C'est l'autorité tutélaire qui est chargée de nommer sans délai le tuteur. Afin de l'aider dans
cette tâche – et d'éviter qu'un mineur ne soit privé de représentant légal – les autorités
administratives ou judiciaires sont tenues de lui signaler sans délai (…) tout cas de tutelle
qui parvient à leur connaissance dans l'exercice de leur fonction (art. 368 al. 2CC). C’est
ainsi que les autorités compétentes en matière d'asile sont tenues d'avertir sans délai les
autorités tutélaires de l'arrivée du requérant d'asile mineur non accompagné.
L'art. 386 al.1 CC stipule qu'au cas où il n'est pas possible de nommer immédiatement un
tuteur, l'autorité tutélaire doit prendre d'office toutes les mesures nécessaires. L'art 367 CC
définit les 3 tâches qui incombent au tuteur. Il s'agit de prendre soin de son pupille122,
118
Guidelines, 1994, pp. 23-24
ATF 124 III 90, 91,92
120
Directive relative aux demandes d’asile émanant des RMNA…, op. cit., p.4
121
Sylvie Cossy, p.228
122
Cette tâche revêt une importance capitale, le tuteur qui agit en lieu et place des parents doit veiller à
l’entretien et à l'éducation de l’enfant. Voir dans ce sens S. Cossy p. 230.
119
33
La situation des mineurs non-accompagnés en Suisse
d'administrer ses biens et de le représenter dans tous les actes civils sous réserve du
concours des autorités de tutelle123.
Comme le résume Madame Cossy, le tuteur doit veiller de manière générale au bien du
mineur et défendre ses intérêts.124
- La curatelle des mineurs125
Il peut arriver que le mineur soit pourvu d'un curateur. Le cas qui nous intéresse ici est celui
de curatelle de représentation instituée lorsque le représentant légal est empêché d'agir.
Dans ce cas, le curateur est en quelque sorte chargé de remplacer le représentant légal dans
une affaire urgente déterminée.126
L’autorité tutélaire institue une curatelle soit à la requête d’un intéressé, soit d’office, dans
les cas prévus par la loi et, en outre lorsque le représentant légal est empêché (art. 392,3
CC).
•
Les mesures de protection prévues en droit suisse
Précisons d'abord que le régime prévu par le droit d'asile est subsidiaire par rapport aux
mesures de protection découlant du droit de la tutelle. Ce n'est que si le RAMNA ne s'est vu
nommer ni tuteur ni curateur qu'une personne de confiance lui est désignée (art.7 al.2 et 3
OA). Au sens de cet article, la personne de confiance est celle qui assiste (et non représente)
le RAMNA tout au long de la procédure d'asile, plus précisément de son attribution à un
canton à l'entrée en force d'une décision, ou le cas échéant, à l'exécution de son renvoi.
Pour être capable de "représenter les intérêts de l'enfant pendant la durée de la
procédure"127, à savoir le conseiller et l'assister de manière adéquate, il est prévu que la
personne de confiance soit juriste, ou ait les connaissances juridiques nécessaires. La
nomination de la personne de confiance doit intervenir le plus rapidement possible afin
qu'elle puisse nouer un lien de confiance suffisant avec le RAMNA qu'elle doit assister. Elle
doit avoir la possibilité de préparer l'audition avec lui, de le rendre attentif à ses droits et à
ses devoirs et aux exigences posées en droit d'asile pour que sa qualité de réfugié soit
reconnue. Afin qu'elle puisse remplir convenablement sa mission, la personne de confiance
doit se voir notifier toutes les décisions qui concernent le mineur et être convoquée chaque
fois que ce dernier l'est128.
Il est important donc qu’elle ait des connaissances suffisantes de la procédure d’asile et de
son déroulement.
123
A vrai dire, le tuteur représente aussi son pupille dans des actes de nature administrative, pénale ou judiciaire.
Idem, p. 230.
124
Ibid., p. 231
125
Dans la pratique du droit d’asile, il s’agit généralement d’une curatelle car les éléments font défaut pour
savoir avec certitude si le mineur n’avait pas de représentant légal dans le pays d’origine ou si ce dernier a été
déchu de l’autorité parentale ou tutélaire. (cf. M. Burnat, entretien du 17 juillet 2003M. Tinguely : entretien
précité).
126
Voir dans ce sens Schnyder/ Murer, ad art. 392, p.894, N° 111.
127
Art 17 al. 3 LAsi,
128
Sylvie Cossy, op. cit., p. 247
34
La situation des mineurs non-accompagnés en Suisse
2.1.4 Le déroulement de la procédure d’asile
La procédure d’asile débute par le dépôt de la demande d’asile. Les autorités ne sont en aucun
cas compétentes pour intervenir d’office. Le requérant d’asile doit exprimer sa volonté de
venir chercher refuge en Suisse. La demande d’asile n’est liée à aucune exigence de forme,
mais elle est nécessaire pour qu’une procédure d’asile puisse débuter. Le dépôt de la demande
d’asile est habituellement considéré comme étant l’exercice d’un droit strictement personnel
qui ne peut être exercé que par une personne capable de discernement, qu’elle soit majeure ou
mineure.
La procédure diffère quelque peu suivant que le requérant dépose sa demande d’asile à
l’étranger, à un poste frontière terrestre, à l’aéroport, dans un centre d’enregistrement ou aux
autorités du canton dans lequel il réside.
La procédure de première instance129 – ou procédure non contentieuse – débute dès le dépôt
de la demande d’asile et se termine par la décision octroyant ou refusant l’asile ou la
protection provisoire et, le cas échéant, par la décision de renvoi et son exécution. Le retrait
de sa demande de la part du requérant annulerait bien sûre toute procédure.
La suite de la procédure se déroule devant les autorités cantonales.130 Pour cette raison,
l’office procède à la répartition des requérants dans les différents cantons en suivant la clé de
répartition prévue à l’article 21 alinéa 1er OA 1 (art. 27 al. 2 LAsi).
A la suite de l’audition sur les motifs d’asile, l’office tranche la question de l’octroi de l’asile
ou de la protection provisoire, ainsi que du renvoi. L’office rend une décision de non-entrée
en matière pour les motifs énumérés exhaustivement aux articles 32 à 35 LAsi (citons par
exemple le non-dépôt d’une demande d’asile, la violation de l’obligation de collaborer, le
dépôt d’une demande d’asile dans un Etat tiers, etc.). Il peut, dans le but de clarifier la
situation, demander l’avis du Haut Commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés (art. 28
OA 1).
Une décision de non-entrée en matière a des effets comparables à une décision matérielle
refusant l’asile; la différence principale est que l’autorité compétente n’a pas à se prononcer
sur les conditions matérielles de l’octroi de l’asile. Tant que la décision de non-entrée en
matière n’a pas été prise, le demandeur doit être considéré comme requérant d’asile. Le fait de
rendre une décision de non-entrée en matière n’a en principe aucune incidence sur le renvoi :
l’office doit vérifier si les conditions sont remplies, à savoir s’il est possible, licite et peut être
raisonnablement exigé. Lorsqu’un requérant ne peut pas être renvoyé, il doit être admis
provisoirement.131
Les décisions prises en première instance par les autorités cantonales ou fédérales peuvent
faire l’objet d’un recours. Les voies de recours ne sont pas identiques suivant que la décision
émane d’une autorité cantonale ou fédérale. Les cantons sont tenus de prévoir "au moins une
instance de recours contre les décisions prises par leurs autorités sur la base de la présente loi
et de ses dispositions d’exécution" (art. 103 al. 1er LAsi). Au niveau fédéral, les décisions en
matière de procédure d’asile prises par l’office peuvent faire l’objet d’un recours auprès de la
commission de recours, dans les cas énumérés aux articles 105 alinéa 1er et 108 LAsi et 1er
OCRA. Il faut par ailleurs préciser que les décisions rendues par la commission de recours et
129
idem., pp 149ss
Sur la présence des représentants des œuvres d’entraide et leur statut : voir art 30 LAsi et 6, 25, 26 OA1
131
Voir infra, pp. 38-39
130
35
La situation des mineurs non-accompagnés en Suisse
le département sont définitives et que la voie du recours de droit administratif au Tribunal
fédéral n’est pas ouverte (art. 100 let b OJ).
Les requérants d’asile qui ne sont pas autorisés à rester en Suisse, que ce soit en cours de
procédure ou lorsqu’une décision négative en matière d’asile ou de protection provisoire a été
rendue, peuvent être contraints de quitter la Suisse. Dans le premier cas on parle de renvoi
préventif car le requérant peut soit poursuivre la procédure qu’il a entamée, soit déposer une
nouvelle demande, alors que, dans le second, le renvoi est définitif : la demande d’asile ou de
protection provisoire a été rejetée et le requérant ne peut en principe pas déposer de nouvelle
demande. L’office est compétent pour prononcer le renvoi du requérant de Suisse et en
ordonner l’exécution132, les cantons sont tenus de l’exécuter (art. 44 al. 1er et 46 al. 1er LAsi)
et ne bénéficient d’aucune marge de manœuvre en la matière. Mais les renvois ne sont pas
toujours exécutés.
2.1.5 La situation du RAMNA en cas de renvoi et de non-exécution du
renvoi
Plusieurs situations se présentent lorsque l’exécution du renvoi n’a pu avoir lieu.
•
•
•
Le mineur peut rester en Suisse en obtenant une admission provisoire (livret F)
Le mineur peut rester en Suisse sans admission provisoire (livret N) mais avec un
délai de départ
Le mineur peut disparaître et devenir clandestin133.
Lorsqu’une demande d’asile a été rejetée ou a fait l’objet d’une non-entrée en matière, l’ODR
examine d’office la question du renvoi, ou de son exécution. Des mesures éventuelles
prononcées par l’autorité tutélaire n’ont aucun effet sur la décision.134
Les aspects spécifiquement liés à la minorité sont évalués lors de la décision à la fois sous
l’angle de la licéité, de l’exigibilité et de la possibilité de l’exécution du renvoi. Cela signifie
en particulier qu’à ce stade déjà, les éventuels problèmes susceptibles de survenir en matière
de prise en charge et d’encadrement dans le pays de destination sont examinés et les
investigations jugées nécessaires sont entreprises135.
En plus des déclarations du requérant et des résultats d’éventuelles mesures d’instruction,
l’ODR se fonde, pour son appréciation, notamment sur l’âge du requérant, son degré
d’autonomie ainsi que sur la réalité sociale et économique de l’Etat de provenance.136
L’admission provisoire est une mesure à laquelle l’ODR a recours lorsque l’exécution du
renvoi est impossible, illicite ou qu’elle ne peut être raisonnablement exigée (art 44, 2e al. en
relation avec l’art 14a, 1e al. LSEE). Il faut en tout cas disposer d’une décision de renvoi de
Suisse entrée en force pour ordonner une telle mesure.
132
Situation dans lesquelles un renvoi ne peut en aucun cas être ordonné, voir art. 32 OA 1.
Voir infra : point II. B sur la clandestinité, pp.45ss
134
Directive relative aux demandes d’asile émanant de RAMNA…, p.6
135
Idem, p.7
136
Ibidem
133
36
La situation des mineurs non-accompagnés en Suisse
Dans la pratique, et à la différence des procédures d’asile dans les autres pays européens (la
France par exemple) l’ODR statue en une seule et même décision sur l’asile et sur l’admission
provisoire.137
L’exécution du renvoi n’est pas possible lorsque l’étranger ne peut être renvoyé ni dans son
pays d’origine ou de provenance ni dans un Etat tiers.138 Ainsi l'ODR peut prononcer une
admission provisoire fondée sur l'impossibilité de l'exécution du renvoi lorsqu'il n'est pas
possible de déterminer la date à partir de laquelle un retour volontaire ou un refoulement sous
la contrainte pourront se réaliser. Il pourra en faire de même lorsque cette date est
déterminable, mais que la période pendant laquelle durera l'impossibilité de l'exécution du
renvoi dépassera une année au moins. Enfin, si l'impossibilité de l'exécution du renvoi dure
depuis plus d'une année et que cette situation doit persister durant une période indéterminée,
l'admission provisoire doit être ordonnée.139
Et s’agissant des RAMNA, le pays d’origine (ou de provenance) est souvent inconnu ou
rechigne à les accueillir.140
L’exécution n’est pas licite lorsque le renvoi de l’étranger dans son pays d’origine ou de
provenance ou dans un Etat tiers serait contraire aux engagements internationaux de la
Suisse. Il en est ainsi lorsque le requérant d’asile renvoyé est objectivement exposé en cas de
retour à un risque véritable, concret et sérieux d’être victime de tortures ou de subir des
traitements cruels, inhumains ou dégradants tels que prohibés par l'art. 3 CEDH.141
L’exécution n’est pas raisonnablement exigible si elle implique une mise en danger de
l’étranger.142 Cette disposition s'applique en premier lieu aux "réfugiés de la violence", soit
aux étrangers qui ne remplissent pas les conditions de la qualité de réfugié parce qu'ils ne
sont pas personnellement persécutés, mais qui fuient des situations de guerre, de guerre civile
ou de violences généralisées, soit aux personnes pour qui un retour reviendrait à les mettre
concrètement en danger, notamment parce qu'elles ne pourraient plus recevoir les soins dont
elles ont besoin. L'autorité à qui incombe la décision doit donc dans chaque cas confronter
les aspects humanitaires liés à la situation dans laquelle se trouverait l'étranger concerné dans
son pays après l'exécution du renvoi à l'intérêt public militant en faveur de son éloignement
de Suisse (JICRA 1995 N° 5, p. 47; 1994 N° 18, p. 139 s, N° 19, p. 147 s, et N° 20,
p. 156).143
Il convient de noter que les conditions posées par l'art. 14a al. 2 à 4 LSEE, empêchant
l'exécution du renvoi (illicéité, inexigibilité ou impossibilité) sont de nature alternative: il
suffit que l'une d'elles soit réalisée pour que le renvoi soit inexécutable. Cependant en vertu
de l’al.6 de l’art 14 a, l’al. 4 sur l’inexigibilité du renvoi n’est pas applicable lorsque
l’étranger a compromis la sécurité et l’ordre public suisses ou qu’il leur a porté gravement
atteinte.144
137
M.Philippe Tinguely, entretien précité
Art 14 a al. 2 LSEE
139
JAAC 61.10 (consid. 8d-e)
140
Jörg Frieden, op. cit., p.7
141
JAAC 61.4, consid. 14 d
142
Art 14 a al. 4 LSEE
143
JAAC 61.4,consid. 16 b
144
Il en est ainsi des personnes ayant été reconnues coupables d’infractions à la loi pénale.
