Le programme de sécurité de l`après

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Le programme de sécurité de l`après
Le programme de sécurité de l’après-11 septembre
et la politique étrangère canadienne :
Conséquence pour le Sud Mondial ?
Principaux point d’ancrage pour l’action
Document d’orientation du CCCI
Erin Simpson
(Mai 2005)
Le Conseil canadien pour la coopération internationale (CCCI) est une coalition
d’organisations canadiennes vouées à la promotion du développement humain dans un climat
d’équité sociale et économique, de démocratie, d’intégrité environnementale et de respect des
droits de la personne.
Le CCCI remercie le Centre de recherches pour le développement international (CRDI) pour son
aide financière.
Cet article et d’autres sont disponibles sur le site du CCCI www.ccic.ca ou après de Conseil
canadien pour la coopération internationale.
CCCI
1, rue Nicholas, Bureau 300
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CANADA
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© Conseil canadien pour la coopération internationale
May 2005
LE PROGRAMME DE SÉCURITÉ DE L’APRÈS-11 SEPTEMBRE
ET LA POLITIQUE ETRANGÈRE CANADIENNE :
CONSÉQUENCES POUR LE SUD MONDIAL ?
PRINCIPAUX POINTS D’ANCRAGE POUR L’ACTION
DOCUMENT D’ORIENTATION DU CCCI
INTRODUCTION
Depuis le 11 septembre 2001, la pauvreté et les conflits violents dans le Sud sont de plus en
plus vus comme des menaces pour le Nord en général. Les pays riches instrumentalisent l’aide
au développement pour se défendre contre une « menace »; les affectations d’aide internationale
sont influencées par leur valeur stratégique dans la guerre contre le terrorisme; les bailleurs de
fonds concentrent leurs efforts sur les « États fragiles et en déroute »; enfin, la prévention des
conflits et l’assistance humanitaire dans le Sud sont de plus en plus assujettis au souci de sécurité
du Nord.
La communauté internationale a le devoir de protéger et de promouvoir les droits des
personnes qui vivent dans l’insécurité, dans les États « en déroute » ou au milieu de conflits.
Faut-il se féliciter de ce regain d’intérêt à l’égard de la pauvreté, des conflits et de la sécurité… à
n’importe quel prix?
En 2002, année ayant suivi les attentats du 11 septembre, l’aide consacrée à la sécurité et les
dépenses d’assistance connexe consenties par les États-Unis à l’Ouzbékistan ont augmenté de
45 millions de dollars. L’aide au Pakistan a été haussée de 3,5 millions pour être portée à
1,3 milliards de dollars. Par ailleurs, l’Australie a décidé de faire passer la réduction de la
pauvreté après la sécurité dans la finalité de son aide internationale; le Japon a révisé sa charte
d’aide au développement pour y inclure la « prévention du terrorisme »; quant au Comité d’aide
au développement (CAD) de l’OCDE, il a ajouté la sécurité aux rubriques de dépenses
admissibles à la comptabilisation de l’aide publique au développement (APD). Depuis 2002, au
Canada, un nouveau volet du mandat de l’ACDI consiste à « appuyer les efforts de la
communauté internationale en vue de réduire les menaces à la sécurité canadienne ». Dans
l’entente d’aide conclue entre l’Europe et les pays de l’ACP (pays de l’Afrique, des Caraïbes et
du Pacifique ayant des rapports privilégiés avec l’Union européenne), il appert que cette aide est
conditionnelle aux « résultats » des pays partenaires en matière de contre-terrorisme et de nonprolifération des armes de destruction massive. En mars 2005, deux champions de la guerre
contre le terrorisme et d’une politique étrangère centrée sur la sécurité, John Bolton et Paul
Wolfowitz, ont été nommés respectivement ambassadeur des États-Unis aux Nations Unies et
directeur de la Banque mondiale.
L’intérêt national des donateurs a toujours joué un rôle important dans l’aide internationale.
Durant la Guerre froide, cette dimension politique était patente : on aidait généreusement les
alliés, les alliés potentiels et les ennemis des ennemis tout en sapant les efforts des autres. Il en
est résulté, au mieux, une déviation de ressources qui auraient dû être affectées à la réduction de
la pauvreté, et au pire, le soutien de régimes et d’institutions bafouant les droits de la personne.
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Après la chute du mur de Berlin, cependant, les gouvernements donateurs commencent à
repenser ces pratiques : politiquement, les perspectives de réforme deviennent graduellement
plus tangibles, et les bailleurs de fonds se mettent à réfléchir ensemble à l’optimisation de leurs
pratiques ou à l’« efficacité de l’aide ». Les conférences et accords sur cette question se
multiplient. Les bailleurs de fonds commencent à parler – sans nécessairement aller plus loin –
de l’optimisation de l’aide et d’une évaluation réaliste des intérêts des bénéficiaires.
Au cœur de ces délibérations se trouve une éventuelle redéfinition du rôle que peuvent jouer
l’aide au développement et la lutte antipauvreté dans la prévention et le règlement des conflits
violents. À l’OCDE en particulier, les donateurs publient en 2001 une analyse circonstanciée des
liens entre conflits et développement qui, sous le titre Prévenir les conflits violents : quels
moyens d’action?, fait état des pratiques efficaces des membres du CAD.
Toutefois, les événements du 11 septembre donnent une nouvelle tournure à ces discussions
sur l’aide, la pauvreté et les conflits. Désormais convaincus de la menace du terrorisme, de
nombreux gouvernements du Nord jugent nécessaire de se doter d’outils plus efficaces pour
influencer les pays en développement. Les États-Unis et leurs alliés commencent à chercher des
leviers plus puissants; l’utilité de l’aide au développement à cet égard est évidente.
C’est ainsi qu’on commence à amalgamer les concepts d’« élimination de la pauvreté », de
« conflit » et de « paix » avec ceux de « terrorisme » et de « sécurité ». Tout d’un coup, le
discours des tenants d’une approche globale à l’élimination de la pauvreté et à la lutte contre les
conflits violents est court-circuité par ceux qui prétendent qu’il faut mobiliser des ressources
humaines, financières et militaires substantielles pour prévenir le terrorisme et protéger la
sécurité nationale des riches. Certains donateurs se mettent à faire valoir que comme « il n’y a
pas de sécurité sans développement, ni développement sans sécurité », les questions de sécurité
sont en fait des questions de développement.
Aujourd'hui, en conséquence de cette convergence des mesures d’aide internationale et de
prévention des conflits d’une part et des mesures de sécurité mondiale et de lutte contre le
terrorisme d’autre part, beaucoup d’intéressés commencent à redouter que tout mouvement
visant une amélioration des pratiques d’aide et de prévention soit renversé par les préoccupations
relatives à la sécurité. En effet, certains bailleurs de fonds sont de plus en plus obnubilés par
cette question, et la limitation des risques pour les pays donateurs semblent s’imposer de plus en
plus comme justification et finalité de l’aide internationale.
L’enjeu ne se limite pas à l’intégrité de l’aide au développement, si important soit cet aspect.
Le plus préoccupant, c’est la réduction de la marge de manœuvre qu’on laisse aux pays en
développement lorsqu’on les regarde sous l’angle de leur efficacité ou de la menace qu’ils
représentent pour les intérêts du Nord.
Il existe des différences importantes entre ce qui concourt à la sécurité locale – c’est-à-dire à
la sécurité des personnes qui vivent des conflits violents – ce qui sert la « sécurité nationale » et
ce qui est utile à la « sécurité mondiale » ou « régionale ».
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Les questions-clés à se poser lorsque convergent les programmes de paix, de sécurité et de
développement sont les suivantes : Qui souhaite-t-on protéger? Dans l’intérêt de qui? Aux
dépens de quoi? La coopération pour le développement est-elle en train de redevenir un levier de
politique étrangère et de défense? Dans quelle mesure l’aide internationale ne devient-elle pas
une forme de « gestion des risques » de sécurité nationale?
Le présent document lance des pistes d’examen de l’incidence des préoccupations relatives à
la sécurité sur l’action du Canada en matière de développement et de prévention des conflits
depuis le 11 septembre. Il fait état de certains points d’ancrage dont peuvent se servir les
organisations canadiennes pour influer sur les politiques dans ce domaine.
Le document comprend les sections suivantes :
1. Les débats du CAD - Nouveaux objectifs pour l’aide au développement?
2. Mandats des organismes de développement
3. Détournement de l’aide? Les tendances relatives aux dépenses de développement
4. États en déroute ou en voie de l’être
5. Nouvelles conditionnalités pour les ententes d’aide?
6. Réforme du secteur de la sécurité
7. Interventions dans les conflits : l’approche 3D
8. Équipes de reconstruction provinciale
9. Mécanismes de financement
10. Cadre d’action proposé
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1.
LES DÉBATS DU CAD – NOUVEAUX OBJECTIFS POUR L’AIDE AU DÉVELOPPEMENT ?
Le Comité d’aide au développement (CAD) de l’OCDE regroupe 22 pays donateurs qui
« examinent, ensemble et périodiquement, à la fois le volume et la nature de leurs contributions
aux programmes d’aide, établis à titre bilatéral et multilatéral, et se consultent sur toutes les
autres questions importantes de leur politique d’aide ». C’est le principal forum de donateurs
pour l’élaboration des politiques et des pratiques optimales; les énoncés du CAD, qui doivent
faire consensus, ont une influence indéniable sur la politique d’aide du Canada.
À la suite des attentats du 11 septembre aux États-Unis et de la déclaration de guerre de
George W. Bush contre le terrorisme, le CAD a publié un document intitulé Inscrire la
coopération pour le développement dans une optique de prévention du terrorisme. Cet énoncé se
démarquait nettement d’un énoncé antérieur du CAD sur les conflits et l’aide internationale
intitulé Prévenir les conflits violents : quels moyens d’action?, qui mettait en relief les effets des
conflits violents sur la vie et les perspectives d’avenir des personnes vivant dans la pauvreté.
