Pratiques émergentes en matière d`éducation du consommateur à la

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Pratiques émergentes en matière d`éducation du consommateur à la
briefing note 3
Microinsurance
Innovation Facility
Pratiques émergentes en matière
d’éducation du consommateur
à la gestion des risques et
Iddo Dror, Aparna Dalal et Michal Matul
à l’assurance
septembre 2010
1
On considère souvent l’éducation du consommateur
comme faisant partie intégrante des dispositifs de microassurance : une solution gagnant-gagnant qui bénéficie
à la fois aux fournisseurs de micro-assurance et à leurs
clients, censée aider les ménages à faibles revenus à
prendre les bonnes décisions et les opérateurs, à stimuler
la demande. Cependant, compte tenu du manque
actuel de recherche fondamentale et appliquée, il est
difficile de savoir si l’éducation du consommateur peut
tenir ses promesses. De nouvelles données tirées d’une
série d’évaluations réalisées en Colombie, au Brésil, au
Ghana, au Kenya, en Afrique du Sud et en Inde seront
disponibles en 2011 et apporteront des réponses à
cette question. D’ici là, c’est sur les leçons tirées des
expériences des praticiens que doivent s’appuyer ceux
qui conçoivent de nouveaux programmes d’éducation du
consommateur.
Encadré 1 Qu’entend-on par éducation du
consommateur ?
L’éducation du consommateur en micro-assurance consiste
en une démarche systématique destinée à enseigner les
stratégies de gestion des risques et le rôle de l’assurance
afin de susciter une meilleure gestion des risques chez les
ménages à faibles revenus. L’objectif est de fournir à ces
ménages les connaissances et aptitudes leur permettant de
prendre les meilleures décisions financières. L’éducation
du consommateur peut être dispensée par des microassureurs, confiée à des organismes partenaires comme
des distributeurs ou des instituts de formation spécialisés
ou encore s’intégrer dans une démarche collaborative
nationale menée par les pouvoirs publics ou par des
entités du secteur.
Étant donné le nombre croissant de programmes
d’éducation et la demande considérable en matière
de renforcement des capacités dans ce domaine, il a
semblé nécessaire au Groupe de travail sur l’éducation
à l’assurance du Microinsurance Network de lister les
pratiques émergentes que les praticiens pourraient intégrer
dans leurs programmes d’éducation. Cette note synthétise
le retour d’expérience de plus de 50 praticiens qui ont été
Nous tenons à remercier nos réviseurs pour leurs commentaires avisés sur les versions
antérieures de cette note : Helen Barnes, Hennie Bester, Virginia Bethe, Monique Cohen,
Alejandra Diaz, Jeanna Holtz, Thabo Gumbi, Jeremy Leach, Marcia Metcalfe, Viviene
Pearson, Caroline Phily, Anja Smith, Evelyn Stark, Jasmin Suministrado, Peter Wrede et Mary
Yang. Un remerciement particulier à Sarah Bel pour ses commentaires et sa collaboration
tout au long de cette étude. Nous assumons la responsabilité d’éventuelles erreurs.
1
les premiers à mettre en œuvre des dispositifs d’éducation
du consommateur. Leur expérience est documentée à
travers trois études soutenues par le Fonds pour l’innovation
en micro-assurance de l’Organisation internationale du
Travail et par le Microinsurance Network.
Études de référence

Iddo Dror, Kathleen Jenkins, Keiju Motegi et Juho
Siltanen, A Landscape Study of Microinsurance
Education, Micro Insurance Academy, 2010.

Catherine Burns et Aparna Dalal, Explaining
Insurance: Implementing Consumer Education in
CARE-India’s Insure Lives and Livelihoods Program,
Financial Access Initiative, 2010.

Anja Smith, Michal Matul, Sandisive Ncube et
Hennie Bester, South African Insurance Association
Consumer Education Programme: 2005-2009,
Fonds pour l’innovation en micro-assurance de
l’OIT, 2010.
Les expériences exposées dans ces études montrent qu’une
approche intégrée sur le long terme s’impose pour améliorer
les capacités de gestion des risques et augmenter l’utilisation
d’outils financiers appropriés. Un programme fournissant une
formation ponctuelle et isolée ne donnant pas accès à des
produits de micro-assurance adaptés ne suffit généralement
pas à atteindre ces objectifs.
Dans les deux premières parties, nous soulignons
les caractéristiques clés en matière de contenu et de
prestation de l’éducation et nous donnons des exemples
d’organismes qui les ont expérimentées avec succès.
Dans la dernière partie, nous examinons les défis
que représentent la pérennité, le suivi et l’évaluation,
particulièrement pertinents pour les praticiens souhaitant
intégrer l’éducation dans leur modèle économique.