138
37
La situation des mineurs non-accompagnés en Suisse
D’autre part, lorsque le retour n’est pas exigible, il est possible d’envisager le regroupement
familial dans le pays d’accueil pour que l’enfant soit réuni avec ses parents. La pratique
cependant ne permet pas de dire que cette disposition trouve une application concrète, le
droit au regroupement n’étant en principe reconnu en cette matière qu’aux personnes ayant
obtenu le statut de réfugiés.145 Les personnes admises provisoirement ne bénéficient de ce
droit que dans certaines conditions, par exemple si l’autorité cantonale est disposée à leur
délivrer une autorisation de séjour.146 Enfin, les mineurs impliqués dans la procédure d’asile
sont généralement proches de leur majorité (entre 15 et 18 ans) et ne tardent pas à
l’atteindre.147
L’admission provisoire est accordée par l’autorité fédérale pour une durée de douze mois
renouvelables, à moins que l’exécution du renvoi ne soit à nouveau possible.148
S’agissant des requérants d’asile originaires d’Afrique de l’Ouest, en règle générale aucune
demande d’asile n’a été admise à ce jour par les autorités de première ou de deuxième
instance tandis que l’admission provisoire revêt un caractère exceptionnel, liée à des
situations individuelles particulières.149
Cette situation se vérifie également pour les RAMNA et sont pour la plupart détenteurs d’un
livret N, en attente de renvoi avec un délai de départ. En effet, les RAMNA déboutés
obtiennent rarement l’admission provisoire. Et l’autorité attend l’arrivée de leur majorité pour
exécuter le renvoi sans être tenue par les garanties préalables applicables aux mineurs non
accompagnés.150
Le dispositif de la décision qui refuse l’asile et ordonne le renvoi mentionne le canton
compétent pour exécuter le renvoi. C’est en principe le canton d’attribution du requérant
d’asile. Celui-ci restera compétent jusqu’au départ définitif de l’étranger. Mais en cas de
disparition, cette compétence s’arrête 5 ans après sa constatation.151
Les délais de départ sont fixés en fonction de la durée de la procédure : en première instance,
le délai de départ est de 6 semaines si la procédure a duré jusqu’à 12 mois; de 2 mois si la
procédure a duré de 1 à 2 ans; de 3 mois au maximum si la procédure a duré plus de 2 ans. Et
si un recours a été introduit, le délai de départ est de 2 semaines maximum si la procédure a
duré jusqu’à 6 mois; de 4 semaines maximum si la procédure a duré de 6 à 12 mois; de 6 à 8
semaines maximum si la procédure a duré de 1 à 2 ans ; de 3 mois maximum si la procédure a
duré plus de deux ans.152
145
M. Philippe Tinguely, entretien précité.
Directive relative à la loi sur l’asile concernant la réglementation du séjour des requérants d’asile, des
personnes à protéger, des personnes admises à titre provisoire et des réfugiés du 20 septembre 1999, p.7
147
C’est à la majorité que les mesures de renvoi prononcées contre les RAMNA sont généralement exécutées.
148
Dans la pratique actuelle, il est courant que les cantons délivrent un permis B en remplacement du permis F à
l’expiration de l’admission provisoire. Et dans le projet de loi sur l’asile, il est question de proposer l’octroi
automatique d’un permis B humanitaire aux requérants d’asile admis provisoirement mais dont le renvoi ne peut
toujours pas être exécuté.
149
Jörg Frieden, op. cit., p.6
150
Afra Weidmann, (Association Aughenauf/Zürich). Pour elle, des efforts certains ont été accomplis en Suisse
dans l’accueil des RAMNA. Ce n’est pas le cas dans le cadre des renvois où il y a encore du boulot (Entretien
téléphonique du 24/7/2003).
151
Directive sur l’exécution du renvoi pendant et après la clôture de la procédure d’asile du 20 septembre 1999,
tel que révisée le 11 mai 2000, pp.1-2
152
Directive sur l’exécution du renvoi pendant et après la clôture de la procédure d’asile du 20 septembre 1999,
tel que révisée le 11 mai 2000, p.2
146
38
La situation des mineurs non-accompagnés en Suisse
A l’échéance de ces délais, l’exécution forcée doit avoir lieu, y compris en recourant aux
mesures de contrainte comme la détention en vue du refoulement.153 Le livret N doit être
retiré sauf si le document de voyage fait défaut ou si le renvoi est suspendu.154
En Suisse la gestion des questions liées à la prise en charge des mineurs dans la procédure
d’asile est de la compétence des cantons.
2.1.6 Aperçu de quelques pratiques cantonales
La Confédération attribue le mineur aux cantons qui organisent chacun à sa manière
l’hébergement, l’assistance et la protection de l’enfant. La pratique varie d’un canton à un
autre.
Et en cette matière on peut faire deux constats :
• le clivage linguistique (entre cantons romands et cantons alémaniques) tend à se traduire
dans les mécanismes mis en place. Les cantons romands (et le Tessin) privilégient les
mécanismes de représentation du code civil (la tutelle et la curatelle). Ils ont créé des
services spéciaux parfois spécifiquement chargés des RAMNA. Dans les cantons
alémaniques155 en revanche c’est l’institution de la personne de confiance qui est
généralement utilisée. Ils mandatent généralement des assistants sociaux ou des
personnes qui dirigent un service d’aide juridique aux requérants d’asile.
• Genève et Zurich ont mis sur pieds des centres spécifiques d’hébergement pour les
RAMNA et peuvent être considérés comme les leaders suisses en la matière, mais
chacun fonctionne selon son système propre.
a)
Genève
Le système mis sur pieds par le canton de Genève tourne autour du Service du Tuteur
Général (Office de la Jeunesse, Département de l’instruction publique). Il est chargé de
l’exécution des mandats qui lui on été confiés concernant les adultes et les mineurs en vertu
soit d’une décision du tribunal tutélaire, soit du tribunal de la jeunesse, soit du juge des
enfants.156 Une unité spéciale est chargée de l’exécution des mandats relatifs aux RAMNA
confiés au canton de Genève : la Coordination des mandats tutélaires (CMT).157
Lorsqu’un mineur attribué à ce canton arrive au centre d’accueil situé au foyer pour
requérants d’asile de Tattes, le tribunal tutélaire est immédiatement informé ainsi que la
CMT. Le tribunal rend une ordonnance confiant à cette dernière le mandat de tuteur ou de
curateur. Dans la pratique, la prise en charge du mineur est automatiquement déclenchée dès
que la CMT est informée de l’arrivée du mineur,158
car les délais dans lesquels l’ordonnance
du tribunal est prise peuvent aller jusqu’à un mois
Des mesures de placement du mineur sont ordonnées : ceux âgés de plus de 15 ans sont
confiés au centre de Tattes géré par l’Hospice général. Ceux qui sont âgés de moins de 15
153
Circulaire concernant la mise en œuvre du train de mesures élaboré par le groupe de travail paritaire
"Exécution des renvois" du 3 août 1999, pp.1-2
154
Directives sur l’exécution du renvoi…, p.6
155
Le canton de Zurich a par contre recours aux mécanismes tutélaires tandis qu’un certain nombre de cantons
alémaniques optent pour un système mixte : d’abord la personne de confiance, ensuite les mécanismes du code
civil.
156
http://www.geneve.ch/stg/contact.html
157
La CMT s’occupe en outre des MNA sans statut ainsi que des rares mineurs qui ont un statut de réfugiés.
158
La durée entre le dépôt de la demande au centre d’enregistrement et l’attribution à un canton est en moyenne
de 10 jours (M. Daniel Burnat)
39
La situation des mineurs non-accompagnés en Suisse
ans sont soit placés dans un autre foyer (La Ferme), soit dans une famille d’accueil, tandis
que les mineurs présentant des troubles de comportement sont placés dans des foyers
d’éducation où des jeunes suisses
sont également reçus. Une vingtaine d’établissements de
159
ce genre existent dans le canton.
Le nombre de RAMNA confiés au canton
n’est pas statique car il y a un mouvement
160
161
permanent : majorité, disparition, renvoi . Ce nombre s’élève actuellement à 150.
La CMT a la mission d’effectuer les inscriptions dans les écoles et d’assurer le suivi
scolaire. Elle s’occupe également des questions de santé et d’assistance. Mais la gestion
quotidienne de ces questions est confiée au foyer de placement. La CMT (le Coordinateur
ou ses assistantes) organise des visites hebdomadaires
aux mineurs et des réunions
162
mensuelles avec leur personnel d’encadrement.
La CMT est plus souvent sollicitée pour les problèmes pénaux, notamment les infractions
contre la 163
loi sur les stupéfiants. En tant que représentant parental, elle assiste à la première
164
audience. Il existe un centre de détention (La Clairière) pour mineurs délinquants. Pour
l’instant le centre est en travaux en vue de son agrandissement, et les cinq mineurs détenus
ont été transférés à la prison de Champ-Dollon mais sous la garde d’éducateurs. Le tuteur a
le droit de les visiter pour leur parler.
La CMT doit faire face à quelques problèmes: la fausse minorité, le trafic de drogue et les
mineurs n’allant pas à l’école (soit en165raison de l’âge au-delà de la scolarité obligatoire, soit
parce qu’ils veulent travailler plutôt).
En dehors du placement du mineur, le mandat de la CMT concerne également la procédure
d’asile. Dans ce cadre, le tuteur prépare le mineur à l’audition cantonale et peut choisir à ce
stade les causes dans lesquelles elle ne croit pas nécessaire sa présence
à l’audition. Il en est
166
ainsi des demandes qui invoquent des motifs manifestement infondés.
La CMT peut également confier son mandat au Service Social International (SSI) pour la
représentation du mineur afin de faire recours en vue de l’obtention de l’asile ou de
l’admission provisoire. Elle peut également requérir son intervention pour émettre des avis
juridiques, rechercher les familles dans les pays d’origine ou pour obtenir la conversion des
permis auprès de la police des étrangers. Dans la pratique cependant, les dossiers des
RAMNA aboutissent rarement à la reconnaissance de la qualité de réfugié car les 167
risques de
persécutions exigées par la loi sont difficiles à démontrer dans le cas d’un mineur.
La majorité des RAMNA confiés au canton de Genève sont hébergés au foyer pour
requérants d’asile des Tattes situé dans la Commune de Vernier. Le foyer reçoit également
159
Idem.
Il y a cependant peu de renvois en raison des conditions rigoureuses à respecter. De plus, s’agissant des
mineurs africains, les renvois sont quasi-impossibles
161
Mais le nombre de mandats effectivement exercés est de 125. Les autres mineurs sont soit devenus majeurs,
soit disparus ( ibid.)
162
Les mineurs peuvent le voir s’ils le désirent en prenant rendez-vous.
163
Le service comprend un responsable (chargé de faire essentiellement de la coordination) et deux assistantes (à
qui il confie les dossiers).
164
Le Centre de détention pour filles mineures est situé dans la Commune du Petit-Saconnex (Centre de RiantParc). Aucune fille en détention n’a été signalée.
165
Cependant la recherche d’un emploi est une entreprise difficile. Les mineurs sont souvent en possession d’une
décision de renvoi avec un délai de départ et les employeurs ne sont pas toujours désireux d’entrer en matière.
