Pratiques émergentes en matière d`éducation du consommateur à la
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Pratiques émergentes en matière d`éducation du consommateur à la
briefing note 3 Microinsurance Innovation Facility Pratiques émergentes en matière d’éducation du consommateur à la gestion des risques et Iddo Dror, Aparna Dalal et Michal Matul à l’assurance septembre 2010 1 On considère souvent l’éducation du consommateur comme faisant partie intégrante des dispositifs de microassurance : une solution gagnant-gagnant qui bénéficie à la fois aux fournisseurs de micro-assurance et à leurs clients, censée aider les ménages à faibles revenus à prendre les bonnes décisions et les opérateurs, à stimuler la demande. Cependant, compte tenu du manque actuel de recherche fondamentale et appliquée, il est difficile de savoir si l’éducation du consommateur peut tenir ses promesses. De nouvelles données tirées d’une série d’évaluations réalisées en Colombie, au Brésil, au Ghana, au Kenya, en Afrique du Sud et en Inde seront disponibles en 2011 et apporteront des réponses à cette question. D’ici là, c’est sur les leçons tirées des expériences des praticiens que doivent s’appuyer ceux qui conçoivent de nouveaux programmes d’éducation du consommateur. Encadré 1 Qu’entend-on par éducation du consommateur ? L’éducation du consommateur en micro-assurance consiste en une démarche systématique destinée à enseigner les stratégies de gestion des risques et le rôle de l’assurance afin de susciter une meilleure gestion des risques chez les ménages à faibles revenus. L’objectif est de fournir à ces ménages les connaissances et aptitudes leur permettant de prendre les meilleures décisions financières. L’éducation du consommateur peut être dispensée par des microassureurs, confiée à des organismes partenaires comme des distributeurs ou des instituts de formation spécialisés ou encore s’intégrer dans une démarche collaborative nationale menée par les pouvoirs publics ou par des entités du secteur. Étant donné le nombre croissant de programmes d’éducation et la demande considérable en matière de renforcement des capacités dans ce domaine, il a semblé nécessaire au Groupe de travail sur l’éducation à l’assurance du Microinsurance Network de lister les pratiques émergentes que les praticiens pourraient intégrer dans leurs programmes d’éducation. Cette note synthétise le retour d’expérience de plus de 50 praticiens qui ont été Nous tenons à remercier nos réviseurs pour leurs commentaires avisés sur les versions antérieures de cette note : Helen Barnes, Hennie Bester, Virginia Bethe, Monique Cohen, Alejandra Diaz, Jeanna Holtz, Thabo Gumbi, Jeremy Leach, Marcia Metcalfe, Viviene Pearson, Caroline Phily, Anja Smith, Evelyn Stark, Jasmin Suministrado, Peter Wrede et Mary Yang. Un remerciement particulier à Sarah Bel pour ses commentaires et sa collaboration tout au long de cette étude. Nous assumons la responsabilité d’éventuelles erreurs. 1 les premiers à mettre en œuvre des dispositifs d’éducation du consommateur. Leur expérience est documentée à travers trois études soutenues par le Fonds pour l’innovation en micro-assurance de l’Organisation internationale du Travail et par le Microinsurance Network. Études de référence Iddo Dror, Kathleen Jenkins, Keiju Motegi et Juho Siltanen, A Landscape Study of Microinsurance Education, Micro Insurance Academy, 2010. Catherine Burns et Aparna Dalal, Explaining Insurance: Implementing Consumer Education in CARE-India’s Insure Lives and Livelihoods Program, Financial Access Initiative, 2010. Anja Smith, Michal Matul, Sandisive Ncube et Hennie Bester, South African Insurance Association Consumer Education Programme: 2005-2009, Fonds pour l’innovation en micro-assurance de l’OIT, 2010. Les expériences exposées dans ces études montrent qu’une approche intégrée sur le long terme s’impose pour améliorer les capacités de gestion des risques et augmenter l’utilisation d’outils financiers appropriés. Un programme fournissant une formation ponctuelle et isolée ne donnant pas accès à des produits de micro-assurance adaptés ne suffit généralement pas à atteindre ces objectifs. Dans les deux premières parties, nous soulignons les caractéristiques clés en matière de contenu et de prestation de l’éducation et nous donnons des exemples d’organismes qui les ont expérimentées avec succès. Dans la dernière partie, nous examinons les défis que représentent la pérennité, le suivi et l’évaluation, particulièrement pertinents pour les praticiens souhaitant intégrer l’éducation dans leur modèle économique. CONTENU DE L’ÉDUCATION DU CONSOMMATEUR Mettre l’accent sur la gestion des risques et l’assurance et ajouter d’autres concepts financiers La principale question concerne