CONTENU DE L’ÉDUCATION DU
CONSOMMATEUR
Mettre l’accent sur la gestion des risques et l’assurance et
ajouter d’autres concepts financiers
La principale question concerne la délimitation du
contenu. Le programme d’éducation doit-il traiter de
concepts financiers génériques comme la gestion de
l’argent et la budgétisation ? Doit-il aborder des thèmes
larges de la gestion des risques tels que la nature des
risques et la différence entre assurance et épargne ? Ou
doit-il privilégier les détails propres aux produits comme
le versement des primes, les prestations et les exclusions
ou les procédures de demande d’indemnisation ? La
délimitation du contenu dépend de plusieurs facteurs dont
la disponibilité des ressources, le temps dont le formateur
dispose avec telle communauté, les connaissances et
les expériences antérieures de cette communauté et la
mission du praticien. Certains des opérateurs interrogés
dans notre étude pensent qu’il est utile de commencer
par des notions financières de base avant de passer
à la gestion des risques et au contenu de l’assurance.
Il est important de commencer par des notions comme
la budgétisation, car cela permet aux ménages de
comprendre la façon dont les ressources sont utilisées et
de prendre conscience de l’impact des pertes.
risques et sur l’assurance. Il peut s’agir de donner aux
ménages à faibles revenus les moyens d’identifier les
risques qu’ils courent, de diminuer les réticences qu’ils
ont quant au concept d’assurance, d’analyser différentes
méthodes de gestion des risques (dont l’assurance) et de
mettre au point une stratégie qui priorise leurs risques et les
gère au mieux. Si l’on en reste aux seules prestations du
produit, on se contente d’en faire la publicité et cela ne
peut être assimilé à de l’éducation du consommateur.
On trouvera ci-dessous deux exemples de programmes
qui ont su associer éducation à l’assurance et à la gestion
des risques.
En partenariat avec l’assureur Bajaj Allianz, CARE India
a conçu un programme d’éducation complet qui intègre
quatre composantes : 1) éducation au risque, 2) éducation
à l’assurance, 3) éducation produit et 4) logistique produit
et aspects pratiques. CARE India a jugé que tous ces
sujets étaient indispensables à la création d’une culture de
l’assurance pour la protection sociale et tenait à tous les
intégrer dans la conception de son programme Insure Lives
and Livelihoods (ILAL) destiné aux communautés rurales
pauvres du Tamil Nadu en Inde.
Étant donné que les praticiens de micro-assurance
disposent de peu de ressources, une approche large
intégrant l’éducation financière n’est pas toujours possible.
En pareil cas, l’accent doit être mis sur la gestion des
Encadré 2. Composantes du programme de CARE India
Éducation au risque
• qu’est-ce qu’un risque
• mécanismes de gestion des risques • mécanismes de gestion des risques en pratique
• différences entre épargne et assurance...
Éducation à l’assurance
qu’est-ce que la micro-assurance
• principes de l’assurance
• pourquoi la micro-assurance
• qu’est-ce que l’assurance vie et l’assurance générale
• qu’est-ce qu’une prime, une demande
d’indemnisation…
•
Au Kenya, le Centre coopératif suédois et Microfinance
Opportunities ont élaboré un module d’éducation à la
finance divisé en dix sessions qui met l’accent sur la
Éducation produit
présenter CARE et Bajaj Allianz
• qu’est-ce que l’ILAL
• expliquer les produits vie et généraux
• qu’est-ce qu’une prime, une demande
d’indemnisation, une exclusion, une inclusion……
•
Logistique produit
comment verser les primes
• quand les verser
• comment remplir une demande d’indemnisation
• documents à fournir…
•
Source: Burns and Dalal (2010), p. 7.
gestion des risques et sur l’assurance et inclut également
des concepts pertinents d’éducation à la finance.
Encadré 3. Sessions du module du Centre coopératif suédois et de Microfinance Opportunities
1. Introduction à la méthodologie du groupe d’étude : mode d’apprentissage des adultes, choix d’un leader, rôle des
participants, planification des sessions.
2. Risques : qu’est-ce qu’un risque ? Comment peut-il vous toucher ? Quels sont les risques qui entraînent les plus grosses
difficultés ?
3. Outils de gestion des risques : qu’est-ce que la protection ? Identifier des mesures préventives (avant) et curatives (après).
4. Épargne : comment épargner plus d’argent ? Où épargner ? Utilisation de l’épargne ou du crédit ?
5. Introduction à l’assurance : idées reçues concernant l’assurance, associations de bienfaisance et risques mutualisés,
comparer association de bienfaisance et assurance.
6. Le fonctionnement de l’assurance : conditions d’assurance, analyse coût-profit, foire aux questions (FAQ).
7. Différents types de produits d’assurance : principaux produits d’assurance santé, d’assurance vie et d’assurance de biens.