166
Par exemple : un mineur qui déclare craindre pour sa sécurité dans le pays d’origine pour avoir volé la chèvre
du chef de village ; ou encore parce qu’il avait eu des rapports intimes avec la fille du voisin, qui depuis veut le
faire mettre à mort ; ou celui qui déclare avoir provoqué la mort par noyade d’un autre enfant à qui il voulait
apprendre à nager. (M. Daniel Burnat, entretien précité)
167
Idem
160
40
La situation des mineurs non-accompagnés en Suisse
des requérants d’asile adultes mais comporte un quartier spécial pour RAMNA, repartis sur
168
deux bâtiments : l’un pour les garçons (63 places) et l’autre pour les filles (24 places).
Les mineurs sont logés à deux par chambre, en fonction des places disponibles mais
également des affinités. Ce choix s’opère aussi grâce à un séjour initial d’environ une
semaine dans des chambres dites de transit pour observer le mineur et savoir ce qu’il veut :
travailler ou étudier.
Certains mineurs peuvent également être logés en chambres
169
individuelles (3) . Par ailleurs le centre possède une maison dans le village de Vernier où
9 requérants d’asile filles et garçons peuvent être logés. Il s’agit de ceux qui ne causent
aucun problème, font170preuve d’autonomie, poursuivent une scolarité, un apprentissage ou
effectuent un travail.
Le foyer existe depuis 7 ans mais c’est depuis deux ans qu’il a reçu la reconnaissance du
canton comme centre agréé d’éducation. Pour assurer l’encadrement des mineurs, le centre
s’est doté d’un projet pédagogique et171
d’une équipe d’éducateurs. Le projet fait référence à
la convention des droits de l’enfant mais de l’avis même de Mme Chantal Rawlings
Meylan, la responsable du centre, peu de choses ont changé dans la pratique car
l’engagement du canton dans la protection des mineurs (mesures de tutelle, création du
SCAI dans le domaine de l’éducation: service de classes d’accueil et d’insertion, ouvertes à
tous les enfants de langues étrangères quel que soit le statut) est antérieur à la ratification de
la Convention des droits de l’enfant par la Suisse en 1997.
172
Le centre fonctionne avec une équipe d’éducateurs formés. Chacun (e) encadre, en qualité
de personne de référence, un groupe de 6 à 12 mineurs. Ils se mettent à la disposition des
mineurs pour répondre à leur préoccupation et essaient de leur faire comprendre avec tact
qu’ils ne vont pas 173
pouvoir rester (principe de réalité). Ils s’occupent des questions pratiques
relatives à 174
la santé (présence d’une infirmière dans le centre), à la scolarité, à l’assistance,
aux loisirs etc. Ils poussent les mineurs à s’investir dans une activité (organisée soit par
l’Hospice général, soit par des
associations : Agora, Camarada). Certains ne veulent rien
175
faire ni même aller à l’école. …
Le centre des Tattes est un centre ouvert. Les mineurs ont le droit d’aller et venir. Ils
peuvent également recevoir de la visite. Cependant il existe une réglementation des heures
d’arrivée avec un veilleur de nuit. En semaine, le centre ferme à minuit et le week-end à
deux heures du matin. Au-delà de ces heures, le mineur doit sonner le veilleur de nuit et ce
168
Le document dit « Projet pédagogique », p.4, parle pour sa part de 74 places disponibles (16 pour les filles et
58 pour les garçons.
169
Pour des raisons de santé ou d’études. Par contre les mineurs difficiles (par exemple ceux qui sont
manifestement adultes) sont logés avec les adultes.
170
Il ne s’agit pas toujours de mineurs. De jeunes adultes peuvent continuer à y demeurer par exemple pour ne
pas couper leur scolarité ou leur apprentissage.
171
Notamment l’art 20 al 1 et 3, et l’art. 22 al3 : Voir le document : « Centre d’accueil pour mineurs requérants
d’asile » (alias projet pédagogique), 2002, p3
172
Il y a 11, 75 postes dont 7,50 consacrés à l’éducation et 1,20 à l’animation. Pour l’Agora, il serait souhaitable
d’augmenter le nombre d’éducateurs (M. Jean-Pierre Zurn, entretien précité)
173
La santé est le problème n°1 des requérants d’asile en raison de la précarité de leur statut administratif. Un
système de médecin de recours a été mis sur pied pour limiter les risques d’abus de consultations et de
médicaments. (Mme Chantal Rawlings Meylan, entretien précité)
174
Des sorties sont organisées et bientôt une salle de musculation sera aménagée, de même qu’une salle de
computers (Mlle Isabelle Hunziker, éducatrice : entretien du 28 juillet 2003).
175
Entre 10 et 15 mineurs seraient dans cette situation. Mais il y en a aussi qui sont dans des cursus supérieurs :
école de commerce ou d’ingénieurs. (Mme Meylan, entretien précité). Cependant le nombre de mineurs oisifs est
sans doute plus élevé si on ajoute ceux des mineurs qui sont en attente d’une inscription. Et Pour M. Jean-Pierre
Zurn de l’Agora, la moitié des mineurs n’iraient pas à l’école (entretien précité).
41
La situation des mineurs non-accompagnés en Suisse
dernier inscrit le nom du retardataire dans un registre. Un retenue de 10 CHF est opérée sur
la paie du mineur à chaque rentrée tardive.
b)
Zurich
Il existe à Zurich un centre capable d’héberger jusqu’à 120 RAMNA. L’hébergement des
mineurs se fait par groupe de 4 à 6 dans des appartements sous la direction d’un adulte,
bénévole formé pour servir de personne de référence. Le bénévole adulte établit des rapports
de confiance avec les mineurs. Divers témoignages ont confirmé que le système donne
satisfaction.176
Et s’agissant de la controverse sur les centres fermés ou ouverts, la direction du centre
privilégie l’approche pragmatique allant jusqu’à envisager l’enfermement si l’intérêt de
l’enfant l’exige. Il en est ainsi des enfants dont on pense qu’ils s’en sortiraient mieux s’ils
coupaient tout lien avec le milieu d’où ils viennent. Et l’approche sera différente pour ceux
qui ont besoin de se familiariser progressivement avec un nouveau mode de vie. L’histoire
personnelle de l’enfant devrait guider la réponse à son problème et non pas des principes
intangibles.177
Les mécanismes de protection sont ceux prévus par le code civil par la désignation d’un
tuteur ou d’un curateur.178
c)
Vaud
Aucune structure particulière n’a été créée pour les mineurs non accompagnés. Un projet
commun de 30 places d’accueil avait été élaboré entre la Fondation pour l’accueil des
requérants d’asile (FAREAS), le Tuteur général et l’Etat de Vaud. Mais en raison de
difficultés financières le projet a dû être abandonné. Ces 30 places bien qu’insuffisantes
auraient permis la prise en charge des mineurs qui avaient le plus besoin de protection.
Présentement, les mineurs non-accompagnés âgés de moins de 16 ans sont placés sous la
responsabilité du tuteur général dans les centres pour mineurs en difficulté, ou à défaut de
place, dans une chambre d’hôtel. S’ils ont plus de 16 ans ils sont mis en foyer commun avec
les adultes.179
Le mandat est confié au Tuteur général par l’autorité tutélaire et exercé par le service de
représentation légale des mineurs non accompagnés : un tuteur ou un curateur. Et il arrive
que pour les recours, le tuteur ou le curateur mandate à son tour le SAJE.180
d)
Bâle
Le canton de Bâle a mis sur pied un système mixte où une personne de confiance est
désignée lorsqu’un RAMNA est attribué au canton. Plus tard un tuteur ou un curateur peut
être désigné en remplacement de la personne de confiance.181
Les mineurs non-accompagnés confiés au canton de Bâle, une trentaine, sont hébergés dans
un centre situé en face d’un hôpital pour toxicomanes. Ils ont en effet été déplacés de
176
M. Rolf Widmer, SSI Genève, avait dirigé ledit centre pendant des années (M. entretien du 15 juillet 2003).
Sur ce sujet, voir également M. Karl Rossler, Directeur du centre MNA Zurich, entretien téléphonique du 15
août 2003.
177
Entretien du 8 avril 2002 entre Patrick Moser et M. Karl Rössler, responsable Fachstelle MNA, Zurich
178
Représentation/protection des RMNA en Suisse. Tableau récapitulatif…rapport ODR, 2001
179
Entretien téléphonique du 27 mai 2002 de Patrick Moser à la FAREAS
180
Représentation/Protection des RMNA en Suisse. Tableau récapitulatif de la situation au 25/04/01 dans
l’ensemble des cantons, ODR, 2001
181
Idem
42
La situation des mineurs non-accompagnés en Suisse
Voltaplatz, Murbacherstr. n°47182 pour un immeuble désaffecté au centre ville, sis à
Dornacherstr. n°43.
Pour ce groupe particulier des RAMNA des informations ont fait état de problèmes liés au
trafic de drogue. La décision de les héberger à cet endroit paraît surprenante. D’aucuns
pourraient considérer qu’elle répond à une volonté délibérée de rapprocher l’offre de la
demande. Et de l’avis M. Daniel Bangui, juriste intervenant auprès des mineurs en question,
l’autorité ne considère pas ces enfants comme étant des mineurs. La raison invoquée est
l’absence de documents d’identité prouvant leur minorité. Or si la minorité de certains des
enfants peut-être à juste titre mise en doute, il y en qui sont de toute évidence mineurs, voire
même âgés d’à peine quatorze ans.183
Le même témoignage a fait état d’un problème d’encadrement. Les mineurs auraient des
réticences à se confier aux assistants sociaux car ils les perçoivent comme appartenant à la
police. D’autre part les tuteurs désignés ne sont pas toujours disponibles pour faire le suivi
des dossiers des enfants. Enfin, l’insuffisance des contrôles entraîne une trop grande
mobilité des enfants rarement présents, mais souvent partis aux quatre coins de la Suisse.184
Ces mineurs, tous originaires de l’Afrique de l’Ouest, semblent provenir d’un même pays :
la Guinée, et parlent le même dialecte.185 Mais en Afrique il n’est pas rare qu’une même
ethnie (les Peuls, les Mandingues, etc.) parlant le même dialecte soit répartie sur plusieurs
pays.186
e)
Valais
Le canton du Valais a mis sur pieds un système mixte combinant le mécanisme prévu par le
droit d’asile (la personne de confiance) et le système du code civil.
Lorsqu’un mineur est confié au canton, un représentant du Centre Suisses-Immigrés est
désigné comme personne de confiance. Par la suite, un tuteur ou un curateur peut être
désigné en remplacement de la personne de confiance.187
f)
Berne
Dans le canton de Berne également, un système mixte existe par la désignation d’une
personne de confiance en premier lieu. Ce mandat est confié à Caritas. Plus tard un tuteur
ou un curateur peut être désigné en remplacement de la personne de confiance 188 pour
s’occuper des intérêts du RAMNA. Cependant, ce régime n’est pas applicable aux mineurs
vivant dans la clandestinité.189
182
Le même bâtiment abritait les adultes au rez-de-chaussée tandis que les mineurs étaient au 4ème étage.
M. Daniel Bangui, entretien du 10 juillet 2003
184
Idem
185
Ibid.
186
M. Abou Diallo, entretien précité
187
Tableau ODR, op. cit.
188
Idem
189
Sauf s’ils sortent de la clandestinité. Voir infra, pp.47ss
183
43
La situation des mineurs non-accompagnés en Suisse
2.2. La clandestinité
La clandestinité concerne la disparition des mineurs déboutés de la procédure d’asile
(Untertauchen). Mais elle peut également concerner ceux n’ayant pas demandé l’asile (les
sans-papiers).
2.2.1 La problématique de l’Untertauchen
Le phénomène, connu sous la dénomination de l’Untertauchen, concerne essentiellement les
demandeurs d’asile qui, après avoir introduit leur demande, rompent subitement tout contact
avec les autorités et avec les services sociaux sans aucune explication. Ces personnes qui
existent mais qu’on ne voit pas car ils vivent dans la clandestinité, ne veulent plus révéler leur
présence, sans doute par crainte d’être renvoyées dans leur pays d’origine.
Le phénomène de l’Untertauchen est étroitement lié à la suite réservée à la demande
introduite par l’intéressé. Un requérant l’asile est plus susceptible de disparaître lorsque sa
demande d’asile a été rejetée et l’admission provisoire refusée.
Or de l’avis de la plupart de nos interlocuteurs190, les RAMNA obtiennent rarement l’asile. Et
s’agissant de l’admission provisoire, elle se fait au cas par cas en fonction de l’exigibilité du
renvoi dans le pays concerné.