la délimitation du contenu. Le programme d’éducation doit-il traiter de concepts financiers génériques comme la gestion de l’argent et la budgétisation ? Doit-il aborder des thèmes larges de la gestion des risques tels que la nature des risques et la différence entre assurance et épargne ? Ou doit-il privilégier les détails propres aux produits comme le versement des primes, les prestations et les exclusions ou les procédures de demande d’indemnisation ? La délimitation du contenu dépend de plusieurs facteurs dont la disponibilité des ressources, le temps dont le formateur dispose avec telle communauté, les connaissances et les expériences antérieures de cette communauté et la mission du praticien. Certains des opérateurs interrogés dans notre étude pensent qu’il est utile de commencer par des notions financières de base avant de passer à la gestion des risques et au contenu de l’assurance. Il est important de commencer par des notions comme la budgétisation, car cela permet aux ménages de comprendre la façon dont les ressources sont utilisées et de prendre conscience de l’impact des pertes. risques et sur l’assurance. Il peut s’agir de donner aux ménages à faibles revenus les moyens d’identifier les risques qu’ils courent, de diminuer les réticences qu’ils ont quant au concept d’assurance, d’analyser différentes méthodes de gestion des risques (dont l’assurance) et de mettre au point une stratégie qui priorise leurs risques et les gère au mieux. Si l’on en reste aux seules prestations du produit, on se contente d’en faire la publicité et cela ne peut être assimilé à de l’éducation du consommateur. On trouvera ci-dessous deux exemples de programmes qui ont su associer éducation à l’assurance et à la gestion des risques. En partenariat avec l’assureur Bajaj Allianz, CARE India a conçu un programme d’éducation complet qui intègre quatre composantes : 1) éducation au risque, 2) éducation à l’assurance, 3) éducation produit et 4) logistique produit et aspects pratiques. CARE India a jugé que tous ces sujets étaient indispensables à la création d’une culture de l’assurance pour la protection sociale et tenait à tous les intégrer dans la conception de son programme Insure Lives and Livelihoods (ILAL) destiné aux communautés rurales pauvres du Tamil Nadu en Inde. Étant donné que les praticiens de micro-assurance disposent de peu de ressources, une approche large intégrant l’éducation financière n’est pas toujours possible. En pareil cas, l’accent doit être mis sur la gestion des Encadré 2. Composantes du programme de CARE India Éducation au risque • qu’est-ce qu’un risque • mécanismes de gestion des risques • mécanismes de gestion des risques en pratique • différences entre épargne et assurance... Éducation à l’assurance qu’est-ce que la micro-assurance • principes de l’assurance • pourquoi la micro-assurance • qu’est-ce que l’assurance vie et l’assurance générale • qu’est-ce qu’une prime, une demande d’indemnisation… • Au Kenya, le Centre coopératif suédois et Microfinance Opportunities ont élaboré un module d’éducation à la finance divisé en dix sessions qui met l’accent sur la Éducation produit présenter CARE et Bajaj Allianz • qu’est-ce que l’ILAL • expliquer les produits vie et généraux • qu’est-ce qu’une prime, une demande d’indemnisation, une exclusion, une inclusion…… • Logistique produit comment verser les primes • quand les verser • comment remplir une demande d’indemnisation • documents à fournir… • Source: Burns and Dalal (2010), p. 7. gestion des risques et sur l’assurance et inclut également des concepts pertinents d’éducation à la finance. Encadré 3. Sessions du module du Centre coopératif suédois et de Microfinance Opportunities 1. Introduction à la méthodologie du groupe d’étude : mode d’apprentissage des adultes, choix d’un leader, rôle des participants, planification des sessions. 2. Risques : qu’est-ce qu’un risque ? Comment peut-il vous toucher ? Quels sont les risques qui entraînent les plus grosses difficultés ? 3. Outils de gestion des risques : qu’est-ce que la protection ? Identifier des mesures préventives (avant) et curatives (après). 4. Épargne : comment épargner plus d’argent ? Où épargner ? Utilisation de l’épargne ou du crédit ? 5. Introduction à l’assurance : idées reçues concernant l’assurance, associations de bienfaisance et risques mutualisés, comparer association de bienfaisance et assurance. 6. Le fonctionnement de l’assurance : conditions d’assurance, analyse coût-profit, foire aux questions (FAQ). 7. Différents types de produits d’assurance : principaux produits d’assurance santé, d’assurance vie et d’assurance de biens. 8. Comment effectuer une demande d’indemnisation : conditions à remplir, exercice pratique et conseils pour remplir un formulaire. 