8. Comment effectuer une demande d’indemnisation : conditions à remplir, exercice pratique et conseils pour remplir un
formulaire.
9. Comment trouver le meilleur produit d’assurance pour votre famille et vous : choisir le meilleur produit d’assurance,
questions à poser au prestataire, bonnes et mauvaises techniques de communication et de prise de décision avec les
membres de la famille, établir un plan d’action pour souscrire une assurance.
10. Quand, comment et pourquoi renouveler son contrat : qu’est-ce qu’un renouvellement ? Conséquences si on ne renouvelle
pas son contrat, que prendre en compte avant de le renouveler, renouveler ou ne pas renouveler un contrat.
Source: Smith et al (2010)
2
Connecter l’apprentissage avec les connaissances
des populations et les renvoyer à leurs précédentes
expositions au risque
Le contenu d’un programme doit toujours être élaboré
en fonction de ce que les ménages savent déjà de
l’assurance et de la façon dont ils envisagent leurs
risques. Lorsqu’un sujet est totalement nouveau, comme
c’est le cas de l’assurance pour les ménages qui n’y
ont jamais recours ou presque, ces derniers n’ont pas
d’éléments de référence. Le programme doit donc établir
des liens clairs entre l’assurance et les stratégies de
gestion des risques qu’appliquent déjà les ménages,
comme l’épargne ou le crédit.
Le contenu doit être marquant afin de retenir l’attention
des ménages et de favoriser leur mémorisation. Un moyen
simple de rendre un contenu marquant est de parler
des risques. Cela peut paraître trivial, mais c’est décisif
pour la réussite de la formation. Les leçons tirées de
l’économie comportementale ont montré que les individus
sous-estiment souvent la probabilité d’événements
défavorables2. Pour rendre la formation pertinente, il
est donc important de leur rappeler les risques les plus
fréquents qui pèsent sur leur communauté et leur vie.
L’éducation au risque peut être directement suivie d’un
débat sur la manière dont les ménages gèrent les
risques, dont les stratégies informelles d’atténuation des
risques peuvent être améliorées et dont elles peuvent être
complétées par de l’assurance formelle. L’objectif est
de mettre en parallèle l’assurance et d’autres méthodes
formelles ou informelles de gestion des risques.
L’autre exemple pertinent d’éducation au risque émane
du Hollard Insurance Group en Afrique du Sud, qui
organise des ateliers de trois heures au cours desquels
les participants sont placés devant une « image
conversationnelle » qui représente une communauté
avec ses maisons, ses magasins, ses usines, son hôpital,
etc. L’image montre également un certain nombre
d’événements assurables. Le formateur explique aux
participants les avantages que présenterait une assurance
pour chacun de ces événements, ainsi que les droits et les
devoirs de l’assureur comme de l’assuré. Mais avant que
le formateur n’explique ces événements, il est demandé à
chaque participant d’en donner sa propre vision.
METTRE EN PLACE UNE CAMPAGNE
D’ÉDUCATION DU CONSOMMATEUR
Lorsqu’ils conçoivent la prestation de leurs programmes
d’éducation, les praticiens doivent décider des outils qu’ils
vont utiliser, ainsi que du canal et de la fréquence des
messages. Ils ne doivent pas perdre de vue que l’éducation
ne se réduit pas à un simple transfert d’informations. Un
programme d’éducation bien conçu doit stimuler une
atténuation proactive des risques. Pour cela, l’éducation
doit être centrée autour de l’apprenant : plus la démarche
© Hollard
Weather Risk Management propose ainsi une assurance
contre les conditions climatiques défavorables en Inde.
L’organisation rappelle aux agriculteurs les pertes de
récoltes qu’ils ont subies par le passé et leur explique
en quoi les conditions climatiques sont responsables de
ces pertes afin que celles-ci agissent comme un rappel
des risques potentiels. Et grâce aux données disponibles
sur les pertes de récoltes passées, Weather Risk
Management peut dire avec précision aux agriculteurs
quelles quantités ils ont perdues et ce qu’une police
d’assurance leur aurait permis de sauver.
Image conversationnelle du Hollard Insurance Group
Aparna Dalal et Jonathan Morduch, The Psychology of Microinsurance: Small Changes
Can Make a Surprising Difference, Financial Access Initiative. Microinsurance Paper 5.
Fonds pour l’innovation en micro-assurance.
2
3
l’implique et le fait participer, mieux c’est. Les praticiens
doivent également considérer l’éducation du consommateur
comme un processus qui se fait sur la durée. L’éducation
est particulièrement efficace quand elle passe par plusieurs
canaux de prestation, qu’elle résulte d’un processus continu
et qu’elle donne accès à des produits de micro-assurance
de qualité. Les formations isolées et dispensées en une fois
sont souvent insuffisantes.
