Plus belle la vie» met le voile Maghreb-France: la

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Plus belle la vie» met le voile Maghreb-France: la
L'ISLAM EN FRANCE • XIX
LIBÉRATION MARDI 26 JANVIER 2010
D’Abd el-Kader aux conséquences du 11 Septembre,
la Cité de l’immigration revient sur une histoire fluctuante.
Maghreb-France: la saga
revisitée à Paris
GÉNÉRATIONS,
UN SIÈCLE DE PRÉSENCE
CULTURELLE DES
MAGHRÉBINS EN FRANCE
en français: «C’est la première figure de l’islam en France, résume
Naïma Yahi. Il est perçu comme un
bon samaritain qui défend les
jusqu’au 18 avril, au Palais de la Porte
chrétiens de Damas, massacrés
Dorée à Paris.
par les Ottomans.»
La fin du XIXe siècle est aussi
énérations» raconte à l’époque des orientalistes. Le
la Cité nationale de peintre Etienne Dinet se converl’immigration les liens tit à l’islam, de même qu’un méentre le Maghreb et la France. decin de Pontarlier (Doubs),
Historienne et commissaire de Philippe Grenier. Musulman, il
l’exposition, Naïma Yahi, fran- est d’abord élu conseiller muniçaise d’origine algérienne met cipal, puis député de la gauche
en garde: «L’identité musulmane radicale en 1896. Et c’est habillé
ne résume pas l’identité maghré- en burnous et claquettes qu’il se
bine, tous les Maghrébins ne sont rend à l’Assemblée nationale !
pas musulmans.» Pour preuve, Mais jusque-là, la présence de
elle montre le hall of fame des ar- l’islam reste élitiste et anecdotitistes qui ont marqué la culture que. C’est avec l’envoi sur le
maghrébine : des juifs et des front des troupes coloniales, lors
musulmans. Les documents du de la Première Guerre mondiale,
que la question de
cette religion se
«Jusqu’à la Seconde Guerre
pose à l’adminismondiale, la France se dit
tration. L’institupremière puissance coloniale
tion militaire est
musulmane.»
la première à se
préoccuper des
Naïma Yahi commissaire de l’exposition
rites religieux de
début de cette exposition de ses soldats. Elle autorise la
600 m2 montrent même, qu’au viande hallal dans les tranchées,
départ, «l’islam n’a pas toujours l’inhumation selon le culte muété objet de stigmatisation» ; le sulman. Ces tirailleurs doivent
catalogue, encore plus complet, être enterrés vingt-quatre heuexplique comment la République res après leur mort, enveloppés
a fait une place à l’islam.
dans un linceul, tandis qu’un taFascination. La première partie leb récite des sourates du Coran.
de «Générations», concentrée Souvent, le drapeau français sert
dans une pièce appelée la Pas- de dernière sépulture au soldat
sion Abd el-Kader, moitié du musulman. L’armée ne le fait
XIXe siècle, décrit ainsi la fasci- certes pas pure charité. «C’était
nation des notables français tout d’abord bon pour le moral des
pour cet émir algérien, soufi, troupes, rappelle Naïma Yahi, et
ennemi de la France mais appelé puis pour la France, en guerre
le Vercingétorix de l’Algérie. avec l’Allemagne et son allié,
Emprisonné au château d’Am- l’Empire ottoman, il n’était pas
boise, il y reçoit les intellectuels question que ses recrues coloniales
de l’époque, écrit des ouvrages changent de camp.»
«G
Durant la guerre de 1914-1918,
les tombes musulmanes apparaissent dans les cimetières
français, et c’est pour remercier
ces soldats que les autorités
françaises construisent la mosquée de Paris en 1926. «Jusqu’à
la Seconde Guerre mondiale,
ajoute Naïma Yahi, l’islam n’est
toujours pas vécu comme un problème, mais comme un outil. La
France se dit première puissance
coloniale musulmane.»
Mais après le massacre de Sétif
en Algérie (8 mai 1945), le fait
que la République demande aux
«indigènes» d’abjurer leur religion pour devenir citoyens français change la donne. En même
temps, les flux migratoires du
Maghreb s’accentuent. Les
chanteurs maghrébins racontent
l’exil, le désespoir de ceux qui
ne peuvent résister à l’alcool.
