Le sujet syntaxique en serbe et en français dans

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Le sujet syntaxique en serbe et en français dans
Le sujet syntaxique en serbe et en français dans une approche basée sur les dépendances
Le but de cette communication est double: 1) présenter la notion de sujet syntaxique telle qu’envisagée dans
la syntaxe de dépendance de la théorie linguistique Sens-Texte (Polguère & Mel’čuk, eds, 2009); 2) illustrer la
mise en œuvre de cette notion pour l’identification, la description et la comparaison des éléments de proposition
jouant le rôle du sujet syntaxique en serbe et en français.
Le sujet syntaxique d’une proposition est une lexie L qui, dans la structure syntaxique de cette proposition,
dépend du verbe principal, son gouverneur. Plus précisément, c’est le membre dépendant de la relation
syntaxique (de surface) subjectale: Vfini–subjectale→LSujet. Comme toute relation syntaxique, la relation
subjectale peut être caractérisée par deux types de propriétés. Les propriétés définitoires (ou de codage) sont des
paramètres permettant de spécifier les conditions dans lesquelles la relation subjectale peut apparaître dans la
structure syntaxique de la proposition, ainsi que la réalisation de celle-ci dans la structure morphologique. Dans
la lignée de Keenan (1976), Mel’čuk (2014) établit 7 paramètres pertinents pour la caractérisation du sujet
syntaxique: 1) le sujet ne peut dépendre que du Vfini; 2) le sujet ne peut pas être omis de la structure syntaxique
(on parle bien de la non-omissibilité au niveau de la structure de la phrase – non pas de la phrase elle-même);
3) le sujet a une position linéaire particulière vis-à-vis du Vfini et/ou vis-à-vis d’autres éléments de la proposition;
4) le sujet contrôle l’accord du Vfini ; 5) le Vfini régit le cas grammatical du sujet; 6) la flexion du Vfini affecte les
liens morphologiques entre celui-ci et le sujet; 7) la pronominalisation du sujet affecte les liens morphologiques
entre celui-ci et le Vfini. Les propriétés descriptives (ou de comportement), telles que le contrôle de l’ellipse, de
la pronominalisation ou des adverbes déverbatifs, ne s’appliquent qu’à des sujets prototypiques et peuvent en
outre s’appliquer à d’autres éléments de la proposition. Le sujet est l’élément le plus privilégié de la proposition:
il a des propriétés que ne possède aucun autre élément de celle-ci. Si l’inventaire des propriétés du sujet est
universel, dans le sens où il est suffisant pour caractériser le sujet dans n’importe quelle langue, la pertinence de
chaque propriété et leur combinaison spécifique doivent être vérifiées empiriquement pour chaque langue.
Caractérisé ainsi, le sujet syntaxique est un concept faisceau (ang. cluster concept). Il s’agit d’une
caractérisation inductive, dans laquelle le sujet prototypique sert comme le point de repère pour l’identification
des sujets « moins évidents ». Cette caractérisation implique aussi l’existence du sujet dans chaque langue, point
de vue contesté, par ex., dans Creissels (2014) et Kibrik (1997). Il est à noter que la (non-)universalité du sujet
syntaxique est pour nous une question de définition et de convention, plutôt que de connaissances factuelles.
Le travail sur le sujet en serbe présenté ici fait partie d’une recherche en cours qui vise à identifier et à décrire
les relations syntaxiques de surface dans cette langue. Le sujet serbe vérifie les propriétés définitoires 1-5 (cf.
Mrazovac & Vukadinović 2009: 525-527 et Piper et al. 2005: 487-491); toutefois, comme il s’agit d’une langue
à l’ordre linéaire très flexible, la propriété 3 est plutôt faible et ne vaut que pour les phrases déclaratives neutres
dans lesquelles le sujet exprime le Thème. Tel qu’établi dans Iordanskaja & Mel’čuk (2009: 170-173), le sujet en
français vérifie ces mêmes propriétés; cependant, étant donné l’ordre linéaire plutôt rigide qui caractérise cette
langue, la propriété 3 a bien plus de poids, alors que la propriété 5, robuste en serbe, n’est pertinente en français
que pour le sujet pronominal clitique. De plus, si dans les deux langues le sujet contrôle l’accord du verbe (en
personne, nombre et genre), les conditions dans lesquels cet accord a lieu sont très différentes.