Le document de 2002 traitait plutôt des « causes profondes » du terrorisme, faisant valoir
qu’un peuple qui vit dans la pauvreté peut facilement en venir à appuyer le terrorisme par
désabusement. On peut y lire entre autres que « la précarité des institutions politiques, des
structures de gouvernement et de la société civile accroît la vulnérabilité [des « pays fragiles et
en faillite »] face à la radicalisation, amoindrit sa capacité de contrer des activités illicites (camps
d’entraînement, par exemple) et en fait un environnement propice pour recruter des terroristes ou
leur rallier des sympathies ». En ce qui concerne le rôle de l’aide au développement dans la
guerre contre le terrorisme, on préconise la tenue de campagnes d’information (visant à
convaincre la population qu’elle peut changer le système de l’intérieur), des activités de
concertation multisectorielle et de formation journalistique, des programmes jeunesse et la
révision des programmes d’études scolaires. Comme le souligne le commentaire du CCCI sur cet
énoncé, celui-ci « perçoit les mobiles de la coopération pour le développement sous l’angle du
terrorisme - les pauvres, les marginaux et les dissidents constituent une menace pour la vie et la
liberté des populations du Nord ».
Pour de nombreux donateurs du Réseau sur les conflits, la paix et la coopération pour le
développement (CPCD) du CAD, ce document s’écartait de façon marquée des réflexions en
cours sur les liens entre insécurité, pauvreté et coopération pour le développement, mais il n’était
pas de nature à réorienter l’action du CAD. On le considérait plutôt comme le résultat de
négociations en coulisses avec les États-Unis. L’action du Réseau du CPDC depuis 2002 ne
dément pas cette vision : le CAD n’a pas tenu compte de manière significative du discours
antiterroriste dans ses travaux, sauf sur un point important. En effet, un élément capital de cet
énoncé a pris une grande importance dans son programme, soit la remise en question des critères
définitoires de l’aide internationale.
Le débat portant sur le rôle de la coopération pour le développement dans la prévention des
conflits et en matière de sécurité remonte à l’adoption des lignes directrices du CAD au sujet de
la coopération. Encore en 1997, il n’y avait pas de consensus parmi les membres du CAD au
sujet du rôle de l’APD dans la répression des conflits violents et de l’insécurité, mais beaucoup
reconnaissaient le rapport entre conflits et développement. C’est ainsi qu’un groupe de donateurs
a constitué le Réseau sur les conflits, la paix et la coopération pour le développement afin
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d’intégrer la prévention des conflits et la consolidation de la paix aux réflexions et activités
officielles de coopération. Le Canada, les Pays-Bas et l’Australie (membres du réseau) ont
convenu de faire des pressions auprès des autres États membres du CAD entre les réunions en
vue d’élargir les critères définitoires de l’APD pour développer les programmes portant sur la
sécurité et les conflits.
C’est dans ce contexte, et dans le sillage du document de 2002 sur le terrorisme, que la
question des critères définitoires de l’APD a pris une importance centrale. À la réunion de haut
niveau du CAD tenue en avril 2004, les ministres ont discuté de la « clarification » et de
l’« adaptation» des lignes directrices de l’APD sur les questions de conflits et de sécurité. Selon
la déclaration finale de cette réunion, les membres ont convenu d’adapter et de clarifier les
directives relatives à la prévention du recrutement d’enfants soldats, au renforcement du rôle de
la société civile dans la réforme du secteur de la sécurité, et à l’exercice d’un encadrement civil
de la gestion des dépenses de sécurité.
Cependant, les ministres n’ont pu s’entendre sur deux propositions controversées de révision
des critères définitoires de l’APD, soit la réforme des forces armées en vue d’interventions non
militaires (concernant par exemple les droits de l’homme et l’assistance humanitaire) et le
développement du potentiel des pays en développement en matière d’opérations de maintien de
la paix; toutefois, ils ont accepté de continuer les pourparlers et d’y revenir à la réunion de haut
niveau de mars 2005. Entre-temps, le Groupe de travail sur la statistique du CAD et le Réseau
sur les conflits, la paix et la coopération pour le développement (CPDC) devaient chercher à
définir les changements sous l’angle opérationnel et à établir un consensus. L’introduction de la
déclaration finale de la réunion de haut niveau de 2004 exprime la logique de ces modifications,
à savoir « la reconnaissance générale de l’importance des activités liées à la sécurité pour le
développement ».
En préparation d’une réunion des hauts fonctionnaires responsables de l’aide internationale
devant avoir lieu en décembre 2004, le gouvernement néerlandais a soumis à ses collègues du
CAD un bref document comportant une série de propositions visant à réviser la définition de
l’APD dans une optique profondément ancrée dans les préoccupations relatives à la sécurité. Ces
propositions portent sur les structures décisionnelles en matière de sécurité, le renforcement des
mécanismes de sécurité, la consolidation de la paix et la sécurité humaine. Sur le premier point,
on propose que soient admises au titre de l’APD les activités décisionnelles visant l’armée, les
activités liées à la création d’armées intégrées et la destruction d’armes illégales ou
surnuméraires dans l’armée. En matière de consolidation de la paix, on fait valoir que le
transport de militaires blessés et de civils, l’engagement de travailleurs locaux pour les
opérations de paix, les installations médicales, les contrôleurs militaires et la formation en tâches
liées à la paix devraient aussi faire partie de l’APD. Dans une déclaration conjointe aux États
membres du CAD, le CCCI et d’autres membres d’un réseau mondial d’étude des questions de
sécurité et de développement (le Global Security and Development Network) a déclaré qu’« en
finançant l’aide visant les réformes militaires, le maintien de la paix et les opérations
d’imposition de la paix à partir des budgets d’APD qui sont déjà nettement insuffisants, on se
prive inexorablement des ressources requises pour assurer la réalisation des Objectifs de
développement du millénaire, le développement durable, la justice sociale et le respect des
droits ».
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Le Canada présidait le Réseau du CODC du CAD durant cet important débat sur la sécurité
et la coopération. Selon les fonctionnaires canadiens, le Canada a joué un rôle d’animateur et
d’intermédiaire, se gardant de prendre parti lors des dernières réunions de haut niveau.
Cependant, des collègues d’ONG d’autres pays membres du CAD ont indiqué, sans qu’on puisse
le confirmer, que le Canada défendait la proposition néerlandaise. Le cas échéant, cela
s’inscrirait dans la lignée de la conduite récente du Canada consistant à collaborer avec les
Néerlandais pour faire modifier l’orientation de l’APD. Il semble que les États-Unis n’aient pas
participé de près à ces délibérations.
Faute d’un consensus, ce vaste débat sur les propositions néerlandaises a été suspendu lors de
la réunion des ministres du CAD tenue en 2005, où les 22 donateurs ont adopté trois éléments
d’ajustement moins controversés. Selon un énoncé du CAD intitulé Prévention des conflits et
construction de la paix et rendu publique à la suite de la réunion de haut niveau de 2005 : « [On]
est ainsi parvenu à un consensus sur la coopération technique et le soutien civil pour […] six
éléments », à savoir :
1. Amélioration de la gestion des dépenses de sécurité grâce au renforcement de la
supervision civile et du contrôle démocratique sur la budgétisation, la gestion, la
transparence et l’audit des dépenses de sécurité.
2. Renforcement du rôle de la société civile dans le système de sécurité de manière à faire
en sorte que ce dernier soit géré conformément aux normes démocratiques et aux
principes de responsabilité, de transparence et de bonne gouvernance.
3. Soutien à l’adoption de lois destinées à empêcher le recrutement d’enfants à des fins
militaires.
4. Soutien pour la réforme des systèmes de sécurité afin d’améliorer la démocratie et le
gouvernement par les civils.
5. Dispositifs civils à l’appui de construction de la paix, et de prévention et de règlement des
conflits.
6. Contrôle, prévention et réduction de la prolifération d’armes légères et de petit calibre.
Les membres du CAD ont également accepté de revoir leurs positions au sujet des deux
éléments plus controversés - la formation des militaires à des fins extramilitaires et le
développement des capacités - à la réunion des ministres du CAD en 2007. Il en résulte donc un
court moratoire sur ces questions. Cependant, les ONG européennes craignent toujours que
malgré ce moratoire, les pressions visant à élargir les critères définitoires de l’APD en vue d’y
inclure les activités de sécurité continueront d’avoir cours dans l’UE, au G-8 et dans l’Union
africaine, et pourraient se traduire par d’autres changements à la réunion du CAD de 2007.
L’établissement de critères et d’exigences de rapports pour l’APD était d’importance capitale
pour limiter le détournement politique de l’aide internationale et favoriser la transparence.
Certains ajustements et éclaircissements ont effectivement été apportés à cet effet, mais d’autres
étaient des ajouts brouillant la distinction entre les interventions visant la pauvreté et les autres
dimensions des politiques internationales et intérieures.
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Les OSC canadiennes devraient prendre les mesures suivantes :
‰ Suivre les pourparlers du CAD concernant l’élargissement des critères définitoires de
l’aide publique au développement et les échanges portant sur un sujet connexe au sein du
G-8 et des autres forums internationaux, grâce à leurs contacts avec leurs vis-à-vis
d’Europe, les responsables canadiens compétents et la ministre de la Coopération
internationale.
‰ Rencontrer régulièrement les responsables des dossiers de sécurité à la Direction générale
des politiques de l’ACDI ainsi que les représentants de la Direction de la sécurité
régionale et du maintien de la paix d’AEC.
‰ Encourager l’adoption d’une loi qui ferait de la réduction de la pauvreté la finalité de
l’aide internationale canadienne.
‰ Discuter avec les parlementaires intéressés et avec les ministres des Affaires étrangères et
de la Coopération internationale en vue de protéger l’intégrité de l’APD à l’échelle
internationale et au Canada.
Le gouvernement devrait prendre les mesures suivantes :
‰ N’appuyer une proposition de révision des critères définitoires de l’APD que dans le but
de clarifier le mandat exclusif de réduction de la pauvreté, c’est-à-dire, essentiellement,
de mieux catégoriser les activités déjà prévues, et non pour reconnaître de nouvelles
activités militaires de maintien de la paix et de consolidation de la paix.
‰ S’unir à ses collègues du CAD et à d’autres forums internationaux pour s’opposer
fermement aux propositions du gouvernement néerlandais concernant l’élargissement des
critères définitoires de l’APD.
Questions
‰ Quelle est la position du Canada à l’égard des questions en suspens au CAD, et en
particulier des propositions du gouvernement néerlandais?
‰ Quelles conséquences les nouvelles rubriques de dépenses d’APD auront-elles sur l’aide
internationale canadienne? Quelle influence auront-elles sur les dépenses des autres
donateurs?
