Fichier PDF

Transcription

Fichier PDF
D
D O S S I E R
S A N T É
P S Y C H O L O G I Q U E
A U
T R A V A I L
SOS ASSTSAS !
Rien ne va plus dans notre service !
Au Centre de jour du CHSLD du Centre-
20 • OBJECTIF PRÉVENTION • VOL. 25 – NO 2 – 2002
de-la-Mauricie, une crise importante force une réflexion sur le
travail et les relations au sein de l’équipe. Cette réflexion sert
de levier pour agir sur la santé psychologique et ouvre la voie
à un processus de transformation du travail. Voici les faits
saillants de la situation initiale et de la démarche entreprise.
Rien ne va plus dans notre service !
Le Centre de jour traverse un période de crise extrême. Les
désaffections, tant du personnel que de la clientèle, atteignent
un seuil tel qu’il est difficile pour les travailleurs ou les diriChantal Aurousseau
geants de déterminer combien de personnes font partie du
asstsas*
Centre de jour. Faut-il compter les absents, les remplaçants,
les temporaires et occasionnels, les personnes qui y sont un ou
deux jours par semaine ?
La taille des groupes s’estime d’emblée de manière réelle et
virtuelle, avec un taux d’absentéisme de la clientèle aux activités organisées par le Centre de jour avoisinant les 50 %. Les
services à la clientèle sont réduits à leur plus simple expression,
de sorte que les professionnels se sentent mal utilisés et contribuent involontairement à enlever du sens à leur travail. En
effet, l’équipe est déchirée par des conflits majeurs, certains
Élise Ledoux
leaders ont perdu toute confiance dans les dirigeants de l’étaasstsas*
blissement. Plusieurs travailleurs vivent une insécurité liée à la
précarité de leur statut d’emploi ou à la fragilité de leur santé
physique ou psychologique.
Au cours de l’année qui précède l’intervention de l’ASSTSAS,
l’équipe profite de nombreuses journées de libération afin de
réfléchir à une façon efficace de
réorganiser le travail en fonction
des objectifs du service et des
Prendre le temps, c’est s’inscrire
ressources disponibles. Ces longues réunions donnent lieu à
dans la continuité des changements,
beaucoup de discussions, de
dans le développement plutôt que
bonnes idées y sont développées,
dans le recommencement des
mais, pour de multiples raisons,
idées, du travail, des relations.
le chemin de la mise en œuvre
n’est pas trouvé. La démarche
est perçue comme un échec et les accusations fusent de part et
d’autre. Les dirigeants sont convaincus de la mauvaise volonté
de certains individus ; les travailleurs et leurs représentants
syndicaux décrient le manque de cohérence des gestionnaires.
« SOS ASSTSAS ! », c’est l’appel à l’aide de capitaines et
de matelots qui assistent impuissants à leur propre naufrage.
C’est dans ce climat de crise et d’urgence que les conseillères
de l’ASSTSAS sont arrivées au Centre de jour du CHSLD du
Centre-de-la-Mauricie à la fin de l’été 2000.
Le recul nécessaire pour
se remettre en action
L’ASSTSAS ne peut répondre aux attentes exprimées dans ces moments difficiles, car son mandat en est un de prévention de la santé et de la sécurité du travail.
Pourtant, en opérant un recadrage sur le
travail, les conseillères amènent les membres de l’équipe à reconnaître que le malaise exprimé s’inscrit en continuité d’un
processus dysfonctionnel. Dès lors, une
intervention centrée sur le travail comme
levier pour prévenir les problématiques
de santé psychologique devient possible.
Au départ, il faut convaincre les travailleurs que l’intervention de l’ASSTSAS
constitue une prise en charge réelle de
leur souffrance. Un des rôles du comité
paritaire mis sur pied pour cette démarche
est d’obtenir la confiance de l’équipe du
Centre de jour.
Moins de cinq semaines après le début
de l’intervention, un diagnostic macroorganisationnel s’appuyant sur les témoignages de représentants patronaux et
syndicaux est déposé. Essentiellement, le
diagnostic macro-organisationnel montre
que les problèmes du Centre de jour s’expliquent en bonne partie par une concentration de difficultés présentes ailleurs
dans l’organisation.
Ce constat a un double effet : alléger le
fardeau des responsabilités de l’équipe du
Centre de jour et inciter les dirigeants à
investir dans la prévention parce que
d’autres unités présentent des symptômes
de dysfonctionnement pouvant mener à
des crises. Ainsi, le Centre de jour représente un microcosme de l’organisation, une
reproduction concentrée et en miniature
de malaises structurels et relationnels que
le CHSLD du Centre-de-la-Mauricie a
tout avantage à comprendre et à contrer
afin de prévenir l’émergence de problèmes
importants ailleurs.
S A N T É
P S Y C H O L O G I Q U E
> Équipe du centre de jour :
(1re rangée) Carolyne Raiche,
Robert Savard, Huguette
Beaudoin, Danielle Tremblay,
(2e rangée) Danielle Lafond,
Marie-Josée Lavoie, MarieClaude Germain, Francine
Laliberté, Sylvie Turgeon,
Nancy Gilbert, Diane Marcotte.
(Absente sur la photo : AnneMarie Trudel).
L’intégration de la SST dans la transformation du travail
Bien que le diagnostic macro-organisationnel soit accueilli favorablement, il faut