9. Comment trouver le meilleur produit d’assurance pour votre famille et vous : choisir le meilleur produit d’assurance, questions à poser au prestataire, bonnes et mauvaises techniques de communication et de prise de décision avec les membres de la famille, établir un plan d’action pour souscrire une assurance. 10. Quand, comment et pourquoi renouveler son contrat : qu’est-ce qu’un renouvellement ? Conséquences si on ne renouvelle pas son contrat, que prendre en compte avant de le renouveler, renouveler ou ne pas renouveler un contrat. Source: Smith et al (2010) 2 Connecter l’apprentissage avec les connaissances des populations et les renvoyer à leurs précédentes expositions au risque Le contenu d’un programme doit toujours être élaboré en fonction de ce que les ménages savent déjà de l’assurance et de la façon dont ils envisagent leurs risques. Lorsqu’un sujet est totalement nouveau, comme c’est le cas de l’assurance pour les ménages qui n’y ont jamais recours ou presque, ces derniers n’ont pas d’éléments de référence. Le programme doit donc établir des liens clairs entre l’assurance et les stratégies de gestion des risques qu’appliquent déjà les ménages, comme l’épargne ou le crédit. Le contenu doit être marquant afin de retenir l’attention des ménages et de favoriser leur mémorisation. Un moyen simple de rendre un contenu marquant est de parler des risques. Cela peut paraître trivial, mais c’est décisif pour la réussite de la formation. Les leçons tirées de l’économie comportementale ont montré que les individus sous-estiment souvent la probabilité d’événements défavorables2. Pour rendre la formation pertinente, il est donc important de leur rappeler les risques les plus fréquents qui pèsent sur leur communauté et leur vie. L’éducation au risque peut être directement suivie d’un débat sur la manière dont les ménages gèrent les risques, dont les stratégies informelles d’atténuation des risques peuvent être améliorées et dont elles peuvent être complétées par de l’assurance formelle. L’objectif est de mettre en parallèle l’assurance et d’autres méthodes formelles ou informelles de gestion des risques. L’autre exemple pertinent d’éducation au risque émane du Hollard Insurance Group en Afrique du Sud, qui organise des ateliers de trois heures au cours desquels les participants sont placés devant une « image conversationnelle » qui représente une communauté avec ses maisons, ses magasins, ses usines, son hôpital, etc. L’image montre également un certain nombre d’événements assurables. Le formateur explique aux participants les avantages que présenterait une assurance pour chacun de ces événements, ainsi que les droits et les devoirs de l’assureur comme de l’assuré. Mais avant que le formateur n’explique ces événements, il est demandé à chaque participant d’en donner sa propre vision. METTRE EN PLACE UNE CAMPAGNE D’ÉDUCATION DU CONSOMMATEUR Lorsqu’ils conçoivent la prestation de leurs programmes d’éducation, les praticiens doivent décider des outils qu’ils vont utiliser, ainsi que du canal et de la fréquence des messages. Ils ne doivent pas perdre de vue que l’éducation ne se réduit pas à un simple transfert d’informations. Un programme d’éducation bien conçu doit stimuler une atténuation proactive des risques. Pour cela, l’éducation doit être centrée autour de l’apprenant : plus la démarche © Hollard Weather Risk Management propose ainsi une assurance contre les conditions climatiques défavorables en Inde. L’organisation rappelle aux agriculteurs les pertes de récoltes qu’ils ont subies par le passé et leur explique en quoi les conditions climatiques sont responsables de ces pertes afin que celles-ci agissent comme un rappel des risques potentiels. Et grâce aux données disponibles sur les pertes de récoltes passées, Weather Risk Management peut dire avec précision aux agriculteurs quelles quantités ils ont perdues et ce qu’une police d’assurance leur aurait permis de sauver. Image conversationnelle du Hollard Insurance Group Aparna Dalal et Jonathan Morduch, The Psychology of Microinsurance: Small Changes Can Make a Surprising Difference, Financial Access Initiative. Microinsurance Paper 5. Fonds pour l’innovation en micro-assurance. 