article en pdf - Revue trimestrielle des droits de l`homme

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COMMENT SURMONTER
LES OBSTACLES CONSTITUTIONNELS
À LA RATIFICATION DU STATUT DE ROME
DE LA COUR PÉNALE INTERNATIONALE (*)
I. — Introduction :
la création de la Cour pénale internationale
L’adoption le 17 juillet 1998 à Rome du Statut de la Cour pénale
internationale constitue un événement majeur dans l’histoire des
relations internationales et une étape décisive dans la réalisation
d’un vieux rêve de l’Humanité : l’établissement d’une juridiction
pénale internationale permanente chargée de juger les grands criminels de guerre ( 1). Certes on a connu auparavant des expériences
(*) Cette étude est issue d’une communication présentée en anglais sous le titre
« Overcoming constitutional obstacles to ratification » lors de la conférence organisée
par Science Alliance et T.M.C. Asser Institituut sur le thème « Preparing for the
International Criminal Court » (La Haye, 19-21 décembre 2001). Elle a été complétée
et mise à jour.
(1) Paul Tavernier, « La création de la Cour pénale internationale (entre le rêve
et la réalité) », Arès, n o 43, vol. XVII, fasc. 3, juillet 1999, pp. 79-90. Voy. également
notre étude précédente : « Vers une juridiction pénale internationale ? », pp. 137-154,
in Cao-Huy Thuan et Alain Fenet (dir.), Mutations internationales et mutations des
normes, Paris : PUF, 1994. La création de la Cour pénale internationale a suscité une
abondante littérature. On peut consulter, entre autres, Kai Ambos, « Les fondements
juridiques de la Cour pénale internationale », Rev. trim. dr. h., n o 40, octobre 1999,
p. 739 ; Mahnoush H. Arsanjani, « The Rome Statute of the International Criminal
Court », AJIL, 1999, p. 22; Cherif Bassiouni, « Negotiating the Treaty of Rome on
the establisment of an International Criminal Court », Cornell International Law
Journal, 1999, n o 3, p. 443 ; Chérif Bassiouni, « Note explicative sur le Statut de la
Cour pénale internationale », Revue internationale de droit pénal, vol. 71, 2000, p. 1 ;
Juan-Antonio Carillo-Salcedo, « La Cour pénale internationale : l’Humanité
trouve une place dans le droit international », RGDIP, 1999, n o 1, p. 23 ; Luigi
Condorelli, « La Cour pénale internationale : un pas de géant (pourvu qu’il soit
accompli...) », RGDIP, 1999, n o 1, p. 7 ; Jean-François Dobelle, « La Convention de
Rome portant Statut de la Cour pénale internationale », AFDI, 1998, p. 356 ; Carole
Girault et Bertrand Gravelet, « La Cour pénale internationale : illusion ou réalité? », Revue de science criminelle et de droit pénal comparé, avril-juin 1999, p. 41;
Herman A.M. von Hebel, Johan G. Lammers et Jolien Schukking, Reflections on
the International Criminal Court. Essays in Honour of Adriaan Bos, La Haye :
T.M.C. Asser Press, 1999, xvii ; Rahim Kherad, « La compétence de la Cour pénale
internationale », Le Dalloz, 9 novembre 2000, Chroniques, Doctrine, p. 587; PierreMarie Martin, « La Cour pénale internationale : quel avenir pour une illusion ? »,
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partielles plus ou moins heureuses. Ce fut d’abord l’échec après la
guerre de 1914-1918 de la mise en accusation de l’empereur Guillaume II d’Allemagne prévue dans le Traité de Versailles (art. 227), les
Pays-Bas ayant refusé de le livrer. Puis ce furent les tribunaux créés
après la Seconde Guerre mondiale par les vainqueurs à Nuremberg
et à Tokyo et qui furent considérés par certains comme manquant
d’impartialité. Enfin les deux tribunaux pénaux internationaux ad
hoc, toujours en activité, créés par le Conseil de sécurité en 1993 et
1994 à la suite des tragédies yougoslave et rwandaise, qui ont également été critiqués comme étant l’expression d’une juridiction sélective, à deux vitesses, selon le principe « deux poids et deux
mesures ».
Le Statut de Rome, en revanche, a pour ambition de fournir par
anticipation une solution permanente au problème de la justice
pénale internationale, alors que jusqu’à présent seules des solutions
partielles, temporaires et le plus souvent a posteriori avaient pu être
mises sur pied. Toutefois, l’adoption du texte (par 120 voix contre
7 : Bahreïn, Chine, Etats-Unis, Inde, Israël, Qatar et Vietnam et
20 abstentions) n’a pas été obtenue sans difficulté. Jusqu’à la dernière minute on avait espéré un consensus : celui-ci n’a pas été possible en raison de l’opposition irréductible de certains Etats. La
négociation a été menée essentiellement par les gouvernements,
mais tous les observateurs ont souligné le rôle essentiel joué par les
ONG très bien organisées en une très puissante « coalition » utilisant
largement les moyens de diffusion modernes (internet) et fournissant même une aide technique à certaines délégations gouvernementales de petits pays sans ressources humaines et diplomatiques suffisantes ( 2).
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Recueil Dalloz, 15 octobre 1998, chronique, p. 337 ; Alain Pellet, « Pour la Cour
pénale internationale, quand même! Quelques remarques sur sa compétence et sa saisine », L’Observateur des Nations Unies, 1998, n o 5, p. 143 ; Claude Roberge, « La
nouvelle Cour pénale internationale : évaluation préliminaire », RICR, n o 832,
décembre 1998, p. 725 ; Christian Tomuschat, « Das Statut von Rom für den Internationalen Strafsgerichtshof », Die Friedenswarte, vol. 73, 1998, n o 3, p. 335; Philippe
Weckel, « La Cour pénale internationale. Présentation générale », RGDIP, 1998,
n o 4, p. 983.
