à vos marques… prêt à les réinventer
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à vos marques… prêt à les réinventer
DOS SIER S / IN DEP TH À VOS MARQUES… PRÊT À LES RÉINVENTER ? Jean-Noël Kapferer (H.70), professeur de marketing à HEC Paris et titulaire de la chaire HEC Pernod-Ricard sur le Management des Marques de Prestige, expert mondial et consultant réputé, publie “Ré-inventer les marques” (Eyrolles, 2013). L’occasion de revoir la notion de marque de fond en comble. Le logiciel de compréhension et de management des marques est-il encore adapté aujourd’hui ? On peut en douter face au développement ininterrompu des marques de distributeurs (MDD) et à la transparence des marques opérée par Internet. Par ailleurs, face aux nombreuses fusions et acquisitions dans les entreprises, la notion même de culture d’entreprise existe-t-elle encore ? La vraie culture d’entreprise aujourd’hui, c’est la marque. Il est temps de donner à la marque tout son sens et en premier lieu pour ceux qui la font, en interne. Ce qui veut aussi dire en termes de gouvernance de sortir la marque du giron du marketing, explique Jean-Noël Kapferer. En Europe, savez-vous quelle place se sont taillée les marques de distributeurs et les premiers prix ? Selon les dernières données de SymphonyIRI, un produit sur deux vendu en GMS est à marque de distributeur ou de pre- CINQ CONSEILS AUX PROFESSIONNELS DU MARKETING • Demandez-vous : “En quoi ma marque ou mon entreprise est-elle passionnante ? Qu’est-ce que j’ai à raconter qui va circuler spontanément sur le Net ?” Ne vous limitez pas à vos produits : votre entreprise elle-même, vos salariés constituent également des sources incroyables de récits performatifs, engageants. • Prenez vos valeurs au sérieux : menez des actions pour montrer que vous êtes à la hauteur de celles-ci. La marque devrait se passer de communication : si ses valeurs ne passent pas dans les actes, l’expérience client, les produits nouveaux, elle reste de la communication. • Les 4P ne suffisent plus. Le consommateur cherche de l’empathie et du sens, de l’engagement et en particulier sur Internet. • Repensez à la gouvernance. Si la marque est nichée dans un département technique, c’est qu’elle n’est pas prise au sérieux. • Pensez “brand content” : qu’avez-vous à dire quand vous ne parlez pas de vos produits ? mier prix. Le marketing traditionnel n’a jamais pu endiguer ce phénomène depuis son émergence offensive en France en 1978 avec les produits Libres de Carrefour (on notera que Free a repris en 2012 la même thématique de la liberté). C’est en Allemagne que le phénomène atteint son apogée : tous produits confondus, les marques économiques attirent 60 % de la demande (*). SORTIR DE LA RAISON ET COMPARAISON Est-ce la fin des grandes marques ? Certainement de celles qui fonctionnent encore sur un logiciel ancien. “Tout ce qui a été enseigné dans les écoles de commerce depuis les années 70 jusqu’à récemment et qui resterait fondé sur le marketing des biens de grande consommation a abouti à un Waterloo : les parts de marché des MDD le prouvent même dans des catégories soi-disant impliquantes comme les anisés, la bière et les shampooings”, affirme sans détour JeanNoël Kapferer. Un exemple : l’an dernier, sous la pression grandissante des MDD, Kimberly-Clark a fini par abdiquer et a retiré du marché ses produits Huggies. De son côté, Pampers, pour résister aux MDD, a dû lancer un vrai produit low cost “Simply Dry” et réalise désormais plus de 40 % de ses volumes en promotion sur les prix. “Les MDD semblent adaptées à nos marchés matures, repus et vieillissants”, avance, réaliste, Jean-Noël Kapferer. Dans un