2 3 l’implique et le fait participer, mieux c’est. Les praticiens doivent également considérer l’éducation du consommateur comme un processus qui se fait sur la durée. L’éducation est particulièrement efficace quand elle passe par plusieurs canaux de prestation, qu’elle résulte d’un processus continu et qu’elle donne accès à des produits de micro-assurance de qualité. Les formations isolées et dispensées en une fois sont souvent insuffisantes. Les praticiens doivent utiliser à la fois plusieurs canaux (ateliers, radio, télévision…) et plusieurs outils (brochures, tableaux à feuilles, jeux…), car chaque canal et chaque outil possède une utilité particulière. Les médias et les spectacles permettent de sensibiliser un grand nombre de personnes, tandis que les canaux plus ciblés comme les ateliers favorisent la participation et l’interaction et, potentiellement, une meilleure compréhension. Diversifier les outils permet de mieux s’adapter à différents styles d’apprentissage et d’impliquer plusieurs groupes cibles. Multiplier les canaux permet également de donner plus de force à un message. CARE India et ses partenaires communautaires font appel à la culture à travers des chansons, des pièces de théâtre et des spectacles de marionnettes pour stimuler l’intérêt des ménages. Les agents de terrain écrivent des textes sur les thèmes de l’assurance et les accompagnent de musiques connues tirées de films. Les pièces de théâtre sont jouées devant de grandes assemblées par de petites équipes constituées de membres de groupes d’entraide locaux. Selon les agents de terrain, ces programmes culturels parviennent mieux à retenir l’attention des ménages qu’une simple discussion ne peut le faire. Ils pensent cependant que si ces programmes parviennent à toucher un large public, celui-ci ne retient généralement pas les détails de la présentation et a besoin de discuter des principes de l’assurance et des caractéristiques des produits par petits groupes. © CNSeg CNSeg, la confédération du secteur de l’assurance du Brésil, prévoit de faire activement participer les membres des communautés à son programme d’éducation qui utilise les médias (vidéos et feuilletons radio) pour diffuser largement son matériel éducatif. Les vidéos et les feuilletons s’appuient sur un scénario simple qui met en avant les messages importants sur l’utilité de l’assurance pour les ménages à faibles revenus. Ils sont produits au sein des communautés et parmi les acteurs, on compte des vendeurs locaux et des membres de la communauté. CNSeg recueille ensuite les réactions des populations pour écrire de nouveaux scénarios. D’après la confédération, cette approche participative devrait permettre d’instaurer la confiance au sein des communautés et d’aider leurs membres à assimiler les messages. La MIA (Micro Insurance Academy) se sert quant à elle de jeux interactifs pour aider les communautés à prendre conscience des risques, à apprendre ce qu’est une gestion proactive et à comprendre l’importance de l’assurance santé. L’un de ces jeux, intitulé CHAT (Choosing Healthplans All Together/Choisir ensemble des assurances santé), est conçu pour aider les communautés pauvres à faire des choix de prestations en matière 4 © Mia Utiliser à la fois différents canaux de prestation et différents outils Inde: Femmes pratiquant le «CHAT» afin de déterminer ensemble leurs besoins en matière d’assurances santé de soins de santé. Les membres définissent ensemble le panier de prestations qui couvrira le mieux leurs principaux besoins. Chaque participant reçoit un plateau présentant les différentes formes de risques assurables, ainsi qu’un certain nombre de gommettes symbolisant les fonds disponibles. Les participants placent ensuite les gommettes sur le plateau en fonction des risques contre lesquels ils veulent être assurés. Puis, ils tirent des cartes événements qui évoquent chacune un risque auquel ils pourraient avoir à faire face et discutent de la pertinence des choix qu’ils ont faits. Le jeu comprend ensuite une deuxième partie à laquelle participent environ 15 personnes. Elles débattent entre elles pour parvenir à un consensus sur les risques contre lesquels toute la communauté doit être assurée. Un autre jeu, intitulé Treasure Pot (« La cagnotte »), aide les communautés à comprendre la notion d’assurance et de mutualisation des risques. Le jeu est constitué de cartes qui représentent des problèmes de santé pouvant arriver aux participants et de bonbons qui symbolisent l’argent. Le but est de montrer aux participants que le crédit ou l’épargne ne sont pas des outils de gestion des risques adaptés, mais que la mutualisation des risques, elle, peut profiter à toute la communauté. La MIA utilise ces deux jeux dans le cadre de son vaste programme d’éducation à l’assurance, mais a également recours à des ateliers, des brochures, aux médias (radio et films), à des jeux de rue, etc. Dispenser une éducation de manière continue L’éducation du consommateur ne doit pas se faire de façon isolée, elle doit au contraire constituer une démarche de facilitation continue effectuée grâce à des messages cohérents diffusés par de multiples canaux de façon intégrée. Les démarches ponctuelles n’ont généralement pas d’impact. L’expérience de la South African Insurance