(2) Serge Sur, « Vers une Cour pénale internationale : la Convention de Rome
entre les ONG et le Conseil de sécurité », RGDIP, 1999, n o 1, p. 29 (présentation critique). Pour une appréciation positive : William R. Pace, « The relationship between
the International Criminal Court and Non-Governmental Organizations », p. 189, in
Herman A.M. von Hebel, Johan G. Lammers et Jolien Schukking, Reflections on
the International Criminal Court. Essays in Honour of Adriaan Bos, La Haye :
T.M.C. Asser Press, 1999, xvii (l’auteur a été le président de la Coalition des ONG).
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II. — La campagne pour la ratification
du Statut de la Cour pénale internationale
La Convention de 1998 revêt une importance historique et la
Cour qu’elle institue est sur le point de passer du stade de la simple
virtualité à celui de la réalité tangible. En effet, l’article 186 du Statut prévoit qu’il entrera en vigueur après la ratification de la
Convention par soixante Etats. Ce chiffre est assez élevé, mais il est
destiné à garantir un minimum d’universalité à la nouvelle institution. Le processus de ratification est très variable suivant les Etats
et dépend des prescriptions constitutionnelles. Il permet dans la
plupart des cas l’intervention des parlements nationaux, souvent
requise sous la forme de lois autorisant la ratification. Il nécessite
aussi toutes sortes de consultations d’autorités diverses, administratives, judiciaires (notamment les Cours constitutionnelles) ou de la
« société civile », des procédures de référendum étant possibles ou
requises dans certains cas. C’est ainsi qu’un référendum exigé avant
la ratification a eu lieu le 7 juin 2001 en Irlande, ce qui a permis
d’entamer le processus de ratification. Le Statut de Rome, au
moment où il entre en vigueur, ne représente donc pas seulement
l’œuvre des seuls gouvernements, mais il associe également très largement les parlements nationaux, et par delà ceux-ci les peuples et
l’opinion publique.
Le processus est d’ores et déjà très avancé puisqu’à l’heure
actuelle 67 ratifications ont été effectuées. Ce chiffre est tout à fait
remarquable et on n’escomptait pas un rythme aussi rapide. Un tel
succès a permis l’entrée en vigueur du Statut dès le 1 er juillet
2002 ( 3). On ne saurait trop se féliciter de cette perspective car certains précédents, en matière de ratification des traités, étaient peu
encourageants. Les Pactes internationaux relatifs aux droits civils
et politiques, ainsi qu’aux droits économiques, sociaux et culturels,
exigeaient 35 ratifications : ils ont été adoptés en 1966 et ne sont
entrés en vigueur que dix ans plus tard, en 1976. De même, la
Convention de Vienne sur le droit des traités de 1969, qui requérait
aussi 35 ratifications, n’est entrée en vigueur qu’en 1980 et la
(3) Les Nations Unies ont annoncé qu’elles organiseraient le 11 avril 2002 une
cérémonie pour le dépôt du soixantième instrument de ratification du Statut de la
Cour pénale internationale. Celui-ci entrera donc en vigueur le 1 er juillet 2002 et la
première réunion des parties au Statut aura lieu en septembre 2002 (communiqué de
presse du 1 er avril 2002 : L/T/4365). Avec la 67 e ratification, celle de la Grèce, le
15 mai 2002, tous les membres de l’Union européenne sont désormais parties au Statut.
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Convention de Montego Bay de 1982 sur le droit de la mer est
entrée en vigueur en 1994, après avoir été ratifiée par soixante
Etats. Certes la Convention sur les droits de l’enfant adoptée par
l’Assemblée générale des Nations Unies le 20 novembre 1989 est
entrée en vigueur moins d’un an après, le 2 septembre 1990, mais
seulement 20 ratifications étaient requises et le texte, même s’il soulève quelques difficultés pour certains Etats (notamment du fait de
l’application de la loi islamique ou Chari’a dans les Etats musulmans), ne rencontre pas les obstacles constitutionnels qui peuvent
retarder la ratification du Statut de Rome établissant une Cour
pénale internationale.
Le débat constitutionnel a été parfois vigoureux dans les pays qui
ont déjà ratifié le Statut. Dans certains cas, comme en France, il a
fallu réviser la Constitution avant de procéder à la ratification ( 4).
Des obstacles d’ordre constitutionnels étaient apparus lors des négociations de Rome et les diplomates avaient pris en compte certains
d’entre eux, notamment en opérant une distinction entre la procédure d’extradition et celle de la remise (surrender) à la Cour pénale
internationale (art. 102) ( 5). Ces débats se poursuivent actuellement
et se poursuivront sans doute encore aussi longtemps que durera le
processus de ratification, c’est-à-dire pendant de nombreuses
années, d’autant plus que la ratification ne supprime pas toujours
la totalité des obstacles constitutionnels.
Certains Etats et certaines ONG, mais aussi des organisations
régionales ont encouragé ce processus. Le Conseil de l’Europe a
mené une action intéressante à cet égard. Il a notamment organisé
deux réunions de consultation les 16 et 17 mai 2000 et les 13-14 septembre 2001 sur les implications pour les Etats membres du Conseil
de l’Europe de la ratification et de la mise en œuvre du Statut de
la Cour pénale internationale. Ces consultations ont donné lieu,
grâce à internet, à la très large diffusion d’une documentation
importante et fort utile pour connaître les problèmes constitutionnels qui se posent et les solutions qui peuvent leur être appor(4) En France la loi constitutionnelle n o 99-568 du 8 juillet 1999 a inséré dans le
titre VI de la Constitution un article 53-2 aux termes duquel « La République peut
reconnaître la juridiction de la Cour pénale internationale dans les conditions prévues
par le traité signé le 18 juillet 1998 ».
(5) L’article 102 du Statut, intitulé « Emploi des termes », stipule : « Aux fins du
présent Statut : a) On entend par ‘ remise ’ le fait pour un Etat de livrer une personne
à la Cour en application du présent Statut. b) On entend par ‘ extradition’ le fait
pour un Etat de livrer une personne à un autre Etat en application d’un traité, d’une
convention ou de la législation nationale ».
