C`est n`importe quoi - Revue Médicale Suisse
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C`est n`importe quoi - Revue Médicale Suisse
News_877.qxp 28.3.2008 8:53 Page 1 CARTE BLANCHE C’est n’importe quoi Monsieur C. est assis en face de moi : un homme de 40 ans, en bonne santé, gestionnaire dans une entreprise du secteur financier, divorcé, une fille qui grandit, des amis, des envies de vacances dans les îles. Le chemin était long pour arriver à ce point de son existence : ancien toxicomane, il a essayé à peu près tout, mais il a eu la chance d’avoir échappé à tous les dangers majeurs de ces expériences. Il vient me voir régulièrement depuis douze ans. Avec un long traitement de substitution à la méthadone, il est arrivé lentement, prudemment à arrêter les consommations, s’émanciper des opiacés et autres drogues dures et par la suite à se sevrer de la méthadone. A la fin, il ne restait que l’alcool, quotidien et parfois en excès, et tous les soirs un joint ou deux… Conscient des dangers que cela représente, il a continué à me voir régulièrement et à mettre en place des stratégies pour devenir vraiment autonome vis-à-vis de toutes les substances. Aujourd’hui, il est là pour m’annoncer qu’il a pratiquement arrêté l’alcool et que les joints, c’est fini : «Je viens de réaliser que toutes ces habitudes, ces consommations, c’est n’importe quoi….». Dr Thomas Bischoff Médecine interne FMH Président de l’Unité de Médecine générale Lausanne 1030 Bussigny 00 Je le félicite et nous discutons sur ce «n’importe quoi», sur la distance et l’autonomie, et bientôt la discussion s’élargit à d’autres consommations, la télé, la voiture, le Natel, les valeurs de son monde professionnel… A ce moment, je suis pris d’un vertige : où s’arrêter, ou mettre les limites, entre ce qui doit être abandonné, et d’autre part ce qui reste défendable pour nous autres citoyens, consciencieux et pourtant consommateurs ? Je réalise soudainement à quel point les repères et les valeurs sont devenus douteux dans notre société de consommation, à quel point les messages sont pervers. Dans ces temps de crise économique, les paradoxes deviennent de plus en plus évidents : notre système est basé sur la consommation et en même temps c’est cette consommation effrénée qui le met en danger. Quelle solution est alors envisagée pour sortir de la crise : relancer davantage la consommation… Je m’imagine que l’ambiguïté des messages sousjacents est difficilement compréhensible pour un patient qui souffre justement d’une consommation qu’il ne contrôle plus. Nous sommes poussés dans la fuite en avant du «toujours plus» et en même temps ce chemin est bordé d’interdictions. Comment alors espérer que nos patients, souffrant de leurs dépendances, trouvent une attitude juste, vis-à-vis des produits et de la société ? Comment motiver quelqu’un comme Monsieur C. à abandonner ses pratiques interdites, dans une époque où le «n’importe quoi» prend de plus en plus de place ? Les Revue Médicale Suisse – www.revmed.ch – 24 août 2008 médias – le miroir de notre société – ne me donnent pas l’impression que les valeurs nécessaires pour sa «guérison» sont très à la mode aujourd’hui : honnêteté et autonomie… Monsieur C. et moi sommes donc renvoyés à nous-mêmes, au microcosme de notre rencontre, à nos valeurs, notre échange et notre relation. Nous comparons nos vérités et en bricolons des réponses et des solutions, modestement et patiemment. Apparemment, cela a aidé Monsieur C. à avancer dans sa vie, même si je ne sais pas vraiment pourquoi. Encore une consultation qui se termine sur de nouvelles questions sans réponse. J’en suis très reconnaissant à Monsieur C. T. B.