Revue de jurisprudence restructuration sociale

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Revue de jurisprudence restructuration sociale
Revue de jurisprudence restructuration
sociale
Paris, juillet 2016
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REVUE DE JURISPRUDENCE RESTRUCRURATION SOCIALE
JEANTET
Juillet 2016
Définition des catégories professionnelles concernées : le Conseil d’Etat s’aligne sur la
Cour de Cassation
Conseil d’Etat, 30 mai 2016 ...................................................................................................................p. 3
Vérifier la qualité des signataires à l’accord collectif sur le PSE n’est pas une option
Conseil d’Etat, 30 mai 2016 ....................................................................................................................p. 4
Petit rappel bien utile pour apprécier le caractère suffisant du PSE
Conseil d’Etat, 30 mai 2016 ....................................................................................................................p. 5
Appréciation de la proportionnalité au regard des moyens du groupe : le Conseil d’Etat
opte pour une interprétation stricte
Conseil d’Etat, 30 mai 2016 .....................................................................................................................p. 6
Une entreprise de moins de 1.000 salariés peut valablement opter pour le congé de
reclassement
Conseil d’Etat, 30 mai 2016 .....................................................................................................................p. 7
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DÉFINITION DES CATÉGORIES PROFESSIONNELLES CONCERNÉES : LE
CONSEIL D’ETAT S’ALIGNE SUR LA COUR DE CASSATION
La DIRECCTE doit vérifier que les catégories professionnelles concernées par le projet de
licenciement regroupent, chacune, l'ensemble des salariés qui exercent au sein de l'entreprise
des fonctions de même nature supposant une formation professionnelle commune. C’est pour
ne pas l’avoir fait que la décision de l’administration est annulée. Le tribunal administratif de
Melun et la cour administrative d'appel de Paris, qui avaient statué dans le même sens que la
DIRECCTE, voient leurs décisions également annulées par le Conseil d’Etat. Petite cause …
grands effets !
Dans cette affaire, la FNAC avait établi un PSE pour ses magasins de la région parisienne. Un
accord collectif fixant le PSE avait été conclu avec les syndicats. Il ne s’agissait cependant
que d’un accord partiel dans la mesure où direction et syndicats n’avaient pu s’entendre sur le
nombre de suppressions de postes et sur la catégorie professionnelle concernée.
LA catégorie professionnelle ? Oui car, et c’était assez original, la direction de la FNAC avait
décidé de retenir en tout et pour tout une seule catégorie professionnelle : à savoir celle
applicable aux vendeurs de la filière « disques ». Ire des syndicats qui soutenaient que cette
catégorie était purement artificielle dans la mesure où, selon eux, elle opérait une distinction
qui n’avait pas lieu d’être entre vendeurs de la filière « disques » et ceux de la filière
« livres ».
La DIRECCTE et, avec elle, le tribunal administratif et la cour administrative d’appel
n’avaient cependant rien trouvé à y redire.
Pas le Conseil d’Etat qui, dans son arrêt du 30 mai 20161, annule décision, jugement et arrêt !
Dans son arrêt, le Conseil d’Etat commence par définir ce que sont les catégories
professionnelles. Il s’agit, dit le Conseil d’Etat, des catégories regroupant, chacune,
« l'ensemble des salariés qui exercent au sein de l'entreprise des fonctions de même nature
supposant une formation professionnelle commune ».
Par la même, le Conseil d’Etat s’aligne sur la définition moult fois rappelée par la Cour de
cassation : « la notion de catégories professionnelles, qui sert de base à l'établissement de
l'ordre des licenciements, concerne l'ensemble des salariés qui exercent au sein de
l'entreprise des fonctions de même nature supposant une formation professionnelle
commune »2
Puis, appliquant le principe au cas d’espèce, le Conseil d’Etat juge que « les vendeurs de la
FNAC qui travaillaient exclusivement ou principalement dans la filière « disques » ne
pouvaient être regardés, eu égard, d'une part, à la nature de leurs fonctions et, d'autre part, à
leurs formations de base, aux formations complémentaires qui leur étaient délivrées et aux
compétences acquises dans leur pratique professionnelle, comme appartenant à une catégorie
professionnelle différente de celle, notamment, des vendeurs de la filière « livres ».