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tées ( 6). La Commission de Venise a également publié un rapport sur
les questions constitutionnelles soulevées par la ratification du Statut de Rome instituant la Cour pénale internationale (15 janvier
2001) ( 7). Le Comité des ministres a adopté le 10 octobre 2001 une
« Déclaration sur la Cour pénale internationale » dans laquelle il
« appelle tous les Etats membres, candidats et observateurs qui ne
l’ont pas encore fait, à ratifier ou adhérer le plus tôt possible au Statut de Rome » et « exprime sa disponibilité à fournir aux Etats qui
le demanderaient, dans le cadre des programmes de coopération
juridique existants, une assistance appropriée en vue de la ratification et de la mise en œuvre du Statut de Rome » ( 8).
Le Conseil de l’Union européenne a, pour sa part, adopté le
11 juin 2001 une position commune concernant la Cour pénale internationale ( 9). Le texte prévoit que « l’Union européenne et ses Etats
membres mettent tout en œuvre pour faire avancer ce processus en
soulevant, en tant que de besoin, lors des négociations ou dans le
cadre des dialogues politiques menés avec des pays tiers, des
groupes de pays ou des organisations régionales compétentes, la
question de la ratification, de l’acceptation et de l’approbation du
Statut de Rome par le plus grand nombre possible d’Etats ou de
l’adhésion à celui-ci du plus grand nombre possible d’Etats, ainsi
que la question de la mise en œuvre du Statut ».
Les organisations régionales en Europe, mais aussi dans les autres
continents, se sont donc mobilisées pour encourager la ratification
du Statut de la Cour pénale internationale. Il en a été ainsi de
l’OEA en Amérique ( 10) et en Afrique de la SADC (Southern African
Development Community, Communauté de développement de l’Afrique australe) qui a adopté en juillet 1999 une loi-modèle permettant
d’adapter les législations nationales aux exigences du Statut de
Rome : cela devrait faciliter l’harmonisation de ces législations et
rendre plus aisée la ratification par ces Etats. Les pays de l’Afrique
de l’Ouest se sont également concertés en décembre 2000 (Conférence ouest-africaine sur la signature et la ratification du Statut de
la Cour pénale internationale tenue à Bamako sous les auspices de
(6) Voy. sur le site du Conseil de l’Europe : http://www.legal.coe.int/criminal/icc/.
(7) Voy. infra.
(8) Texte disponible sur le site du Comité des ministres : http://cm.coe.int/.
(9) Position commune du Conseil du 11 juin 2001 concernant la Cour pénale internationale (2001/443/PESC), J.O.C.E. du 12 juin 2001, n o L 155, pp. 19-20.
(10) OEA/Ser.P AG/RES.1770(XXXI-O/01), résolution du 5 juin 2001 de l’Assemblée générale : texte français non officiel disponible sur le site http://www.iccnow.org/francais (Coalition for the ICC).
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la CEDEAO. Par ailleurs, l’Organisation internationale de la Francophonie se prononce aussi dans le même sens ( 11).
Les ONG, très actives durant la négociation de Rome, ont maintenu la pression afin de favoriser une ratification rapide du Statut
permettant son entrée en vigueur et sa mise en œuvre effective. Le
site internet de la Coalition pour une Cour pénale internationale
fournit de nombreuses informations très utiles pour tous ceux qui
militent pour la ratification, notamment un rapport sur l’état des
ratifications pays par pays ( 12). Ce document de plus de 80 pages
donne des indications extrêmement précises pour de nombreux
pays. Le site internet de Human Rights Watch contient aussi des
documents intéressants, notamment un document de juin 2000 sur
la compatibilité entre les constitutions nationales et le Statut de la
Cour pénale internationale ( 13). La position de HRW est intéressante car cette organisation est basée aux Etats-Unis, pays qui a
signé in extremis le Statut de Rome et dont le président a annoncé
qu’il ne le ratifierait pas. Le sénateur américain Jesse Helms a
même proposé une loi interdisant aux Etats-Unis de coopérer avec
la Cour pénale internationale et, menaçant de rétorsions les Etats
qui ratifient le Statut de Rome, à l’exception des pays de l’OTAN
et certains alliés (amendement à la loi sur la protection des forces
armées : American service member protection Act, ASPA). Quant à
l’ambassadeur itinérant Pierre Prosper, chargé du dossier de la Cour
pénale internationale, il a envisagé, parmi les options possibles, que
les Etats-Unis retirent leur signature, ce qui, selon le conseiller juri-
(11) Voy. les textes disponibles sur le site http://www.iccnow.org/francais : recommandation (adoptée à Ottawa en juillet 1999) et résolutions de l’Assemblée parlementaire de la Francophonie (adoptées à Québec en janvier 2000 et à Yaoundé en
juillet 2000).
(12) Country-by-country ratification Status Report, compiled by the Secretariat
of the Coalition for an International Criminal Court, as of 3 December 2001 : http://
www.igc.org/icc/html/country.html. La dernière mise à jour est du 15 mai 2002. Certains éléments sont également disponibles en français et en espagnol.
(13) Discussion non paper. National Constitutions and the International Criminal
Court Statute : some issues of compatibility : http://www.hrw.org/campaigns/icc/
docs/finalJnopaper.pdf. La version modifiée de ce document s’intitule « The compatibility of the ICC Statute with certain constitutional provisions around the globe ».
Ce document est également disponible en traduction française sous le titre « Considérations sur la compatibilité du Statut de Rome avec certaines provisions (sic) constitutionnelles à travers le monde » : http://www.hrw.org/campaigns/icc/docs/nonJ
paperJltrhdl-fr.pdf.
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dique des Nations Unies, serait sans précédent et soulèverait des
problèmes juridiques très délicats ( 14).