Association (SAIA) montre bien en quoi une démarche isolée n’est pas efficace en matière d’éducation du consommateur. Dans le cadre de son initiative d’éducation à la finance, la SAIA a en effet soutenu un programme d’ateliers en zones rurales et communales organisés par des organisations communautaires ou professionnelles. L’objectif était de fournir aux communautés rurales à faibles revenus les notions financières de base. Lors de l’évaluation du programme, la SAIA a constaté que seulement 57 % des personnes interrogées se rappelaient avoir participé aux ateliers. Ce faible taux peut s’expliquer par le fait que la formation s’est faite lors d’un atelier isolé, elle n’a donc pas pris la forme d’un processus d’apprentissage continu en choisissant des outils de gestion des risques adaptés. De l’autre, l’éducation à l’assurance peut entraîner une augmentation du nombre de souscriptions, ce qui réduit les coûts nécessaires pour toucher les ménages du secteur informel et augmente la mutualisation des risques. facilité par des messages actualisés et présentés au moyen de différents supports. Cela ne veut pas dire pour autant que les ateliers ne sont pas efficaces. Ils peuvent l’être si de courtes sessions sont réparties sur une certaine période et si les messages sont appuyés par d’autres canaux. Ainsi, Freedom from Hunger, en partenariat avec Sinapi Aba Trust au Ghana, prévoit de tester une série d’ateliers de « conversations d’apprentissage » pour aider les familles à comprendre comment obtenir et utiliser la micro-assurance santé. Les ateliers proposent de petites conversations lors desquelles on a recours à des histoires, des jeux de rôles et des supports visuels pour étudier comment fonctionne l’assurance, comment mettre de l’argent de côté pour payer les primes, ce que l’assurance couvre et comment utiliser les options de soins de santé incluses dans l’assurance. Pour donner plus de poids aux messages les plus importants, Freedom from Hunger propose de petites sessions de « rappel » avant les campagnes de souscription. © Louis Jouve Quand cela est possible, l’éducation du consommateur doit être reliée aux produits d’assurance, faute de quoi les individus n’ont que peu d’occasions de changer de comportement. Et lorsqu’éducation et produits sont liés, l’apprentissage doit aborder les caractéristiques propres à chaque produit. La question ici n’est pas de savoir si les messages marketing peuvent ou doivent être intégrés à des initiatives d’éducation plus larges, mais comment ils y sont intégrés et si l’éducation aide les individus à faire des choix plus éclairés. Femmes plaçant des cailloux sur des images représentant différents frais liés aux problèmes de santé: transport, frais d’hospitalisation, médicaments, perte de temps de travail. Atelier de «conversations d’apprentissage» pratiqué sur le terrain par Freedom from Hunger ayant pour thème la micro-assurance santé au Ghana CARE India et ses partenaires de prestation communautaires se sont aperçus qu’il fallait insister sur certains sujets, comme la mutualisation des risques et les conditions d’indemnisation, et revenir dessus de façon continue. Les agents de terrain ont également souligné qu’il était plus difficile d’expliquer l’intérêt de l’assurance vie que de parler d’autres types d’assurances, car l’assurance vie n’offre pas d’avantages tangibles. Ils ont dû passer davantage de temps qu’ils ne l’auraient cru à expliquer en quoi l’assurance vie est une aide pour les bénéficiaires désignés par l’assuré. Relier éducation et produits de micro-assurance Améliorer l’atténuation des risques et augmenter l’accès à l’assurance sont des activités complémentaires. D’un côté, un programme d’éducation ne peut avoir complètement atteint son but que si les ménages ont la possibilité d’utiliser leurs nouvelles connaissances et compétences ICICI Prudential propose de l’assurance vie avec un produit d’épargne à long terme à des groupes de cultivateurs de thé travaillant pour des compagnies dans le nord-est de l’Inde. La majorité d’entre eux n’avaient jamais entendu parler d’assurance, si bien qu’ICICI a lancé une campagne de sensibilisation et d’éducation. Plusieurs sessions d’une soirée animées par des formateurs issus des communautés ont été accompagnées d’un projet vidéo à l’initiative d’une ONG locale. Des volontaires ont appris à des jeunes de communautés défavorisées à réaliser de petits films sur des sujets aussi importants que la santé, l’hygiène, l’instruction, l’épargne, etc. Lors de la projection des différents films, les caractéristiques et les avantages du produit de micro-assurance d’ICICI ont été plus amplement expliqués. Il s’est avéré nécessaire de commencer par évoquer des problèmes sociaux (comme l’alcoolisme) qui