Les principales différences entre le serbe et le français concernent la réalisation du sujet dans les textes; c’est
sur cet aspect du problème que nous nous concentrerons dans cette communication. Ainsi, contrairement au
français, le serbe est une langue Pro-DROP (= à l’ellipse quasi-obligatoire du sujet pronominal dans des phrases
communicativement non marquées); voir l’exemple (1a) ci-dessous. Le sujet serbe peut être un lexème zéro,
exemples (1b)-(1c), et participer dans des constructions impersonnelles (par ex., Radovanović 1990 et Tanasić
2003), différentes de celles connues en français et non toujours traduites dans cette langue par des tours
impersonnels; voir (1c). Des différences notables existent aussi dans le positionnement linéaire du sujet (par ex.,
Klajn 2005: 255-256 pour le serbe; Fuchs 2006 et Muller 2007 pour le français). Ces différences, dues surtout
aux différents répertoires des rôles communicatifs que le sujet peut jouer en serbe et en français, ainsi qu’à
l’alignement différent de rôles sémantiques et syntaxiques des actants des verbes, donnent lieu à des
discordances de traduction intéressantes; voir (2), où le sujet qui exprime le focus rhématique occupe dans la
phrase serbe la position finale, ce qui exige, pour préserver cette structure communicative sous la traduction en
français, le recours ou clivage ou à la conversion lexicale. Un troisième type de différences concerne les
opérations syntaxiques mettant en jeu le sujet dans ces deux langues; par exemple, comme illustré en (3), la
montée du sujet, normale en français, est difficile ou impossible dans les mêmes contextes en serbe.
Exemples
(1) a. Serbe:
le sujet pronominal 3SG élidé
[On <Ona>3.SG] Kaž+e3.SG da je to davno bilo Lit. ‘Dit que est cela il.y.a.longtemps été’ = Il <Elle> dit que
cela est arrive il y a longtemps.
‘gens’
b. Serbe: le sujet zero ∅
(3PL), construction personnelle
‘gens’
∅
(3PL)←subj–Kaž+u3.PL da je to davno bilo Lit. ‘Disent que est cela il.y.a.longtemps été’ = On←subj–
dit <Les gens←subj–disent> que cela est arrivé il y a longtemps.
c. Serbe: le sujet zero ∅ (3SG, NEUT), construction impersonnelle
(i) Vrte+lPASSÉ+o3.SG.NEUT mi se je–subj→∅ (3SG, NEUT) u glavi. Lit. ‘Tourné à.moi REFL est dans tête’ = Ma
tête←subj–tournait.
(ii) Grme+lPASSÉ+o3.SG.NEUT je–subj→∅ (3SG, NEUT) Lit. ‘Tonné est’. = Il←subj–tonnait.
(2) Serbe: le sujet exprimant le focus rhématique, en position finale
Prvu nagradu dobio je–subj→Jovan Lit. ‘Premier prix remporté est Jovan’ = C’est–subj→Jovan qui a
remporté le premier prix <Le premier prix←subj–est allé à Jovan>.
(3) Français: la montée du sujet
Jean←subj–semble (être) malade <avoir raison, avoir oublié cela. ~ Jovan←subj–izgleda ?bolestan
<*u pravu, *to zaboravio>.
Références
Creissels, Denis (2014). Approche typologique de la notion du sujet. Colloque international « Du Sujet et de son
absence dans les langues ». Université du Maine, 27-28 mars 2014; pp. 17.
Fuchs, Catherine (2006). La place du sujet nominal en français. In Hrubaru, F. & Velicu, A., eds, Énonciation et
syntaxe; 9-25 <halshs-00340651>.
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York, etc.: Academic Press; 305-333.
Kibrik, Aleksandr (1997). Beyond Subject and Object: Towards a Comprehensive Relational Typology.
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Lille: Éditions du Conseil Scientifique de l’Université Charles-de-Gaulle-Lille 3; 251-272.
Mrazovac, Pavica & Vukadinović, Zora (2009). Gramatika srpskog jezika za strance [La grammaire de la langue
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