eli lilly - Pharmaceutiques
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66 SYDNEY TAUREL « LA STRATÉGIE DE LILLY EST UNIQUE » « Une grosse société de biotech au sein d’un important laboratoire pharmaceutique » : telle est la définition – et la caractéristique - d’Eli Lilly. Sydney Taurel, président et CEO, explique à Pharmaceutiques la particularité du groupe qu’il dirige, en soulignant notamment sa forte implication dans les biotechs ainsi que dans la R&D, qui représente 20 % de son chiffre d’affaires. Evoquant la situation de la France, Sydney Taurel déplore l’absence de visibilité et de stabilité du marché qui, selon lui, ne permet pas de planification à long terme. —————— DOSSIER RÉALISÉ PAR CHRISTINE COLMONT ET XAVIER DIAZ PHARMACEUTIQUES _ OCTOBRE 2006 67 Eli Lilly fête cette année son 130ème anniversaire. Quel bilan pouvez-vous dresser ? > Le groupe a connu un départ assez modeste avec un capital de seulement 4 000 dollars. Dès son origine, il a eu pour objectif de fabriquer des produits fiables à une époque où tout un tas de charlatans vendait tout et n’importe quoi comme produit miracle. Notre développement à l’international remonte au début du vingtième siècle : en Grande-Bretagne et au Japon d’abord. Puis le cap a été mis sur l’Europe dans les années 1960. Au cours de ces 130 ans, de nombreux produits ont été lancés : l’insuline animale Iletin® en 1923 puis le vaccin contre la polio ; les premiers antibiotiques après la deuxième guerre mondiale ; nous avons fait les premiers pas dans les neurosciences avec, plus particulièrement, Prozac® en 1990 ; puis nous nous sommes développés dans la cancérologie, l’endocrinologie (diabète et ostéoporose), les soins intensifs, et enfin dans le dysfonctionnement érectile avec Cialis®. A la onzième place mondiale, le groupe pèse aujourd’hui près de 15 milliards de dollars de chiffre d’affaires et compte quelque 41 000 collaborateurs. Quelles sont vos ambitions dans les biotechnologies ? > L'une des caractéristiques d'Eli Lilly, assez unique dans l'industrie, est d’être une grosse société de biotechnologie dans le corps d'un important laboratoire pharmaceutique. Nous sommes les premiers à avoir lancé un produit de biotech, l'insuline humaine, dans les années 1980, en partenariat avec Genentech. Nous avons poursuivi sur notre lancée et aujourd'hui, les produits issus des biotechs représentent 25 % de nos ventes : insulines, hormone de croissance, ReoPro®, Byetta®, Xigris® prescrit pour traiter les chocs septiques. Par ailleurs, le tiers de nos produits en développement sont des produits biotech. DR Vous n’êtes toutefois pas les seuls à vous intéresser à ce segment de la pharmacie… > Certes, mais la plupart de nos concurrents qui ont une activité de biotech ont des départements séparés. Notre approche est différente : nous l’avons intégrée avec les techniques plus classiques basées sur la chimie fine. De sorte qu’au sein de chaque domaine thérapeutique, nous pouvons rechercher des cibles moléculaires avec les deux techniques parallèlement. C'est ce qui explique la productivité un peu plus importante de votre portefeuille ? > Oui. Nous avons en effet lancé neuf produits en quatre ans, ce qui constitue un record dans l'industrie, surtout pour une firme de notre taille. En comptant les produits à lancer d’ici la fin de la décennie, nous aurons doublé le nombre de nouvelles molécules par rapport aux années 90. Nos concurrents, pour leur part, souffrent d'une réduction de productivité : le nombre de molécules nouvelles approuvées par la FDA dans les cinq dernières années a chuté de 40 % par rapport à la période 1995-2000. Mais notre forte implication dans les biotechs n’explique pas tout. Eli Lilly consacre aussi 20 % de son chiffre d'affaires à la R&D, ce qui est un taux très élevé dans la profession. En outre, nous avons organisé notre recherche de manière un peu différente. La plupart des grands de la pharmacie organisent leur recherche par fonction. Nous avons intégré davantage la recherche de base et la recherche cli- 4 44 OCTOBRE 2006 _ PHARMACEUTIQUES 69 ment importante de notre stratégie que nous avons créé, il y a cinq ans maintenant, une fonction spéciale à l'intérieur de la société que nous appelons Office of Alliance Management. Ce groupe de personnes se consacre exclusivement au succès des partenariats, il planche sur les obstacles, les problèmes culturels, la prise de décision, l'adéquation des produits aux besoins des clients. Cela dit, nous ne pourrions jamais fonctionner uniquement par ce moyen. A votre avis, quelles seront les conséquences de la concurrence générique sur Plavix® pour vous qui allez sortir un produit de la même classe thérapeutique, Prasugrel® ? > La situation n'est pas très claire. Pour l'instant, un juge a ordonné l'arrêt de la commercialisation de ce générique sur le marché américain. On ne saura vraiment quel sera son avenir qu'au moment où le procès sur le brevet sera terminé. Normalement, ce sera l'année prochaine ou l'année suivante. 