touchent de près un nombre important de personnes dans la communauté pour véritablement sensibiliser les individus avant d’aborder des thèmes tels que la gestion financière, l’épargne et l’assurance. Les sessions en soirée, la diffusion des films ainsi que le travail de fond accompli par le personnel de vente étaient ainsi intégrés au sein d’un processus cohérent afin de susciter la confiance des communautés et de leur permettre de prendre des décisions financières en connaissance de cause. PÉRENNITÉ ET MODÈLE ÉCONOMIQUE DE L’ÉDUCATION DU CONSOMMATEUR Il faut, dès le départ, définir une stratégie claire pour un modèle économique pérenne. Dispenser de façon viable une éducation exhaustive au consommateur représente un défi (surtout financièrement), car la diffusion d’un contenu via de multiples canaux (même si ceux-ci sont censés en accroître l’impact) coûte très cher. De plus, l’amélioration de la compréhension qu’une communauté a de l’assurance constitue un bien public, ce qui signifie que de nombreuses institutions peuvent en profiter. Il peut ainsi s’avérer difficile pour un assureur de justifier un investissement dans un vaste programme quand ses concurrents peuvent tout autant bénéficier de la démarche. Dès lors, les associations d’assurance, les pouvoirs publics, les associations à but non lucratif ou les bailleurs de fonds sont-ils plus à même de proposer ce genre de programmes ? 5 L’une des approches consiste à mutualiser les ressources du secteur au niveau national et à confier la gestion du programme d’éducation à une agence indépendante comme une association d’assurance. Cette approche trouve une bonne illustration en Afrique du Sud. La South African Financial Services Charter exige en effet de toutes les sociétés d’assurance qu’elles consacrent 0,2 % des bénéfices après impôt à l’éducation financière. La SAIA a saisi cette occasion pour encourager un effort collaboratif. Elle a rassemblé les ressources émanant de plusieurs sociétés d’assurance et a supervisé les démarches d’éducation du consommateur pour tout le secteur. Le programme a atteint une envergure impressionnante. La Charter a cependant imposé des limites aux assureurs en favorisant l’éducation générique des segments aux plus bas revenus et en n’autorisant pas les assureurs à intégrer leurs produits au programme. Ces contraintes ont empêché les professionnels de voir dans l’éducation du consommateur des perspectives commerciales, ce qui a mis tout le dispositif en danger. Lorsque l’éducation est dispensée par une agence indépendante ou une association d’assurance, il est donc important de définir clairement les objectifs du programme pour être sûr que toutes les parties soient d’accord et le soutiennent sur la durée. La SAIA a modifié sa stratégie au bout de quatre ans afin d’encourager ses membres à continuer de fournir des ressources tout en poursuivant sa mission d’éducation du consommateur. Elle a repensé son approche, avant tout parce que certains de ses membres s’inquiétaient du fait que le programme tel qu’il était ne leur permettait pas de remplir leur objectif commercial : l’éducation de clients potentiels devait donner les moyens aux individus de prendre les bonnes décisions en matière d’assurance et donc stimuler les souscriptions. La SAIA cherche actuellement des moyens de relier l’éducation aux efforts marketing d’assureurs indépendants. La plupart des membres de la SAIA sont aujourd’hui convaincus qu’il faut mutualiser les ressources pour l’éducation financière, car, ensemble, ils peuvent plus facilement créer une culture de l’assurance qu’à travers des actions individuelles et non coordonnées. Chaque contexte fournit des opportunités de partenariat et des options de prestation spécifiques pour l’offre d’une éducation au consommateur. Il faut explorer les liens avec les programmes sociaux, les démarches publiques d’éducation financière, les écoles ou les initiatives de protection du consommateur. L’éducation du consommateur doit être dispensée par de multiples acteurs qui ne doivent pas perdre de vue leurs responsabilités vis-à-vis de la société et exploiter leurs atouts afin d’améliorer le bien-être des populations. Lorsque le secteur de l’assurance ou les pouvoirs publics lancent de solides initiatives, les praticiens doivent étudier les possibilités de partenariat avec eux. En l’absence d’initiative de grande ampleur, les praticiens de micro-assurance peuvent lancer leur propre programme et, forts de leur succès, encourager des initiatives plus étendues. Le secteur privé est bien placé pour être pionnier en la matière, comme le montre ci-dessus l’exemple de la SAIA. Néanmoins, la collaboration du secteur privé n’est pas une pratique courante sur la plupart des marchés de micro-assurance, ce qui amène à se poser la question suivante : les pouvoirs publics et les bailleurs de fonds peuvent-ils jouer un rôle plus actif pour faciliter la création de ce type de biens publics et comment doivent-ils s’y prendre ? 