Il ressort de l’abondante documentation disponible que chaque
pays rencontre des problèmes spécifiques sur le plan constitutionnel
car les systèmes juridiques et les traditions nationales sont extrêmement variés. Toutefois, les mêmes obstacles surgissent le plus souvent, et on peut dresser un tableau des principaux d’entre eux. Cela
nous permettra ensuite d’envisager comment ces obstacles peuvent
être surmontés. Là aussi on relèvera une grande variété dans les
solutions envisageables et celles qui ont été retenues par les Etats.
III. — Les principaux obstacles constitutionnels
à la ratification du Statut de la Cour pénale
internationale
La question des obstacles constitutionnels à la ratification du
Statut de Rome a été amplement présentée dans le document diffusé par Human Rights Watch en juin 2000 ( 15). On retrouve la
même analyse dans un article de Helen Duffy et Brigitte Suhr,
« The Debate on constitutional compatibility with the ICC », écrit pour
The Monitor, publication de la Coalition pour une Cour pénale internationale (juin 2000) ( 16). Les juristes de Human Rights Watch font
ressortir trois problèmes principaux : la question de l’extradition,
celle des immunités et celle de l’emprisonnement à vie.
Quant à la Commission de Venise, elle a adopté en décembre 2000
et diffusé le 15 janvier 2001 un rapport très fouillé sur les questions
constitutionnelles soulevées par la ratification du Statut de Rome
instituant la Cour pénale internationale ( 17). Ce rapport identifie
quant à lui six problèmes principaux qui se sont posés aux Etats sur
(14) Voy. à ce sujet les documents publiés sur le site www.iccnow.org : « Bush official hints at ‘unsigning ’ of Rome Statute » (World Federalist Association, 28 mars
2002) et « Why the U.S. should not ‘ unsign ’ the ICC Treaty » (Lawyers Committee
for Human Rights). Le gouvernement américain a mis sa menace à exécution et le
Secrétaire général des Nations Unies a reçu le 6 mai 2002 une communication à cet
effet : ils déclarent qu’ils n’ont aucune obligation juridique découlant de leur signature.
(15) Discussion non paper. National Constitutions and the International Criminal
Court Statute : some issues of compatibility : www.hrw.org/campaigns/icc.
(16) Helen Duffy et Brigitte Suhr, « The Debate on constitutional compatibility
with the ICC » : www.hrw.org/campaigns/icc.
(17) CDL-INF(2001)1 Or.Fr. : Rapport sur les questions constitutionnelles soulevées
par la ratification du Statut de Rome instituant la Cour pénale internationale.
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le plan constitutionnel : la question des immunités, celle de l’extradition, celle de l’emprisonnement à vie, mais aussi la question du
droit de grâce, celle de l’exécution des demandes présentées par le
Procureur de la Cour pénale internationale, celle de l’amnistie et de
la prescription en matière pénale et enfin celle du jugement par un
jury. Le rapport de la Commission de Venise souligne avec raison
que les difficultés constitutionnelles soulevées par la ratification du
Statut tiennent en premier lieu au transfert de souveraineté que ce
texte implique à certains égards, à l’instar de certains traités instituant des organisations internationales intégrées comme les Communautés européennes. Ainsi, le Conseil constitutionnel français,
dans sa décision du 22 janvier 1999, a examiné les dispositions du
Statut de Rome au regard des « conditions essentielles d’exercice de
la souveraineté nationale » ( 18). On comprend aisément que ce type
de problèmes puisse soulever des difficultés sérieuses dans certains
pays, très sourcilleux en ce qui concerne leur souveraineté. On peut
à cet égard opérer une distinction entre les obstacles majeurs et
ceux qui sont moins importants.
A. — Les obstacles majeurs
a) L’obstacle constitutionnel le plus fréquemment rencontré est
celui de l’extradition, de nombreuses constitutions prévoyant que
l’Etat en cause n’extrade pas ses nationaux ou ne les expulse
(18) Le texte de la décision du Conseil Constitutionnel est reproduit dans l’Actualité Juridique. Droit Administratif, mars 1999, pp. 266-270 avec le commentaire de
Jean-Eric Schoettl (ibid., p. 230). Voy. aussi Pierre Avril, « A propos de l’interprétation littérale de l’article 68 de la Constitution », RFDA, 1999, p. 75; Jocelyn
Clerckx, « Le Statut de la Cour pénale internationale et le droit constitutionnel
français », Rev. trim. dr. h., n o 44, octobre 2000, p. 649 ; Bruno Genevois, « Le Conseil
constitutionnel et le droit pénal international. A propos de la décision n o 98-408 DC
du 22 janvier 1999 », RFDA, 1999, p. 285 et « Observations complémentaires », Ibid.,
p. 717 ; Judith Haddad, « Décision du Conseil constitutionnel du 22 janvier 1999 :
examen de la compatibilité du Statut de la Cour pénale internationale avec la Constitution française », RGDIP, 1999, n o 2, p. 464 ; François Luchaire, « La Cour pénale
internationale et la responsabilité du Chef de l’Etat devant le Conseil constitutionnel », Revue du Droit public, 1999, p. 457; François Robbe, « L’incompétence du juge
pénal pour statuer sur la responsabilité du Président de la République. A propos de
la décision du Conseil constitutionnel n o 98-408 D.C. du 22 janvier 1999 », Gazette
Pal.,n o 316-320, 12-16 décembre 1999, doctrine, p. 4 ; Beate Rudolf, « Considérations constitutionnelles à propos de l’établissement d’une justice pénale internationale », Revue française de droit constitutionnel, n o 39, 1999, p. 451 ; Bérengère Taxil,
« La Cour pénale internationale et la Constitution française », Actualité et Droit International, février 1999 (http://www.ridi.org/adi).