‰ Quelles sont les activités rentrant dans chaque nouvelle catégorie?
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2.
MANDATS DES ORGANISMES DE DÉVELOPPEMENT
À la suite du document du CAD intitulé Inscrire la coopération pour le développement dans
une optique de prévention du terrorisme (et sans nul doute influencés par d’autres facteurs),
plusieurs membres du CAD ont substantiellement modifié le mandat de leur agence officielle de
développement en fonction du nouveau discours. C’est ainsi que les gouvernements néerlandais,
australien et japonais y ont introduit la prévention et la répression du terrorisme. Les
changements de programme et l’évolution des termes et de la logique servant à situer l’action de
ces organismes reflètent les nouvelles priorités1.
Le gouvernement du Canada n’a pas modifié l’objet officiel de son APD depuis l’examen de
la politique étrangère de 1995, même dans son récent Énoncé de politique internationale.
Toutefois, comme nous l’avons vu plus haut, l’Agence canadienne de développement
international (ACDI), bailleur de fonds officiel du Canada, a évoqué la possibilité de réviser son
mandat en fonction de nouvelles « réalités », tout en modifiant son vocabulaire dans la
description de ses priorités et de son rôle en matière de sécurité nationale.
Le mandat de l’ACDI consiste entre autres à « appuyer les efforts de la communauté
internationale en vue de réduire les menaces à la sécurité canadienne et internationale », élément
ajouté en 2002. De plus, les « résultats clés de l’Agence » énoncés dans la Stratégie de
développement durable 2004-2006 de l’ACDI comportent de nouveaux éléments relatifs à la
paix et à la sécurité. Il s’agit là d’un virage par rapport à la Stratégie de développement durable
2001-2003 de l’Agence, qui ne parlait de paix et de sécurité que relativement aux actions menées
en ex-Yougoslavie, et non en tant que priorité, objectif ou résultat fondamental pour l’Agence.
Selon les fonctionnaires de l’ACDI, ces changements ont été apportés sans que l’ACDI n’adopte
une politique visant à éclairer les interventions d’aide concernant la paix et la sécurité.
Après le dépôt de la première politique de sécurité nationale du Canada, qui préconisait
l’attribution d’un rôle de lutte contre le terrorisme à l’aide au développement, on a commencé à
craindre que les fonds d’APD puissent être mobilisés aux fins des activités internationales de
lutte contre le terrorisme. Toutefois, au moment où nous écrivons ces lignes, des fonctionnaires
compétents ont assuré le CCCI que les fonds d’APD ne seraient pas affectés à ce genre
d’activités et que ces dernières seraient plutôt financées par Affaires étrangères Canada (AEC),
plus précisément le volet « paix et sécurité » de l’enveloppe d’assistance internationale 2005.
Selon les fonctionnaires d’AEC et de Finances Canada, 15 millions de dollars ont été alloués à
ces activités dans le budget 2005-2006.
Les OSC canadiennes devraient prendre les mesures suivantes :
‰ Suivre de près l’évolution du mandat de l’ACDI ainsi que tout changement apporté à la
finalité de l’APD par voie législative.
‰ Surveiller l’évolution des programmes à la lumière du nouveau mandat de l’Agence
relativement à la participation « aux efforts internationaux afin de réduire les menaces à
la sécurité internationale et canadienne ». Même s’il y a lieu de se féliciter du regain
1
Voir Ngaire Woods du Global Economic Governance Program (Oxford) et Howard Mollett (BOND).
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d’intérêt observé à l’égard des conflits, il faudra examiner de près les programmes et
activités qui en résulteront à la lumière des pressions de la politique étrangère au Canada
et aux États-Unis et des changements de priorités observés dans les programmes des
autres donateurs.
Le gouvernement devrait prendre les mesures suivantes :
‰ Faire de la réduction de la pauvreté et de la promotion des droits de la personne la seule
finalité de l’aide canadienne au développement. Le gouvernement devrait présenter un
projet de loi pour affirmer ce mandat.
‰ Pour modifier le mandat de l’ACDI, passer par un processus consultatif transparent fondé
sur une analyse factuelle du rôle de l’aide dans la promotion de la sécurité et la résolution
des conflits.
‰ Élaborer pour l’ACDI une politique et une stratégie de paix et de coopération pour la
sécurité traitant de certaines questions fondamentales : Quels sont les problèmes de paix
et de sécurité les plus importants auxquels devrait être affectée l’APD canadienne dans le
cadre d’un mandat exclusif de réduction de la pauvreté? Quelle est l’incidence de la
politique canadienne sur le droit des pauvres et de leurs représentants de réclamer des
changements? Quels facteurs déterminent les priorités des interventions canadiennes en
matière de paix et de sécurité, surtout celles qui mettent à contribution l’APD?
‰ Ancrer fermement le programme de l’ACDI touchant les questions de paix et de sécurité
dans son mandat d’élimination de la pauvreté.
‰ Assurer l’indépendance du programme de l’ACDI touchant les questions de paix et de
sécurité par rapport aux priorités de sécurité nationale.
Questions
‰ Quel sera le cadre stratégique de l’aide internationale canadienne en matière de paix et de
sécurité?
‰ Les interventions tiennent-elles compte de la situation des victimes de conflits violents,
en particulier des populations vulnérables et marginalisées, ou dépendent-elles
principalement des préoccupations des intervenants?
‰ Quelles répercussions à long terme ces interventions auront-elles sur la prévention et le
règlement des conflits et sur l’amélioration continue des moyens de subsistance des
pauvres et des marginaux?
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3.
DÉTOURNEMENT DE L’AIDE?
LES TENDANCES RELATIVES AUX DÉPENSES DE DÉVELOPPEMENT
Une étude récente de Ngaire Woods, du Global Economic Governance Program d’Oxford,
indique que les grands donateurs consacrent de plus en plus d’argent aux pays présentant un
intérêt stratégique pour la sécurité plutôt qu’aux plus pauvres et aux plus vulnérables2. Toutefois,
cela ne s’est pas toujours traduit par un détournement de l’aide jusque-là affectée aux objectifs
traditionnels; on a plutôt augmenté le montant de l’aide pour en consacrer une partie aux
activités stratégiques. Dans certains cas, cependant, par exemple en ce qui concerne les
interventions du Royaume-Uni et des États-Unis en Irak et en Afghanistan, tout porte à croire
que les fonds d’aide internationale ont été sacrifiés aux impératifs géopolitique au détriment des
pauvres.
Bien que Woods ne se penche pas sur le cas canadien, l’analyse du CCCI indique que ses
observations s’appliqueraient aussi au Canada : l’aide dont l’affectation a été déterminée par des
préoccupations d’ordre géopolitique depuis le 11 septembre s’ajoute à l’enveloppe au lieu d’en
être prélevée. Ainsi, les sommes préliminaires attribuées à l’Afghanistan et à l’Irak ont été tirées
de réserves budgétaires du gouvernement fédéral et non retirées d’autres projets dans d’autres
pays.
Cependant, de 2001 à 2003, environ 26 % des nouveaux fonds issus de l’engagement du
Canada d’augmenter l’aide internationale de 8 % par année et des budgets supplémentaires des
dépenses adoptés en cours d’exercice ont été acheminés vers ces deux pays3. Au surplus, de 2002
à 2004, le Canada a consacré 1,5 milliard de dollars hors APD à diverses opérations des forces
militaires canadiennes touchant l’Afghanistan et la lutte contre le terrorisme dans cette région.
Ce faisant, le gouvernement rogne sur son engagement d’affecter les nouvelles ressources
dégagées après 2002 à neuf pays privilégiés par l’ACDI, en grande partie à cause des
considérations de politique étrangère et des pressions en faveur d’interventions stratégiques
d’ordre politique.
Aussi bien en Irak qu’en Afghanistan, l’ACDI ne cache pas le caractère central des objectifs
de géopolitique et de sécurité. Dans l’aperçu de son programme en Afghanistan, on peut lire que
l’action du Canada a pour but de veiller à ce que le pays « ne serv[e] plus jamais de refuge aux
terroristes » et que la reconstruction de l’Afghanistan « est essentielle pour assurer une sécurité
durable à l’échelle du pays, de la région et du monde ». Les pressions politiques visant
l’élargissement des critères définitoires de l’aide y sont également exprimées clairement :
« Avant 2001, le Canada versait principalement de l’aide humanitaire, à raison de 10 millions de
dollars par an, afin de combler les besoins humains de base. Depuis la Conférence de Tokyo [...],
l’Afghanistan est devenu le plus important bénéficiaire d’aide canadienne bilatérale. » Les fonds
de l’ACDI destinés à l’Afghanistan sont axés sur l’assistance humanitaire et la reconstruction, de
2
3
Reconciling effective aid and global security: Implications for the emerging international development
architecture”, Ngaire Woods and Research Team, Global Economic Governance Programme, University
College, Oxford. http://users.ox.ac.uk/~ntwoods/GEG%20WP%20Reconciling.pdf 2005.
Calculs effectués par le CCCI à partir du budget fédéral 2004 et de documents de l’ACDI.
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POUR LE SUD MONDIAL ? – PRINCIPAUX POINT D’ANCRAGE POUR L’ACTION – DOCUMENT D’ORIENTATION DU CCCI
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même que sur une aide au développement articulée autour de quatre pôles (moyens de
subsistance en zone rurale et protection sociale, sécurité et suprématie du droit, aménagement
des richesses naturelles et agriculture, et soutien opérationnel au budget du gouvernement
afghan). L’affectation totale pour 2001-2009 est de 616,5 millions de dollars4. (Voir tableau A.)
Le programme pour l’Irak est plus nuancé. Les interventions du Canada y sont justifiées
d’abord par la nécessité de soulager la souffrance, puis par la longue tradition canadienne en
matière de relèvement après un conflit. Ce n’est que par la suite que l’on indique que le
rétablissement de l’Irak est « essentiel à la stabilité dans la région » et « primordial du point de
vue de la sécurité mondiale ». Lorsque le Canada s’est joint à l’effort de reconstruction en 2003,
sa contribution de 300 millions de dollars a été consacrée principalement à l’aide humanitaire et
à la reconstruction, avec priorité à l’enseignement primaire, aux soins de santé élémentaires, à
l’eau potable et à l’assainissement. En outre, le Canada a fourni un appui substantiel à la
réduction de la dette dans le cadre d’une entente internationale entre grands créanciers. Les
principaux éléments actuels du programme concernent l’édification d’institutions démocratiques
axées sur la participation et la transparence, ainsi que la réforme du secteur de la sécurité. Le
programme indique clairement que l’engagement du Canada sera probablement limité :
« Lorsque l’ordre, la saine gouvernance et les institutions [...] seront rétablis et que la production
pétrolière aura [...] repris, l’aide étrangère ne sera sans doute plus nécessaire [...]5. » Soulignons
que l’aide canadienne à l’Irak a été acheminée par l’intermédiaire de la Banque mondiale et du
système onusien et non du gouvernement provisoire contrôlé par les États-Unis. (Voir
tableau A.)
