Un discours pour toussaint louverture

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Un discours pour toussaint louverture
Monsieur le Sénateur-maire, mesdames, messieurs les élus, madame, monsieur de la représentation
diplomatique d’Haïti à Paris, mesdames, messieurs les représentants de la presse et du monde
associatif, mesdames, messieurs,
Au IV e siècle avant JC, furent qualifiés de barbares tous ceux qui n’étaient pas grecs. Le sophisme a
pu convaincre que certains hommes sont esclaves par nature.
Plus tard, dans les années 1550/ 1551, on en arriva à examiner certains hommes pour s’assurer
qu’ils avaient une âme ou qu’ils étaient bien de la race humaine. C’était la teneur de la controverse
de Valladolid, bien rendu par le film du même nom de jean Daniel VERHAEGE, avec Jean Louis
Trintignant, Jean Pierre Marielle et Jean Carmet.
Les débats tranchés par l’église catholique présentèrent les noirs comme étant plus proches de
l’animal. Frustres. Sans culture. En conséquence, un peu plus de treize millions d’Africains allaient
être enlevés pour finir comme des marchandises. Comme du bétail. Taillables et corvéables.
L’esclavage et la traite seraient donc une volonté de Dieu.
On connaît leurs inqualifiables conditions pendant la traversée. On connaît le sadisme avec lequel ils
furent traités. De l’embarquement à la destination finale. L’exposition que nous vous proposons à
l’espace liberté en rend bien compte. Vous pourrez y lire ceci :
« Un négrier, mécontent d’une esclave qui se plaignait de son sort, demanda qu’on la pendît par les
pouces. Il la fouetta jusqu’à l’os. Et comme cela ne lui suffisait pas, il intima l’ordre à un agent de
prendre un couteau et d’enlever à la malheureuse une centaine de bouts de chair pour enfin la laisser
mourir sous les yeux de ses congénères.»
On connaît la déshumanisation et les sévices qui leur avaient été réservés une fois arrivés à
destination : chosifiés, marchandisés, émasculés, marqués au fer rouge, violés, pendus moyennant
des crochets de boucher, mis à mort par les chiens, fouettés jusqu’à la mort souvent.
Et, pour les soulager, le sublimissime Jean-Baptiste Colbert, sous les ordres du roi Louis XIV, codifia
leurs conditions. Vous pourrez lire les articles 2, 12, 33, 38, 45 par exemple du code noir pour vous
rendre compte combien est affirmé le caractère criminel de l’esclavagisme et de la traite, et
pourquoi il doit être interdit d’entendre des propos qui ravivent ces blessures.
Ces exactions ont ému des hommes blancs. Une émotion bien différente de celle de Jean-Baptiste
Colbert et du roi de France. À partir des années 1770, des Anglais et des Français formèrent une
sorte d’internationale abolitionniste. Tom Payne, comme fer de lance, Brissot, Condorcet. On s’est
souvenu du discours fondateur de la société des amis des noirs le 19 février 1788.
De même, comment ne pas se sentir en empathie avec les habitants et communauté de
Champagney qui dressèrent un réquisitoire sans complaisance contre les fossoyeurs du genre
humain. Dans leur cahier de doléances adressé au roi, et à l’article 29 de ce cahier de doléances, on
lit ceci et je cite :
« Les habitants et communauté de Champagney ne peuvent penser aux maux que souffrent les
nègres dans la colonie sans avoir le cœur pénétré de la plus vive douleur, en se représentant leurs
semblables, unis encore à eux par le double lien de la religion, être traités plus durement que ne le
sont des bêtes de somme. Ils ne peuvent se persuader qu’on puisse faire usage des productions
desdites colonies si l’on faisait réflexion qu’elles sont arrosées du sang de leurs semblables; ils
craignent avec raison que les générations futures, plus éclairées et plus philosophes, n’accusent les
Français de ce siècle d’avoir été anthropophages, ce qui contraste avec le nom de Français et plus
encore avec celui de chrétien. C’est pourquoi leur religion leur dicte de supplier très humblement sa
majesté de concerter les moyens pour, de ces esclaves, faire des sujets utiles au royaume et à la
patrie. »
Nous sommes en 1789. La déclaration universelle des droits de l’homme et du citoyen était déjà
connue. Etait connu en Angleterre longtemps avant la déclaration le fameux Habeas corpus act de
1679. Pourtant on continuait à violer les droits de ces hommes et de ces femmes sous le seul
prétexte qu’ils étaient noirs.
Dans le prolongement du cahier de doléances de la communauté et des habitants de Champagney, la
déclaration presque prophétique de l’abbé Henri Grégoire en date du 8 juin 1791. Un jour, écrit-il, le
soleil n’éclairera parmi vous que des hommes libres ; les rayons de l’astre qui répand la lumière ne
tomberont plus sur les fers et sur les esclaves. N’oubliez pas que, comme vous, ils naissent et
demeurent libres et égaux.