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pas ( 19). Or le Statut de Rome prévoit que la Cour pénale internationale peut demander à un Etat, sur le territoire duquel une personne est susceptible de se trouver, d’arrêter cette personne et de la
lui remettre (art. 89). Les négociateurs ont été conscients du problème que certains Etats pouvaient rencontrer du fait des règles inscrites dans certaines Constitutions et ils ont pris le soin de distinguer la « remise » [surrender] qui est « le fait pour un Etat de livrer
une personne à la Cour en application du présent Statut » et l’« extradition » qui est « le fait pour un Etat de livrer une personne à un
autre Etat en application d’un traité, d’une convention ou de la
législation nationale » (art. 102). Certes, ce problème n’est pas nouveau et s’était déjà posé à propos des deux tribunaux pénaux internationaux pour l’ex-Yougoslavie et pour le Rwanda : les articles 29
et 28 des Statuts du TPIY et du TPIR prévoient le transfert ou la
traduction de l’accusé devant le tribunal international. Des difficultés sont apparues notamment en ce qui concerne le transfert à
La Haye de Slobodan Milosevic, le Président Kostunica, spécialiste
de droit constitutionnel, ayant toujours exprimé des objections. On
touche en effet ici à un problème très sensible où la souveraineté de
l’Etat d’un côté, et l’autonomie et l’indépendance de la justice
pénale internationale de l’autre, sont en cause ( 20).
L’article 102 du Statut n’a pas supprimé toute discussion. Certains Etats (Italie, Norvège notamment) ont repris à leur compte la
distinction opérée par le Statut. Mais d’autres ont estimé nécessaire
de modifier leur Constitution sur ce point (Allemagne, République
tchèque entre autres).
b) La question des immunités reconnues à certaines personnes
dans les Constitutions nationales est également très souvent évoquée dans les débats relatifs à la ratification du Statut de la Cour
pénale internationale. En effet, celui-ci prévoit à l’article 27 qu’il
« s’applique à tous de manière égale, sans aucune distinction fondée
sur la qualité officielle ». Cela concerne la qualité de chef d’Etat ou
de gouvernement, de membre du gouvernement ou du parlement,
(19) La Commission de Venise cite les Constitutions allemande (art. 11.2 f) ; chypriote (art. 14) ; croate (art. 9) ; estonienne (art. 36) ; géorgienne (art. 13) ; hongroise
(art. 69) ; lithuanienne (art. 13); macédonienne (art. 4) ; slovaque (art. 23); slovène
(art. 47) ; polonaise (art. 55); tchèque (art. 12) ; roumaine (art. 19) ; russe (art. 61) et
finlandaise (section 7). On en trouverait également de nombreux exemples dans les
Constitutions des pays situés dans les autres continents.
(20) Antoine Buchet, « Le transfert devant les juridictions internationales »,
p. 969, in Hervé Ascensio, Emmanuel Decaux et Alain Pellet, Droit international
pénal, Paris, Pedone, 2000, xvi, 1053.
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de représentant élu ou d’agent d’un Etat. Le paragraphe 2 de l’article 27 prend soin de préciser que ces immunités « qui peuvent s’attacher à la qualité officielle d’une personne, en vertu du droit
interne ou international, n’empêchent pas la Cour d’exercer sa compétence à l’égard de cette personne ».
Les dispositions constitutionnelles en matière d’immunité sont
extrêmement variées. L’immunité est rarement absolue et elle est
plus étendue pour le chef de l’Etat que pour les membres du gouvernement ou pour les parlementaires. Des procédures ou des juridictions spéciales sont parfois prévues pour juger les bénéficiaires des
immunités. La possibilité de lever l’immunité est souvent envisagée,
notamment en ce qui concerne les membres des assemblées parlementaires. Ces dispositions peuvent aussi s’appliquer éventuellement, dans les Etats fédérés, aux exécutifs et aux assemblées des
entités fédérées. Des problèmes analogues sont susceptibles de se
poser pour les assemblées parlementaires existant dans le cadre de
certaines organisations internationales et notamment européennes
(Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, Parlement européen, etc.).
Il est vrai que la jurisprudence a reconnu aussi que ces immunités
ne sont pas absolues et l’affaire Pinochet est exemplaire à cet égard.
Elle montre que les immunités constitutionnelles doivent céder
devant les exigences de la justice internationale ( 21).
c) Certaines constitutions interdisent les peines d’emprisonnement
à vie (perpétuité) ( 22). Cette question a été débattue dans plusieurs
pays d’Amérique latine, mais aussi au Portugal ou en Espagne. Elle
soulève le problème délicat de la possibilité de réhabilitation du
condamné qui est sous-jacente dans les dispositions constitutionnelles interdisant les peines perpétuelles ou à vie. Mais si le Statut
prévoit à l’article 77 que la Cour pénale internationale peut prononcer une peine d’emprisonnement à perpétuité, il stipule également
que la Cour doit procéder à un réexamen de la peine si le condamné
à perpétuité a purgé 25 années d’emprisonnement (art. 110). Une
autre difficulté constitutionnelle peut surgir en liaison avec les pro-
(21) Voy. Jean-Yves de Cara, « L’affaire Pinochet devant la Chambre des Lords »,
AFDI, 1999, p. 72; Mohamed Salah M. Mahmoud, « Les leçons de l’affaire Pinochet », JDI,1999, n o 4, p. 1021 ; Colin Warbrick, Elena Martin Salgado et Nicholas Goodwin, « The Pinochet cases in the United Kingdom », Yearbook of International Humanitarian Law, vol. 2, 1999, p. 91.
(22) Article 30 de la Constitution du Portugal par exemple : voy. aussi les Constitutions du Guatémala, de l’Ouzbékistan.
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blèmes de remise [surrender] des accusés à la Cour et des règles
internes applicables en matière d’extradition : en effet, de nombreux Etats refusent d’extrader vers des Etats appliquant des
peines plus lourdes et notamment la peine de mort (non prévue
dans le Statut) ou la peine d’emprisonnement à vie ou à perpétuité.