On remarque à ce propos que la survenance d’une situation de guerre ou de trouble dans un
pays, rendant de ce fait le renvoi inexigible, entraîne l’augmentation soudaine de requérants se
réclamant de ce pays.191
Si l’on jette un rapide coup d’œil sur le sort réservé aux demandes d’asile, on constate que
celles introduites par les ressortissants africains (RAMNA y compris) connaissent des
fortunes diverses.192Le taux de reconnaissance va de moyen et faible à très faible, voire nulle,
selon les zones de provenance. Elle est de 10%, c’est-à-dire la moyenne générale, pour les
ressortissants du Congo, du Togo, et du Soudan ; modeste pour les personnes originaires de la
RDC (6 à 8 %) et de la Somalie (5 %) ; très bas pour l’Ethiopie et l’Erythrée (inférieurs à 2%)
et enfin nulle pour les personnes originaires du Nord-Ouest africain/Afrique de l’Ouest.
Les taux des admissions provisoires varient également mais ne suivent pas toujours la même
logique. Ainsi le taux le plus élevé au 31 mai 2002 était pour les ressortissants originaires de
Somalie (90% des effectifs, soit 3.757 personnes sur 3.976) et ceux originaires d’Angola (2/3,
soit 1.911 personnes sur 3.266, essentiellement des mineurs et leurs proches.) De même, les
minorités Tutsi de la RDC qui ne peuvent être renvoyés sur Kinshasa bénéficient en principe
de l’admission provisoire.193
190
MM. Daniel Burnat, Dominique Boillat, Philippe Tinguely : entretiens précités
L’intensification de la guerre au Liberia dès l’été 2003 a entraîné l’augmentation immédiate en Suisse de
requérants d’asile africains se réclamant Libériens (M. Dominique Boillat, entretien précité).
192
Jörg Frieden, op. cit., p.6
193
Jörg Frieden, op. cit., p.6
191
44
La situation des mineurs non-accompagnés en Suisse
Dans les autres cas, la délivrance du livret F qui autorise de rester en Suisse en raison de la
non-exigibilité de l’exécution du renvoi, est faite au cas par cas au regard des circonstances
exceptionnelles.194
Les disparitions constituent une soupape de sécurité pour le système de l’asile en Suisse sans
laquelle la machine se bloquerait.195 Le fardeau social et financier serait trop lourd à porter.
En effet, 90% des requérants d’asile originaires d’Afrique quittent le domaine de l’asile par
des départs non-officiels. Ainsi en 2002, le solde annuel moyen sur les 7 dernières années
pour le domaine de l’asile (entrée moins sortie des personnes originaires d’Afrique) a été de
640 personnes. Et avec un solde migratoire annuel (solde de l’asile + autres formes de
règlement) de 1.235 personnes et un total de 35.000 résidents, la population d’origine
africaine représente 2,4% de la totalité de la population étrangère en Suisse.196
S’agissant des mineurs originaires de l’Afrique de l’Ouest, il est probable que le but ultime
poursuivi par certains d’entre eux soit le retour dans le pays d’origine après avoir "travaillé"
aussi longtemps que possible. Dans ces conditions, ils sont plus susceptibles de disparaître en
cas de renvoi sans admission provisoire. Et tout retour non-désiré et non-encadré ne pourrait
être que contre-productif. Ils ont suffisamment de moyens pour obtenir un visa et payer le
voyage en Europe.197
Ils pourraient dans ce cas faire le choix de rejoindre dans la clandestinité les mineurs qui ne
déposent pas de demande d’asile.
2.2.2 La clandestinité pour les enfants ne déposant pas de requête
d’asile
Une personne peut devenir un clandestin en franchissant clandestinement la frontière d’un
Etat pour y séjourner sans titre valable de séjour. Dans cette hypothèse, ce n’est pas en soi le
fait de s’introduire sans titre de séjour, mais le fait de ne pas en référer à l’autorité la plus
proche (le poste frontière ou le centre d’enregistrement, voire l’autorité cantonale) qui est
blâmable.198
Mais quelqu’un peut aussi devenir clandestin après coup, alors que son entrée sur le territoire
de l’Etat de séjour s’est faite en toute légalité, notamment s’il était en possession d’un visa
d’entrée. A l’expiration de la validité de son titre de séjour, si le sujet décide tout de même de
rester dans le pays sans document valable, il choisit de devenir clandestin. Il existe aussi
194
Idem. Le rapport ne fait pas de distinction en fonction de l’âge. Les RAMNA sont de ce fait également
concernés par les chiffres relevés.
195
A titre d’exemple, au 31 décembre 2002, l’ODR a comptabilisé 8.725 départs non officiels, 605 reconduites
dans
le
pays
d’origine
ou
dans
un
Etat
tiers,
et
2.143
retours
volontaires
(http://www.asyl.admin.ch/franz/newsf.htm).
196
Jörg Frieden, op. cit., p.6
197
Idem
198
Voir à ce sujet la directive relative à la loi sur l’asile traitant de l’enregistrement des demandes d’asile en
Suisse du 20 septembre 1999, pp.2-3. De même l’art. 31,1 de la Convention de 195l relatif au statut des réfugiés
dispose : “The Contracting States shall not impose penalties, on account of their illegal entry or presence, on
refugees who, coming directly from a territory where their life or freedom was threatened in the sense of article
1, enter or are present in their territory without authorization, provided they present themselves without delay to
the authorities and show good cause for the illegal entry or presence.”
45
La situation des mineurs non-accompagnés en Suisse
d’autres situations qui peuvent arriver aux adultes (la dissolution du mariage, la perte d’un
emploi et le non-renouvellement du permis de travail, etc.)199
S’agissant des mineurs non accompagnés, on ne sait pas combien vivent dans la clandestinité
s’ils n’ont jamais introduit de demande d’asile, et comment ils sont arrivés jusqu’ici.
On peut supposer :
• qu’ils ont gagné la Suisse en passant par un pays limitrophe dans lequel par exemple
ils avaient introduit une demande d’asile non fructueuse
• qu’ils sont entrés en Suisse en passant un pays de transit à partir de la côte
Méditerranée, qu’ils auraient traversée sur des embarcations de passeurs
• qu’ils sont venus en Suisse rejoindre des proches ou des amis
• qu’ils sont entrés légalement en Suisse en possession d’un visa et en compagnie d’un
adulte qui a facilité l’entrée, en les faisant passer pour leurs enfants ou pupilles.
Les mineurs qui seraient venus rejoindre des parents ou des proches vivant eux-mêmes dans
la clandestinité, seraient à coup sûr contraints d’introduire d’emblée une demande d’asile pour
échapper à leurs conditions de vie difficiles. Le statut des personnes dans ce domaine étant
très fluctuant, un tel enfant deviendrait RAMNA s’il décidait un beau jour d’introduire sa
demande d’asile, par exemple s’il est pris dans une patrouille de police ou à l’occasion de la
commission d’un fait répréhensible.200
Selon toute vraisemblance un MNA vivant dans la clandestinité compte sur un réseau de
solidarité, constitué surtout de proches, pour le soutenir.201 Il partage évidemment la précarité
de son collègue mineur clandestin sorti de la procédure d’asile, et mérite à ce titre que des
efforts accrus soient consentis pour lui garantir un avenir digne.
Les institutions étatiques devraient déployer tous les moyens disponibles pour que ces enfants
sortent de cette condition dangereuse où leur vie, leur santé, leur intégrité physique et leur
droit d’être simplement des enfants sont en danger. D’autre part, en cas d’abus par des
proches ou des réseaux mafieux, ils ne peuvent pas demander la protection des instances
étatiques.
Or, en ratifiant la Convention des droits de l’enfant, les Etats se sont engagés à prendre les
mesures nécessaires en faveur des enfants, y compris clandestins.
2.3. Les mesures de prise en charge prévues pour les MNA
clandestins
Il n’existe pas de chiffre précis du nombre de clandestins vivant en Suisse. Mais des
estimations ont été faites dans le monde du travail en prenant en compte le nombre de la
main-d’œuvre étrangère non-déclarée.
A Genève par exemple, il y aurait entre 6.000 et 10.000 clandestins202; à Lausanne, entre
4.000 et 6.000, voire même environ 10.000 dans l’ensemble de la région lausannoise. A
l’échelon national suisse, les chiffres varient beaucoup : 70.000 à 180.000 (Etude Piguet/Losa,
2002), 150.000 à 300.000 (Efionayi/Cattacin, 2001), 50.000 à 150.000 (Heiniger/Haug,
199
Marcello Valli, op. cit., p.19
Il tairait l’existence de ses parents en Suisse. D’après M. Daniel Bangui, parmi les RAMNA originaires
d’Afrique, des cas de mineurs venus rejoindre des parents sans-papiers se retrouvent chez les enfants en
provenance d’Afrique centrale.
201
M. Pablo Yamba, entretien du 6 juillet 2003
202
Chirstel Burri, La clandestinité à Genève, 2003, p. 9
200
46
La situation des mineurs non-accompagnés en Suisse
1998), 120.000 à 180.000 (Fédération des ouvriers du bois et du bâtiment, actuel SIB,
syndicat de l’industrie et du bâtiment, 1990).203
S’agissant des MNA, la tâche d’estimer l’ampleur du phénomène est également difficile.
C’est pourquoi il n’existe pas à proprement parler de mesures de prise en charge destinées à
cette catégorie de mineurs.
Dans les faits cependant, certaines associations offrent des prestations (comme par exemple
les soins médicaux et la distribution de nourriture) aux personnes en grande précarité
(toxicomanes, sans-abris).
A Genève, les soins médicaux sont disponibles à l’unité mobile de l’hôpital localisée à la rue
des Rois et les médicaments sont fournis par un réseau de bénévoles (la Pharmacie du
Cœur).204
A Lausanne, les principales institutions hospitalières soignent les clandestins, et il existe aussi
des structures sanitaires de proximité qui reçoivent des adultes dépourvus d’assurance
maladie.205 D’autre part les structures et les services sociaux privés et d’entraide qui opèrent
dans le domaine de l’accueil, de l’orientation et de l’aide sociale sont ouverts aux
clandestins.206
Pour les enfants, les soins de santé sont en principe gratuits quelque soit leur statut (voir
l’Hôpital de l’enfance à Lausanne). Les mineurs non-accompagnés clandestins pourraient en
théorie y recourir. Mais la volonté de passer inaperçus les incitera sans doute à limiter au
maximum leur recours aux structures sanitaires.
Dans ce domaine de la santé, il convient de mentionner un problème majeur commun à toutes
les personnes au statut précaire : requérants d’asile et clandestins. Il a été constaté que la
plupart des maladies dont ils souffrent sont liées à l’anxiété due sans doute à leurs conditions
d’existence et leur statut. Le suivi psychologique qu’ils nécessitent n’est généralement pas
disponible.207
S’agissant des requérants d’asile par exemple, les professionnels de la santé ont déjà signalé
les conséquences de cette incertitude sur leur santé notamment psychique. Ils ont proposé que
les intéressés soient rapidement fixés sur leur dossier et pris en charge au point de vue
psychologique.208 En effet, le Dr Laurent Subilia, de l’Unité de Médecine de Voyages et des
Migrations (Département de Médecine communautaire, HUG) chargée depuis 1984 d’assurer
la visite sanitaire de frontière pour tous les requérants d’asile de plus de 15 ans attribués au
canton de Genève, a suivi de nombreux patients pendant leur attente à leur demande d’asile. Il
a ainsi constaté que l’anxiété et l’instabilité liées à leur situation administrative constituait un
handicap majeur à la guérison. Et chez des personnes déjà fragilisés par des antécédents de
203
Marcello Valli, op. cit. p.27
Christel Burri, op. cit., p.14
205
Marcello Valli, op. cit., pp.36,
206
La pratique des associations d’entraide oeuvrant pour les personnes en difficulté ne relève pas de
fréquentation de leurs services par les mineurs non accompagnés, soit parce qu’ils ont les moyens de s’offrir les
services payants des professionnels oeuvrant dans le privé, soit parce qu’ils empruntent l’identité de quelqu’un
d’autre ayant ses papiers. (Voir M. Valli, op. cit., pp.36ss. M. D. Bangui: entretien précité).
207
Marcello Valli, op. cit., pp.38, 40
208
Sur cette question, le HCR souhaite également que les mineurs soient informés sur leur sort pour éviter qu’ils
ne sombrent dans l’anxiété. (Guidelines 1994, p.102)
204
47
La situation des mineurs non-accompagnés en Suisse
violence, une dégradation de leur santé au niveau somatique et psychologique209 a été
remarquée.
Or s’agissant des MNA clandestins, l’adolescence210 étant une période critique dans le
développement de l’être humain, les traumatismes provoqués par ces conditions de vie, (la
clandestinité et la peur), peuvent avoir des conséquences encore plus néfastes que chez
l’adulte s’ils ne sont pas pris en charge et soignés, et compromettre leur développement
harmonieux.211
Au niveau de l’accueil et de l’hébergement, dans de nombreux pays, les mineurs "errants"
sont pris en charge par des associations ou des organismes étatiques du secteur social
lorsqu’ils sont trouvés sur la voie publique.