Les praticiens doivent utiliser à la fois plusieurs canaux
(ateliers, radio, télévision…) et plusieurs outils (brochures,
tableaux à feuilles, jeux…), car chaque canal et chaque
outil possède une utilité particulière. Les médias et les
spectacles permettent de sensibiliser un grand nombre
de personnes, tandis que les canaux plus ciblés comme
les ateliers favorisent la participation et l’interaction et,
potentiellement, une meilleure compréhension. Diversifier
les outils permet de mieux s’adapter à différents styles
d’apprentissage et d’impliquer plusieurs groupes cibles.
Multiplier les canaux permet également de donner plus
de force à un message.
CARE India et ses partenaires communautaires font appel
à la culture à travers des chansons, des pièces de théâtre
et des spectacles de marionnettes pour stimuler l’intérêt
des ménages. Les agents de terrain écrivent des textes
sur les thèmes de l’assurance et les accompagnent de
musiques connues tirées de films. Les pièces de théâtre
sont jouées devant de grandes assemblées par de petites
équipes constituées de membres de groupes d’entraide
locaux. Selon les agents de terrain, ces programmes
culturels parviennent mieux à retenir l’attention des
ménages qu’une simple discussion ne peut le faire. Ils
pensent cependant que si ces programmes parviennent
à toucher un large public, celui-ci ne retient généralement
pas les détails de la présentation et a besoin de discuter
des principes de l’assurance et des caractéristiques des
produits par petits groupes.
© CNSeg
CNSeg, la confédération du secteur
de l’assurance du Brésil, prévoit de
faire activement participer les membres
des communautés à son programme
d’éducation qui utilise les médias (vidéos
et feuilletons radio) pour diffuser largement
son matériel éducatif. Les vidéos et les
feuilletons s’appuient sur un scénario
simple qui met en avant les messages
importants sur l’utilité de l’assurance pour les ménages à
faibles revenus. Ils sont produits au sein des communautés
et parmi les acteurs, on compte des vendeurs locaux
et des membres de la communauté. CNSeg recueille
ensuite les réactions des populations pour écrire de
nouveaux scénarios. D’après la confédération, cette
approche participative devrait permettre d’instaurer la
confiance au sein des communautés et d’aider leurs
membres à assimiler les messages.
La MIA (Micro Insurance Academy) se sert quant à
elle de jeux interactifs pour aider les communautés à
prendre conscience des risques, à apprendre ce qu’est
une gestion proactive et à comprendre l’importance
de l’assurance santé. L’un de ces jeux, intitulé CHAT
(Choosing Healthplans All Together/Choisir ensemble des
assurances santé), est conçu pour aider les communautés
pauvres à faire des choix de prestations en matière
4
© Mia
Utiliser à la fois différents canaux de prestation et
différents outils
Inde: Femmes pratiquant le «CHAT» afin de déterminer ensemble leurs besoins
en matière d’assurances santé
de soins de santé. Les membres définissent ensemble
le panier de prestations qui couvrira le mieux leurs
principaux besoins. Chaque participant reçoit un plateau
présentant les différentes formes de risques assurables,
ainsi qu’un certain nombre de gommettes symbolisant
les fonds disponibles. Les participants placent ensuite
les gommettes sur le plateau en fonction des risques
contre lesquels ils veulent être assurés. Puis, ils tirent
des cartes événements qui évoquent chacune un risque
auquel ils pourraient avoir à faire face et discutent de
la pertinence des choix qu’ils ont faits. Le jeu comprend
ensuite une deuxième partie à laquelle participent environ
15 personnes. Elles débattent entre elles pour parvenir
à un consensus sur les risques contre lesquels toute la
communauté doit être assurée.
Un autre jeu, intitulé Treasure Pot (« La cagnotte »), aide les
communautés à comprendre la notion d’assurance et de
mutualisation des risques. Le jeu est constitué de cartes qui
représentent des problèmes de santé pouvant arriver aux
participants et de bonbons qui symbolisent l’argent. Le but
est de montrer aux participants que le crédit ou l’épargne
ne sont pas des outils de gestion des risques adaptés, mais
que la mutualisation des risques, elle, peut profiter à toute
la communauté. La MIA utilise ces deux jeux dans le cadre
de son vaste programme d’éducation à l’assurance, mais
a également recours à des ateliers, des brochures, aux
médias (radio et films), à des jeux de rue, etc.
Dispenser une éducation de manière continue
L’éducation du consommateur ne doit pas se faire
de façon isolée, elle doit au contraire constituer une
démarche de facilitation continue effectuée grâce à des
messages cohérents diffusés par de multiples canaux
de façon intégrée. Les démarches ponctuelles n’ont
généralement pas d’impact.