contexte de crise économique et de restrictions budgétaires généralisées, le consommateur cherche avant tout à protéger son porte-monnaie et à faire des compromis au profit du plaisir, du partage, du rêve (d’où le succès d’Apple qui agit comme une marque de luxe). Or bien des marques de grande consommation ne font plus rêver, même si elles font partie du patrimoine culturel du pays. “Depuis trois ans, le concept de “good enough” prend de l’ampleur aux États-Unis : des produits low cost de qualité, avec “juste ce qu’il faut”. Inutile d’en rajouter. Ces marques ne jouent plus sur l’émotion mais sur la raison.” 52 AVRIL-MAI 2013 354.indd 52 30/04/13 19:29 DR Consommer pour favoriser l’emploi local : l’exemple de “Produit en Bretagne”. C’est le cas de Dacia Logan dont le Duster à 11 000 euros vient de gagner le très dur Rallye Aïcha des Gazelles au Maroc, un vrai Dakar au féminin. En parallèle, Internet apporte une transparence nouvelle, qui remet en cause l’asymétrie d’information sur laquelle se fondait la puissance des marques. “Avant, on achetait telle marque de voitures car cela évitait de devoir ouvrir le capot et de vérifier que tout fonctionnait… mais cela ne marche plus ainsi”, rappelle Jean-Noël Kapferer. Désormais, les classements fleurissent et hiérarchisent les produits, sans concessions. D’après JD Power, la voiture de l’année 2012 est la Toyota Corolla. La seule Renault Clio fait partie du top 30 et Dacia est bien placée. JOUER SUR LA PASSION Pour survivre dans ce nouvel environnement, les grandes marques doivent sortir du terrain de la raison et de la comparaison, pour se placer sur celui de la passion. “Le mot-clé du marketing moderne est l’engagement”, avance Jean-Noël Kapferer. Chez Procter & Gamble, qui reste une référence mondiale en matière de marketing, le concept central de “promise” a désormais été remplacé il y a peu par celui de “purpose”. La marque Pampers ne se contente plus de montrer un bébé en couche-culotte et de clamer : “Même mouillé, il est sec.” Elle célèbre les mères et la maternité. Pour ses (futures) clientes, le site de la marque fournit ainsi de nombreux conseils et informations sur les différents stades d’une grossesse. Seul le “purpose” donne du sens aux achats des consommateurs, mais aussi au travail de tous ceux qui œuvrent sur et pour cette marque. Il est temps de prendre l’utilité sociale comme la source de mobilisation majeure en interne et en externe. Et non comme la cerise sur le gâteau. La Banque Postale l’a compris : “banque et citoyenne”, signe-t-elle désormais. La vraie question n’est plus la promesse, mais l’engagement, l’ambition de la marque entraînant derrière elle l’organisation tout entière. Grâce à Internet, les marques peuvent pénétrer des communautés d’experts ou de passionnés. Encore faut-il que la cause de la marque soit elle-même passionnante. De ce point de vue, Red Bull a inventé un nouveau marketing, celui de l’authenticité, et constitue un cas d’école avec ses différents sites spécialisés dans les sports extrêmes qu’il sponsorise : surf, snowboard, Formule 1, moto… C’est la face émergée d’un “marketing tribal” qui vise des individus partageant un centre d’intérêt ou un mode de vie, et qui s’avère bien plus efficace qu’une segmentation classique : “Un segment est une fiction, une division du marché sur une base statistique, regroupant des gens qui se ressemblent mais ne se parlent jamais”, décrit Jean-Noël Kapferer. Aujourd’hui, Red Bull vend le litre de boisson quatre fois plus cher que Coca-Cola. Pour construire des marques qui résistent au prix, à la comparaison, tout se joue à la naissance. À l’obsession de la part de marché acquise vite, il faut substituer celle de l’authenticité et de la passion partagée qui fait les marques pérennes. À l’instar de Red Bull qui a compris les TOUT CE QUI A ÉTÉ ENSEIGNÉ DANS LES ÉCOLES DE COMMERCE DEPUIS LES ANNÉES 70 JUSQU’À RÉCEMMENT ET QUI RESTERAIT FONDÉ SUR LE MARKETING DES BIENS DE GRANDE CONSOMMATION A ABOUTI À UN WATERLOO. AVRIL-MAI 53 354.indd 53 30/04/13 19:29 DOS SIER S / IN DEP TH DR UN PERSONNAGE QUI MARQUE (ET PAS SEULEMENT DES BUTS) Combien vaut la marque David Beckham ? 