Le budget 2004 attribue 916 millions de dollars à l’Afghanistan et à l’Irak pour les années
2002 à 20086. Jusqu’en 2003, environ 32 % des sommes ont été tirées des budgets
supplémentaires des dépenses7. Mais d’où viendront les prochains crédits? Seront-ils tirés des
augmentations de l’aide déjà annoncées (8 % par année jusqu’en 2010) ou d’ailleurs?
La liste des 25 pays « partenaires » de l’ACDI figurant dans l’Énoncé de politique
internationale (EPI) du gouvernement libéral de 2005 ne comprend ni l’Afghanistan, ni l’Irak8.
Cette liste ne s’applique qu’aux deux tiers du financement bilatéral, le troisième étant réservé
aux États « fragiles ou en déroute », et les fonds destinés à l’assistance humanitaire, aux
partenariats et aux canaux multilatéraux n’étant apparemment pas touchés par la liste9. Compte
tenu de la nature des dépenses consacrées à l’Afghanistan et à l’Irak, il semble probable que des
fonds continueront d’être prélevés des enveloppes allouées à l’assistance humanitaire, aux
contributions multilatérales, au partenariat et au troisième tiers du financement bilatéral.
4
5
6
7
8
9
Programme de l’ACDI relatif à l’Afghanistan : http://www.acdi-cida.gc.ca/CIDAWEB/webcountry.nsf/
VLUDocFr/Afghanistan-Aper%C3%A7u.
Programme de l’ACDI relatif à l’Irak : http://www.acdi-cida.gc.ca/CIDAWEB/webcountry.nsf/VLUDocFr/
Irak-Aper%C3%A7u.
Budget fédéral 2004.
Calculs effectués par le CCCI sur la base des informations de l’ACDI.
Communiqué de l’ACDI, 19 avril 2005, http://www.acdi-cida.gc.ca/cida_ind.nsf/vall/23A5072DCCEB362
485256FE800529B06?OpenDocument.
Fierté et influence : notre rôle dans le monde, Énoncé de politique internationale du Canada, chapitre sur le
développement, avril 2005, pp. 26-28.
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POUR LE SUD MONDIAL ? – PRINCIPAUX POINT D’ANCRAGE POUR L’ACTION – DOCUMENT D’ORIENTATION DU CCCI
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Toutefois, il faudrait un énoncé clair de la nature des mécanismes de financement des
programmes en Irak et en Afghanistan.
Outre la question du détournement des ressources destinées à l’élimination de la pauvreté,
l’importance accordée à l’Afghanistan et à l’Irak pose le problème du rôle de l’aide
internationale dans la guerre contre le terrorisme. Si le Canada (et sa population) a refusé
d’envoyer des troupes aux côtés de celles des États-Unis en Irak, ses dirigeants, de même que
ceux d’autres pays non combattants, ont jugé politiquement avantageux de fournir une assistance
humanitaire et une aide à la reconstruction. En payant les équipes de nettoyage à la suite des
guerres des États-Unis, le Canada encourage-t-il implicitement une approche militaire agressive
pour lutter contre les organisations désabusées qui s’en remettent au terrorisme?
Les OSC canadiennes devraient prendre les mesures suivantes :
‰ Surveiller la proportion et la destination des ressources totales de l’ACDI qui sont
consacrées à l’Afghanistan et à l’Irak et des autres ressources attribuées selon des critères
géopolitiques.
‰ Militer pour que l’attribution de l’aide soit faite en fonction des droits de la personne, de
l’élimination de la pauvreté et des besoins déterminés localement, ainsi qu’en fonction
des liens historiques du Canada.
‰ Surveiller l’application par le Canada des Principes et bonnes pratiques de l’aide
humanitaire, qui visent à fournir l’assistance humanitaire en fonction des besoins.
Le gouvernement devrait prendre les mesures suivantes :
‰ Continuer de faire reposer la sélection de pays privilégiés pour l’aide internationale
canadienne exclusivement sur des critères liés à la pauvreté et l’assortir de stratégies
visant à soutenir les activités de réduction de la pauvreté autant dans les États « fragiles »
ou « en déroute » où il existe une présence canadienne de longue date que dans les pays
« bien gouvernés ».
‰ Indiquer à l’ACDI qu’elle doit allouer les fonds en proportion des besoins, selon les
Principes et bonnes pratiques de l’aide humanitaire.
‰ Rejeter sans équivoque l’approche agressive et militariste des États-Unis et de ses alliés
dans la « prévention du terrorisme ». Le Canada doit apporter une assistance humanitaire,
une aide au développement et d’autres formes de soutien aux populations touchées par un
conflit violent, mais cette aide ne doit pas être interprétée comme un soutien à la « guerre
au terrorisme ».
Questions
‰ Comment le Canada entend-il concrétiser son engagement de fournir de l’aide humanitaire
proportionnellement aux besoins?
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‰ D’où proviendront les fonds alloués aux engagements qui demeurent envers l’Afghanistan et
l’Irak?
‰ L’APD servira-t-elle à financer certains aspects du travail de l’équipe canadienne de
reconstruction provinciale devant entrer en activité au Afghanistan en août 2005?
4.
ÉTATS EN DÉROUTE OU EN VOIE DE L’ÊTRE
Jusqu’ici, dans l’histoire, seule une autre puissance mondiale pouvait constituer une menace
pour une puissance mondiale. Les attentats du 11 septembre 2001, ainsi que les attentats
ultérieurs visant des cibles occidentales, ont permis d’affirmer que les États faibles, les États
pauvres et les populations démunies pouvaient constituer une nouvelle menace pour la sécurité
du Nord. C’est dans le but de contrer cette menace qu’il devient prioritaire d’intervenir dans des
États « fragiles ou en déroute » par l’aide au développement ou l’aide militaire, voire par les
armes.
Dans le document Failing States: A Global Responsibility, le gouvernement néerlandais
énonce trois dimensions définitoires d’un État fragile ou en déroute : sécurité, légitimité et
services. Selon les Néerlandais, un État en déroute est « incapable d’exercer son autorité sur son
territoire, ou une grande part de son territoire, et de garantir la sécurité de ses citoyens, parce
qu’il a perdu le monopole du recours à la force; par ailleurs, il n’est plus en mesure de faire
respecter la loi et ne peut plus non plus fournir des services publics à sa population ni créer les
conditions permettant la prestation de ces services »10. Pour le commissaire européen, M. Paten,
constituent des pays en déroute « les pays dont les institutions, le pouvoir coercitif et les services
de base du gouvernement national se sont effondrés ». La US Agency for International
Development définit la fragilité des États en fonction de leur légitimité et de l’efficacité de leurs
structures de gouvernement en matière de sécurité et dans les domaines politique et
socioéconomique11.
Au Canada, l’ACDI, le ministère des Affaires étrangères, le Bureau du Conseil privé et le
Cabinet du premier ministre ont aussi commencé à s’intéresser de près aux États fragiles ou en
déroute. Le budget 2005-2006 évoque à plusieurs reprises la nécessité d’intervenir auprès des
États « fragiles » ou « qui se trouvent en situation de chaos ou qui sont en voie de l’être »12;
l’Énoncé de politique internationale d’avril 2005 insiste fortement sur la question des États en
déroute13; quant à l’ACDI, il s’y trouve apparemment un groupe multisectoriel travaillant sur un
document stratégique traitant des États fragiles. Ajoutons à cela que l’ACDI a présenté une étude
de cas sur Haïti à une réunion des hauts fonctionnaires du CAD sur l’efficacité de l’aide dans les
États fragiles les 13 et 14 janvier 200514.
10
11
12
13
14
Failing States: A Global Responsibility. Netherlands Advisory Council on International Affairs (AIV) et
Advisory Committee on Issues of Public International Law (CAVV), n° 35, mai 2004, p. 11.
Fragile States Strategy, USAID, janvier 2005, p. 3.
Plan budgétaire 2005, déposé à la Chambre des communes par l’honorable Ralph Goodale, ministre des
Finances, le 23 février 2005, chapitre 6, Remplir nos obligations internationales, pp. 236-265.
Fierté et influence : notre rôle dans le monde, Énoncé de politique internationale du Canada.
Canadian Cooperation with Haiti: Reflecting on a Decade of a Difficult Partnership, ACDI, décembre 2004.
http://www.oecd.org/dataoecd/41/45/34095943.pdf
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POUR LE SUD MONDIAL ? – PRINCIPAUX POINT D’ANCRAGE POUR L’ACTION – DOCUMENT D’ORIENTATION DU CCCI
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Dans la foulée des réformes visant à ne récompenser que les pays « efficaces », les
populations les plus vulnérables de la planète sont laissées pour compte. Selon le rapport de la
Commission pour l’Afrique, de 1992 à 2002, les pays où l’État est considéré comme fragile, dont
beaucoup se trouvent en Afrique, ont reçu 43 % moins d’aide que ce qu’ils auraient sans doute
pu absorber si on se fie à leur rendement (selon l’indice CPIA de la Banque mondiale)15. L’aide
accordée aux États fragiles s’avère deux fois plus précaire que celle qui est destinée aux pays à
faible revenu. Ainsi, on peut se féliciter du regain d’intérêt à l’égard des pays dits « inefficaces »,
mais dans la conjoncture politique actuelle, il y a lieu de considérer avec prudence et avec un
scepticisme sain l’intérêt politique et les orientations annoncées en faveur de l’aide aux États
déliquescents, en déroute ou fragiles.