L’expérience de la South African Insurance Association
(SAIA) montre bien en quoi une démarche isolée n’est pas
efficace en matière d’éducation du consommateur. Dans
le cadre de son initiative d’éducation à la finance, la
SAIA a en effet soutenu un programme d’ateliers en zones
rurales et communales organisés par des organisations
communautaires ou professionnelles. L’objectif était de
fournir aux communautés rurales à faibles revenus les
notions financières de base. Lors de l’évaluation du
programme, la SAIA a constaté que seulement 57 % des
personnes interrogées se rappelaient avoir participé aux
ateliers. Ce faible taux peut s’expliquer par le fait que la
formation s’est faite lors d’un atelier isolé, elle n’a donc
pas pris la forme d’un processus d’apprentissage continu
en choisissant des outils de gestion des risques adaptés.
De l’autre, l’éducation à l’assurance peut entraîner une
augmentation du nombre de souscriptions, ce qui réduit
les coûts nécessaires pour toucher les ménages du secteur
informel et augmente la mutualisation des risques.
facilité par des messages actualisés et présentés au
moyen de différents supports.
Cela ne veut pas dire pour autant que les ateliers ne sont
pas efficaces. Ils peuvent l’être si de courtes sessions
sont réparties sur une certaine période et si les messages
sont appuyés par d’autres canaux. Ainsi, Freedom from
Hunger, en partenariat avec Sinapi Aba Trust au Ghana,
prévoit de tester une série d’ateliers de « conversations
d’apprentissage » pour aider les familles à comprendre
comment obtenir et utiliser la micro-assurance santé.
Les ateliers proposent de petites conversations lors
desquelles on a recours à des histoires, des jeux de rôles
et des supports visuels pour étudier comment fonctionne
l’assurance, comment mettre de l’argent de côté pour
payer les primes, ce que l’assurance couvre et comment
utiliser les options de soins de santé incluses dans
l’assurance. Pour donner plus de poids aux messages
les plus importants, Freedom from Hunger propose de
petites sessions de « rappel » avant les campagnes de
souscription.
© Louis Jouve
Quand cela est possible, l’éducation du consommateur
doit être reliée aux produits d’assurance, faute de quoi
les individus n’ont que peu d’occasions de changer de
comportement. Et lorsqu’éducation et produits sont liés,
l’apprentissage doit aborder les caractéristiques propres
à chaque produit. La question ici n’est pas de savoir si
les messages marketing peuvent ou doivent être intégrés
à des initiatives d’éducation plus larges, mais comment ils
y sont intégrés et si l’éducation aide les individus à faire
des choix plus éclairés.
Femmes plaçant des cailloux sur des images représentant différents frais liés
aux problèmes de santé: transport, frais d’hospitalisation, médicaments, perte
de temps de travail. Atelier de «conversations d’apprentissage» pratiqué sur le
terrain par Freedom from Hunger ayant pour thème la micro-assurance santé
au Ghana
CARE India et ses partenaires de prestation
communautaires se sont aperçus qu’il fallait insister sur
certains sujets, comme la mutualisation des risques et les
conditions d’indemnisation, et revenir dessus de façon
continue. Les agents de terrain ont également souligné
qu’il était plus difficile d’expliquer l’intérêt de l’assurance
vie que de parler d’autres types d’assurances, car
l’assurance vie n’offre pas d’avantages tangibles. Ils ont
dû passer davantage de temps qu’ils ne l’auraient cru à
expliquer en quoi l’assurance vie est une aide pour les
bénéficiaires désignés par l’assuré.
Relier éducation et produits de micro-assurance
Améliorer l’atténuation des risques et augmenter l’accès à
l’assurance sont des activités complémentaires. D’un côté,
un programme d’éducation ne peut avoir complètement
atteint son but que si les ménages ont la possibilité
d’utiliser leurs nouvelles connaissances et compétences
ICICI Prudential propose de l’assurance vie avec un
produit d’épargne à long terme à des groupes de
cultivateurs de thé travaillant pour des compagnies dans le
nord-est de l’Inde. La majorité d’entre eux n’avaient jamais
entendu parler d’assurance, si bien qu’ICICI a lancé une
campagne de sensibilisation et d’éducation. Plusieurs
sessions d’une soirée animées par des formateurs issus des
communautés ont été accompagnées d’un projet vidéo à
l’initiative d’une ONG locale. Des volontaires ont appris
à des jeunes de communautés défavorisées à réaliser de
petits films sur des sujets aussi importants que la santé,
l’hygiène, l’instruction, l’épargne, etc. Lors de la projection
des différents films, les caractéristiques et les avantages du
produit de micro-assurance d’ICICI ont été plus amplement
expliqués. Il s’est avéré nécessaire de commencer par
évoquer des problèmes sociaux (comme l’alcoolisme)
qui touchent de près un nombre important de personnes
dans la communauté pour véritablement sensibiliser les
individus avant d’aborder des thèmes tels que la gestion
financière, l’épargne et l’assurance. Les sessions en soirée,
la diffusion des films ainsi que le travail de fond accompli
par le personnel de vente étaient ainsi intégrés au sein
d’un processus cohérent afin de susciter la confiance
des communautés et de leur permettre de prendre des
décisions financières en connaissance de cause.