260 millions de dollars, d’après le site Celebrity Net Worth en 2012. Jean-Noël Kapferer consacre un chapitre de son dernier livre au joueur de football britannique qui a fait sensation au mois de février en rejoignant le Paris Saint-Germain. Beckham constitue “le prototype du personnage-marque” car il ne ressemble pas à n’importe quel joueur de football : outre ses performances sportives, il a “apporté aux jeunes du monde entier en quête d’identité son physique de jeune premier mais aussi l’acceptation d’une certaine féminité en lui-même, loin du modèle macho traditionnel”. Né d’un père installateur de cuisine et d’une mère coiffeuse, le footballeur le mieux payé au monde (34 millions d’euros par an, dont 24 millions grâce à la publicité) incarne également le rêve pour ces jeunes du monde entier. En témoignent ses vingt-cinq millions de fans sur Facebook. Il faut retenir de cela que les marques de demain devront capitaliser soit sur des ruptures technologiques, soit sur des ruptures sociologiques. Une marque est aussi une vision du monde, une culture proposée, avec du sens. sportifs de l’extrême et a coproduit de la valeur avec eux, la vodka Absolut s’est introduite à l’origine dans les communautés gays de Tribeca, Soho et Greenwich Village ; Apple a créé le buzz dans les agences de communication et dans la “creative elite”. C’est seulement dans un second temps que ces marques ont abordé le grand public. Elles ont pris le temps pour cela. DES MARQUES PARTOUT, POUR ENGAGER Mais on l’a vu, ces success-stories constituent des exceptions : dans nos pays développés, la majorité des marques sont soumises à rude épreuve. Pourtant, et c’est paradoxal, tout le monde aspire aujourd’hui à devenir une marque : clubs de sport, célébrités (voir encadré), musées, villes, pays… Londres s’est dotée d’un vrai brand manager. Chez nous, la marque France souffre d’un problème de gouvernance : qui la dirige ? Est-ce le ministère du Redressement productif, à l’image de son ministre Arnaud Montebourg qui a posé en couverture du Parisien Magazine, vêtu d’une marinière Armor Lux et portant un mixeur Moulinex ? Est-ce Bercy ? Ou le Premier ministre, ou le Medef ? En préférant des marques françaises, le consommateur est censé redonner du travail à ses compatriotes. L’idée n’est pas nouvelle : déjà en 1993, les chambres de commerce et d’industrie avaient mené une campagne de communication sur le thème “Nos emplettes sont nos emplois”. Jean-Noël Kapferer doute cependant de l’efficacité de telles opérations : “Est-ce réaliste de vouloir faire acheter français par pure philanthropie ?” L’expert croit davantage dans les marques régions, plus aptes selon lui à créer un sentiment d’identification. “Je ne mange pas, je relocalise”, clamait ainsi cette publicité pour les produits bretons. Car les régions qui ont une langue, une identité, sont des leviers affectifs puissants. • (*) Source : SymphonyIRI. LA VRAIE CULTURE D’ENTREPRISE AUJOURD’HUI, C’EST LA MARQUE. IL EST TEMPS DE DONNER À LA MARQUE TOUT SON SENS ET EN PREMIER LIEU POUR CEUX QUI LA FONT, EN INTERNE. Jean-Noël Kapferer (H.70) 54 AVRIL-MAI 2013 354.indd 54 30/04/13 19:29