La définition d’« État fragile » et d’« État en déroute » est un terrain fertile pour ce
scepticisme. En effet, un État « en déroute ou en voie de l’être » n’est pas un « partenaire du
développement », et certaines interventions de développement ou de sécurité peuvent être
justifiées dans un État « en déroute » sans l’être chez un « partenaire de développement ». Il
importera donc de définir clairement la notion d’« État en déroute » pour en éviter la
récupération à des fins politiques liées aux préoccupations de sécurité. L’Énoncé de politique
internationale (EPI) indique que la définition reposera sur l’indicateur du développement humain
du PNUD et sur l’évaluation des politiques et des institutions nationales (CPIA) de la Banque
mondiale16. Or, l’indice CPIA brille par son manque de transparence. En effet, les méthodes
employés dans son calcul sont tenues secrètes et suscitent d’ailleurs des interrogations chez les
critiques de la Banque et les défenseurs du développement. Il importe donc de clarifier la
définition d’« État en déroute ou en voie de l’être » si cette étiquette doit servir au base dans le
calcul des contributions et la détermination des approches de programmes.
Il faut aussi s’arrêter à la façon dont les donateurs analysent la situation des États en déroute.
Comment explique-t-on le grand nombre d’États « en déroute » en Orient et dans le Sud et,
inversement, ce qui doit apparemment être considéré comme un « succès » en Occident et dans
le Nord? Quelles sont les causes de la déliquescence des États?
Cette analyse doit être globale et prendre en compte les causes externes et internes, en
particulier la complicité des gouvernements donateurs dans la « déroute » en question. Il faut
faire des liens entre la déliquescence des États et les autres politiques des bailleurs de fonds,
notamment en ce qui concerne le commerce des armes, le commerce de ressources finançant les
conflits et l’action des investisseurs étrangers. Ultimement, la compréhension de ces causes
profondes donnera des pistes de solution.
L’analyse des causes permettra aussi de déterminer les interventions. En justifiant l’accent
mis sur les États fragiles ou en déroute, l’EPI insiste trop sur les menaces perçues pour la sécurité
du Canada en provenance de ces États. L’EPI dresse le portrait d’un monde obsédé par la
sécurité où les menaces visant la vie des personnes, leurs valeurs et la prospérité sont au cœur
des décisions de politique. Dans l’Énoncé, les États fragiles ou en déroute sont présentés comme
des refuges de terroristes; on propose l’augmentation des investissements dans la lutte contre le
15
16
Rapport de la Commission pour l’Afrique, p. 349.
Fierté et influence : notre rôle dans le monde, Énoncé de politique internationale du Canada, chapitre sur le
développement, avril 2005, pp. 26-28.
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POUR LE SUD MONDIAL ? – PRINCIPAUX POINT D’ANCRAGE POUR L’ACTION – DOCUMENT D’ORIENTATION DU CCCI
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terrorisme pour réduire la vulnérabilité à ce fléau; les armes de destruction massive inquiètent
parce que les terroristes pourraient s’en emparer17. La politique étrangère canadienne doit
énoncer clairement que les conflits complexes dans le Sud constituent d’abord et avant tout des
drames humains, et non des menaces à la sécurité du Canada ni des refuges potentiels pour les
terroristes.
De la justification des interventions auprès des États en déroute découle la question des
modalités : quels instruments sont les plus appropriés? Sur ce plan, une approche axée sur les
droits est instructive : les efforts du Canada doivent être ancrés dans l’obligation primaire des
États de protéger (le Canada doit s’assurer que ses actions n’entravent pas la capacité des autres
États à respecter leur devoir de faire valoir les droits de la personne), de réaliser et de
promouvoir les droits internationaux de la personne (encourager les États à respecter ces
obligations). La doctrine de la « responsabilité de protéger », élaborée aux Nations Unies avec
une participation centrale du Canada, fournit aussi un point de référence utile pour les
interventions auprès de certains États en déroute ou en voie de l’être. Les trois piliers de cette
responsabilité (prévention, protection et reconstruction) mettent en évidence l’obligation pour la
communauté internationale de faire tout en son pouvoir pour prévenir les conflits mortels,
d’épuiser toutes les avenues possibles avant d’intervenir militairement et de travailler avec les
partenaires locaux à la reconstruction des sociétés après un conflit.
Dans cette logique, les efforts du Canada dans ce domaine doivent tenir compte du rôle des
pays donateurs dans les négociations internationales visant la limitation de la vente des armes de
petit calibre et comme source d’investissements directs appuyés par le gouvernement (surtout
dans les secteurs d’extraction des richesses naturelles ayant des liens bien connus avec des
conflits). En outre, le Canada devrait appuyer la réalisation des droits de la personne par des
processus locaux de pacification, de saine gestion des affaires publiques et de développement,
ainsi que par la promotion des traités internationaux.
Enfin, il reste à savoir comment le Canada choisira les États en déroute ou en voie de l’être
qu’il privilégiera. S’agira-t-il des États où le plus grand nombre de personnes sont vulnérables?
Ou des États considérés par les États-Unis et par d’autres pays comme géopolitiquement
importants au vu de leur vulnérabilité aux menaces émanant de ces États? L’aide internationale
servira-t-elle de levier pour inciter les États à « marcher droit » ou à ne pas s’esquiver devant le
programme international de lutte contre le terrorisme? L’énoncé de politique internationale (EPI)
de 2005 indique que le tiers des ressources de programmes bilatéraux de l’ACDI sera affecté aux
« États en déroute ou fragiles »18. Cependant, il n’indique pas quels États « en déroute ou
fragiles » seront privilégiés, bien que, comme on l’a vu plus haut, il est probable que
l’Afghanistan, et éventuellement l’Irak, figurent au premier plan dans la liste des élus.
17
18
Fierté et influence : notre rôle dans le monde, Énoncé de politique internationale du Canada.
Fierté et influence : notre rôle dans le monde, Énoncé de politique internationale du Canada, chapitre sur le
développement, avril 2005, pp. 26-28.
LE PROGRAMME DE SÉCURITÉ DE L’APRÈS-11 SEPTEMBRE ET LA POLITIQUE ÉTRANGÈRE CANADIENNE : CONSÉQUENCES
POUR LE SUD MONDIAL ? – PRINCIPAUX POINT D’ANCRAGE POUR L’ACTION – DOCUMENT D’ORIENTATION DU CCCI
15
Les OSC canadiennes devraient prendre les mesures suivantes :
‰ Participer aux consultations du gouvernement au sujet des États en déroute et veiller à ce
que l’action du Canada à l’égard de ces États réponde aux préoccupations des plus
vulnérables.
‰ Discuter avec les responsables de l’ACDI et les membres du CAD de l’avant-projet des
principes d’engagement envers les pays et fragiles et en déroute.
‰ Par les médias, la sensibilisation du public et les relations avec le gouvernement, élargir
le débat sur la fragilité des États de façon à faire ressortir la part de responsabilité des
donateurs.
‰ Collaborer à l’élaboration de recommandations et de principes relatifs à l’action des
donateurs et des ONG dans les États « fragiles ».
‰ Poursuivre la mise sur pied d’un système de limitation des armes légères et de petit
calibre et d’un régime de réglementation visant l’appui accordé par le gouvernement aux
investissements canadiens dans les « États fragiles ».
Le gouvernement devrait prendre les mesures suivantes :
‰ Établir des politiques claires pour orienter son action en matière de prévention des
conflits, de consolidation de la paix et de relèvement socioéconomique dans les États en
déroute ou en voie de l’être, et tirer profit de l’expertise de ceux qui ont une riche
expérience d’un tel contexte. Ces politiques devraient attribuer au gouvernement
canadien un rôle qui met à contribution les acteurs non étatiques et qui mise sur les agents
de changement locaux.
‰ Définir clairement la notion d’« État fragile ou en déroute ». Cette définition ne doit pas
reposer sur l’indice CPIA de la Banque mondiale, qui est établi hors de tout mécanisme
de transparence ou de reddition de comptes.
‰ Faire preuve de leadership pour proscrire la prolifération et l’usage abusif d’armes
légères et de petit calibre. Les interventions du Canada à ce sujet devraient être guidées –
entre autres – par le Programme d’action en vue de prévenir, de combattre et d’éliminer
le commerce illicite des armes légères et de petit calibre (PdA) dans tous ses aspects. Cet
impératif implique la promotion de la Convention cadre sur les transferts internationaux
d’armes ou du Traité sur le commerce des armes et la réduction de la demande en
matière d’armes légères et de petit calibre, et ce, par le développement et la consolidation
de la paix. Il manque encore dans le PdA des mesures contre la possession d’armes
militaires d’assaut par les civils. Le Canada devrait profiter de la réunion biennale des
États de juillet 2005 et de la Conférence d’examen de juillet 2006 pour réintroduire dans
le PdA les normes globales visant à interdire les armes d’assaut militaire. Le Canada
devrait également oeuvrer à l’élaboration d’une convention juridiquement contraignante,
associée ou non aux Nations Unies, qui interdirait la possession d’armes militaires
d’assaut par les civils.
LE PROGRAMME DE SÉCURITÉ DE L’APRÈS-11 SEPTEMBRE ET LA POLITIQUE ÉTRANGÈRE CANADIENNE : CONSÉQUENCES
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16
‰ Cesser de soutenir les investissements canadiens à l’étranger dans les cas où il peut être
clairement démontré que ceux-ci exacerbent et perpétuent la violation des droits de la
personne et la dégradation de l’environnement. En effet, il a été établi dans de nombreux
cas que des investissements de cette nature servaient à maintenir en place des régimes
illégitimes et répressifs (comme en Birmanie) ou à perpétuer des conflits violents (au
Soudan et ailleurs), situations ayant un lien indéniable avec la « déroute » des États. Le
soutien du gouvernement aux investissements canadiens à l’étranger peut prendre
plusieurs formes, depuis le financement direct par la Société pour l’expansion des
exportations (SEE) ou le Fonds canadien pour l’Afrique jusqu’aux activités de promotion
menées par les ambassades et les consulats du Canada. Le Canada devrait adopter une loi
selon laquelle un soutien quelconque de l’État aux activités d’une entreprise à l’étranger
serait assujetti à une déclaration d’adhésion aux normes internationales (Convention 169
de l’OIT, Déclaration universelle des droits de l’homme, normes de la SFI, entre autres)
et à des mécanismes de surveillance et de conformité. Un projet de loi de cette nature à
été déposé récemment au parlement belge.