Dans beaucoup de pays d’Europe (France, Italie, Portugal, Grèce, Pays-Bas, Belgique,
Allemagne, etc.) on peut véritablement parler d’afflux. En Suisse, même s’il n’a pas encore
atteint une telle ampleur, le phénomène de MNA clandestins existe. Des études approfondies
n’ont pas encore été faites pour mesurer son étendue.212 Mais dans la pratique, il existe même
de mécanismes de prise en charge. Les mineurs clandestins identifiés comme n’ayant pas de
référents parentaux sont référés à la Coordination des mandats tutélaires qui les place dans des
foyers pour mineurs en difficulté ou dans des centres d’hébergement avec les adultes. C’est ce
qui arrive si l’enfant est trouvé par la police. D’autre part, un enfant non-accompagné
clandestin qui serait admis dans une formation hospitalière ne serait pas livré à lui-même à la
fin de son traitement.
La controverse sur les centres d’hébergement ouverts ou fermés refait surface lorsqu’il est
question de savoir quel est la meilleure politique d’encadrement des enfants mineurs non
accompagnés clandestins au regard des insuffisances constatées dans le système de centres
ouverts là où ils existent.
Si certains décideurs politiques expriment de plus en plus le souhait de trouver des solutions
concrètes à l’absentéisme des jeunes hébergés dans les centres, les milieux sociaux pour leur
part sont en grande partie hostiles à toute idée d’enfermement. Ils estiment qu’enfermer n’est
pas éduquer. Et d’autre part, il n’est pas question que les mineurs migrants soient moins bien
traités que leur collègues nationaux. Cela équivaudrait à une violation du principe de la nondiscrimination.
En Suisse, le problème ne se pose pas dans les mêmes termes car la situation est loin d’être
comparable à celle de ses voisins européens.
En France par exemple, des enfants isolés traînent aux carrefours et dans le métro pour faire la
mendicité ou le vol à la tire. Et des rumeurs circulent sur l’implication éventuelle des réseaux
209
Laurent Subilia, Statuts provisoire : un handicap majeur, in Vivre ensemble, n°90, décembre 2002, pp.14-16
Voir l’âge de la majorité des RAMNA, supra pp.22-25
211
Le HCR souhaite également que les MNA soient informés le plus tôt possible sur leur sort. Guidelines 1994,
102 : "Minors old enough to understand what is meant by status determination should be informed about the
process, …Uncertainty leads to unnecessary anxiety…"
212
Il n’est pas rare que la presse fasse état de l’existence de réseaux mafieux opérant à partir de la France et qui
utilisent des enfants du voyage pour venir commettre, à Genève notamment, des cambriolages dans les
résidences privées.
210
48
La situation des mineurs non-accompagnés en Suisse
mafieux et d’exploitation des mineurs.213 Le phénomène tend d’ailleurs à s’amplifier avec
l’arrivée massive d’enfants originaires d’Europe de l’Est, de la Chine et d’Afrique noire.
La question a alors entraîné une réponse des autorités en créant des centres pour les mineurs
isolés destinés à servir de lieu de transit avant de trouver la solution adaptée à chaque cas
grâce à une évaluation médico-psychologique, scolaire, linguistique, administratif, etc. de la
situation.214
Et c’est le retour dans le pays d’origine qui a été considéré la meilleure des solutions. A cette
fin, le 4 mars 2002, la ministre déléguée à la Famille et à l’Enfance, Ségolène Royal, avait
signé avec le secrétaire d’État roumain pour la Protection de l’enfance une déclaration
commune favorisant le retour en Roumanie des mineurs isolés en France: recherche de
solution sur place, restauration du lien parents/enfants, ou institution adaptée. En Roumanie,
une Autorité nationale pour la protection de l’enfant et l’adoption (ANPCA) et des directions
départementales des droits de l’enfant participent au projet, de même que certaines ONG
accréditées.215
En Suisse, d’après les discussions menées avec les intervenants sociaux et les responsables
administratifs, la question de la création de centres pour mineurs clandestins n’est pas à
l’ordre du jour.
Pour certains intervenants, la structure fédérale de la Suisse rend inévitable la disparité dans
l’organisation matérielle du séjour des mineurs isolés étrangers dans les cantons. La
confédération ne peut donner d’injonctions aux cantons ni distribuer de bons points. Et
comme pour l’encadrement des RAMNA (où pourtant les standards existent) les moyens
disponibles varient d’un canton à un autre et déterminent le niveau de prise en charge.216
Pour d’autres, des centres fermés seraient difficiles à mettre sur pied en raison du profil des
clients concernés, généralement des adolescents. Et il serait contre-productif d’enfermer des
adolescents contre leur gré.217
La voie qu’il serait souhaitable d’explorer est sans doute celle de la définition au niveau
fédéral, d’un certain nombre de principes directeurs en matière de création et d’administration
des centres pour mineurs clandestins, à la lumière de la Convention des droits de l’enfant.218
Mais la démarche vaut également pour l’hébergement des RAMNA.219 Les centres en
question seraient libres d’adapter leur vie quotidienne en fonction de l’intérêt supérieur de
l’enfant.
213
Le service départemental parisien de l’Aide sociale à l’enfance (ASE) a enregistré 847 mineurs étrangers en
2002, soit un quadruplement en 3 ans : 209 en 1999, 527 en 2001 : voir Joël Plantet, Que faire des enfants isolés
étrangers ? op. cit., p.2
214
Le LAO, lieu d’accueil et d’orientation pour mineurs étrangers isolés a été créé à Taverny dan le Val d’Oise
le 2 septembre 2002, d’une capacité de 18 places. En tant que lieu de transit des mineurs il compte en recevoir
180 par an.
215
Joël Plantet, Que faire des mineurs isolés étrangers ? op. cit., p.4
216
M. Dominique Boillat, entretien précité du 5 août 2003
217
Mme Chantal Rawlings Meylan, Centre des RAMNA des Tattes, entretien précité.
218
M. Dominique Boillat, entretien précité.
219
La disparité constatée dans la prise en charge des RAMNA pourrait ainsi être atténuée.
49
La situation des mineurs non-accompagnés en Suisse
Le responsable du centre MNA de Zurich semble soutenir la même position. Il propose
d’aborder le problème sous l’angle pragmatique. Un enfermement peut alors être envisagé si
l’intérêt de l’enfant l’exige, par exemple pour réduire les risques de délinquance.
3. LA DELINQUANCE ET LE MNA
D'après les données fournies par l’Office fédéral de la statistique,220 la Suisse a enregistré une
hausse générale de la délinquance juvénile en 2002, à l’exception de quelques infractions
(contre le patrimoine, les violences routières).
S’agissant des MNA d’origine africaine, d’après le rapport Jörg Frieden, les migrants
africains ne posent pas de problèmes particuliers de cohabitation avec la communauté
nationale. Et les mineurs qui traînent sur la voie publique en prenant la pose provocante
affichent un comportement de défiance propre aux jeunes de leur âge.221
La criminalité des requérants d’asile a plusieurs facettes et ses causes sont variées.
3.1
Quelques causes
Parmi les causes les plus généralement citées ont peut dénombrer : la présence des
organisations criminelles, le manque d’occupation, les besoins financiers.
3.1.1 La présence des organisations criminelles
La criminalité tend à se durcir chez les jeunes. La tendance est générale en Suisse, ainsi que
dans les autres pays d’Europe. La hausse de la durée des pénalités dans le projet de nouvelle
loi suisse sur la justice des mineurs de 1 à 4 ans minimum pour certaines infractions
particulièrement graves est directement lié à ce phénomène.222
L’une des causes fréquemment évoquée est la présence de réseaux criminels qui organisent et
tirent profit des crimes qui sont commis par les mineurs. Les jeunes y participent de manière
active, soit de leur propre gré et par goût du lucre, recrutés et entraînés par un ami ou un
parrain, soit contraints par les circonstances, parmi lesquelles : la clandestinité, la fragilité liée
à la solitude, l’insuffisance d’encadrement, la gratitude envers des parrains qui ont payé le
voyage en Suisse, la déférence envers les parents restés aux pays et ayant convenu avec des
mafias diverses en se portant garants de l’obéissance de leur enfant envers ces mafias, etc.
S’agissant particulièrement de la vente des stupéfiants, il est permis de penser que ce
commerce est organisé par des réseaux présents en Suisse sans qu’il soit possible de dire avec
certitude s’ils opèrent en toute indépendance ou en tant que ramification d’une structure qui
s’étend à l’étranger.223
La migration ouest-africaine des mineurs non accompagnés qui demandent l’asile en Suisse
est certainement liée à des organisations criminelles. La littérature officielle elle-même ne
220
http://www.statistik.admin.ch/news/archiv97/fp97095.htm
Jörg Frieden, op.cit, p.4
222
Voir infra sur la justice des mineurs, pp.64ss
223
Voir infra sur la justice des mineurs, pp.64ss
221
50
La situation des mineurs non-accompagnés en Suisse
contredit pas cette opinion répandue. La soudaine apparition du phénomène de MNA venant
en grand nombre de la même région d’Afrique n’a pu que provoquer des interrogations chez
les observateurs et les intervenants officiels.224
Des interlocuteurs rencontrés ont déclaré avoir entendu de la bouche des mineurs des
déclarations qui confirmaient cette opinion. Certains mineurs ont bel et bien parlé de contacts
que des inconnus avaient pris avec leurs parents en Afrique pour que ces derniers acceptent,
en échange de la construction d’une maison en matériaux durables, de les autoriser à envoyer
leur enfant en Europe. Il y travaillerait pour vendre de la drogue pour rembourser le coût de la
maison.225 Une quelconque forme de manipulation idéologique préalable de la part des
recruteurs n’est pas impossible.226
D’autre part, il a été remarqué que certains mineurs qui débarquent fraîchement d’Afrique ont
de la peine à faire ce travail pour lequel ils auraient été recrutés. Mais très vite, ils prennent
leurs marques sans doute grâce au coaching d’un autre jeune mieux aguerri, ou d’un
superviseur adulte présent en Suisse. Ils prennent de l’assurance et cessent d’avoir peur. La
thèse d’un recrutement dans le pays d’origine des jeunes, pour la plupart de conditions
modestes, pourrait être ainsi confirmée.227
Il arrive également que des jeunes arrivés sans intention d’appartenir à un réseau finissent par
y adhérer. La solitude déjà invoquée a beaucoup à voir dans une telle décision. On pourrait
également citer des causes comme le besoin d’écoute, l’incertitude de l’avenir liée à sa
situation administrative, le manque d’occupation, le besoin d’argent, la volonté de ressembler
aux autres mineurs ou d’appartenir à un groupe soudé dans lequel les membres sont
apparemment heureux et peuvent s’offrir tout ce qu’il désirent.
Une interlocutrice a donné l’exemple d’un MNA qui lui était proche. Mais en raison de
difficultés administratives liées à son dossier d’asile, celui-ci se renferma peu à peu sur luimême et abandonna l’école. Il se retrouva en prison pour trafic de drogue au bout de quelques
temps. Cette interlocutrice se disait convaincue que ce mineur ne faisait pas partie d’un réseau
de trafiquants de drogue à son arrivée en Suisse.228
Il a également été fait état de mineurs qui auraient été contactés pour la première fois au
centre d’enregistrement pour faire partie du réseau, et rembourser ainsi leurs frais de voyage.
Ceci tendrait à faire croire que certains des mineurs ne savent pas ce que leurs bienfaiteurs
attendent en retour du concours offert pour faciliter le voyage en Europe.229
Par ailleurs, les passeurs jouent un grand rôle dans l’entrée en Suisse des RAMNA, le même
qu’il joue pour les adultes.
D’après les témoignages, les passeurs semblent agir de préférence à partir du territoire italien.
Ils aident les candidats à l’asile à entrer en Suisse et les déposent, (pour Genève par exemple)
vers la gare avec un peu d’argent pour prendre le bus. Certains sont déposés dans la zone de
transit de l’aéroport, d’autres encore louent des taxis qui déposent tard le soir les candidats
224
De l’avis de M. Dominique Boillat de l’ODR, l’origine des MNA africains tend petit à petit à se diversifier.
Entretien précité
225
M. Abou Diallo, entretien précité
226
M. Jean Zermatten a par exemple estimé que les réseaux criminels jouent avec la psychologie des enfants, qui
se sentent ainsi valorisés. Entretien précité.
227
Daniel Bangui, entretien précité du 31 juillet 2003
228
Véronique Egger, Aumonière protestante, Agora/Genève: Entretien du 17 juillet 2003
229
Ousmane Diallo, entretien précité.