La messe était dite !
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Cons. d’Etat, 30 mai 2016 - n°387798
Cass. Soc. 13 fév. 1997 – n°95-16648
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VERIFIER LA QUALITE DES SIGNATAIRES A L’ACCORD COLLECTIF SUR LE
PSE N’EST PAS UNE OPTION
Deux syndicats présents au sein de Sanofi Aventis R&D, la CGT et Sud Chimie, ainsi que
divers salariés demandent au tribunal administratif de Versailles d'annuler la décision par
laquelle la DIRECCTE d'Ile-de-France a validé l'accord collectif majoritaire du 14 janvier
2014 portant sur un PSE intervenu en raison de la réorganisation de l’entreprise.
L’ensemble des demandeurs est débouté par le tribunal par jugement du 4 juillet 2014.
N’entendant pas en rester là, ils font appel du jugement devant la cour administrative d'appel
de Versailles, laquelle rend un arrêt, le 30 septembre 2014, annulant le jugement de première
instance et la décision de la Direccte.
Pour la cour administrative d’appel, l’accord fixant le PSE ne remplit pas les conditions visées
à l'article L.1233-57-2 du code du travail, à savoir avoir été régulièrement signé pour le
compte d'une ou plusieurs organisations syndicales représentatives ayant recueilli au moins
50% des suffrages exprimés en faveur des organisations représentatives lors du premier tour
des dernières élections professionnelles au sein de l'entreprise. Le problème venait des deux
délégués syndicaux centraux, qui avaient signé au nom de la CFTC sans avoir été valablement
désignés à l’issue des dernières élections professionnelles.
Sanofi Aventis R&D et la CFTC décident alors de saisir le Conseil d’Etat pour obtenir
l’annulation de l’arrêt de la cour administrative d’appel.
On peut se demander si les auteurs du pourvoi croyaient réellement en leurs chances car ils se
contentaient de faire valoir que les deux délégués centraux en question, régulièrement
désignés avant les dernières élections professionnelles, avaient continué à exercer leurs
mandats postérieurement sans contestation de quiconque. On ne pouvait mieux avouer « le
crime » puisque les auteurs du pourvoir reconnaissaient que les deux syndicalistes étaient
passés de l’exercice de mandats « de droit » à l’exercice de mandats de « fait ».
Du coup, faute d'éléments dans le dossier établissant une nouvelle désignation des individus
comme délégués syndicaux centraux postérieurement aux dernières élections, le Conseil
d’Etat a logiquement annulé, dans son arrêt du 30 mai 20163, la décision de la DIRECCTE
qui avait validé l’accord fixant le PSE.
La DIRRECTE d’Ile-de-France en prend pour son grade, celle-ci se voyant reprocher de
n’avoir pas vérifié que l'accord d'entreprise qui lui était soumis avait été régulièrement signé
par les parties signataires, conformément à l’article L.1233-57-2 du code du travail.
Au vu de cet arrêt et des conséquences désastreuses pour l’entreprise puisqu’il se traduit par
l’annulation du PSE, rappelons que les employeurs doivent sys-té-ma-ti-que-ment vérifier au
préalable les mandats des représentants des organisations syndicales signataires à l’accord
collectif.
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Cons. d’Etat, 30 mai 2016 – n°385730
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PETIT RAPPEL BIEN UTILE POUR APPRECIER LE CARACTERE SUFFISANT
DU PSE
57 salariés licenciés dans le cadre d’un PSE demandent au tribunal administratif de Châlonsen-Champagne d'annuler la décision du 16 octobre 2013, par laquelle la DIRECCTE de
Champagne-Ardenne avait homologué le document unilatéral fixant le PSE élaboré par le
liquidateur judiciaire de l’entreprise.