444 Si Sanofi-Aventis et Bristol Myers Squibb, les deux partenaires qui commercialisent Plavix® perdaient cette bataille juridique, cela remettrait-il en cause votre modèle de développement, basé sur la protection des médicaments ? > C'est très préoccupant, en effet. Mais, chaque cas est particulier. Je ne peux pas me prononcer sur la validité junique. La recherche passe du laboratoire aux essais cliridique de la bataille de BMS et Sanofi-Aventis avec Aponiques très rapidement et c'est le même patron qui s'octex®. Je pense toutefois que lorsque le juge a décidé d'arcupe des deux domaines au sein de chaque classe thérarêter la commercialisation, il a laissé penser qu'il était peutique. Ce qui nous permet de tester des hypothèses, probable qu'il jugerait en leur faveur. En tout cas, les modifier si besoin la molécule et identifier les échecs le conclusions finales ne seront connues, au mieux, que l'an plus rapidement possible. Nous n’engageons donc des inprochain. Je crois que les défauts du système américain vestissements importants que sur les molécules dont les sont mis à jour. Ce sont les effets secondaires de la loi chances d'arriver sur le marché sont élevées. Par ailleurs, Hatch-Waxman votée en 1984, qui a permis, d’une part, notre grande proportion de médecins nous permet de déd’allonger la durée de vie des brevets en couvrir de nouvelles indications et même de tenant compte d’une partie du temps passé sauver certains produits voués à l’échec. Pour en enregistrement, et d'autre part, de donprendre un exemple, Strattera® qui répond Incitations aux ner des incitations très fortes aux fabricants à un besoin sur le déficit d'attention de l'ende génériques qui essaient de faire invalider fant et de l'adulte avait commencé sa carrière génériques de manière non fructueuse pour le traitement aux Etats-Unis les brevets existants. En conséquence, toutes sortes de procès sont intentés systéde la dépression. Nous aurions pu arrêter ce matiquement par les sociétés de généproduit mais l'un de nos psychiatres a eu riques dès que les produits sont sur le marl'idée de le tester dans cette nouvelle indicaché depuis plus de six ans. Les six premières années, la tion. Deux ou trois autres molécules ont été repêchées protection des dossiers leur empêche toute action en avec succès. Enfin, notre groupe n'est pas issu d'une fujustice : ils ne peuvent pas utiliser les données dévelopsion et a pu ainsi éviter les distractions et rester focalisé sur pées par un laboratoire de recherche sur un produit prinl'augmentation constante de la productivité de la receps. Après six ans de commercialisation, ils ont accès à cherche. ces données et s'ils parviennent à contester le brevet, ils Pour trouver de nouveaux médicaments, misez-vous lancent leurs génériques. En Europe, la protection dure dix plutôt sur la R&D ou sur les partenariats ? ans. Le système est davantage prévisible. > Les deux. Nouer des collaborations constitue, au même titre que la recherche et développement, l'un des axes de Vous avez annoncé la fermeture de trois sites notre stratégie d’innovation. Environ 25% de nos produits, en Europe* et la suppression de 900 postes. Pour tant sur le marché qu'en développement, sont issus de quelle raison ? partenariats. Nous nous sommes beaucoup focalisés sur > C'est notre réponse à l'environnement auquel nous les partenariats et très tôt dans notre histoire. En fait, sommes confrontés. Il nous faut donc trouver les moyens l'insuline humaine était issue d'un partenariat avec une de réduire nos coûts tout en produisant la même innovasociété de biotechnologie, Genentech, dès la fin des antion. Les capacités de nos autres sites sont suffisantes. Pronées 1970. Cet échange constant de nouvelles molécules poser ces fermetures de site est une décision difficile à prendre car elle affecte la vie de collaborateurs, mais en ce et de nouvelles technologies est devenu une partie telleOCTOBRE 2006 _ PHARMACEUTIQUES 444 71 La société américaine a son siège à Indianapolis, dans l’Indiana. 