‰ Soutenir les processus de paix et de saine gestion des affaires publiques des États
« fragiles » ou « en déroute » de concert avec les agents de changement locaux. À cet
égard, l’avant-projet de principes du CAD de l’OCDE relatifs aux interventions constitue
un bon point de départ, mais il lui manque une description détaillée de l’approche axée
sur les droits à l’égard des États en déroute, comme nous l’avons indiqué précédemment.
Questions
‰ Comment le Canada définira-t-il la notion d’État « en déroute » ou « en voie de l’être »?
‰ Quel cadre stratégique orientera l’action du Canada dans les États en déroute ou fragiles?
‰ Comment les lignes de conduite de l’ACDI concernant les États en déroute ou fragiles
s’articuleront-elles par rapport à celles des autres ministères?
5.
NOUVELLES CONDITIONNALITÉS POUR LES ENTENTES D’AIDE ?
L’inclusion de conditions liées à la sécurité dans les ententes d’aide suscite aussi des
inquiétudes. La révision effectuée en 2004-2005 de l’accord de Cotonou conclu entre l’Union
européenne et l’ACP (Afrique, Caraïbes et pays du Pacifique entretenant des liens privilégiées
avec l’Union européenne) fait référence explicitement aux actions des pays en matière de
sécurité, telles que leur collaboration aux programmes de lutte contre le terrorisme et le refus de
la prolifération des armes de destruction massive et de leurs mécanismes de livraison. Les
membres de CONCORD, regroupement des principales OSC d’Europe, craignent que ces
mesures soient conditionnelles à l’accord; CONCORD a exprimé son opposition aux clauses qui
sont « inspirées par les intérêts internes de l’Europe en matière de sécurité et non par la lutte
contre la pauvreté »19.
19
Bulletin du BOND.
LE PROGRAMME DE SÉCURITÉ DE L’APRÈS-11 SEPTEMBRE ET LA POLITIQUE ÉTRANGÈRE CANADIENNE : CONSÉQUENCES
POUR LE SUD MONDIAL ? – PRINCIPAUX POINT D’ANCRAGE POUR L’ACTION – DOCUMENT D’ORIENTATION DU CCCI
17
Selon les recherches effectuées par le CCCI pour le présent document, il appert que le
Canada, jusqu’ici, n’a pas inclus d’objectifs d’orientation liés à la sécurité dans les conditions
négociées avec les bénéficiaires de son aide. Toutefois, l’ACDI participe de plus en plus à des
initiatives multipartites de donateurs, surtout dans les pays les plus pauvres, où il suffit qu’un
bailleur de fonds important fixe ce genre de condition pour qu’on en ressente les conséquences.
Les donateurs recourent depuis longtemps aux conditionnalités pour modeler les mesures
socioéconomiques dans leur propre intérêt, ce qui a été dénoncé par maints analystes et OSC.
Pour répondre à ces inquiétudes, l’organisme de développement officiel du Royaume-Uni, le
DFID, a rendu public dernièrement un énoncé de politique intitulé Partnerships for Poverty
Reduction: Rethinking Conditionality, où il affiche sa volonté d’« appuyer l’autonomisation des
pays bénéficiaires, surtout en matière d’élaboration des politiques, ainsi qu’une meilleure
reddition de comptes mutuelle ». Dans ce document, l’organisme prend acte de la critique selon
laquelle les conditionnalités ont servi à promouvoir des orientations qui ne favorisent pas les
pauvres et s’engage à abandonner les « obligations de moyens » au profit des « obligations de
résultats ». Les négociations entre donateurs et bénéficiaires orienteraient l’affectation des
ressources en fonction de résultats convenus et assortis d’échéances (ex. : taux d’inscription à
l’école ou qualité de l’enseignement selon une mesure des résultats scolaires) sans insister sur les
politiques ou les mécanismes devant servir à l’atteinte de ces objectifs (politiques macroéconomiques ou droits de scolarité).
Les OSC canadiennes devraient prendre les mesures suivantes :
‰ Surveiller de près les conditionnalités et les résultats exigés dans le cadre des partenariats
du Canada, surtout dans les pays où le Canada a des intérêts en matière de sécurité.
Le gouvernement devrait prendre les mesures suivantes :
‰ Revoir ses pratiques en vue de cesser d’assujettir son aide internationale à certaines
conditions.
6.
RÉFORME DU SECTEUR DE LA SÉCURITÉ
En réponse aux préoccupations croissantes relatives à la sécurité en ce qui concerne aussi
bien les « États en déroute ou en voie de l’être » que les « États efficaces », les pays donateurs
misent de plus en plus sur leurs programmes de réforme du secteur de la sécurité (RSS).
Dans un document de 2004 du CAD de l’OCDE intitulé Security Sector Reform and
Governance, la réforme du secteur de la sécurité (RSS) est définie comme l’ensemble des
activités qui « vise[nt] à améliorer la capacité des pays partenaires de répondre à tout l’éventail
des besoins de la société nationale en matière de sécurité d’une manière qui soit compatible avec
les normes démocratiques et les principes de bonne gestion des affaires publiques et de respect
de la règle du droit ». Parmi les exemples cités figurent un dialogue politique et stratégique entre
les décideurs civils et les forces de sécurité, l’amélioration des structures décisionnelles des
forces armées, etc.
LE PROGRAMME DE SÉCURITÉ DE L’APRÈS-11 SEPTEMBRE ET LA POLITIQUE ÉTRANGÈRE CANADIENNE : CONSÉQUENCES
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18
Au Canada, Affaires étrangères Canada (AEC) et l’ACDI exécutent tous deux des
programmes qui s’articulent autour de ce thème. À AEC, les programmes de RSS sont financés
par l’initiative de sécurité humaine et vont de la « modernisation de l’armée bolivienne », qui
vise à rendre l’armée plus représentative des populations autochtone et féminine du pays, au
« renforcement du lien entre sécurité et développement », sujet d’un atelier thématique offert par
l’International Peace Academy.
Avant que le CAD décide, en mars 2005, d’élargir les critères définitoires de l’APD en vue
d’y inclure diverses activités de RSS, les organismes de développement officiels comme l’ACDI
ne s’occupaient pas de « réforme du secteur de la sécurité » et ce genre d’activité n’était pas
admissible à l’APD. Cependant, comme l’ACDI animait des programmes dans les domaines de
la gestion des affaires publiques, des droits de la personne et de la consolidation de la paix, elle
touchait souvent à certains éléments du secteur de la sécurité dans un cadre de « réforme ».
Mentionnons à cet égard ses activités de formation de la police à Haïti et ailleurs. Puisque
l’introduction de certains aspects de la RSS dans l’APD est encore récente, il n’existe pas encore
de chiffres ni d’information fiables sur les programmes de l’ACDI dans ce domaine. Selon les
fonctionnaires de l’ACDI, à la suite de la décision du CAD, il faut s’attendre à ce que l’ACDI et
les autres donateurs officiels mettent sur pied de plus en plus de projets liés à la sécurité. Bien
que l’ACDI n’ait pas de politique propre en cette matière, on prévoit qu’elle instaurera des
programmes comprenant les activités de RSS énoncées dans le document d’orientation de 2004
du CAD, conformément aux nouveaux critères définitoires de l’APD. L’ACDI commencera à
rendre compte de ses activités dans ce domaine avec les nouveaux codes du CAD à compter de
l’exercice actuel; il sera alors plus facile d’évaluer la nature de ses activités à cet égard.
Dans une perspective de lutte contre la pauvreté et de défense des droits, l’intensification des
activités de RSS pourrait être une bonne chose. En effet, les agissements et le financement des
forces militaires et policières peuvent constituer une entrave majeure aux droits de la personne et
au développement démocratique dans les pays en développement. Par ailleurs, la réforme du
secteur de sécurité peut constituer un facteur déterminant dans la prévention et le règlement des
conflits ainsi que dans le progrès démocratique. Les tenants d’une réglementation plus sévère des
armes de petit calibre et des programmes de désarmement, de démobilisation et de réinsertion
(DDR) réclament d’ailleurs depuis longtemps l’augmentation des fonds consacrés à la RSS dans
les sociétés où l’harmonie est précaire.
Cependant, dans la conjoncture géopolitique actuelle, le milieu du développement serait bien
avisé de surveiller de près ces nouvelles activités. Les OSC canadiennes devraient surveiller les
dépenses de RSS projet par projet (nature et objectif de chaque projet) et globalement
(proportion des ressources limitées de l’agence consacrée à ce genre de projets).
En effet, au niveau du projet, on peut s’interroger aussi bien sur la pertinence des
programmes de RSS en matière de lutte contre la pauvreté que sur leurs répercussions sur le
développement et les droits de l’homme. On craint qu’en ouvrant la porte aux activités de RSS,
les donateurs se donnent la marge de manœuvre nécessaire pour mettre sur pied des programmes
liés à la sécurité qui débordent la sphère de la réduction de la pauvreté, dans des domaines qui
pourraient en fait saper la lutte contre la pauvreté, au profit de leurs propres intérêts de sécurité.
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Pensons par exemple à la formation de la police dans la lutte antiterroriste, à la formation de
garde-frontières et au contrôle des envois d’argent provenant d’une communauté de diaspora. Il
existe aussi des considérations importantes quant à la mesure dans laquelle ces investissements
pourraient servir plus tard à appuyer ou à légitimer un appareil d’État répressif.
L’ACDI a défini quatre grandes priorités pour ses programmes; une de ces priorités concerne
la saine gestion des affaires publiques et les droits de la personne. La RSS peut constituer à juste
titre un volet de ces activités, mais elle ne doit pas les dominer. Quoi qu’il en soit, pour le
moment, il est très difficile de dégager des tendances puisque l’ACDI n’a encore présenté aucun
rapport traitant de la RSS en particulier.
Les OSC canadiennes devraient prendre les mesures suivantes :
‰ Surveiller la proportion et la nature des fonds consacrés par l’ACDI aux activités de RSS
chaque année, et l’évolution au fil des ans.
Le gouvernement devrait prendre les mesures suivantes :
‰ Doter l’ACDI d’un cadre stratégique qui justifie explicitement ses programmes de RSS
par des stratégies de réduction de la pauvreté et de promotion des droits de la personne.
‰ Veiller à ce que les activités de RSS dans les pays en développement soient clairement
axées sur la réduction de la pauvreté et analysées en fonction de leurs répercussions sur
les droits de la personne.