Ils obtiennent gain de cause devant le tribunal puis devant la cour administrative d'appel de
Nancy à la suite de l’appel interjeté par la société en liquidation, son liquidateur et le ministre
du travail. Pour les juges nancéens, les mesures d'aide à la mobilité géographique mises en
œuvre dans le PSE étaient insuffisantes au regard des moyens de l'entreprise et du groupe,
pour permettre le reclassement à l'étranger des salariés dont le licenciement ne pouvait être
évité.
Erreur ! Erreur que le Conseil d’Etat ne se prive pas de relever dans son arrêt du 30 mai
20164.
Le caractère suffisant du PSE au regard des moyens dont disposent l'entreprise et, le cas
échéant, le groupe dont elle fait partie répond aux objectifs de maintien dans l'emploi et de
reclassement.
Or, pour s’assurer que le PSE répond bien à ce double objectif, la DIRECCTE et les
juridictions administratives doivent apprécier les mesures du PSE dans leur ensemble. Il n’est
pas possible de déroger à cette règle en considérant que certaines seulement des mesures du
PSE seraient insuffisantes. C’est là une jurisprudence constante du Conseil d’Etat.
Jurisprudence que la cour administrative d'appel de Nancy avait ignorée puisqu’elle avait
souligné l’insuffisance non pas de l’ensemble des mesures du PSE mais uniquement de celles
relatives à la mobilité géographique.
Enfonçant le clou, le Conseil d’Etat ne se prive pas de faire observer que le PSE en cause, loin
de se limiter aux mesures de mobilité incriminée, comportait la participation de l'employeur
au contrat de sécurisation professionnelle, des aides à la formation ainsi que des aides à la
création d'entreprise pour un budget prévisionnel dépassant 500 000 euros. On sentirait
presque le Conseil d’Etat énervé !
Rappelons que depuis la loi 2015-990 du 6 août 2015 pour la croissance et l’activité, dite « loi
Macron », les DIRECCTE chargées d’homologuer/valider un PSE mis en place au sein d’une
entreprise en procédure collective (en redressement ou liquidation judiciaire) doivent
apprécier la consistance du PSE au regard des seuls moyens de l’entreprise et non plus aussi
au regard de ceux du groupe.
Toujours cela de gagner pour les administrateurs et les liquidateurs judiciaires !
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Cons. d’Etat, 30 mai 2016 – 383928
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APPRECIATION DE LA PROPORTIONALITE AU REGARD DES MOYENS DU
GROUPE : LE CONSEIL D’ETAT OPTE POUR UNE INTERPRETATION STRICTE
On le sait, la pertinence du plan doit être appréciée en fonction de l’ensemble des mesures
qu’il contient et des moyens dont disposent l’entreprise et le groupe dont il fait partie. Ce que
l’on savait moins, en revanche, était de savoir s’il suffisait pour l’employeur de démontrer que
le groupe avait été sollicité pour abonder au financement de telles mesures ou si l’employeur
devait obtenir de son groupe un abondement en monnaie sonnante et trébuchante.