444 qui concerne la conduite de nos affaires, nous pensons que cette action est nécessaire et que nous la prenons au bon moment. En rationalisant nos infrastructures et en investissant nos ressources dans les domaines de grandes opportunités, nous serons davantage capables de servir les patients, et de poursuivre notre croissance. Nous voulons trouver une solution acceptable pour tous, à mesure que les discussions avec les employés de ces trois sites progressent. L'attractivité de la France vous paraît-elle suffisante ? > Parlons de ses avantages d'abord. Les équipes sont dans l'ensemble bien formées, compétentes et impliquées. Notre usine de Fegersheim en Alsace est d’ailleurs la première du groupe aujourd'hui et offre une production de qualité. Autres atouts : la France est le deuxième marché européen et le quatrième mondial. Elle recèle, en outre, bon nombre de talents pour la recherche clinique notamment. En revanche, les inconvénients ne manquent pas : les politiques en matière de dépenses de santé changent très souvent, nous n'avons pas suffisamment de visibilité et de stabilité qui puissent nous permettre de planifier à moyen et long terme. Alors que nos décisions d'investissement se prennent sur une longue période. Par exemple, les mesures prises, comme les taxes sur le chiffre d'affaires ou sur les activités promotionnelles, les réductions de prix liées à des volumes, ne privilégient pas l'innovation. Vous réorganisez votre force de vente aux Etats-Unis. La France est-elle concernée ? > Chaque pays a ses caractéristiques et chaque filiale une stratégie différente adaptée aux besoins locaux. Aux Etats-Unis, nous avions beaucoup de réseaux différents de visiteurs médicaux. Un seul médecin pouvait recevoir six ou sept visiteurs médicaux différents Eli Lilly sur des produits de neurosciences par exemple. Nous nous sommes réorganisés de telle manière à ce qu'ils n'en voient plus qu'un seul ou deux mais avec une fréquence plus élevée. Les décisions prises aux Etats-Unis sont indépendantes de ce que nous ferons en France. Quel sera à votre avis le modèle de développement des laboratoires dans les années à venir ? > Le modèle de recherche sera un peu différent. Des discussions portent actuellement sur la constitution d'un consortium constitué d’industriels, de la FDA et du National Institutes of Health (NIH) pour développer des biomarqueurs sans propriété intellectuelle. Les résultats seraient ensuite mis à la disposition des sociétés qui pourraient développer leurs propres produits. Une espèce d'architecture ouverte, un peu comme le Linux du monde des logiciels. La première réponse est d'éviter le gaspillage en nous assurant que nos produits sont administrés uniquement sur les patients qui y répondent, comme nous venons d’en discuter. La seconde réponse est l'amélioration de la productivité, entre autres par la délocalisation de certaines activités, les partenariats, etc. Quel est l'impact des politiques de réduction de santé et de Medicare en particulier sur le secteur ? > Aux Etats-Unis, Medicare présente un danger. Le gouvernement fédéral et local prend davantage en charge le financement des médicaments : son poids représente 50 % du chiffre d'affaires de l'industrie aux Etats-Unis contre 20 à 30 % au cours des dernières décennies. Et il pourrait utiliser ce pouvoir pour contrôler les prix des produits pharmaceutiques (il contrôle déjà les taux de remboursement aux médecins et aux hôpitaux). Heureusement, le gouvernement a confié la gestion du système à des acteurs privés qui eux négocient avec les laboratoires. Ce nouveau système me paraît sain, en introduisant une concurrence et nous donne des garanties à long terme pour continuer d'innover. En Europe, avec le départ à la retraite de la génération des baby-boomers et le vieillissement de la population, les promesses de santé gratuite pour tous ne seront plus tenables. Dans les dix à vingt ans qui viennent, d'autres solutions devront être trouvées, en passant par un minimum de couverture universelle. Mais au-delà, il faudra demander une participation financière plus importante et un changement de comportement des usagers. Et créer un peu plus de conditions de marché pour réduire les coûts. ■ 444 *Il s’agit d’une usine et de deux unités de recherche et développement OCTOBRE 2006 _ PHARMACEUTIQUES