PÉRENNITÉ ET MODÈLE
ÉCONOMIQUE DE L’ÉDUCATION DU
CONSOMMATEUR
Il faut, dès le départ, définir une stratégie claire pour
un modèle économique pérenne. Dispenser de façon
viable une éducation exhaustive au consommateur
représente un défi (surtout financièrement), car la
diffusion d’un contenu via de multiples canaux (même si
ceux-ci sont censés en accroître l’impact) coûte très cher.
De plus, l’amélioration de la compréhension qu’une
communauté a de l’assurance constitue un bien public,
ce qui signifie que de nombreuses institutions peuvent
en profiter. Il peut ainsi s’avérer difficile pour un assureur
de justifier un investissement dans un vaste programme
quand ses concurrents peuvent tout autant bénéficier de
la démarche. Dès lors, les associations d’assurance, les
pouvoirs publics, les associations à but non lucratif ou
les bailleurs de fonds sont-ils plus à même de proposer
ce genre de programmes ?
5
L’une des approches consiste à mutualiser les ressources
du secteur au niveau national et à confier la gestion du
programme d’éducation à une agence indépendante
comme une association d’assurance. Cette approche
trouve une bonne illustration en Afrique du Sud. La South
African Financial Services Charter exige en effet de
toutes les sociétés d’assurance qu’elles consacrent 0,2 %
des bénéfices après impôt à l’éducation financière. La
SAIA a saisi cette occasion pour encourager un effort
collaboratif. Elle a rassemblé les ressources émanant de
plusieurs sociétés d’assurance et a supervisé les démarches
d’éducation du consommateur pour tout le secteur. Le
programme a atteint une envergure impressionnante. La
Charter a cependant imposé des limites aux assureurs en
favorisant l’éducation générique des segments aux plus bas
revenus et en n’autorisant pas les assureurs à intégrer leurs
produits au programme. Ces contraintes ont empêché les
professionnels de voir dans l’éducation du consommateur
des perspectives commerciales, ce qui a mis tout le
dispositif en danger. Lorsque l’éducation est dispensée par
une agence indépendante ou une association d’assurance,
il est donc important de définir clairement les objectifs
du programme pour être sûr que toutes les parties soient
d’accord et le soutiennent sur la durée. La SAIA a modifié
sa stratégie au bout de quatre ans afin d’encourager ses
membres à continuer de fournir des ressources tout en
poursuivant sa mission d’éducation du consommateur. Elle
a repensé son approche, avant tout parce que certains
de ses membres s’inquiétaient du fait que le programme
tel qu’il était ne leur permettait pas de remplir leur objectif
commercial : l’éducation de clients potentiels devait
donner les moyens aux individus de prendre les bonnes
décisions en matière d’assurance et donc stimuler les
souscriptions. La SAIA cherche actuellement des moyens
de relier l’éducation aux efforts marketing d’assureurs
indépendants. La plupart des membres de la SAIA sont
aujourd’hui convaincus qu’il faut mutualiser les ressources
pour l’éducation financière, car, ensemble, ils peuvent plus
facilement créer une culture de l’assurance qu’à travers des
actions individuelles et non coordonnées.
Chaque contexte fournit des opportunités de partenariat
et des options de prestation spécifiques pour l’offre
d’une éducation au consommateur. Il faut explorer les
liens avec les programmes sociaux, les démarches
publiques d’éducation financière, les écoles ou les
initiatives de protection du consommateur. L’éducation du
consommateur doit être dispensée par de multiples acteurs
qui ne doivent pas perdre de vue leurs responsabilités
vis-à-vis de la société et exploiter leurs atouts afin
d’améliorer le bien-être des populations. Lorsque le secteur
de l’assurance ou les pouvoirs publics lancent de solides
initiatives, les praticiens doivent étudier les possibilités
de partenariat avec eux. En l’absence d’initiative de
grande ampleur, les praticiens de micro-assurance peuvent
lancer leur propre programme et, forts de leur succès,
encourager des initiatives plus étendues. Le secteur privé
est bien placé pour être pionnier en la matière, comme
le montre ci-dessus l’exemple de la SAIA. Néanmoins,
la collaboration du secteur privé n’est pas une pratique
courante sur la plupart des marchés de micro-assurance,
ce qui amène à se poser la question suivante : les
pouvoirs publics et les bailleurs de fonds peuvent-ils jouer
un rôle plus actif pour faciliter la création de ce type de
biens publics et comment doivent-ils s’y prendre ?