encore comprendre de manière fine le fonctionnement du Centre de jour afin d’être
en mesure de proposer des mécanismes de prévention valables. Cette deuxième phase
d’intervention, centrée sur l’équipe, permet, entre autres, de trouver des solutions faciles
à des irritants mineurs qui, avec le temps, contribuent à la détérioration du climat. À
titre d’exemple, certains travailleurs ne possèdent pas les clés du local, d’autres ne savent
pas comment la clientèle est admise, d’autres encore doivent répéter hebdomadairement
les mêmes procédures administratives que personne n’a songé à standardiser.
Ce travail avec l’équipe permet également de mettre au jour ce que la majorité des
intervenants ne voient plus : le travail de qualité qui se fait au Centre de jour, particulièrement lorsque certaines conditions organisationnelles sont réunies.
En plus d’avoir un effet mobilisateur et de favoriser l’émergence d’un nouvel esprit
d’équipe, l’observation des forces de l’équipe transforme positivement l’image que les
instances administratives ont du Centre de jour. Ainsi, des conditions de réussite pour
l’intervention sont réunies : connaissance du travail et canalisation des énergies de l’ensemble des personnes concernées vers la conception d’une transformation du travail
intégrant des principes de SST.
Ensuite, il reste le défi de la mise en œuvre. Les dirigeants témoignent d’abord de
leur compréhension des problèmes et de leur volonté de contribuer aux efforts de
l’équipe pour assurer son mieux-être et offrir des services plus significatifs en consolidant la structure d’encadrement. Deux opérations de consolidation sont réalisées : nomination d’une gestionnaire de premier niveau présente quatre jours par semaine sur
les lieux de travail et simplification de la ligne hiérarchique, de sorte que l’équipe, avec
sa gestionnaire, relève désormais uniquement de la coordonnatrice des programmes.
La connivence entre la chef des programmes et la coordonnatrice, de même que
l’équilibre entre leur capacité d’assumer leur pouvoir et leur ouverture à profiter de la
présence des conseillères, a favorisé la conduite de l’intervention. Ces atouts ont permis de concevoir une nouvelle organisation du travail intégrant les principes de SST et
d’apprendre à gérer autrement un processus de transformation.
Encore là, il ne s’agit pas de conditions exceptionnelles au point où
elles rendent l’intervention unique et irréalisable ailleurs. Il s’agit
surtout d’un effort de prise de conscience de l’importance à
accorder aux personnes, à commencer par celles qui ont
le plus de pouvoir sur les structures organisationnelles, afin de procéder à un changement dans le travail.
Ralentir : une condition
pour la régulation du
travail et des relations
Bien qu’à différents moments, l’intervention des conseillères ait semblé
ralentir le processus de transformation,
A U
T R A V A I L
tout le monde s’entend pour dire qu’au
terme d’une année d’accompagnement,
les changements sont importants.
Ralentir. C’est le mot d’ordre lancé par
le Dr Serge Marquis aux colloques 2000
de l’ASSTSAS. Il ne s’agit pas de ralentir
pour moins travailler, mais pour donner
un sens au travail que l’on fait. Un des
dérivés de la loi de Murphy1 stipule que
l’on a jamais le temps de bien faire les
choses la première fois… alors on recommence ! Prendre le temps, c’est s’inscrire
dans la continuité des changements, dans
le développement plutôt que dans le recommencement des idées, du travail, des
relations.
Le CHSLD du Centre-de-la-Mauricie
a accepté de penser autrement en évaluant,
certes, ce qu’il en coûte de prendre le
temps (celui des gestionnaires, celui des
travailleurs) et d’être « dérangé » par
l’accompagnement des conseillères (faire
les choses autrement, ouvrir des possibles
là où l’habitude nous freine), mais en
évaluant également ce qu’il en coûte de ne
pas prendre ce temps et de ne pas changer
les manières d’être, de penser et de faire.
Les problèmes du Centre de jour ne
sont pas tous réglés. En effet, le service,
l’établissement et le secteur de la santé
tout entier sont constamment soumis à
de nouvelles perturbations : changement
d’acteurs, redistribution des ressources,
nouveaux mandats, alourdissement des
clientèles, etc. Le défi apprivoisé par
l’équipe et ses gestionnaires, au cours de
la démarche, consiste à reconnaître les
perturbations au fur et à mesure qu’elles
se présentent afin de les prendre en charge
de manière à offrir des services de
qualité tout en assurant leur santé et leur
sécurité. ◆
RÉFÉRENCES
1 La loi de Murphy (Edward A. Murphy Jr.)
s’énonce généralement comme suit : « Si quelque
chose peut mal tourner, alors ça tournera mal ».
Il en existe plusieurs formulations dérivées.
* Au moment de l’intervention, les auteures étaient
conseillères à l’ASSTSAS. Actuellement, Chantal
Aurousseau est chercheure et intervenante en
violence organisationnelle et Élise Ledoux, chercheure à l’Institut de recherche Robert-Sauvé en
santé et en sécurité du travail (IRSST).
21 • OBJECTIF PRÉVENTION • VOL. 25 – NO 2 – 2002
D
D O S S I E R

Documents pareils