On a déjà fait remarquer que la procédure de remise ou de transfert
à une juridiction pénale internationale n’est pas assimilable à une
procédure d’extradition d’Etat à Etat. De plus, la raison d’être
[rationale] des dispositions nationales est de protéger les droits de
l’accusé devant une juridiction étrangère. Ces considérations n’ont
pas la même valeur lorsqu’il s’agit d’une juridiction internationale,
à laquelle l’Etat participe, qui ne lui est pas étrangère et qui applique les standards les plus élevés en matière d’équité de la procédure.
B. — Les autres difficultés
Outre ceux que nous avons déjà mentionnés et qui sont les principaux, les obstacles rencontrés par les Etats sur le chemin de la ratification du fait des règles constitutionnelles, sont très variables d’un
Etat à l’autre. Les plus fréquemment invoqués concernent l’exercice
du droit de grâce, souvent reconnu au chef de l’Etat ( 23), mais aussi
les règles relatives à l’amnistie et à la prescription en matière pénale
qui sont parfois inscrites dans la Constitution. Le Statut de la Cour
pénale internationale contient une disposition expresse en ce qui
concerne l’imprescriptibilité des crimes relevant de sa compétence
(art. 29) mais il ne mentionne pas le problème du droit de grâce ni
celui de l’amnistie. Le Conseil constitutionnel français a considéré
que les règles nationales relatives à la prescription et à l’amnistie
pourraient être écartées par la Cour pénale et que, même si elles ne
sont pas inscrites formellement dans la Constitution, il en résulterait une « atteinte aux conditions essentielles d’exercice de la souveraineté nationale » qui constituerait une violation de la Constitution. En revanche, en ce qui concerne le problème de la grâce, prérogative présidentielle aux termes de la Constitution (art. 17), le
Conseil constitutionnel a estimé que la question est susceptible
d’être résolue dans le cadre de l’article 103 du Statut de Rome qui
prévoit que l’Etat disposé à recevoir des personnes condamnées par
la Cour pénale internationale peut assortir son acceptation de conditions qui doivent être agréées par la Cour. Selon cette interprétation, il n’y aurait plus de contradiction entre la règle constitutionnelle et l’obligation conventionnelle.
(23) Voy. la liste donnée dans le rapport de la Commission de Venise (note n o 38).
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Un deuxième groupe d’obstacles constitutionnels à la ratification
du Statut de Rome tient aux dispositions que ce texte prévoit en
matière de coopération des Etats avec la Cour (chapitre 9 du Statut) et notamment à l’article 99, § 4 qui donne le pouvoir au Procureur d’intervenir directement sur le territoire de l’Etat, dans certaines conditions, en dehors de la présence des autorités judiciaires
nationales, ce qui porte atteinte au principe de l’exclusivité de sa
compétence sur son territoire, corollaire du principe de la souveraineté. Le Conseil constitutionnel français a considéré que cette disposition portait atteinte aux conditions essentielles d’exercice de la
souveraineté nationale, alors que le Conseil d’Etat du Luxembourg
a constaté qu’il n’y avait pas d’obstacle constitutionnel, car une disposition spécifique de la Constitution (art. 9bis) prévoit que « l’exercice d’attributions réservées par la Constitution aux pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire peut être temporairement dévolu par
traité à des institutions de droit international ».
Enfin une troisième série de difficultés d’ordre constitutionnel
peuvent surgir du fait des exigences du procès équitable qui sont
susceptibles d’être (ou de paraître) plus fortes dans certaines Constitutions nationales que dans le Statut de Rome. La question de l’exigence d’un procès avec jury [trial by jury] est évoquée par certains
Etats, notamment l’Azerbaïdjan et surtout les Etats-Unis. Le sénateur américain Jesse Helms a mené une campagne contre la ratification soutenant l’idée que le Statut de Rome n’offrirait pas au personnel militaire américain la même protection que celle qui leur est
reconnue dans la Constitution des Etats-Unis [Bill of Rights]. Cette
opinion n’est pas partagée, loin s’en faut, par tous les juristes américains. Pour Monroe Leigh, le procès avec jury n’est pas garanti aux
militaires américains selon le 5 e Amendement, et cette exception
s’étendrait aussi au 6 e Amendement, d’après l’opinion la plus répandue ( 24). Cet auteur estime que les garanties du procès équitable prévues dans le Statut de Rome ne sont pas meilleures, mais plus
détaillées que celles qui découlent de la Constitution américaine. Il
en conclut que les critiques fondées sur l’équité de la procédure ne
sont pas fondées : « The criticism that under the ICC United States
service personnel will be denied due-process protection that they could
enjoy under the Constitution is totally misplaced ». On doit cependant
souligner que ce point de vue n’est pas, pour le moment, le point
de vue officiel des Etats-Unis...
(24) Monroe Leigh, « The United States and the Statute of Rome », American
Journal of International Law, vol. 95, January 2001, p. 124.
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Des difficultés semblent aussi avoir surgi en ce qui concerne les
règles constitutionnelles relatives au procès équitable dans certains
pays, comme le Mexique, à propos de la règle « ne bis in idem », des
garanties de la défense, de l’interdiction, de l’incrimination par analogie et de la compétence exclusive reconnue aux juridictions mexicaines pour poursuivre les crimes commis au Mexique ( 25).
Il résulte de cette revue rapide des obstacles constitutionnels à la
ratification du Statut de Rome que ces obstacles sont potentiellement nombreux et très divers. Ils convient d’examiner maintenant
s’ils peuvent être surmontés et de quelle façon.
IV. — Les solutions
pour surmonter ces obstacles
On trouve aussi dans ce domaine une grande variété. Le rapport
de la Commission de Venise propose quatre types de solutions pour
surmonter les obstacles constitutionnels : une clause générale insérée
dans la Constitution permettant de régler tous les problèmes constitutionnels, sans avoir besoin de passer en revue toutes les dispositions du Statut qui pourraient être contraires à la Constitution ; la
révision systématique de toutes les dispositions constitutionnelles
susceptibles d’être en contradiction avec le Statut de Rome ; l’introduction ou l’application d’une procédure spéciale, de valeur constitutionnelle, permettant de ratifier le Statut malgré les dispositions
contraires à la Constitution et enfin l’interprétation des dispositions
constitutionnelles de manière à éviter tout conflit avec celles du
Statut de Rome.