6 Intégrer dès le départ les activités de suivi et d’évaluation Un suivi et une évaluation minutieux sont nécessaires pour suivre précisément les coûts et les avantages de l’éducation et comprendre quelle association entre contenu et stratégies de prestation est la plus performante. Le suivi et l’évaluation ont pour objectif principal de mesurer l’impact du programme sur les connaissances, les aptitudes, les dispositions et le comportement des ménages et, en définitive, l’impact sur les ménages euxmêmes et sur le praticien. Les activités de suivi et évaluation sont souvent ponctuels et se limitent à des enquêtes de satisfaction du client ou à des analyses de souscription des produits. Ce sont certes des informations importantes, mais qui ne suffisent généralement pas à comprendre l’impact de l’éducation sur les dispositions et les comportements ni l’impact social et économique final sur les clients et les praticiens. Pour mesurer l’effet de l’éducation sur le comportement du client, l’évaluateur doit décorréler l’impact du programme d’éducation du produit et d’autres facteurs extérieurs. On peut tirer d’importantes informations sur l’utilisation et l’efficacité de l’assurance de recherches qualitatives s’appuyant sur des interviews de clients, des discussions de groupe et des analyses de relevés financiers. Mais l’évaluation de l’impact sur les comportements et le bienêtre nécessite que les praticiens appliquent des méthodes de recherche expérimentales comme les contrôles aléatoires qui mesurent l’impact d’un programme à l’aide de groupes de contrôle et de groupes expérimentaux. Ce type de recherche peut paraître difficile à mettre en œuvre (notamment du fait des implications financières d’une recherche aussi rigoureuse), mais il est possible et souvent nécessaire pour mesurer l’efficacité de différentes approches éducatives et convaincre les acteurs d’investir dans l’éducation du consommateur. © Louis Jouve Tirer profit des institutions existantes et mutualiser les ressources Groupe travaillant à la compréhension de mots clés de l’assurance santé et à la mise en place de mécanismes pour s’en souvenir Atelier de «conversations d’apprentissage» pratiqué sur le terrain par Freedom from Hunger ayant pour thème la micro-assurance santé au Ghana Encadré 4. Exemples d’indicateurs Connaissances • But de l’assurance • Risques typiques couverts par l’assurance et impact de ces événements sur les familles • Fonctionnement général de l’assurance (mutualisation des ressources entre de nombreuses personnes pour couvrir des risques peu fréquents et bénéficier d’une sécurité économique, même si l’assurance n’est pas utilisée durant certaines périodes) • Conditions d’assurance telles que primes, demandes d’indemnisation et prestations • Connaissances de certaines particularités des produits comme les procédures d’indemnisation et les exclusions Aptitudes • • • • F aculté à calculer le coût d’événements à risque Faculté à soupeser les différentes polices d’assurance et à choisir la bonne Calculer le coût des primes et les prestations versées Comprendre le cycle d’encaissement des primes • • Accomplir toutes les démarches d’inscription Remplir une demande d’indemnisation Dispositions Penser ou non que l’assurance convient aux personnes à faibles revenus • Avoir confiance dans les assureurs • Penser ou non que se préparer à un risque, c’est s’y exposer • Probabilité d’achat d’une police d’assurance dans les douze mois suivants • Comportements Préparer une gestion proactive des risques • Avoir recours au crédit, à l’épargne ou à l’assurance en cas d’urgence • Verser ses primes en temps et en heure • Avoir acheté une police d’assurance durant les douze derniers mois • Avoir renouvelé une police d’assurance durant les douze derniers mois • CONCLUSION Un programme efficace d’éducation du consommateur nécessite de réfléchir soigneusement au contenu, à la conception de la prestation et aux partenariats stratégiques avec différents acteurs. Le suivi et l’évaluation, s’ils représentent un défi, sont décisifs pour l’efficacité du programme. Nous résumons ci-dessous les enseignements tirés par les praticiens et qui peuvent être exploités et testés dans d’autres contextes. Il faudra cependant davantage d’innovation et de recherche en matière d’éducation du consommateur pour comprendre dans quelle mesure elle peut améliorer la valeur et la portée des produits de micro-assurance. Enseignements clés M ettre l’accent sur la gestion des risques et l’assurance ; ajouter