Questions
‰ Quel sera le cadre stratégique de l’ACDI en matière de SSR?
‰ Comment l’ACDI et les OSC mesureront-ils les répercussions des projets de RSS sur la
police, l’armée et les droits de la personne?
7.
INTERVENTIONS DANS LES CONFLITS : L’APPROCHE 3D
Les gouvernements donateurs, dont le Canada, préconisent de plus en plus les méthodes
« 3D » (diplomatie, défense, développement) ou « pangouvernementales » pour régler les
conflits et aider les pays à s’en relever. Cette approche découle d’un désir de concertation accrue
à l’échelle gouvernementale et reflète la complexité des conflits modernes. La notion de « guerre
à trois volets » (expression principalement métaphorique) est fréquemment utilisée pour illustrer
cette approche : les troupes peuvent lutter contre les insurgés d’une part, fournir de l’aide
« humanitaire » d’autre part, et aider à la reconstruction par ailleurs.
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20
Tout en se félicitant de cette volonté d’améliorer la cohérence de la politique étrangère, les
organismes humanitaires et les acteurs du développement ne sont pas sans exprimer des réserves
au sujet de l’approche 3D.
Une des craintes concerne la mesure dans laquelle « concertation » et « communication »
risquent de se transformer en « intégration » et « objectifs communs ». La concertation est certes
essentielle à l’efficacité des interventions dans une crise, mais l’« intégration » risque de créer
une confusion entre les objectifs de développement et de politique étrangère, donc entre action
humanitaire et action militaire. À cet égard, l’Énoncé de politique internationale (EPI) d’avril
2005 va trop loin en proposant que l’approche 3D vise l’intégration au lieu de la concertation.
Il ne faut pas oublier que la défense, la diplomatie et le développement ont des objectifs
distincts mais interreliés; ainsi, les interventions dans chacun de ces domaines doivent être
communiquées et coordonnées de façon efficace, mais on ne peut les intégrer en une démarche
unique sans que s’estompe la distinction entre action humanitaire et action militaire.
Les travailleurs humanitaires peuvent-ils collaborer avec les militaires sans compromettre
leur neutralité? L’existence d’un « objectif commun » gomme-t-elle l’objectif humanitaire? Les
militaires peuvent-ils faire oeuvre « humanitaire » sans miner les principes de l’aide
humanitaire? Il est urgent que les gouvernements et les OSC se penchent sur ces questions, qui
se posent de façon particulièrement aiguë dans les conflits complexes et les États fragiles.
On s’inquiète aussi de la façon dont une approche 3D comportant l’adoption d’« objectifs
communs » intégrerait les processus de développement. En effet, le rôle des acteurs du
développement est de travailler en partenariat avec les populations ou les institutions locales en
les écoutant et en concourant à leurs propres objectifs. Les activités de « reconstruction » ne sont
pas différentes : elles supposent des changements importants et une évolution au sein de la
collectivité. Ces processus doivent donc être ancrés fermement dans des stratégies de
développement élaborées par les premiers intéressés. Or, la notion de « guerre à trois volets » de
l’armée canadienne pourrait mélanger les interventions devant guider les populations locales vers
l’autodétermination avec celles qui visent plutôt à « gagner leur cœur ». Ce dernier volet peut
avoir un certain rapport avec les opérations de maintien de la paix puisqu’il suppose
l’établissement d’un lien de confiance, mais il ne faut pas le confondre avec les activités de
développement et de reconstruction à long terme. Les objectifs de 3D, qui sont à court terme,
doivent reconnaître explicitement les distinctions importantes entre les trois D et laisser une
marge de manœuvre aux personnes qui s’emploieront à ancrer les « objectifs » de développement
et de reconstruction dans des démarches locales.
L’approche 3D du Canada est mise à l’essai en Haïti, au Soudan et en Afghanistan. La
République démocratique du Congo pourrait s’ajouter à cette liste.
Les OSC canadiennes devraient prendre les mesures suivantes :
‰ Aménager un mécanisme de partage de l’information et d’analyse entre les OSC qui
oeuvrent dans les pays où le Canada applique l’approche 3D.
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21
‰ Surveiller l’approche 3D du Canada et intervenir auprès d’AEC, de l’ACDI et du MDN.
‰ Veiller à ce que le Canada respecte les Principes et bonnes pratiques de l’aide
humanitaire en ce qui concerne la participation de l’armée à l’assistance humanitaire.
Le gouvernement devrait prendre les mesures suivantes :
‰ Dissocier nettement les objectifs humanitaires et de développement des objectifs
militaires et de politique étrangère dans ses méthodes de coordination des trois D.
‰ Préserver explicitement l’espace neutre nécessaire à l’action humanitaire dans sa
politique officielle et dans les activités relatives aux approches 3D.
‰ Affirmer clairement l’autonomie relative des acteurs de la société civile dans l’approche
3D, au sein de l’administration et sur le terrain.
Questions
‰ Dans l’approche 3D, comment se fera la concertation, non seulement entre les
intervenants canadiens, mais aussi avec les intervenants locaux et régionaux, de manière
à protéger l’indépendance et la sécurité de ces derniers?
‰ Comment le gouvernement garantira-t-il la protection de l’espace humanitaire dans son
approche 3D?
‰ Quel sera le rôle de l’armée, le cas échéant, dans l’aide « humanitaire »?
8.
ÉQUIPES DE RECONSTRUCTION PROVINCIALE
En Afghanistan, l’approche 3D du Canada se concrétisera bientôt par la mise sur pied d’une
« équipe de reconstruction provinciale » (ERP). Cette formule peut prendre plusieurs formes,
mais il s’agira en l’occurrence d’un groupe de 60 à 100 personnes qui s’installera dans une
province afghane donnée et comprendra à la fois des personnes des pays de la Force
internationale d’assistance à la sécurité (ISAF) et de l’autorité locale afghane, et dont le but sera
d’affirmer la présence du gouvernement central afghan à la grandeur du pays et de contribuer à la
reconstruction20. Les États-Unis ont mis sur pied la première ERP en 2003, suivis du RoyaumeUni, de la Nouvelle-Zélande et de l’Allemagne. Le ministre de la Défense Bill Graham a fait
savoir que l’ERP du Canada serait à pied d’œuvre à Kandahar en août 2005.
Depuis la création de la première ERP en 2003, les analystes et les organismes humanitaires
s’inquiètent ouvertement de l’incidence de ces interventions sur l’indépendance et la neutralité
des acteurs humanitaires, ainsi que des perceptions et de la sécurité des fonctionnaires locaux.
20
NGO/Government Dialogue on Provincial Reconstruction Teams (PRTs) in Afghanistan and the Militarization
of Humanitarian Assistance, décembre 2003, Groupe de travail sur les opérations de paix, Comité
coordonnateur canadien pour la consolidation de la paix.
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Ces inquiétudes concernent en particulier l’ERP des États-Unis, qui s’occupe d’« assistance
humanitaire » et de projets de développement de concert avec les ONG. Compte tenu du rôle
central joué par l’Afghanistan dans la guerre menée par les États-Unis contre le terrorisme, ainsi
que du contentieux entourant les forces de stabilisation dirigées par les États-Unis, les
travailleurs humanitaires qui viennent des pays prenant part à cette action de stabilisation, ou qui
sont financés par ces pays, se trouvent devant un problème particulier. En effet, les travailleurs
humanitaires sont vus par les forces d’occupation comme des « démultiplicateurs », des canaux
d’information et des livreurs de récompenses pour les actes de coopération. Beaucoup craignent
que les ERP dirigées par les États-Unis gomment encore davantage la distinction entre action
humanitaire et action militaire, mettant ainsi en péril la vie et le travail inestimable de ceux qui
apportent ou reçoivent une assistance humanitaire.
Bien que controversé également, le modèle du Royaume-Uni, qui borne ses actions de
« développement » aux réformes du secteur de la sécurité et aux programmes de désarmement,
démobilisation et réinsertion (DDR) sans s’occuper d’assistance humanitaire, est considérée
comme un exemple plus recommandable de coordination et de coopération sur le terrain. Le
Royaume-Uni présente son ERP principalement comme une opération militaire dont les
responsables restent en contact avec les organisations internationales et les ONG.
Bien qu’on en sache peu pour le moment sur l’ERP canadienne, les responsables du MDN,
ainsi que le ministre de la Défense Bill Graham, ont fait savoir que le modèle canadien se
rapprocherait de celui du Royaume-Uni. Toutefois, elle sera installée dans la région de
Kandahar, secteur où les forces de stabilisation des États-Unis sont très présentes et poursuivent
encore activement les sympathisants de l’ancien régime des talibans.
Les OSC canadiennes devraient prendre les mesures suivantes :
‰ Rassembler les OSC présentes en Afghanistan pour établir des principes directeurs
communs concernant leur interaction avec les ERP et discuter régulièrement des
problèmes avec le gouvernement.
Le gouvernement devrait prendre les mesures suivantes :
‰ Établir les principes et le mandat qui guident l’ERP du Canada au moyen d’un processus
consultatif et transparent.
‰ Établir dans le mandat de l’ERP une nette distinction entre les activités humanitaires et de
développement et les opérations militaires.
Questions
‰ Quelles seront les répercussions de ces dispositions sur la neutralité et l’indépendance des
intervenants humanitaires?
‰ Les projets ne faisant pas partie de l’ERP perdront-ils leur financement ou leur soutien,
ou seront-ils autrement défavorisés par la grande visibilité de l’ERP?
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‰ Quels genres de projets « humanitaires » et de développement l’ERP mettra-t-elle en
oeuvre?
‰ Quelle sera la structure de gestion de l’ERP?
9.
MÉCANISMES DE FINANCEMENT
Le budget 2005-2006 alloue des ressources substantielles à l’élargissement du rôle du
Canada en matière de paix et de sécurité. Pour des raisons de clarté et de transparence, dans le
budget, on a ventilé l’enveloppe d’aide internationale du Canada sous cinq rubriques :
développement, recherche, crise, institutions financières internationales, et paix et sécurité. Le
budget ne donne pas de chiffres précis, mais le ministère des Finances a indiqué que le secteur
« paix et sécurité » représenterait environ 289 million de dollars pour l’exercice 2005-2006. De
ce montant, 100 millions ont été affectés au nouveau Fonds pour la paix et la sécurité dans le
monde (FPSM) (voir plus loin); selon un article à paraître dans le Rapport canadien sur le
développement de l’Institut Nord-Sud, le reste des fonds sera alloué « aux programmes de
l’ACDI et aux programmes multiministériels comme le Corps canadien, l’Arrangement sur la
police civile au Canada et le Fonds de lutte contre les mines terrestres21 ».