51
La situation des mineurs non-accompagnés en Suisse
devant l’entrée de l’Agora en leur apprenant le mot qu’il faut prononcer : "asile". Les passeurs
savent que les candidats à l’asile recevront un secours pour la nuit à l’Armée du Salut, ainsi
que des renseignements sur la marche à suivre pour introduire une demande d’asile.230
De l’avis de certaines personnes interrogées, les recruteurs en Afrique de l’Ouest travaillent
pour le compte des hommes d’affaire basés au Nigeria. Ils sont chargés de circuler dans les
pays de la région pour identifier des enfants appartenant à des familles modestes afin de
passer un marché avec les parents. Les hommes d’affaires nigérians eux-mêmes
appartiendraient à un échelon intermédiaire d’une organisation plus vaste dont les têtes
pensantes seraient en Amérique latine (Brésil, Colombie).231
L’existence d’une filière italienne a été abondamment mentionnée par les interlocuteurs
contactés. De nombreux écrits en font aussi état.232 Mais il existe sans doute d’autres voies
d’entrée notamment par la France.233
Sur place en Suisse, il existe à coup sûr des relais nationaux ou étrangers. Un interlocuteur
travaillant à Bâle estime que des relais pourraient se trouver dans la région de Genève et de
Lausanne. Les mineurs qu’ils côtoient s’y rendent régulièrement sans doute pour recevoir des
ordres ou s’approvisionner.234
Un autre interlocuteur habitant Genève a pour sa part estimé que les relais suisses d’une
éventuelle organisation devraient se trouver à Zurich. Car les mineurs qu’il connaissait s’y
rendaient régulièrement.235
Cette apparente contradiction pourrait tenir au fait que les exécutants de terrain que sont les
mineurs sont regroupés en "chapitres" qui relèvent chacun d’une autorité hiérarchique située
dans une autre ville, sans doute la plus éloignée de son lieu de résidence.236
S’agissant de l’encaissement de fonds provenant de la vente de la drogue cependant, la règle
serait différente. Un percepteur de recettes existerait sur place pour se faire remettre les
sommes perçues dans la journée. C’est sans doute également ce dernier qui pourvoit les
nouveaux arrivants de téléphones portables. Car d’après les témoignages, les mineurs se
retrouvent tout de suite après leur arrivée en possession de téléphones, comme si cette arrivée
avait été préparée et attendue.237
Personne n’est autorisé à garder par dévers lui des sommes provenant de la vente des produits
qui lui ont été confiés : d’après notre interlocuteur, cette règle serait de stricte application. De
toutes façons, il y a toujours un mineur qui exerce un contrôle quasi-hiérarchique sur les
autres mineurs. C’est lui qui veille au respect des consignes. Il connaît les faits et gestes de
ses collègues et est à même de dire à tout instant à quel endroit se trouve un mineur. Et
230
M. Jean-Pierre Zurn, M. Abou Diallo : entretiens précités
Abou , entretien précité.
232
Christian Lecomte, Immigration clandestine, …op. cit.; Christel Burri, op. cit, p.8
233
Fidèle Mendicino : Qui sont les 25000 refoulés des frontières genevoises ? in Tribune de Genève, 25-26
janvier 2003, p.17
234
Daniel Bangui, entretien précité.
235
Abou Diallo, entretien précité.
236
Il est possible qu’il n’en soit rien et que les mineurs en question satisfassent uniquement leur volonté de
mobilité, assez répandue dans le milieu des MNA, pour leur simple plaisir ou pour visiter des ami (e)s ou des
connaissances.
237
Daniel Bangui, entretien précité.
231
52
La situation des mineurs non-accompagnés en Suisse
lorsque les circonstances l’exigent, il est celui qui effectue les paiements nécessaires pour les
autres mineurs y compris en matière pénale et administrative. Cependant, les revendeurs ont
sans doute droit à un certain pourcentage sur les ventes réalisées car les mineurs sont parfois
trouvés en possession d’importantes sommes d’argent au cours des contrôles inopinés
effectués par la police sur la voie publique ou des fouilles des chambres dans les foyers
d’hébergement. Les mineurs se procurent également des appareils coûteux (caméras, appareils
photos, téléphones portables, chaînes musicales, etc.), le tout payé cash contre reçu.
S’agissant des sommes saisies, elles seraient soit transférées à l’ODR pour le compte du
mineur, soit gardées par la police à charge pour le mineur de les retirer au fur et à mesure de
ses besoins.238
D’après certains interlocuteurs, les jeunes adolescents nationaux n’interviendraient pas dans
le trafic de drogue comme revendeurs et ne seraient que des consommateurs. Par contre, il ne
serait pas impossible que l’un ou l’autre serve d’intermédiaire ou de contact dans son milieu
ou son école. De même, les jeunes filles fréquentant des RAMNA d’asile impliqués dans le
trafic pourraient, sciemment ou de bonne foi, servir de receleuses de fonds provenant de ce
trafic.239
Par ailleurs, les mêmes témoignages font état des transferts de fonds réguliers que les mineurs
effectuent à destination de leurs familles et proches dans le pays d’origine. Certains
intermédiaires financiers seraient peu regardants sur les règles en la matière, notamment la
présentation d’une pièce d’identité, qu’ils exigent pourtant à tout le monde. Les mineurs
peuvent ainsi opérer des transferts en tout anonymat.240
Le recrutement des mineurs par des réseaux criminels empêche la jouissance par ces enfants
et adolescents des droits prévus en leur faveur par la convention des droits de l’enfant :
•
•
le droit aux loisirs : (art. 31 : Les Etats parties reconnaissent à l'enfant le droit au repos
et aux loisirs, de se livrer au jeu et à des activités récréatives propres à son âge et de
participer librement à la vie culturelle et artistique.). Les mineurs revendeurs de
stupéfiants sont obligés de travailler tous les jours pour payer leur dette envers leurs
bienfaiteurs.
la protection contre les stupéfiants : (art. 33 : Les Etats parties prennent toutes les
mesures appropriées, y compris des mesures législatives, administratives, sociales et
éducatives, pour protéger les enfants contre l'usage illicite de stupéfiants et de
substances psychotropes, tels que les définissent les conventions internationales
pertinentes, et pour empêcher que des enfants ne soient utilisés pour la production et le
trafic illicites de ces substances.) L’Etat d’accueil doit prendre les mesures qui
s’imposent pour prévenir et lutter contre le recrutement par les réseaux des mineurs
présents sur son sol. Il en est ainsi également de la consommation de ces substances par
les mineurs.241
238
Daniel Bangui, entretien précité
Daniel Bangui, entretien précité.
240
idem
241
Les mineurs revendeurs ne sont pas en principe consommateurs de drogue, de l’avis de plusieurs
interlocuteurs (Mme Chantal Rawlings Meylan, entretien précité, M. Daniel Bangui : entretien précité). Mais il y
en a quelques uns.
239
53
La situation des mineurs non-accompagnés en Suisse
•
la protection contre l’exploitation par le travail, l’exercice d’un travail nuisible à
l’éducation, la santé morale, physique et psychique : (art. 32 : Les Etats parties
reconnaissent le droit de l'enfant d'être protégé contre l'exploitation économique et de
n'être astreint à aucun travail comportant des risques ou susceptible de compromettre
son éducation ou de nuire à sa santé ou à son développement physique, mental,
spirituel, moral ou social). Les mineurs qui pratiquent le trafic de drogue abandonnent
généralement l’école pour s’adonner à ce commerce. D’autres intègrent ces milieux
pendant leur période d’oisiveté.
3.1.2 Le manque d’occupation
En règle générale, la procédure d’asile dure longtemps.242 Mais pendant toute la durée de la
procédure, l’incertitude dans laquelle vivent les requérants d’asile soumet leurs nerfs à rude
épreuve. Les cas de dépression nerveuse ne sont pas rares. L’angoisse de ne savoir de quoi
demain sera fait est couplée à une peur, partagée par tous les requérants, de se voir renvoyé
dans son pays d’origine.
D’autre part, il a été relevé que la procédure à l’aéroport est très traumatisante pour les
personnes qui sont admises à rester dans la zone de transit en attendant que la possibilité
d’une autorisation d’entrée sur le territoire helvétique soit examinée. Pendant cette période, la
vue des requérants d’asile déboutés qui sont astreints à monter dans le premier avion à
destination de leur pays d’origine, soumet les autres candidats à l’asile à une angoisse qui les
suivra longtemps après leur admission sur le territoire. L’incertitude de l’attente pendant la
procédure fera encore grandir cette angoisse.
Cette peur et cette angoisse sont aggravées par le manque d’occupation due à l’interdiction de
travailler qu’impose le droit d’asile pendant un laps de temps variable de 3 à 6 mois, voire
plus, suivant les cantons. Dès lors, trouver une occupation en termes de formation ou
d’emploi serait la meilleure des thérapies aux problèmes à caractère psychique que
connaissent les requérants d’asile.
Pour les mineurs également, un certain temps est nécessaire pour pouvoir intégrer une classe
d’accueil. Cette période doit être considérée comme l’une des plus difficiles de la procédure
d’asile. Les témoignages recueillis auprès de l’Agora confirment que les requérants qui
viennent chez eux pour suivre des cours de français, d’informatique243 ou tout simplement
pour parler, sont dans un état de solitude avancée. Et les changements sont remarquables
après un certain laps de temps, notamment pour ceux qui sont admis à suivre des cours,
242
Pour tenter d’y remédier, des efforts sont actuellement entrepris par l’ODR pour que le plus possible de
dossiers soient résolus dans les centres d’enregistrement. Dans le cadre de ce programme (dit « DUO »), les
auditions fédérales devraient remplacer autant que possibles les auditions cantonales et les candidats devraient
recevoir leurs décisions dès le centre d’enregistrement. Les équipes de fonctionnaires fédéraux devraient être
renforcées avec notamment l’arrivée d’auditeurs supplémentaires. A Vallorbe par exemple, le nombre devrait
passer de 15 à 20 auditeurs en 2004. Face à cette augmentation des procédures dans les CERA, l’OSAR a monté
un projet d’assistance juridique (informations sur la procédure, recours et présence éventuelle aux auditions en
qualité de mandataire sur demande des requérants.) Le programme DUO n’a pas changé la procédure en ce qui
concerne les mineurs non accompagnés car les auditions restent sommaires et ne portent pas sur les motifs
d’asile. Cependant il n’est pas rare que des mineurs reçoivent une décision de non entrée en matière et de renvoi
déjà à ce stade. (Entretien 22 juillet 2003 avec Mme Karine Povlakic, juriste du SAJE (Service d’aide juridique
aux exilé-e-s) auprès du CERA de Vallorbe. La future modification de la loi sur l’asile prévoit d’examiner dès ce
stade les motifs d’asile, y compris pour les RAMNA. Dans ce cas il y aurait une possibilité de prévoir la mise en
œuvre des mesures tutélaires. (M. Philippe Tinguely, entretien précité).
243
Les candidats aux cours d’informatique sont autorisés à participer aux épreuves du certificat fédéral de
capacité.
54
La situation des mineurs non-accompagnés en Suisse
comme si cette admission était tout à coup une reconnaissance de leur valeur en tant que
personne.244
S’agissant des mineurs non accompagnés, les sentiments de solitude et d’ennui sont encore
plus compréhensibles. Et lorsqu’on considère qu’ils ne vont pas tous à l’école, on peut à juste
titre craindre qu’ils soient soumis à des tentations diverses pour échapper à cet ennui et ce
désoeuvrement. Ceux qui ne feraient partie de réseaux criminels pourraient alors rejoindre ces
derniers sans résistance.245
A ce sujet, de nombreux interlocuteurs ont souhaité une meilleure formation des mineurs,
notamment dans les branches qui les intéressent et qui pourraient leur assurer un travail dans
l’optique d’un retour dans le pays d’origine, voir pour s’intégrer en Suisse.246
Le manque d’occupation est lui-même très mal perçu par l’opinion publique dans un pays
comme la Suisse qui donne une importance particulière au travail. La vue des groupes de
personnes valides qui passent la journée à ne rien faire ne peut que heurter ses convictions. Et
lorsqu’en plus ils sont logés et reçoivent un abonnement de bus gratuit et un chèque, même si
les montants sont pas énormes, une certaine grogne est compréhensible.
Le problème n’est cependant pas simple car la même opinion ne souhaite pas voir l’accès au
marché du travail automatiquement ouvert aux requérants d’asile. La proposition de la
municipalité de Zurich de rendre obligatoire le travail pour les requérants d’asile n’a pas
recueilli que des opinions favorables.
Malheureusement, c’est justement pendant cette période où ils ont besoin d’occuper leur
esprit qu’il sont contraints à l’inaction. La fragilité inhérente à cette période pourrait expliquer
que chez des personnes naturellement vulnérables comme le sont les enfants et les
adolescents, l’offre d’un travail, même répréhensible soit reçue avec intérêt. Les témoignages
évoqués plus haut247 ont relevé les cas des mineurs recrutés par des réseaux criminels à partir
du centre d’enregistrement ou du centre d’hébergement, en mettant en avant par exemple les
avantages financiers que l’opération comporte.
3.1.3 Les besoins financiers
Dans la première partie le parcours difficile des requérants d’asile pour atteindre la Suisse a
été décrit. Que ce soit par bateau en traversant la Méditerranée, par avion ou par la voie
terrestre en traversant l’Italie ou l’Allemagne, etc… L’organisation d’un voyage à l’étranger
exige des sommes importantes. Outre l’obtention des papiers, et/ou du visa et du billet
d’avion, il faut également payer les passeurs. Les voyageurs dépensent alors beaucoup
d’argent en espérant pouvoir rapidement travailler pour récupérer les dépenses exposées ou
rembourser les sommes éventuellement empruntées.