Les juges du fond n’étaient pas d’accord entre eux. C’est ainsi que la cour administrative
d’appel de Bordeaux s’était prononcée en faveur d’une interprétation souple dans son arrêt du
30 juin 20145 en jugeant que « l'autorité administrative doit uniquement s'assurer que l'employeur
a bien sollicité le groupe d'une demande d'abondement du plan de sauvegarde ; qu’ainsi, l'autorité
administrative a pu sans commettre d'erreur de droit considérer que l’employeur a satisfait à
l'obligation qui lui incombe »
La cour administrative d’appel de Marseille avait, pour sa part, opté pour une interprétation
stricte dans son arrêt du 1er juillet 20146 :
« Considérant que […] Me. L. a sollicité le groupe Sodival afin qu'il prenne en charge
les frais de déplacement, de restauration et d'hébergement exposés par les salariés dans
le cadre de leur recherche d'emploi et les frais de réinstallation consécutifs à
l'acceptation d'une offre de reclassement ; que, dans un courrier du 3 octobre 2013, la
société holding Sodival a informé le liquidateur que le groupe n'entendait pas participer
au financement de ces mesures ; que, compte tenu de ce refus et de l'absence de moyens
financiers propres à la SA Milonga, le plan de sauvegarde de l'emploi élaboré par Me
AE. ne comporte aucune mesure effective d'accompagnement des salariés acceptant une
offre de reclassement au sein du groupe, ni aucune mesure positive et concrète
d'accompagnement des salariés licenciés de nature à favoriser leur retour à l'emploi,
hormis celles prises en charge par l'AGS […] qu’il suit de là que l'administration, qui ne
pouvait se borner à prendre acte du refus du groupe d'abonder au plan, a commis une
erreur d'appréciation en estimant que, malgré l'absence totale de mesures
d'accompagnement exceptées celles prises en charge par l'AGS, le contenu du plan
litigieux était suffisant au regard des moyens dont disposait le groupe »
C’est précisément l’arrêt de la cour administrative d’appel de Marseille qui était déféré au
Conseil d’Etat. Dans son arrêt du 30 mai 20167, le Conseil d’Etat a fait prévaloir
l’interprétation stricte en considérant « qu'après avoir retenu que les moyens dont disposaient
l'entreprise Milonga et le groupe qu'elle forme avec la société Sodival n'étaient pas de nature
à justifier la faiblesse des mesures de reclassement prévues par le plan de sauvegarde de
l'emploi, la cour a pu, sans erreur de droit et par une appréciation souveraine qui n'est pas
entachée de dénaturation, juger que les mesures de ce plan n'étaient, prises dans leur
ensemble, pas suffisantes au regard des moyens d'accompagnement, notamment financiers,
dont disposaient l'entreprise et le groupe ».
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Cour administrative d’appel de Bordeaux, 30 juin 2014 – n°14BX01084
Cour administrative d’appel de Marseille, 1er juillet 2014 – n°14MA01963
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Cons. d’Etat, 30 mai 2016 – 384114
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UNE ENTREPRISE DE MOINS DE 1.000 SALARIES PEUT VALABLEMENT
OPTER POUR LE CONGE DE RECLASSEMENT
La société Belambra Clubs est conduite à licencier 38 salariés à la suite de la fermeture de son
établissement de Menton. Le PSE qu’elle a mise en œuvre dans le cadre d’un document
unilatéral est homologué par la DIRECCTE de Provence-Alpes-Côte d'Azur.
Ne l’entendant pas ainsi, la CGT et une salariée demandent l’annulation de la décision
d’homologation devant les juridictions administratives. Elles sont cependant déboutées de leur
recours et décident, en dernier lieu, de se pourvoir devant le Conseil d’Etat.
Elles reprochent au PSE homologué par l’administration d’avoir opté pour le mauvais
dispositif d’accompagnement des salariés licenciés dans la recherche d’un nouvel emploi.
Belambra avait, en effet, choisi de faire bénéficier les salariés du congé de reclassement. Or,
selon l’article L.1233-71 du code du travail, ce dispositif n’est ouvert qu’aux entreprises
comptant au minimum 1.000 salariés. Cela n’était pas le cas de Belambra dont l’effectif
salarié était en dessous de ce seuil.
Il aurait logiquement fallu que Belambra opte pour le contrat de sécurisation professionnel,
dispositif d’accompagnement spécialement prévu par l’article L.1233-66 du code du travail
pour les salariés licenciés pour motif économique dans les entreprises de moins de mille
salariés.
Cela suffisait-il à annuler la décision d’homologation de la DIRECCTE et, par voie de
conséquence, le PSE de Belambra ?
Non, répond le Conseil d’Etat, dans sa décision du 29 juin 20168.
Le Conseil d’Etat répond en deux temps.
Tout d’abord, et c’est le point essentiel, il indique que l’employeur peut décider d’opter, dans
son PSE, pour le congé de reclassement même s’il ne remplit pas la condition d’effectif
attachée à ce dispositif.
Puis, il souligne qu’à partir du moment où les salariés bénéficient déjà du congé de
reclassement, ils ont perdu tout droit à bénéficier du contrat de sécurisation professionnel.
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Cons. d’Etat, 29 juin 2016 – 389278
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