d’autres concepts financiers quand c’est possible : dans un contexte de ressources limitées, il se peut qu’une approche abordant toutes les questions financières ne soit pas possible. En pareil cas, l’accent doit être mis sur la gestion des risques et sur l’assurance. A ppuyer l’apprentissage sur les connaissances des individus et les renvoyer à leurs précédentes expositions au risque : le contenu d’un programme doit toujours être élaboré en fonction de ce qu’une communauté sait de l’assurance et de la façon dont elle gère déjà les risques. Un moyen simple de donner de la pertinence au contenu est de commencer par discuter des risques que la communauté doit gérer à l’instant T. D ispenser une éducation continue : l’éducation financière ne doit pas se faire de façon isolée, elle doit au contraire constituer une démarche continue effectuée grâce à des messages cohérents diffusés par de multiples canaux de façon intégrée. R elier éducation et produits : le fait de relier éducation et produits d’assurance incite les ménages à modifier leurs comportements de gestion des risques. Cela permet aussi aux praticiens de renforcer leur intervention marketing. T irer profit des institutions existantes et mutualiser les ressources quand c’est possible : il faut explorer les liens avec les programmes sociaux, les démarches publiques d’éducation financière, les écoles ou les initiatives de protection du consommateur. Lorsque le secteur de l’assurance ou les pouvoirs publics lancent de solides initiatives (programmes sociaux, éducation financière publique ou initiatives de protection du consommateur), les organismes doivent étudier les possibilités de partenariat avec eux. En l’absence d’initiative de grande ampleur, le secteur privé semble bien placé pour être pionnier en la matière. I ntégrer dès le départ les activités de suivi et d’évaluation : une évaluation et un suivi minutieux sont nécessaires pour comprendre quelle stratégie de prestation est la plus efficace, créer un modèle économique qui sous-tende l’éducation du consommateur et mesurer l’impact de l’éducation sur le bien-être des ménages. U tiliser à la fois plusieurs canaux de prestation et plusieurs outils : il est utile d’avoir recours à plusieurs canaux de diffusion (formation en groupe, communication de masse), car chaque canal possède une utilité particulière, suppose un style d’apprentissage particulier et permet de donner plus de force aux messages clés. 7 Sous couvert de l’Organisation internationale du travail (OIT) et du Programme Finance et Solidarité, le Fonds pour l’innovation en micro-assurance vise à accroître la disponibilité de produits d’assurance de qualité pour les personnes à faibles revenus des pays en développement (PED) afin de les protéger des risques et rompre le cycle de la pauvreté. Le Fonds a été créé en 2008 grâce à une subvention de la Fondation Bill et Melinda Gates. Pour en savoir plus : www.ilo.org/microinsurance Le MIN Insurance Education Working Group (Groupe de travail pour l’éducation en assurance du Micro Insurance Network - IEWG) cherche à promouvoir la micro-assurance en prenant connaissance du matériel éducatif existant, en identifiant et en documentant les meilleures pratiques, en encourageant le partage des ressources entre les membres de la communauté de la micro-assurance et en développant du nouveau matériel dans le but de promouvoir davantage la sensibilisation à la micro-assurance et l’acquisition de ses produits auprès des populations disposant de peu de ressources. La Microinsurance Academy (Académie de la micro-assurance - MIA) est une organisation à but non lucratif qui se consacre entièrement à fournir une assistance technique structurée en connaissances de la micro-assurance et de son domaine à des organisations orientées vers les communautés à faibles revenus. La MIA se livre à de la recherche de pointe dans le but de mettre sur pied une base de connaissances détaillées du secteur et d’élaborer des outils et des cadres efficaces capables d’assurer la réussite de l’intégration des plans de microassurance dans les structures de protection sociale existantes. La Financial Access Initiative (Initiative pour l’accès aux ressources financières - FAI) est un consortium de chercheurs des universités de New York, de Yale, d’Harvard et de l’IPA qui orientent leurs travaux vers la recherche de solutions sur la mesure dans laquelle les secteurs financiers peuvent mieux répondre aux besoins des ménages pauvres. Le but de la FAI consiste à se livrer à une recherche rigoureuse sur les impacts de l’accès aux ressources financières et sur des façons innovantes d’améliorer cet accès. http://financialaccess.org The social dimension of finance [email protected] www.ilo.org/microinsurance