244
Abou, entretien précité
L’activité criminelle des requérants en général et des mineurs non accompagnés reste cependant le fait d’une
infime minorité.
246
Dans l’exemple du mineur relevé par Mme Egger (supra, p. 49), avant d’être appréhendé par la police et
incarcéré pour trafic de drogue, il lui avait été proposé une formation dans le jardinage, auquel il préférait
cependant la mécanique.
247
Voir supra, p.52
245
55
La situation des mineurs non-accompagnés en Suisse
D’autre part, certaines familles rassemblent leurs économies pour permettre à leur enfant de
voyager. Le requérant d’asile vit alors dans l’obsession de trouver de quoi envoyer au pays
pour aider la famille qui s’est dépouillée de tout pour le faire voyager.248 Les frais d’entretien
payés aux requérants d’asile apparaissent alors insuffisants.249
En outre, il est primordial pour les jeunes de ressembler à ceux de leur âge dans l’habillement
et la possession des biens de consommation courante, comme les téléphones portables, les
appareils photo, les vêtements et les chaussures de marque. L’argent aide à s’intégrer dans le
groupe social auquel on veut appartenir.
La délinquance peut rapporter beaucoup d’argent et de nombreux interlocuteurs ont fait état
des sommes importantes que les jeunes peuvent avoir sur eux, des sommes que d’honnêtes
travailleurs ne trouvent pas aussi pas facilement.
Un gardien de prison à Genève rapportait que dans le cadre de ses fonctions il avait eu affaire
à des MNA en détention. L’un d’eux lui demanda un jour s’il n’était pas las de venir au
service tous les jours, et lui parla alors des sommes importantes qu’il « se faisait » par
semaine.250
M. Daniel Bangui, parlant des mineurs de Bâle, expliquait qu’au cours d’un contrôle inopiné
effectué par la police dans le foyer, un mineur fut trouvé en possession de 8.000 CHF.251
Il n’est pas certain que les mineurs qui sont occupés par les études ou les activités qu’ils ont
librement choisies, résistent ou renoncent à la délinquance. Cependant, de l’avis de nombreux
interlocuteurs, un meilleur encadrement et une meilleure prise en compte de la volonté des
mineurs dans les activités qu’ils veulent entreprendre, seraient une solution immédiate à la
délinquance, et permettraient également de préparer leur avenir dans le pays d’origine en cas
de retour.252 Car il est sûrement plus aisé de prévenir la délinquance d’un mineur par une prise
en charge et une proximité adéquates, que de l'en détourner lorsqu’il y est engagé, en raison
surtout de tous les avantages immédiats qu’elle rapporte. Or, on s’habitue vite à une vie
marginale comportant des avantages.
Cette délinquance peut prendre plusieurs visages.
3.2. Quelques aspects
Comme celle des adultes, la criminalité des jeunes peut prendre plusieurs aspects. Les plus
courants sont sans conteste la vente de stupéfiants, la prostitution et le vol.253
248
En plus, chez les migrants qui pratiquent une stratégie migratoire à court ou moyen terme, il est important de
trouver rapidement les moyens nécessaires pour mener une vie meilleure dans le pays d’origine après le retour.
249
426 CHF pour les mineurs.
250
M. Pierre-Alain Dufey, entretien du 5 juillet 2003
251
M Daniel Bangui, entretien précité.
252
MmeVéronique Egger, entretien précité.
253
Les chiffres démontrent que les infractions contre l’intégrité corporelle ont également augmenté et le
phénomène touche tous les jeunes, migrants et indigènes, (voir infra M. Jean Zermatten, p.12)
56
La situation des mineurs non-accompagnés en Suisse
3.2.1 Le trafic de stupéfiants
La délinquance des mineurs, particulièrement celle des requérants d’asile, est étroitement liée
au trafic de drogue. C’est ce que pense une grande partie de l’opinion mais, également les
milieux officiels.
D’après le rapport rédigé par M. Valli pour la municipalité de Lausanne par exemple, ce trafic
n’est pas l’affaire des clandestins mais celle des requérants d’asile.254
Il n’est pas aisé de connaître les méandres de ce commerce illicite. On peut néanmoins dire
que les RAMNA sont utilisés pour revendre de petites boulettes de drogue à la sauvette sur la
voie publique à une clientèle d’habitués.
Le domaine de la prostitution semble avoir inspiré cette politique.
3.2.2 La prostitution
Il n'existe pas de chiffre sur la prostitution MNA. L'opinion répandue tend plutôt à considérer
que cette activité est largement exercée par des filles, pour la plupart sans papiers, en
provenance d’Europe de l'Est. Il existerait ainsi un véritable trafic grâce auquel les filles
seraient introduites dans les pays de l’Europe de l'Ouest par des mafias diverses leur
promettant une activité professionnelle parfois des plus dignes.
Les données ne sont pas disponibles pour soutenir l'existence d’une exploitation des filles
mineures non accompagnées, il n'est pas exclu que des jeunes filles se faisant passer pour
majeures avec des documents d'identité falsifiés se prostituent.255
En Suisse, il n'est pas illégal de se prostituer mais c'est le fait d'exploiter la prostitution
d'autrui qui est condamnable.
Il est cependant certain que des MNA sans encadrement efficace, se prostituent, de leur
propre gré ou pour le compte d’un souteneur. C’est ce qui arrive sans doute aux mineurs
clandestins car il est difficile de vivre en Suisse sans papiers, sans travail et sans assistance.
Cependant, des mineurs en cours de procédure d'asile peuvent également s'adonner à la
prostitution.
Mme Rawlings Meylan, responsable des RAMNA au foyer des Tattes à Genève, a admis la
possibilité que des filles mineures non accompagnées logées dans ce foyer se prostituent en
ville. Mais elles sont si discrètes qu’il est difficile de savoir ce qui se passe, et préfèrent
disparaître en cas de problème. Une fille a par contre réussi à sortir du réseau après son
hospitalisation à la suite d’une tentative de suicide. Le phénomène ne touche cependant
qu'une infime minorité (peut-être 2 ou 3 filles sur les 16 mineures du centre). D'après Mme
Rawlings Meylan, la prostitution est entre les mains des réseaux mafieux, principalement
africains et kosovars.256
254
Marcello Valli, op. cit, p.25
Marcello Valli, op.cit, pp.24-25
256
Mme Chantal Rawlings Meylan, entretien précité.
255
57
La situation des mineurs non-accompagnés en Suisse
De même d’après M. Daniel Bangui, certains parmi les mineurs non accompagnés confiés au
canton de Bâle, se prostituent au bout d’un certain temps. Mais il est difficile de dire pour le
compte de qui.257
3.2.3 Le vol
De manière générale, la fréquence les infractions dirigées contre le patrimoine tendent à
baisser.258 Cependant des cas de vol ont quelques fois été attribués à des mineurs, y compris
des RAMNA.
Il s'agit généralement des faits de moindre importance qui n'impliquent pas l'intervention des
bandes. Les personnes interpellées, souvent en flagrant délit, sont trouvées en possession des
effets volés à l’étalage dans les magasins et les supermarchés. Ce genre de criminalité est
assez répandu chez les jeunes adolescents.
Les mineurs requérants d’asile ne sont donc pas en reste.259 Dans le but de combattre ce genre
de vol, les instructions obligent les requérants d’asile à garder sur eux les reçus des appareils
qu'ils possèdent. Au centre d'enregistrement également, ils sont instruits de garder les reçus
des articles qu'ils rapportent, y compris les vivres.
Les mineurs interpellés pour infraction à la loi pénale peuvent en répondre devant la
justice.260
3.3. La justice des mineurs
De l’avis de nombreux observateurs, la délinquance dans les milieux des jeunes tend à
augmenter. Cette impression est due notamment aux agressions survenues ces dernières
années impliquant des jeunes et la couverture de ces dernières dans la presse.
En Suisse romande par exemple au cours du premier semestre 2003 plusieurs incidents
particulièrement graves, dont certains mortels, ont impliqué des jeunes.261 D’autre part, les
statistiques démontrent que les infractions liées au trafic des stupéfiants ont quasi-quadruplé
ces dernières années : A titre d’exemple de 1990 à 2000 : le nombre de mineurs condamnés
pour infractions contre l’intégrité physique est passé de 181 à 798, soit de 2,5% à 7,1% . Les
condamnations pour infractions contre la législation sur les stupéfiants sont passées de 767 à
4.461, soit de 11,0% à 39,0%. Or pendant la même période les agressions contre le patrimoine
ainsi que les violences routières ont diminué.262
257
M. Daniel Bangui, entretien précité.
Rapport de l’OFS sur la jeunesse, 1997. statistiques confirmées par les chiffres de la criminalité en 2000.
http://www.statistik.admin.ch/news/archiv97/fp97095.htm
258
259
L’histoire de deux jeunes lituaniens qui dévalisaient des magasins de vêtements et expédiaient régulièrement
leur butin dans leur pays par la poste. C’est d’ailleurs comme cela qu’ils éveillèrent les soupçons d’un employé
de poste qui alerta la police (M. Jean Zermatten, entretien précité).
260
La première obligation du réfugié (par analogie, le requérant d’asile) est le respect des lois du pays d’accueil
(art. 2 de la convention de 1951 sur le statut des réfugiés).
261
Agressions mortelles en gare d’Yverdon le 1er juin, et à Vauderens le 14 juin 2003
262
Chiffres de l’Office fédéral de la statistique, http://www.statistik.admin.ch/news/archiv97/fp97095.htm
58
La situation des mineurs non-accompagnés en Suisse
3.3.1 La justice suisse des mineurs
La loi suisse sur la justice des mineurs date de 1937 est intégrée au Code pénal aux articles 82
à 99. Elle s’inscrit dans la logique du système de protection du mineur délinquant, la "Welfare
model".
Cette loi est actuellement en révision et un nouveau projet a été accepté le 20 juin 2003 pour
entrer en vigueur en janvier 2005. Elle ne se détourne pas du système actuel mais y apporte un
certain nombre de modifications :
1. introduction de quelques éléments de la justice réparatrice : la médiation et les travaux
d’intérêt général.263
2. relèvement du seuil de l’intervention pénale qui passe de 7 ans actuellement à 10 ans.
3. suppression de la distinction de principe dans l’imposition de la sanction entre les
enfants (7-15 ans) et les adolescents (15-18 ans).
4. relèvement du maximum de la peine pénale encourue de 1 à 4 ans dans certaines
infractions graves (assassinat, viol, meurtre, brigandage, etc.) mais laisse le minimum
inchangée à 1 jour.
3.3.2 Problèmes posés par les mineurs migrants
Le système de protection mis sur pied par la justice suisse des mineurs part de l’idée que
l’auteur de l’infraction est une victime qu’il faut soigner. Cela suppose que le mineur et ses
proches soient établis de manière plus ou moins permanente sur le territoire helvétique afin
que les mesures décidées par la justice soient observées et atteignent leur objectif notamment
curatif. Or s’agissant de certaines catégories spéciales de mineurs comme les touristes, les
mineurs non-accompagnés et les clandestins, leur séjour peut être des plus brefs.
D’autre part ces mineurs de passage présentent les caractéristiques principales suivantes :
Ils sont peu accessibles aux soins, ne restent pas assez longtemps pour être soignés sur le long
terme, et sont plutôt demandeurs de sanction.264
a) Ils sont peu accessibles en raison d’un problème de langue : les mineurs non-accompagnés
sont principalement originaires des Balkans, de l’ex-URSS et d’Afrique. Ils parlent des
langues étrangères inconnues des intervenants sociaux suisses, ce qui rend les enquêtes de
personnalité difficiles.
b) Ils posent un problème d’ordre culturel : dans certaines cultures en effet, on considère
l’intervention d’un travailleur social comme une immixtion dans la vie privée, et l’assistance
éducative est ressentie comme un échec. Les familles refusent d’entendre parler d’une enquête
bio-psycho-sociale.
c) Les jeunes sont demandeurs de sanction : car celle-ci est limitée dans le temps
contrairement à la mesure qui peut durer longtemps. Et s’agissant des mineurs de passage en
263
le système va évoluer de moniste qu’il est, à dualiste facultatif. L’idée sous-jacente est qu’on peut choisir la
mesure mais sanctionner en même temps. Le législateur a ainsi rencontré les souhaits de ceux qui, face à la
recrudescence de la criminalité dans cette tranche d’âge, souhaitent une plus grande répression des mineurs
délinquants.
264
Jean Zermatten, entretien précité.
59
La situation des mineurs non-accompagnés en Suisse
particulier, qui se situent dans une logique de court terme, il est difficile de leur faire accepter
l’intérêt d’une mesure.