Et dès lors la révolution enclencha sa marche irréversible. La cérémonie du bois caïman en Haïti (2122 août 1791) impulsa le sérieux mouvement vers la décapitation de l’esclavagisme et confirme la
consubstantialité de l’homme et de la liberté.
Pour l’illustrer, Toussaint Louverture, dans sa vertigineuse ascension. Génie militaire, surdoué, il alla
faire la démonstration contraire du destin proposé à l’homme noir. Nous y reviendrons. Même si
nous déplorons sa crédulité. Toussaint avait pris pour argent comptant l’article 118 de la constitution
de 1793 qui stipulait que le peuple français est l’ami et l’allié naturel des peuples libres. Il n’a pas su
faire la différence entre le peuple français et ses dirigeants.
Mais hélas ! Comment ne le croyait-il pas puisque la convention décréta l’abolition de l’esclavage le 4
février 1794 et envoya à Saint Domingue ses commissaires civiles tels Léger-Félicité Sonthonax pour
mettre en application cette abolition ? Comment pouvait-il y voir de la malice sans les menaces des
Anglais et des Espagnols ?
C’est en effet sous cette pression que Sonthonax annonça l’abolition de l’esclavage le 6 mai 1794.
Trois plus tard après la déclaration initiale.
Il y a là une certaine similitude avec le décret de Schoelcher du 27 avril 1848 qui ne sera appliqué que
grâce aux soulèvements des esclaves à la fin du mois de mai 1848.
Les choses n’allaient jamais de soi en dépit de la conviction des abolitionnistes. Il a fallu que les
personnes concernées s’engagent fortement pour faire plier les esclavagistes. Tout ceci battit en
brèche cette prétendue supériorité de la race blanche défendue jusqu’en 1885 par Jules Ferry et les
parlementaires d’alors pour défendre la colonisation et prospérer sur le dos de l’ancien système
d’exploitation directe de l’homme- variable économique.
Jules Ferry lui-même déclara : « Il y a pour les races supérieures un droit, parce qu’il y a un devoir
pour elles. Elles ont le devoir de civiliser les races inférieures.»
On relevait dans les débats parlementaires de cette belle année de 1885, ce qui dépasse
l’entendement : « Est-il possible de nier que ce soit une bonne fortune pour ces malheureuses
populations de l’Afrique équatoriale de tomber sous le protectorat de la nation française ou de la
nation anglaise ? Mais ces malheureuses populations en avaient-elles fait la demande ?
Il y a juste un problème, c’est l’ethnocentrisme occidental. On ne saurait le dater plus loin dans
l’histoire sinon au 4e siècle avant JC. Au moins peut-on souligner celui de cette période qui continue
de traverser la pensée occidentale jusqu’à en devenir la pierre angulaire.
C’est justement cet ethnocentrisme qui est à l’origine de tant de maux, de tant de souffrances, de
tant de désespérance.
C’est cet ethnocentrisme qui est à l’origine de la prétendue supériorité de la race blanche, et fait
pernicieux, c’est encore lui qui s’est mué au cœur d’une même ethnie en supériorité de classe.
C’est encore cet ethnocentrisme, la cause de la déportation et de la mort de Toussaint Louverture
dans les conditions que l’on sait.
Mais ce Toussaint Louverture, parlons-en enfin. N’est-ce pas ce génie militaire qui soumit tour à tour
les grandes armées occidentales au 19e siècle ? N’est-ce pas ce noir qui se rallia à la France
républicaine après avoir vaincu en 1793 les armées espagnoles et anglaises ? N’est-ce pas Toussaint
Louverture qui a initié le principe du Commonwealth que les Anglais ont magnifiquement exploité ?
N’est-ce pas enfin cet ancien esclave qui devint en 1797 le gouverneur général de Saint Domingue
libéré et auquel il a donné sa première constitution en 1801 dans le cadre formel de la république
française ? En quoi sa couleur de peau fit-elle de lui un être inférieur? Pourquoi 213 ans après sa
mort, sommes-nous là à rappeler qu’il a été honteusement arrêté en 1802 pour être condamné à
mort dans un cachot glacial du jura le 7 avril 1803, loin de son île natale ?
À son sujet, le jeune Aimé Césaire nous livre ce qui pourrait être toute la détresse d’un homme
empathique. Et l’on lit avec frisson sa belle élégie, évoquant la fin atroce de Toussaint Louverture : «
Ce qui est à moi aussi : une petite cellule dans le Jura, une petite cellule, la neige la double de
barreaux blancs la neige est un geôlier blanc qui monte la garde devant une prison
Ce qui est à moi
C’est un homme seul emprisonné de blanc
C’est un homme seul qui défie les cris blancs de la mort blanche
(TOUSSAINT, TOUSSAINT LOUVERTURE)
C’est un homme seul qui fascine l’épervier blanc de la mort blanche
C’est un homme seul dans la mer inféconde de sable blanc
C’ est un moricaud vieux dressé contre les eaux du ciel
La mort décrit un cercle brillant au-dessus de cet homme
La mort étoile doucement au-dessus de sa tête
La mort souffle, folle, dans la cannaie mûre de ses bras
La mort galope dans la prison comme un cheval blanc ».