6
Intégrer dès le départ les activités de suivi et d’évaluation
Un suivi et une évaluation minutieux sont nécessaires
pour suivre précisément les coûts et les avantages de
l’éducation et comprendre quelle association entre
contenu et stratégies de prestation est la plus performante.
Le suivi et l’évaluation ont pour objectif principal de
mesurer l’impact du programme sur les connaissances,
les aptitudes, les dispositions et le comportement des
ménages et, en définitive, l’impact sur les ménages euxmêmes et sur le praticien.
Les activités de suivi et évaluation sont souvent ponctuels
et se limitent à des enquêtes de satisfaction du client ou
à des analyses de souscription des produits. Ce sont
certes des informations importantes, mais qui ne suffisent
généralement pas à comprendre l’impact de l’éducation
sur les dispositions et les comportements ni l’impact social
et économique final sur les clients et les praticiens. Pour
mesurer l’effet de l’éducation sur le comportement du
client, l’évaluateur doit décorréler l’impact du programme
d’éducation du produit et d’autres facteurs extérieurs.
On peut tirer d’importantes informations sur l’utilisation
et l’efficacité de l’assurance de recherches qualitatives
s’appuyant sur des interviews de clients, des discussions
de groupe et des analyses de relevés financiers. Mais
l’évaluation de l’impact sur les comportements et le bienêtre nécessite que les praticiens appliquent des méthodes
de recherche expérimentales comme les contrôles
aléatoires qui mesurent l’impact d’un programme à l’aide
de groupes de contrôle et de groupes expérimentaux.
Ce type de recherche peut paraître difficile à mettre en
œuvre (notamment du fait des implications financières
d’une recherche aussi rigoureuse), mais il est possible et
souvent nécessaire pour mesurer l’efficacité de différentes
approches éducatives et convaincre les acteurs d’investir
dans l’éducation du consommateur.
© Louis Jouve
Tirer profit des institutions existantes et mutualiser les
ressources
Groupe travaillant à la compréhension de mots clés de l’assurance santé et à
la mise en place de mécanismes pour s’en souvenir Atelier de «conversations
d’apprentissage» pratiqué sur le terrain par Freedom from Hunger ayant pour
thème la micro-assurance santé au Ghana
Encadré 4. Exemples d’indicateurs
Connaissances
• But de l’assurance
• Risques typiques couverts par l’assurance et impact de
ces événements sur les familles
• Fonctionnement général de l’assurance (mutualisation
des ressources entre de nombreuses personnes pour
couvrir des risques peu fréquents et bénéficier d’une
sécurité économique, même si l’assurance n’est pas
utilisée durant certaines périodes)
• Conditions d’assurance telles que primes, demandes
d’indemnisation et prestations
• Connaissances de certaines particularités des
produits comme les procédures d’indemnisation et les
exclusions
Aptitudes
•
•
•
•
F aculté à calculer le coût d’événements à risque
Faculté à soupeser les différentes polices d’assurance
et à choisir la bonne
Calculer le coût des primes et les prestations versées
Comprendre le cycle d’encaissement des primes
•
•
Accomplir
toutes les démarches d’inscription
Remplir une demande d’indemnisation
Dispositions
Penser ou non que l’assurance convient aux personnes
à faibles revenus
• Avoir confiance dans les assureurs
• Penser ou non que se préparer à un risque, c’est s’y
exposer
• Probabilité d’achat d’une police d’assurance dans les
douze mois suivants
•
Comportements
Préparer une gestion proactive des risques
• Avoir recours au crédit, à l’épargne ou à l’assurance
en cas d’urgence
• Verser ses primes en temps et en heure
• Avoir acheté une police d’assurance durant les douze
derniers mois
• Avoir renouvelé une police d’assurance durant les
douze derniers mois
•
CONCLUSION
Un programme efficace d’éducation du consommateur
nécessite de réfléchir soigneusement au contenu, à
la conception de la prestation et aux partenariats
stratégiques avec différents acteurs. Le suivi et
l’évaluation, s’ils représentent un défi, sont décisifs pour
l’efficacité du programme. Nous résumons ci-dessous
les enseignements tirés par les praticiens et qui peuvent
être exploités et testés dans d’autres contextes. Il faudra
cependant davantage d’innovation et de recherche en
matière d’éducation du consommateur pour comprendre
dans quelle mesure elle peut améliorer la valeur et la
portée des produits de micro-assurance.
