La Farce de Maître Pathelin : un essai réussi de théâtre graphique

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La Farce de Maître Pathelin : un essai réussi de théâtre graphique
Âge : collège, 5e
La Farce de Maître Pathelin : un essai réussi de théâtre graphique
• David Prudhomme La Farce de Maître Pathelin, mise en couleur : Alexandre
Clérisse, Éditions de l’AN 2, 2005
(bande dessinée / format 28 x 26 / 128 pages)
1ère et 4ème de couverture
Le texte de théâtre s’accommode assez bien de la forme de représentation que constitue une
mise en scène graphique en bande dessinée. Il partage en effet avec la bande dessinée la
caractéristique de conduire une intrigue sous la forme quasi exclusive d’échanges de
paroles et, moins long que le texte d’un roman, il peut être repris intégralement dans les
limites d’un volume. Ainsi, l’image suppléant l’effort de visualisation que suppose le texte
seul, ce type d’adaptation est une façon de mettre à la portée des jeunes lecteurs des œuvres
dont la lecture peut sembler trop ardue pour eux. Pour autant, la chose n’est pas aussi simple
et si l’adaptateur veut réaliser une bande dessinée qui présente le même intérêt qu’une œuvre
originale, il devra non seulement s’approprier complètement le texte, mais inventer vraiment
le décor, l’aspect et la tenue des personnages, le jeu des acteurs, et traduire tout cela dans le
langage spécifique de la bande dessinée. C’est ce qu’a fait de façon très convaincante David
Prudhomme aux éditions de l’AN 2 (voir l’interview de l’éditeur et de l’illustrateur dans ce
même dossier).
La Farce de Maître Pathelin figure dans la liste des « textes porteurs de références
culturelles » pour la classe de 5e. Les enseignants de français du cycle central de collège ont
pour instructions « de préparer leurs élèves à une approche comparative des textes » et de
travailler sur « les relations entre le langage verbal et le langage visuel dans la perspective du
discours »1.
Proposer à de jeunes collégiens une lecture comparative de La Farce de Maître Pathelin et
d’une adaptation en bande dessinée de la qualité de celle de David Prudhomme revient à les
aider non seulement à mieux comprendre cette œuvre particulière mais à entrevoir les
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MEN, Français – Accompagnement des programmes du cycle central 5e/4e, p. 20-21
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caractéristiques du discours théâtral, grâce à la transposition dans un autre langage, celui de
la bande dessinée.
Apprendre à voir du théâtre dans des images séquentielles
• Repérer et analyser les caractéristiques du décor
Invités à regarder de près les décors dessinés par David Prudhomme, les jeunes collégiens
pourront constater que dans un nombre assez important de cases, le décor est soit réduit à rien,
les personnages se détachant sur un fond de couleur uni, soit composé d’un ou deux éléments
simples : une porte, une chaise, un coin de table, un sol carrelé… Dans d’autres cas, le décor
se fait plus précis quoique toujours très sobre : la salle avec la cheminée où brûle un feu
devant lequel Guillemette est assise en train de broder, ou le lit à baldaquin où feint de
souffrir Pathelin, par exemple. Tous ces éléments de décor sont assez rustiques pour n’être
d’aucune époque précise. En revanche, dans d’autres cas, le décor est beaucoup plus travaillé.
C’est le cas de la boutique du drapier, ou encore de la salle d’audience ainsi que des extérieurs
lorsque les personnages passent d’un lieu à un autre. La comparaison des décors de David
Prudhomme avec des miniatures d’époque, en particulier avec celle de 1405, représentant une
place de marché2 (qui est reproduite notamment dans l’édition
Hatier, page 27) montre que l’adaptateur s’est inspiré de sources
iconographiques médiévales. On retrouve en effet des éléments
simplifiés de cette miniature aux pages 16 et 39 de son adaptation.
On voit bien que, de la même façon, d’autres images d’extérieur
sont également inspirées par des peintures anciennes. Les
collégiens pourront observer néanmoins, dans les dessins de
Prudhomme, qu’il n’y a pas d’effet de disparité entre le décor
abstrait des cases sur fond uni et celui des cases inspirées par des
miniatures médiévales. Cela tient à la simplification du trait dans
page 16
l’adaptation des miniatures et aussi aux couleurs exclusivement
basées sur le blanc et noir et différentes nuances de bistre. On reste ainsi dans une sobriété qui
prend ses distances par rapport aux enluminures vivement colorées qui ont servi de modèle.
Prudhomme adopte une solution originale en brossant un décor de Moyen-Âge réinterprété et
épuré.