La première solution, consistant à adopter une clause générale
permettant de mettre fin à toute controverse constitutionnelle présente beaucoup d’avantages. Elle a été mise en œuvre par la France
dans la loi constitutionnelle du 8 juillet 1999 qui insère dans la
Constitution un article 53, § 2 relatif à la Cour pénale internationale
et autorise la ratification du Statut de Rome. Le modèle français a
été appliqué également au Luxembourg et certains pays ont envisagé de le suivre, notamment le Brésil, la Colombie, l’Irlande et le
Portugal. Cette solution évite les inconvénients d’un examen systématique des dispositions constitutionnelles au regard du Statut,
examen qui risque d’être incomplet (par exemple le Conseil consti-
(25) Country-by-country ratification Status Report : « the exclusivity of the
national judiciary for the prosecution of crimes committed in Mexico ».
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tutionnel français n’a pas examiné la question de la compatibilité
des dispositions du Statut de Rome avec l’article 16 de la Constitution qui donne les pleins pouvoirs au Président de la République en
cas de crise) ( 26). Certains Etats se sont pourtant engagés dans la
voie des amendements spécifiques aux dispositions constitutionnelles pouvant contredire le Statut : l’Allemagne fédérale a amendé
l’article 16, § 2 de la Loi fondamentale pour permettre l’extradition
de ses nationaux vers les Etats membres de l’Union européenne ou
vers une Cour internationale. La Slovénie a suivi la même procédure, ainsi que la République tchèque. Toutefois des difficultés sont
apparues dans ce pays. Le Parlement a rejeté l’amendement proposé par le gouvernement. La révision de la Constitution sera donc
proposée en même temps que la loi autorisant la ratification.
Dans d’autres pays la Constitution n’est pas formellement modifiée, mais il est prévu que des lois de valeur constitutionnelle peuvent autoriser la ratification d’un traité comportant des clauses
contraires à la Constitution. C’est ainsi que la Finlande a adopté
une loi de dérogation permettant la remise à la Cour pénale internationale, en dépit de l’article 9 de la Constitution interdisant l’expulsion, l’extradition et le transfert des ressortissants finlandais contre
leur propre volonté ( 27).
Dans de nombreux pays les problèmes de constitutionnalité ont
pu être résolus par une interprétation « conciliante » des dispositions
du Statut de Rome et de la Constitution. Il en a été ainsi en ce qui
concerne la question de l’extradition, seule visée dans les constitutions nationales et qui a été distinguée de la remise à la Cour pénale
internationale, comme le suggère l’article 102 du Statut. De même,
on a fait remarquer que la question de l’immunité du chef de l’Etat
ne se posait sans doute pas si l’on admet que l’immunité constitutionnelle s’applique uniquement dans l’hypothèse où le chef de
l’Etat agit conformément à la Constitution. Or les faits qui justifient des poursuites devant la Cour pénale internationale n’entrent
pas dans ce cadre ( 28).
(26) Dans le même ordre d’idées, le rapport de l’Irlande pour la deuxième consultation dans le cadre du Conseil de l’Europe mentionne, parmi les dispositions constitutionnelles à modifier, celles qui concernent les pouvoirs exceptionnels du Parlement
en temps de guerre : Consult/ICC(2001) 16 du 4 septembre 2001.
(27) Consult/ICC(2001) 13 rev. du 11 septembre 2001.
(28) Voy. Jonathan Huston, « Ratification du Statut de Rome par la Principauté
de Liechtenstein. Considérations générales et questions constitutionnelles » [« Ratification of the Rome Statute in the Principality of Liechtenstein. General considerations and constitutional questions »] : Consult/ICC(2001) 18 du 4 septembre 2001.
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Il semble que bien souvent les problèmes constitutionnels sont
susceptibles d’être résolus de cette façon. Certes, en Slovénie le gouvernement avait pensé pouvoir surmonter les difficultés sans avoir
recours à une révision constitutionnelle, mais il a dû finalement
entamer une telle procédure en juillet 2001. En revanche, les problèmes constitutionnels ont trouvé une solution par la voie interprétative en Croatie ou en Pologne. La Colombie s’est engagée dans
une voie originale consistant à adopter une loi incorporant le Statut
de Rome dans la Constitution.
On peut remarquer que souvent l’examen des problèmes de
constitutionnalité a conduit les Etats à adopter des solutions plus
simples que celles qui avaient été envisagées au début. Ainsi, on
s’était demandé en Suisse si le Statut de Rome ne devait pas être
soumis obligatoirement au référendum en vertu de l’article 140, alinéa 1, lettre b de la Constitution, mais cette solution a été écartée ( 29) et finalement la Suisse a ratifié le Statut le 12 octobre 2001.
Quant au Brésil, il avait envisagé dans un premier temps une révision de la Constitution sur le modèle français mais des informations
récentes (octobre 2001) laissent à penser que ce pays procéderait à
la ratification sans amender sa Constitution ( 30).
Plusieurs pays ont finalement conclu qu’une révision de leur
Constitution n’était pas nécessaire. Il en a été ainsi de l’Afrique
du Sud qui a ratifié le Statut le 27 novembre 2000, de l’Equateur
(avis de la Cour constitutionnelle du 6 mars 2001), de l’Espagne
(ratification le 24 octobre 2000), de la Hongrie qui a ratifié le Statut le 30 novembre 2001 et de Sao Tomé. Dans d’autres pays,
comme la Bulgarie, l’examen de constitutionnalité est toujours en
cours ( 30bis).