Enseignements clés
 M
ettre l’accent sur la gestion des risques et
l’assurance ; ajouter d’autres concepts financiers
quand c’est possible : dans un contexte de
ressources limitées, il se peut qu’une approche
abordant toutes les questions financières ne soit pas
possible. En pareil cas, l’accent doit être mis sur la
gestion des risques et sur l’assurance.
 A
ppuyer l’apprentissage sur les connaissances
des individus et les renvoyer à leurs précédentes
expositions au risque : le contenu d’un programme
doit toujours être élaboré en fonction de ce
qu’une communauté sait de l’assurance et de la
façon dont elle gère déjà les risques. Un moyen
simple de donner de la pertinence au contenu
est de commencer par discuter des risques que la
communauté doit gérer à l’instant T.
 D
ispenser une éducation continue : l’éducation
financière ne doit pas se faire de façon isolée, elle
doit au contraire constituer une démarche continue
effectuée grâce à des messages cohérents diffusés
par de multiples canaux de façon intégrée.
 R
elier éducation et produits : le fait de relier
éducation et produits d’assurance incite les
ménages à modifier leurs comportements de gestion
des risques. Cela permet aussi aux praticiens de
renforcer leur intervention marketing.
 T
irer profit des institutions existantes et mutualiser les
ressources quand c’est possible : il faut explorer les
liens avec les programmes sociaux, les démarches
publiques d’éducation financière, les écoles ou
les initiatives de protection du consommateur.
Lorsque le secteur de l’assurance ou les pouvoirs
publics lancent de solides initiatives (programmes
sociaux, éducation financière publique ou initiatives
de protection du consommateur), les organismes
doivent étudier les possibilités de partenariat avec
eux. En l’absence d’initiative de grande ampleur, le
secteur privé semble bien placé pour être pionnier
en la matière.
 I
ntégrer dès le départ les activités de suivi et
d’évaluation : une évaluation et un suivi minutieux
sont nécessaires pour comprendre quelle stratégie
de prestation est la plus efficace, créer un modèle
économique qui sous-tende l’éducation du
consommateur et mesurer l’impact de l’éducation sur
le bien-être des ménages.
 U
tiliser à la fois plusieurs canaux de prestation
et plusieurs outils : il est utile d’avoir recours à
plusieurs canaux de diffusion (formation en groupe,
communication de masse), car chaque canal
possède une utilité particulière, suppose un style
d’apprentissage particulier et permet de donner plus
de force aux messages clés.
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Sous couvert de l’Organisation internationale du travail (OIT) et du Programme Finance et Solidarité, le Fonds
pour l’innovation en micro-assurance vise à accroître la disponibilité de produits d’assurance de qualité pour les
personnes à faibles revenus des pays en développement (PED) afin de les protéger des risques et rompre le cycle
de la pauvreté. Le Fonds a été créé en 2008 grâce à une subvention de la Fondation Bill et Melinda Gates.
Pour en savoir plus : www.ilo.org/microinsurance
Le MIN Insurance Education Working Group (Groupe de travail pour l’éducation en assurance du Micro
Insurance Network - IEWG) cherche à promouvoir la micro-assurance en prenant connaissance du matériel
éducatif existant, en identifiant et en documentant les meilleures pratiques, en encourageant le partage des
ressources entre les membres de la communauté de la micro-assurance et en développant du nouveau matériel
dans le but de promouvoir davantage la sensibilisation à la micro-assurance et l’acquisition de ses produits
auprès des populations disposant de peu de ressources.
La Microinsurance Academy (Académie de la micro-assurance - MIA) est une organisation à but non lucratif qui
se consacre entièrement à fournir une assistance technique structurée en connaissances de la micro-assurance
et de son domaine à des organisations orientées vers les communautés à faibles revenus. La MIA se livre à
de la recherche de pointe dans le but de mettre sur pied une base de connaissances détaillées du secteur et
d’élaborer des outils et des cadres efficaces capables d’assurer la réussite de l’intégration des plans de microassurance dans les structures de protection sociale existantes.
La Financial Access Initiative (Initiative pour l’accès aux ressources financières - FAI) est un consortium de
chercheurs des universités de New York, de Yale, d’Harvard et de l’IPA qui orientent leurs travaux vers la
recherche de solutions sur la mesure dans laquelle les secteurs financiers peuvent mieux répondre aux besoins
des ménages pauvres. Le but de la FAI consiste à se livrer à une recherche rigoureuse sur les impacts de l’accès
aux ressources financières et sur des façons innovantes d’améliorer cet accès. http://financialaccess.org
The social dimension of finance
[email protected]
www.ilo.org/microinsurance