Note d`intention du réalisateur

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Note d`intention du réalisateur
Sokol
SOKOL
Note d'intention du réalisateur
Tout le monde a encore en tête le film de Stephen Daldry écrit par Lee Hall, Billy Eliott :
l’histoire d’un fils de mineur anglais qui rêve de devenir danseur, alors que son père, gréviste,
voudrait faire de lui un boxeur. Dans SOKOL, le corps est également le moteur du scénario. Un
scénario en forme de parcours initiatique qui prend en compte toutes les possibilités du corps.
L'intention étant de pousser les potentialités des corps des protagonistes jusque dans leurs
derniers retranchements, non pas à travers la danse cette fois, mais à travers un sport considéré
à juste titre comme l’un des plus complets, des plus spectaculaires et des plus forts en émotion : la
gymnastique ; la gymnastique comme point de départ idéal pour raconter le corps. C'est de la
caractérisation des corps que découle la caractérisation des personnages principaux. Ne me sont
venus que bien après l'histoire et le récit.
« L’imagination au pouvoir », criaient les manifestants en 1968. Force est de constater
qu’aujourd’hui la proposition s’est inversée : les grandes utopies se sont effondrées. Dans les
banlieues, la violence que l’on garde pour soi n’est pas valorisante ; l’oisiveté est explosive. Mais
brûler des voitures, encore et encore, est un manque d’imagination, alors même que l’imagination
est la force qui peut briser la routine, qui peut servir à découvrir d’autres alternatives à la violence.
C’est l’imagination qui nous incite à être homme parmi les hommes ; car elle est le contraire d’une
solitude repliée sur elle-même qui conduit à l’exaction.
Face à la relative paralysie de l'action dans nos sociétés, vivre un mouvement de danse comme
dans Billy Eliott, ou ici de gymnastique, est une façon de s'engager dans une aventure intérieure.
Face à la violence urbaine s'oppose l'affrontement physique sportif, individuel ou collectif, qui
nécessite de mobiliser son énergie, de tester ses limites. Mettre sa vie en jeu, c'est ce que fera
Jules, notre personnage principal, en essayant d’imaginer, puis d’exécuter un nouveau mouvement
à la barre fixe ; exploit spectaculaire qui lui permettrait de conquérir l'élue de son cœur et de laisser
son nom dans l'histoire de la gymnastique. Car Jules, sans réel foyer, a faim, d’affection et de
reconnaissance ; des carences qu’il va tenter de combler. Dans ce dehors qui renvoie à la société
dominante qui l’attire et qu’il rejette tout à la fois, Jules se sent fasciné par les gymnastes à la
démarche professionnelle, par leur position artistique reconnue qui donne accès à tous les
pouvoirs que la société octroie pour les meilleurs, pouvoir de reconnaissance sociale et
économique notamment. Ce n’est pas par hasard si Jules habite le premier étage d’un immeuble
d’une banlieue imaginaire. L’histoire progresse, marche après marche, unité dramatique après
unité dramatique, vers les sommets de la création artistique. Personnages, lieux, événements,
gagneront ainsi en signification pour atteindre, selon un crescendo symbolique, des valeurs
universelles.
Au cours de son « ascension », Jules va donc changer de personnalité, faire l’apprentissage de la
responsabilité et de la conscience, se révéler à lui-même par amour et par la gymnastique ; par
l’amour de la gymnastique et du spectacle. Quand Truffaut parle de la notion de « spectacle », cela
ne signifie pas qu’il est nécessaire d’avoir recours à des effets spéciaux. La réalisation d’un nouveau
mouvement de gymnastique est en soit une « cascade » spectaculaire qui se suffit à elle-même. Au-
delà de l’exploit sportif et affectif, propre à de nombreux films, le mouvement développera ici le
thème de la recherche identitaire des adolescents de banlieue ; recherche interne poussée
jusqu’au sens de la responsabilité. L’éducation physique est trop souvent vécue comme une
hygiène. Il est très rare qu’une discipline comme la gymnastique, soit perçue comme un aspect
fondamental de ce que l’on pourrait appeler la recherche de l’imaginaire corporel, c’est-à-dire de la
perception et de l’invention pour chacun, de son corps dans l’espace et le temps parmi les autres
corps.
S’il est un des besoins fondamentaux sur lequel s’appuie le film, c’est bien la réalisation de soi. Nous
avons tous besoin de nous exprimer pour communiquer qui nous sommes et pour faire en sorte
que nos talents s'épanouissent. Il existe de nombreux films sur des artistes, des compositeurs et
des athlètes qui ont du mal à joindre les deux bouts. Si ces films rencontrent un certain succès,
c’est que nous avons envie que ces gens réussissent.
Et si la réinsertion passait aussi par la réhabilitation des corps ?
Un des objectifs de ce long métrage est donc de dire et de crier que, sans imagination, il n’y a pas
de développement possible des individus. L’imagination assume et construit la cohérence de l’être
et par voie de conséquence celle de la cité. Le rôle de l’homme est simple au fond : il suffit, pour
assumer pleinement sa fonction, qu’il laisse parler son imagination.
SOKOL est un film qui ambitionne de faire ressentir au spectateur des émotions immédiates qu’il
aurait aimé connaître dans sa vie s’il avait pratiqué la gymnastique.
Pierre MATHIOTE
Réalisateur.

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