Si la plupart du temps la révision constitutionnelle doit intervenir
avant la ratification, il arrive parfois que le processus de modification de la Constitution soit entamé après celle-ci : c’est ce qui a été
(29) Consult/ICC(2001) 25 du 10 juillet 2001. L’argument avancé était que la Cour
pénale internationale n’est pas une institution supranationale, ce qui peut prêter à
discussion.
(30) Country-by-country ratification Status Report (Coalition for an ICC).
(30bis) La Bulgarie a ratifié le Statut le 11 avril 2002 et l’Equateur le 5 février
2002. Quant à la Macédoine, certains problèmes de constitutionnalité se posaient
(voy. : Progress report by the former Yugoslave Republic of Macedonia, 4 octobre 2001,
Consult/ICC (2001) 36 rev), mais elle a finalement ratifié le Statut le 6 mars 2002.
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annoncé par la Belgique ( 31), le Malawi ou la Suède. Notons aussi
que la question de la révision de la Constitution ne se pose que pour
les Etats qui ont une Constitution écrite et rigide. Néanmoins, des
problèmes comparables et aussi complexes peuvent surgir dans les
pays sans constitution écrite comme Israël ( 32).
Conclusion
L’examen de l’état d’avancement des ratifications du Statut de
Rome établissant une Cour pénale internationale montre que les
obstacles constitutionnels sont loin d’être négligeables. Prétendre
que tels obstacles n’existent pas serait irréaliste ( 33). Mais on
constate néanmoins que des solutions peuvent être trouvées pour les
surmonter. Il suffit d’un peu d’imagination et les juristes n’en sont
pas dépourvus, d’une manière générale. Encore faut-il qu’il y ait
une réelle volonté politique de ratifier le Statut. Si une telle volonté
existe, toutes les difficultés seront aplanies. En revanche, si elle
n’existe pas, les obstacles constitutionnels invoqués ne seront, en
fait, que des prétextes. C’est ce qui ressort de l’exemple des EtatsUnis.
Il faut donc que les Etats, les Organisations internationales, les
ONG et l’opinion publique se mobilisent en faveur d’une ratification
rapide et universelle du Statut de Rome afin que ce vieux rêve de
l’humanité d’instaurer une justice pénale internationale ne reste pas
une simple virtualité mais devienne une réalité complète et puissante. Ainsi, l’effectivité croissante de la Cour pénale internationale
pourra contrebalancer l’inertie ou la résistance des Etats qui ne
ratifient pas le traité ou qui mènent campagne contre lui, et cette
nouvelle réalité sera en mesure de s’imposer dans l’avenir à toute la
communauté internationale.
Certes la Cour pénale internationale, comme toute institution
humaine, n’est pas parfaite, loin de là. Mais si elle n’existait pas, il
(31) Le Conseil d’Etat belge avait pourtant recommandé une modification de la
Constitution avant la ratification : Bilan de l’état d’avancement de la ratification et
la mise en œuvre par la Belgique, Consult/ICC(2001) 38, 13 septembre 2001. Au Mali,
qui a ratifié le Statut le 16 août 2000, une controverse sur la constitutionnalité de
celui-ci s’est développée et l’insertion d’une disposition dans la nouvelle Constitution
en préparation est envisagée (Voy. Lawyers Committe for Human Rights, Etat de la
mise en œuvre des Statut de Rome en Afrique, 21 mai 2002).
(32) Country-by-country ratification Status Report (Coalition for an ICC).
(33) Voy., cependant, l’opinion d’Helen Dufy et Brigitte Suhr, op. cit., selon lesquelles « ‘ constitutional issues ’ have not proved to be ‘ constitutional obstacles ’ ».
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faudrait sans doute l’inventer. Et puisqu’elle existe, efforçons-nous
de la rendre efficace, d’autant plus qu’elle répond à des attentes très
profondes des peuples. On a pu encore le constater tout récemment
après les attentats meurtriers du 11 septembre lorsqu’on a déploré
l’absence d’une Cour internationale pour juger les terroristes. Faudra-t-il amender le Statut de Rome en ce sens ? ou créer une juridiction ad hoc ?
Il reste en tout cas un vaste chantier pour les défenseurs de la
Cour pénale internationale : les Etats doivent non seulement ratifier
le Statut de Rome le plus rapidement possible, mais ils doivent
aussi prendre toutes les mesures indispensables pour insérer ses dispositions dans leur droit interne et adopter une législation assurant
leur pleine coopération avec la Cour ( 34). Là aussi les problèmes sont
nombreux mais n’apparaissent pas insurmontables. Il est indispensable de les résoudre si on veut que la Cour pénale internationale ne
soit pas une coquille vide et que la complémentarité avec les juridictions nationales, prévue dans le Statut, soit réelle et fructueuse.
Paul TAVERNIER
Professeur à l’Université de Paris XI (Paris-Sud),
Directeur du CREDHO
(Centre de recherches et d’études sur les droits
de l’homme et le droit humanitaire)
✩
(34) La France vient d’adopter une loi relative à la coopération avec la Cour
pénale internationale (loi n o 2002-268 du 26 février 2002, J.O.R.F. 27 février 2002,
p. 3684. Les dispositions de cette loi sont insérées dans un nouveau titre du Code de
procédure pénale (« De la coopération avec la Cour pénale internationale », CPP,
art. 627 et s.). Cette loi devra être complétée par une loi modifiant le Code pénal, une
refonte importante des textes s’avérant nécessaire. Voy. sur ce point l’« Avis sur
l’adaptation du droit interne au Statut de la Cour pénale internationale » adopté le
23 novembre 2001 par la Commission nationale consultative des droits de l’Homme
(http://www.commission-droits-homme.fr). La CNCDH souligne que « cette refonte
des textes doit prendre en compte l’ensemble des engagements internationaux de la
France, notamment les plus récents, tels que ceux résultant de la ratification du Protocole I aux Conventions de Genève, afin de donner à la réforme sa pleine cohérence ».