• Adhérer (ou non ?) à l’aspect des personnages
« Comment imaginez-vous les personnages ? ». Cette question, si fréquemment posée aux
collégiens lors de l’étude des textes de fiction peut recevoir ici une variante intéressante :
« Les auriez-vous imaginés ainsi et vous plaisent-ils tels que David Prudhomme les a
campés ? »
Ces personnages ont en effet de quoi surprendre, par rapport à ceux que tracent les lignes
sages des gravures sur bois de l’époque reproduites dans les éditions scolaires. De quoi
surprendre, vraiment ? Pas tant que cela si on évoque, pour le Moyen-Âge, Jérôme Bosch, Le
Roman de Renart, les fables issues d’Ésope et de Phèdre dont Le Corbeau et le Renard cité
par Guillemette, et plus tard les fables de La Fontaine et les bandes dessinées animalières,
pour ne citer que ces références à des personnages grotesques ou à des personnages
zoomorphes qui sont familiers aux jeunes lecteurs. Invités à faire l’inventaire des apparences,
les jeunes collégiens pourront distinguer celle des figurants imaginés par Prudhomme
2
Paris, BnF, département des Manuscrits, Français 12559, fol. 167
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représentés indifféremment en humains ou en hommes animalisés et celle des cinq
personnages principaux (seuls présents dans le texte médiéval). Ils constateront que
Prudhomme fait se côtoyer sans difficulté des humains caricaturaux comme Thibault
l’Agnelet, des humains animalisés comme le drapier mouton ou le juge cochon, ou encore
Guillemette affublée d’une trompe d’éléphant et Pathelin, un humain à tête ligneuse, dont le
profil dédoublé orne les pages de garde.
page 16
En fonction de leurs préférences, les jeunes collégiens pourront argumenter pour ou contre ces
choix pour représenter les personnages et échanger leurs points de vue sur l’interprétation des
caractères que ces choix supposent.
• Suivre le découpage scénique et le jeu des acteurs
En observant systématiquement le nombre et la forme des cases pour chaque page dans
l’album de David Prudhomme, on constate qu’on a d’abord un découpage à quatre cases par
page, puis un découpages à trois cases allongées (horizontales d’abord, verticales ensuite)
puis qu’on revient aux quatre cases par page comme au début. Une observation plus poussée
montre que Prudhomme introduit également une dynamique de lecture et met en relief des
moments-clés grâce à des pages rompant avec le canevas de base (pages à une seule case,
pages blanches avec ombres chinoises…). Ce découpage souligne parfaitement les grands
moments de l’action.
Le jeu des acteurs est rendu par différents procédés. Les jeunes collégiens remarqueront sans
aucun doute la suite de très gros plans de Pathelin lorsqu’il joue son va-tout pour convaincre
de drapier de le laisser emporter le drap sans payer. On observe aussi des gros plans sur une
image prenant toute la page ou occupant une seule case. Par ailleurs, Prudhomme, qui a
particulièrement soigné et réussi les physionomies et les mimiques, rend assez bien également
le mouvement des acteurs : à la dernière case de la page 13, Pathelin, explose littéralement,
bras et jambes écartés, page 70, il grimpe aux rideaux dans son feint délire et pages 36 et 37 il
est représenté avec la tête en bas, puis en arrière et en avant pour manifester à quel point il est
tourneboulé de se voir grugé par Agnelet. Les effets de théâtre ne sont pas absents, ainsi
Pathelin s’adresse au public en aparté à la 3e case de la page 29 . Les personnages peuvent
aussi prendre des poses grandiloquentes comme celle du drapier les bras en croix à la page 78.
Les exemples abondent, on en trouvera d’autres.
Et pour mieux comprendre l’efficacité du jeu des acteurs, on observera la façon dont
Prudhomme a découpé le texte de la pièce pour l’installer dans les bulles de paroles. Cela
donne un résultat parfaitement naturel qui n’évoque en aucun cas des personnages de bande
dessinée qui réciteraient du théâtre.
Par ces observations on aura attiré l’attention des jeunes collégiens sur un certain nombre de
problèmes que soulève la réalisation théâtrale d’une pièce (décors, acteurs, mise en scène).
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Cependant, David Prudhomme ne fait pas du « théâtre mis en bande dessinée » (comme on
fait parfois du théâtre filmé), il travaille sa mise en scène avec les moyens spécifiques de la
bande dessinée et ce faisant, il livre au lecteur une interprétation théâtrale originale de La
Farce de Maître Pathelin.
• Prolongements
Cette série d’observations pouvant déjà se concevoir comme le prolongement d’une séquence
didactique sur La Farce de Maître Pathelin, on n’en proposera pas d’autre que la lecture
d’une bande dessinée qui met en scène les aventures d’un jeune héros recueilli par une troupe
de comédiens ambulants au Moyen-Âge (on évoque notamment, dans le volume 3, une
représentation sur tréteaux du Jeu de Robin et Marion).
Yvan Pommaux, Angelot du lac (3 volumes) Bayard Jeunesse / Astrapi, 1990-1998
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