3.3.3 Problèmes posés par les MNA
S’agissant de cette catégorie de mineurs, la durée de leur séjour est incertaine.265 Une mesure
de placement de longue durée devient de ce fait impossible. L’absence sur le territoire
national de tout milieu familial du mineur rend en outre inopérante une quelconque enquête
bio-psycho-sociale destinée à établir les causes de l’infraction et agir sur elles.266
Même la présence d’un tuteur prévu par la loi ainsi que les autres mécanismes de protection
du code civil et du droit d’asile ne sont pas à même de remplacer le milieu familial du mineur
pour aider le juge à comprendre son état de santé physique, psychique et sociale dans le pays
d’origine.267 D’autre part, l’apparition du phénomène dit de "faux mineurs" pose un défi
supplémentaire à la justice suisse des mineurs. Il s’agit des adultes qui se font passer pour des
mineurs. En principe en tant qu’adultes ils devraient subir des peines plus sévères. Cependant,
et pour les raisons invoquées ci-haut, le juge ne peut prononcer une mesure à leur encontre268
mais uniquement des peines.269
4. QUELQUES SOLUTIONS
4.1
Dans le pays d’origine
4.1.1 Le manque d’information fiable a été relevé comme l’une des
raisons qui poussent les mineurs à émigrer
a) entreprendre un travail de sensibilisation destinée aux mineurs et à leurs familles : des
efforts devraient être entrepris dans divers milieux où évoluent les jeunes : les écoles, les
associations des quartiers, les cercles culturels, les églises, les familles, etc. avec le concours
de tous les intervenants sociaux privés ou gouvernementaux, les ONGs, les artistes, les
églises, les jeunes eux-mêmes, pour faire passer un message de prévention à travers les
médias (les journaux, la radio, la télévision), les conférences-débats, les campagnes
d’affiches, les pièces de théâtre, la bande dessinée, les concours de poésie, etc. destinés à :
• encourager les jeunes à poursuivre leur scolarité
• mieux informer sur les conditions de vie en Occident
• mieux informer sur les dangers des réseaux d’exploitation et de trafic de drogue
265
Il va sans dire que le séjour en question est le séjour légal car les mineurs déboutés tendent à disparaître
(Untertauten), même si de l’avis de l’ODR l’exécution des renvois prononcés à l’encontre des mineurs non
accompagnés est une chose rare (M. Dominique Boillat, entretien précité).
266
S’agissant des mineurs préalablement recrutés par des organisations criminelles, il est particulièrement
difficile pour le juge de les éduquer, d’agir sur les causes dans un but curatif et de prévenir la commission future
d’autres actes répréhensibles.
267
Il n’est pas certain que la compréhension des causes de l’infraction dans la société d’accueil du mineur soient
plus faciles d’accès par le tuteur, le curateur ou la personne de confiance.
268
Parce qu’inopérantes et parce que les mineurs eux-mêmes réclament une sanction.
269
On en arrive dans la pratique à une justice à deux vitesses où les mineurs requérants d’asile ne sont soumis
qu’à la sanction et non à la mesure.
60
La situation des mineurs non-accompagnés en Suisse
b) encourager le partage d’expériences avec les jeunes par d’autres jeunes et par des adultes
vivant dans les pays d’immigration ou retournés dans le pays d’origine, grâce à des
séminaires, des programmes radio, télé, un forum Internet, etc... destiné à les convaincre que
la vie est possible dans leur propre pays
c) obtenir l’implication des milieux officiels, gouvernementaux et diplomatiques dans les
efforts de prévention grâce à la publication de brochures et de dépliants disponibles dans les
ambassades et les administration.
4.1.2 Le manque de perspective d’avenir est l’une des causes de
l’exode des jeunes vers l’Occident
a) mettre sur pieds des programmes de formation professionnelle destinées à des groupes
ciblés de jeunes, déboutés de la procédure d’asile retournés au pays et jeunes jamais émigrés.
b) accompagner dans la recherche d’un emploi les jeunes formés et les encourager à monter
leur propre affaire.
c) impliquer les ONGs locales dans le processus de prévention de l’immigration par une
sensibilisation à la problématique des migrations
4.2. Dans le pays d’accueil
1. Des structures spéciales d’hébergement et de prise en charge destinées spécifiquement aux
RMNA devraient être mises sur pied dans les cantons où elles n’existent pas. Un mandat
clair devrait être confié aux structures qui existent : l’intégration ou le retour270. Et dans
les deux cas, un accès facile à la scolarité et la formation professionnelle.
2. Face à la multiplicité de niveaux de prise en charge des mineurs non accompagnés, des
standards minimum devraient être définis pour tous les cantons.
3. L’isolement, la solitude et le désœuvrement des mineurs ont été désignés comme étant des
causes augmentant le risque de criminalité. Les mécanismes de protection existant
devraient être renforcés pour l’instauration d’une meilleure proximité et l’établissement,
de liens personnels et moins administratifs avec les mineurs.
4. Durant le séjour du mineur dans le pays d’accueil jusqu’à son départ éventuel dans le pays
d’origine, et à tous les stades de la procédure d’asile, les mineurs non accompagnés
devraient bénéficier de la même protection (accompagnement effectif durant les auditions)
en leur qualité d’enfants vis-à-vis de la Convention des droits de l’enfant. Comparaître
seul devant une autorité dans un pays étranger peut s’avérer traumatisant pour un enfant
fût-il doté de la capacité de discernement.
•
•
Poursuivre la spécialisation des auditeurs dans les centres d’enregistrement avec à
terme, des personnes spécialement formées et spécialement chargées de l’audition des
mineurs.
Dans le souci d’aider à l’intégration du mineur dans leur pays d’origine, une aide au
rapatriement volontaire devrait être organisée dans le cadre de projets ciblés. Ces
projets, gérés en réseau avec des intervenants locaux (personnalités, ONGs, parents,
270
Etude au cas par cas en fonction de la situation personnelle de chaque enfant, et en considérant ce qui est dans
son intérêt supérieur.
61
La situation des mineurs non-accompagnés en Suisse
•
administrations, églises) situés dans le pays d’origine, devraient donner une priorité à
la formation des mineurs dans le domaine particulier de leur intérêt, et avec leur
participation active au projet.
S’agissant des mineurs impliqués dans les réseaux, de la délinquance des mineurs
migrants en général, et des faux mineurs, entreprendre un travail en profondeur en
utilisant les valeurs de leur milieu culturel d’origine (par exemple le respect dû aux
aînés dans les communautés africaines) avec la collaboration des personnes ressources
présentes dans la communauté immigrée. Un interlocuteur a par exemple parlé d’une
sorte de conseils de sages, organes consultatifs sur les questions d’encadrement des
mineurs migrants à problèmes.271
CONCLUSION
Les conditions sociales difficiles d’une grande partie des populations vivant dans les pays en
développement poussent ceux qui le peuvent à chercher une vie meilleure en Occident. Mais
la précarité crée également les conditions favorables à la violence et l’insécurité. Et la guerre
reste de loin la cause principale des déplacements des populations.
Dans cet univers en mouvement, créé par la pauvreté et la violence, naissent et prospèrent les
réseaux des passeurs pour aider les candidats à l’immigration à atteindre leur destination
malgré les conditions toujours plus rigoureuses d’obtention d’une autorisation de séjour dans
les pays riches.
Les règles internes et internationales de protection des migrants ne sont pas toujours
adéquates, surtout si la personne n’a aucun titre de séjour valable.
Pour les MNA heureusement, l’adoption de la Convention des droits de l’enfant du 20
novembre 1989, ratifiée par la Suisse en mars 1997, impose des normes obligatoires aux Etats
parties pour la protection de tous les mineurs présents sur leur sol quel que soit leur statut.
C’est ainsi que la loi suisse sur l’asile du 26 juin 1998 a prévu une série de mesures destinées
à assurer la représentation du mineur pendant la procédure d’asile. La mise en œuvre de ces
mesures est de la compétence des cantons. Beaucoup de chemin a déjà été parcouru si l’on
pense par exemple au système en place au centre MNA de Zürich ainsi que celui des Tattes à
Genève. Mais la diversité dans les niveaux de prise en charge commande l’élaboration des
normes minimum applicables par tous.
Les grands défis en cette matière restent sans conteste : l’oisiveté et l’isolement des RAMNA,
la fausse minorité, la clandestinité, les mineurs en conflit avec la loi pénale, le trafic de
drogue, et plus généralement les problèmes liés à l’application de la justice des mineurs à
cette catégorie particulière de personnes. Citons également le besoin de représentation
automatique du mineur s’il se présente devant l’autorité.
Dans une optique de recherche de solution durable pour les mineurs déboutés de l’asile, le
retour dans les pays d’origine est souhaité. L’ODR a confié au Service social international un
271
M. Abou Diallo, entretien précité.
62
La situation des mineurs non-accompagnés en Suisse
mandat pour mettre sur pied un projet-pilote destiné à organiser le retour des mineurs dans un
certain nombre de pays, essentiellement d’Afrique. Il est en outre à la recherche d’autres
partenaires pour organiser le retour dans d’autres parties du monde comme l’Amérique latine.
Le succès de ce premier projet déterminera la poursuite de l’expérience.
Cette opération atteindra sans trop de peine ses objectifs si l’intérêt supérieur de l’enfant est
pris en compte à tous les stades du projet.
Sous l’angle de la prévention, les divers intervenants sont conviés à joindre leur voix aux
efforts destinés à diffuser la bonne information à destination des jeunes dans le pays
d’origine. Ici également, la pertinence de la démarche sera appréciée à travers ses résultats.
63
La situation des mineurs non-accompagnés en Suisse
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2002
Philippe Tinguely, Statut de l’enfant migrant : l’avancée de des pratiques. La problématique des
requérants d’asile mineurs en Suisse, in Etrangers, Migrants, Réfugiés, Requérants, clandestins
et les droits de l’enfant ?, IDE et al, Sion 2000
Marcello Valli, Les migrants sans permis de séjour à Lausanne, Lausanne 2003
Jean Zermatten, Les objectifs du droit pénal des mineurs, in Revue valaisanne de jurisprudence
1995, n°4
Jean Zermatten, De quelques caractéristiques de l’intervention judiciaire face aux mineurs
délinquants, in Revue valaisanne de jurisprudence, 1996, n°2
-
Outre ce document, trois autres rapports nous ont servi de base pour cette étude :
Marcello Valli : Les migrants sans permis de séjour à Lausanne (mars 2003), Jörg
Frieden (ODR) : L’Afrique en Suisse : asile et migration. Eléments d’analyse et de
politique (2002), et le texte du projet-pilote du Service Social International : Retour de
réfugiés mineurs non-accompagnés dans leur pays d’origine, décembre 2002. Nous
avons également tiré profit des publications de la Revue valaisanne de jurisprudence
sur la justice des mineurs
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La situation des mineurs non-accompagnés en Suisse
Documents divers, pages Internet
Directive de l’Office fédéral des réfugiés
Directives 1994, 1997 du Haut Commissariat aux réfugiés
www.sce.gla.ac.uk,
www.asyl.admin.ch/franz/asyl
www.ark-cra.ch
www.ark-crs.ch
http://www.hcch.net/f/conventions/index.html
http://www.globenet.org/enfant/cide.html
http://www.geneve.ch/stg/contact.html
http://www.childsrights.org
http://www.tdh.ch
Remerciements
Nous tenons à remercier toutes les personnes ayant participer à ce travail et nous ayant fait
part de leurs expériences: M. Daniel Burnat, Coordination des mandats tutélaires/Genève, M.
Rolf Widmer, M. Olivier Geissler (Service Social International/Genève), Mme Chantal
Rawlings Meylan, Mlle Isabel Hunziker (Centre pour RAMNA/Foyer des Tattes Genève),
Mme Adela Martin (Croix-Rouge genevoise), M. Jean-Pierre Zurn, Mme Chantal Egger,
Mme Anne-Lise Dreyfus (Agora/Genève), M. Pierre-Alain Dufey (Prison de ChampDollon/Genève), Mlle Karine Povlakic (SAJE/Vallorbe), Juge Jean Zermatten (Tribunal des
mineurs/Sion), M. Yann Golay (Osar/Berne), M. Dominique Boillat (ODR/Berne), M.
Philippe Tinguely (ODR/Givisiez-Fribourg), M. Karl Rossler (centre MNA/Zurich), Mme
Afra Wiedmann (Association Agenhauf/Zurich), M. Christoph Hamm (HCR/Genève), M.
Abou Diallo, M. Pablo Yamba (Genève).
Contacts
Institut international des Droits de l’Enfant
Paola Riva Gapany, juriste, LLM
CP 4176
CH-1950 Sion 4
Fondation Terre des hommes
Secteur Droits de l’enfant
Sylvie Marguerat, juriste
Budron C8
CH-1052 Le Mont-sur-Lausanne
Tél. : +41 27 205 73 03
Fax : +41 27 205 73 02
Tél. : +41 21 654 66 66
Fax : +41 21 654 66 77
Email : [email protected]
www.childsrights.org
Email : [email protected]
www.tdh.ch
www.stopchildtrafficking.org
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