Avec l’installation des immigrés,
l’islam disparaît des représentations, plus aucune institution ne
s’occupe des lieux de culte,
comme le montrent des photos
d’ouvriers priant au milieu des
machines à l’usine, ou à même
le sol. On ne parle plus des musulmans français qu’à la lumière
de l’actualité internationale: «Il
y a un islam français, résume
Naïma, mais qui est heurté dans
sa banalité par des mouvements
qui viennent de l’étranger : tout
d’abord la révolution iranienne
en 1979, la Guerre du Golfe
en 1990 ou les attentats du 11 septembre 2001.» Reste cette image,
à la fin de l’exposition, qui
résume le mieux un islam français apaisé: l’athlète Mahiedine
Mekhissi, médaillé du 3 000 m
aux JO de Pékin, priant sur le
drapeau français.
STÉPHANIE BINET
Des soldats marocains membres d’un Tabor (bataillon) en 1916. PHOTO RMN.MAP
Philippe Grenier, député converti à la fin du XIXe siècle. PHOTO ATELIER NADAR
La série de France3 nourrit le débat sur les pratiques musulmanes au travers de personnages variés.
«Plus belle la vie» met le voile
O
ctobre 2007. Les musulmans
sont en plein ramadan,
quand Djamila et son hijab
s’installent dans Plus Belle la Vie,
sur France 3. Depuis ses débuts, la
série n’hésite pas à mettre en scène
des personnages musulmans, dans
des rôles centraux ou périphériques. «On a toujours voulu aborder
des faits de société, quels qu’ils
soient, explique Georges Desmouceaux, directeur d’écriture de la série. On veut simplement raconter des
situations de la vraie vie.» Jusque-là,
il s’agissait surtout de personnages
non-pratiquants, comme Samia,
fliquette, et son frère Malik, avocat.
Nés en France de parents algériens,
en couple avec des Français «de
souche», ils sont des symboles
d’intégration.
Mais c’est avec leur cousine Djamila, débarquée à Marseille pour y
faire des études, que les scénaristes
mettent les pieds dans le plat. Très
pieuse, elle n’approuve pas le mode
de vie de Samia, qui fait «comme si
elle était Française», et ferait mieux
de «respecter les traditions»… De
son côté, Samia confie ses doutes à
son frère: «Je sais pas si elle va réussir à s’adapter. En plus, avec son
voile, c’est pas évident…» «On a tout
de suite trouvé que la confrontation
des deux jeunes femmes était très riche, raconte Desmouceaux. On a
voulu jouer sur les préjugés mutuels.»
Intransigeante, Djamila refuse
d’aller à la plage ou d’entrer dans
un café qui sert de l’alcool. Le cliché s’arrête là et son personnage
est celui d’une femme active :
«C’est pas parce que je suis algérienne et que je porte un foulard que
je vais rester à la maison.»
Son arrivée au Mistral provoque de
vifs débats parmi les personnages
de la série, notamment autour de la
question du voile. Les scénaristes
ont essayé d’exposer tous les points
de vue: les «contre» («c’est un signe de soumission à l’homme») et les
«pour» («certains disent que c’est
un moyen de se libérer»). Vifs débats
aussi côté téléspectateurs, à lire les
1600 messages postés sur le forum
du site de France 3.
Les scénaristes n’ont d’ailleurs jamais hésité à évoquer des sujets de
société un peu sensibles. En 2005,
ils ont par exemple mis à l’écran le
premier baiser homosexuel de
l’histoire de la télévision française.
Une audace qui n’a pas empêché les
bonnes audiences –un téléspectateur sur cinq regarde Plus belle la vie
en moyenne chaque soir –, et un
article dans le New York Times, qui
estime que la série «stupéfie et éduque les Français […] aux différences
culturelles, et aux questions de société, comme le racisme, la drogue,
les grossesses adolescentes, l’homosexualité et l’islam.»
ISABELLE HANNE