Le coup d’état du 10 novembre 1799 de Napoléon Bonaparte garantit le rétablissement de
l’esclavage, ce commerce juteux, cette condition, qui a permis de manger du sucre en Europe. Et cela
passait par la mort de Toussaint Louverture.
Mais Toussaint pouvait aisément faire écho aux propos de l’abbé Grégoire cités plus haut. Il savait
qu’il n’était que le tronc de l’arbre abattu, mais que ses racines étaient de l’ordre de la permanence,
la permanence de la race humaine. Il savait que Jean-Jacques Dessalines pouvait rétablir la vérité sur
l’égalité de tous les hommes et créer ainsi l’homme universel.
Toussaint Louverture a montré le chemin. Jean-Jacques Dessalines a réalisé, par la victoire de 18
novembre 1803 sur les armées esclavagistes napoléoniennes, le rêve de Toussaint Louverture, de la
convention, de Tom Payne, de la prophétie de l’abbé Rénal en créant le premier état nègre
indépendant du monde, Haïti. Haïti où la négritude se mit debout pour la première fois, écrit Césaire
dans son cahier d’un retour au pays natal...
Madame, Monsieur,
Voilà plus d’une vingtaine d’années, nous nous donnons rendez-vous ici, place Victor Schoelcher
pour commémorer l’anniversaire de la mort atroce de Toussaint Louverture et pour dénoncer
l’esclavage et la traite négrière.
Tandis que nous avons souhaité une commémoration apaisée, nous devons nous rendre à l’évidence
que le racisme, la xénophobie et les autres formes de discriminations sont sans cesse argumentés par
les politiciens de tout bord encore récemment comme si l’on n’avait rien retenu de l’histoire.
Comment dire aux jeunes afro-descendants qu’ils vivent dans un pays éclairé où l’égalité des
chances est un fait, quand les discours de ces hommes et ces femmes politiques les ramènent
quelques siècles en arrière et les contraignent à vivre une temporalité décalée ?
Comment ramener dans le giron de la République ces jeunes afro descendants que ces discours
désespèrent et qui sont si prompts désormais à écouter des sirènes qui incitent aux pires exactions,
parce que perdus par notre indifférence? Parce que désespérés par notre mépris ? Parce que
conchiés par notre stupide ethnocentrisme ?
Dans quelle mesure ces femmes et ces hommes politiques de droite et de gauche ne sont-ils pas
complices des assassinats de nos compatriotes qui se croient libres de prendre un café à une
terrasse parisienne ou d’assister en toute liberté à un concert ?
Aiment-ils la France ? Aiment-ils la République et ses valeurs humanistes ? Aiment-ils la culture
comme facteur d’égalité ? Aiment-ils simplement ce privilège de placer leurs millions dans les paradis
fiscaux en laissant l’économie française dans un état de décomposition avancée ? Sinon, qu’aimentils alors ?
Monsieur Le sénateur-maire, mesdames, messieurs,
Nous devons continuer de combattre avec détermination ces adeptes du sang, ces politiciens
opportunistes qui attisent la haine pour mieux vivre à nos dépens, à notre naïveté. Nous devons
combattre sans relâche ces manipulateurs qui se frottent les mains car ils nous croient suffisamment
pantins articulés, ils nous croient suffisamment marionnettes.
Monsieur le sénateur-maire, nous voulons plus de quartiers perdus de la République, fonds de
commerce des extrémistes légaux.
Nous ne voulons plus entendre de la part d’un jeune de 20 ans ou légèrement moins ou légèrement
plus qu’il n’a plus rien à perdre car tout le ramène aux conditions de ces ancêtres déshumanisés,
colonisés, marchandisés.
Nous ne voulons plus assister à ces passages aux actes qui engendrent la mort des victimes
innocentes à cause de ces provocations inutiles.
Le « rossignol » joue mal la note du nègre qui n’est pas assez entré dans l’histoire. Le « rossignol »
fait du psittacisme. Bizarrement, il croasse. C’est peut-être sa vraie nature.
Monsieur le Sénateur-maire,
Ne devrions-nous pas lui répondre par la création du carré de la tolérance à Massy où, à côté de
Toussaint Louverture, nous érigerons une statue de Jean-Jacques Dessalines, de Léger-Félicité
Sonthonax et de Victor Schoelcher ? Qu’en dites-vous?
Les quatre pourront se regarder dans les yeux tout en nous incitant à réécrire le beau roman de
l’universelle humanité dont vous êtes convaincu, en faisant l’illustre démonstration par votre fidèle
participation depuis plus de 20 à cette manifestation. Je sais que vous allez y songer.
Vive notre coopération, Vive la France Humaniste et éternelle, vive Haïti, aux génies merveilleux.

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