Les programmes de l’ACDI en matière de paix et de sécurité sont confiés à l’unité
Consolidation de la paix ainsi qu’à d’autres directions, notamment les directions géographiques.
Une étude récente menée par Stephen Baranyi à l’Institut Nord-Sud souligne la croissance des
dépenses consacrées à la consolidation de la paix ces dernières années : les dépenses de l’ACDI,
qui se chiffraient à 53 millions de dollars en 2000-2001, sont passées à près de 80 millions en
2003-200422. Baranyi fait remarquer, toutefois, qu’une bonne partie de cette croissance
s’explique par des motifs politiques. Les dépenses de la Direction générale de l’Asie destinées à
l’Afghanistan après la guerre ont gonflé de façon remarquable le total des affectations, et « les
dépenses de l’ACDI en Afrique ont été modestes comparativement à ses dépenses dans ces deux
régions [l’Afrique et l’Europe centrale], malgré les engagements officiels du Canada envers
l’Afrique et l’ampleur dramatique des conflits sur ce continent23 » (voir tableau B et graphique
A).
Le FPSM, qui représente 100 millions par année sur 5 ans, a été créé pour « appuyer le
renouvellement du Programme de la sécurité humaine et [donner] au Canada une capacité accrue
à fournir une assistance en matière de sécurité aux États qui se trouvent en situation de chaos ou
qui sont en voie de l’être, sans compter des ressources pour appuyer la stabilisation et le
relèvement au lendemain de conflits »24. Il a été conçu en vue de fournir un mécanisme souple de
financement pour les approches pangouvernementales en matière de conflits. On peut citer
21
22
23
24
« Canada and the Peace & Security Pillar of the Millennium Declaration », Stephen Baranyi pour le Rapport
canadien sur le développement 2005 de l’Institut Nord-Sud.
Ibid., p. 4
Ibid.
Ministère des Finances, 2005.
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comme exemple la contribution du Canada à l’intervention de l’Union africaine au Darfour. La
plupart de ces activités ne seront pas comptées dans l’APD. Cependant, le Fonds a été ajouté à
l’enveloppe d’aide internationale en plus des augmentations annuelles de 8 % promises par le
gouvernement pour l’APD.
Des fonds similaires ont été mis sur pied au Royaume-Uni et, plus récemment, aux Pays-Bas.
Dans l’ensemble, l’expérience du Royaume-Uni a été encourageante selon nos collègues des
OSC britanniques, mais on demeure inquiet au sujet de la priorité croissante accordée aux
interventions préventives de sécurité et des effets qu’elles pourraient avoir sur les démarches à
long terme et la consolidation de la paix.
Le nouveau Fonds pour la paix et la sécurité dans le monde de 100 millions de dollars
demeure une initiative de concertation importante et bienvenue visant à consacrer des ressources
à des mesures efficaces d’intervention et de redressement dans les situations de conflits. Il reste
cependant de nombreuses questions entourant le cadre stratégique qui orientera l’action
gouvernementale dans ce domaine, ainsi que le rôle des acteurs et initiatives de la société civile.
Questions
‰ Quel cadre stratégique régira le Fonds pour la paix et la sécurité dans le monde?
‰ La gestion et les processus d’affectation du FPSM seront-ils transparents, et les OSC
participeront-elles à la définition des priorités au fil du temps?
10.
CADRE D’ACTION PROPOSÉ
Notre milieu doit se pencher sur les questions de fond ayant trait aux effets des
préoccupations relatives à la sécurité sur la lutte contre la pauvreté. Il existe des enjeux nouveaux
qui doivent être surveillés (veille - long terme), des questions qu’il y a lieu de creuser pour
pouvoir prendre position de manière réfléchie (recherche - moyen terme), et des problèmes sur
lesquels les OSC devraient attirer l’attention dans l’immédiat (action sociopolitique - court terme
- urgence).
Veille
‰ Aide affectée à la RSS et à d’autres programmes de sécurité (objet et ampleur)
ƒ
Les programmes de sécurité se développent-ils à un rythme disproportionné par
rapport aux autres secteurs (agriculture, santé, éducation, etc.)?
‰ Projets particuliers de RSS
ƒ
ƒ
Les projets sont-ils axés sur le développement?
Respectent-ils les priorités locales en matière de paix et de sécurité?
‰ Approche 3D dans les conflits (Haïti, Afghanistan, Irak)
‰ Équipes de reconstruction provinciale (ERP) en Afghanistan
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25
‰ Stratégie de l’ACDI envers les États en déroute ou en voie de l’être
‰ Stratégie d’AEC envers les États en déroute ou en voie de l’être
ƒ
Y a-t-il une distinction à faire entre sécurité des États et sécurité des personnes? (modèle
du Royaume-Uni)
Recherche
‰ États en déroute ou en voie de l’être : à quoi ressemblerait une approche axée sur les
droits?
Action sociopolitique
‰ Armes légères et de petit calibre
ƒ
ƒ
ƒ
Programme d’action de l’ONU
Traité sur le commerce des armes
Contrôles d’exportation
‰ Délibérations du CAD de l’OCDE sur l’élargissement des critères
‰ Politique de l’ACDI sur les États fragiles
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26
TABLEAU A
APD canadienne pour l’Afghanistan et l’Irak (millions de dollars canadiens)
Exercice
Objet
2000-2001
Assistance humanitaire
Aide alimentaire
Aide multilatérale
Aide bilatérale (Banque mondiale)
Aide bilatérale
D.G. du partenariat canadien
Total
2001-2002
2002-2003
2003-2004
Afghanistan
4,5 $
3,1 $
3,5 $
1,2 $
0,0 $
12,3 $
Assistance humanitaire
Aide alimentaire
Aide multilatérale
Aide bilatérale (Banque mondiale)
Aide bilatérale
D.G. du partenariat canadien
Total
26,1 $
16,1 $
1,7 $
2,7 $
0,0 $
46,6 $
Assistance humanitaire
Aide alimentaire
Aide multilatérale
Aide bilatérale (Banque mondiale)
Aide bilatérale
D.G. du partenariat canadien
Total
Assistance humanitaire
Aide alimentaire
Aide multilatérale
Aide bilatérale (Banque mondiale)
Aide bilatérale
D.G. du partenariat canadien
Total
% du
total
pays
36,6 %
25,2 %
28,5 %
0,0 %
9,8 %
0,0 %
Irak
1,0 $
0,9 $
% du
total
pays
52,9 %
0,0 %
47,1 %
0,0 %
0,0 %
0,0 %
1,9 $
56,0 %
34,5 %
3,6 %
0,0 %
5,8 %
0,0 %
0,0 $
0,0 $
0,4 $
0,0 $
0,0 $
0,0 $
0,4 $
0,0 %
0,0 %
100,0 %
0,0 %
0,0 %
0,0 %
31,2 $
23,8 $
7,6 $
42,5 $
16,8 $
0,0 $
121,9 $
25,6 %
19,5 %
6,2 %
34,9 %
13,8 %
0,0 %
5,1 $
1,0 $
1,4 $
68,0 %
13,3 %
18,7 %
0,0 %
0,0 %
0,0 %
8,6 $
3,5 $
3,0 $
14,0 $
72,4 $
1,0 $
102,4 $
8,4 %
3,4 %
2,9 %
13,7 %
70,7 %
1,0 %
7,5 $
Total des nouvelles ressources d’aide pour l’Afghanistan et l’Irak de 2001-2002 à 20032004
Total des nouvelles ressources d’aide de 2001-2002 à 2003-2004
Pourcentage de ces ressources acheminé à l’Afghanistan et à l’Irak
Total des nouvelles ressources d’aide bilatérale de 2001-2002 à 2003-2004
Pourcentage de ces ressources acheminé à l’Afghanistan et à l’Irak
30,7 $
19,3 $
1,4 $
65,9 $
26,2 %
16,5 %
1,2 %
0,0 %
56,2 %
0,0 %
117,3 $
382,0 $
1 592,8 $
24,0 %
581,7 $
36,8 %
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Coût différentiel des activités militaires liées à l’Afghanistan et à l’Irak
Afghanistan
335,0 $
2002-2003
Op. APOLLO (Asie du Sud-Est)
2002-2003
UNAMA – Op. ACCIUS (Afghanistan)
2003-2004
Op. ATHENA – ISAF (Afghanistan)
2003-2004
Op. ALTAIR (Asie du Sud-Est)
0,1 $
2003-2004
Op. APOLLO (Asie du Sud-Est)
338,0 $
2004-2005
Op. ALTAIR (Asie du Sud-Est)
20,6 $
2004-2005
Op. ATHENA - ISAF (Afghanistan)
2004-2005
UNAMI – Op. IOLAUS (Irak)
2004-2005
UNAMA – Op. ACCIUS (Afghanistan)
Irak
0,1 $
430,0 $
390,0 $
0,1 $
Coût différentiel sur trois ans
0,1 $
1 514,0 $
Source : Calculs du CCCI.
TABLEAU B
20002001
Programmes
multilatéraux
Afrique et
Moyen-Orient
Amériques
Asie
ECE
Partenariats
20012002
20022003
20032004
15,7
23,6
29,5
12,7
3,9
4,6
8,3
10,3
0,46
2,3
11,9
18,7
2,4
3,9
8,6
14,8
0,2
51,2
4
9,7
0,2
43,9
5,7
6,8
Source : Stephen Baranyi,
Rapport canadien sur le développement 2005, Institut Nord-Sud.
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GRAPHIQUE A
Décaissements de l'ACDI au titre du maintien de la paix au lendemain d'hostilités,
2000-2004
110
100
Millions de $ canadiens
90
70
Maintien de la paix au
lendemain d'hostilités
Démobilisation
60
Déminage
80
50
Aide à la reconstruction
40
Total
30
20
10
0
2000-01
2001-02
2002-03
2003-04
Années
Année
Source : Stephen Baranyi,
Rapport canadien sur le développement 2005, Institut Nord-Sud.
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