Les anémies sidéroblastiques

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Les anémies sidéroblastiques
Hématologie biologique (Pr Marc Zandecki)
Faculté de Médecine – CHU 49000 Angers France
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Les anémies sidéroblastiques
Sommaire :
- physiopathologie générale
- les anémies sidéroblastiques héréditaires
- les anémies sidéroblastiques acquises idiopathiques
- les anémies sidéroblastiques secondaires ou réversibles
Groupe hétérogène d'anémies ayant en commun la présence de dépôts de fer dans
les mitochondries des érythroblastes. Ces mitochondries ont alors souvent une
distribution périnucléaire, donnant un aspect de sidéroblastes dits en couronnes, après
coloration de Perls.
On les classe en anémies sidéroblastiques (AS) héréditaires (toutes très rares), ou en
AS acquises : primitives ou secondaires (souvent à des toxiques ou des médicaments)
1. Physiopathologie générale
Le cycle du fer est perturbé dans les mitochondries des érythroblastes et aboutit à
une production d'hème insuffisante, par défaut de synthèse de protoporphyrine ou du fait
d’une anomalie d'insertion du fer dans la protoporphyrine. Secondairement, la synthèse de
globine est altérée. L’absorption du fer par l'érythroblaste n'est pas diminuée et le fer va
continuer à être transporté normalement aux mitochondries, où il s'accumule.
Le turn-over du fer plasmatique est augmenté, avec augmentation de la captation pour
l’érythropoïèse, mais l'incorporation finale du fer pour la production de globules rouges (GR)
est réduite (voir les documents : « aplasies médullaires » et « métabolisme du fer »). La survie
des GR est normale ou légèrement diminuée. L’érythropoïèse est inefficace, avec
hyperplasie érythroblastique associée à un nombre normal ou à peine augmenté de
réticulocytes sanguins.
Il existe une augmentation du fer total de l'organisme : souvent l'érythropoïèse
inefficace médie d'une manière encore inconnue une augmentation de l'absorption intestinale
du fer. On aboutit à une hémochromatose érythropoïétique, qui dans ses aspects cliniques et
pathologiques est presque indistinguable de l'hémochromatose héréditaire
La souffrance des mitochondries est souvent visible morphologiquement : elles se
ballonnisent et apparaissent sous forme de vacuoles claires dans le cytoplasme.
2. Les anémies sidéroblastiques héréditaires
Elles sont très rares (quelques centaines de familles dans le monde ?)
Les moins rares correspondent à l’anémie sidéroblastique héréditaire liée à l’X. Les autres
sont autosomiques dominantes ou récessives
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2.1. Aspects cliniques et biologiques généraux des AS liées à l’X
Clinique
Anémie lentement progressive qui devient nette à partir de 3-8 ans : ce sont
essentiellement les garçons qui sont atteints. On retrouve les signes non spécifiques de
l'anémie (fatigue, tachycardie, rythme respiratoire augmenté...). L'hépatomégalie ou la
splénomégalie ou les deux sont observables
La dysérythropoïèse intramédullaire induit une surcharge en fer de l’organisme plus ou
moins rapidement visible (douleurs abdominales, hyperpigmentation cutanée, diabète, retard
de croissance, cirrhose, cardiomyopathie) surtout si une mutation du gène HFE est associée
Il existe plusieurs formes liées à l’X , sans ataxie le plus souvent, parfois avec ataxie
Biologie
Hémogramme. L’anémie est plus ou moins franche = 6 – 10 g/dl le plus souvent
hypochrome microcytaire et non ou peu régénérative.
L’étalement sanguin montre des hématies hypochromes et une poïkilocytose : hématies en
larme, ovalocytes, cellules cibles. En général, les hématies produites sont hypochromes et
microcytaires, point de départ du diagnostic.
Remarque : la profondeur de l’anémie et le degré d'hypochromie et de microcytose varie
considérablement d'une famille à une autre
Habituellement leucocytes et plaquettes sont sans particularité
Chez le père l’hémogramme est normal (non atteint) ou identique à celui de son fils, alors que
si la mère est porteuse (et les sœurs des garçons sont atteints) on peut trouver ou non une
petite anémie, mais souvent la morphologie des hématies est anormale et la courbe de
distribution des volumes des hématies (équivalent de la courbe de Price Jones des
automates) montre un dimorphisme (une population normocytaire et une population
hypochrome microcytaire)
Myélogramme. Moelle riche avec hyperplasie érythroblastique (70-90%). Dysérythropoïèse
avec cytoplasmes anormaux, lacunaires ou de taille réduite. Le noyau des érythroblastes est
parfois un peu mégaloblastique. La coloration de Perls montre des sidéroblastes en couronne,
jusqu’à 70% du total des érythroblastes, et essentiellement sur les érythroblastes
polychromatophiles et acidophiles.
Biochimie : fer sérique augmenté, avec saturation presque totale de la transferrine,
ferritinémie variant de 1000 à 15 000 µg/l
Physiopathologie
Les AS liées à l’X sont souvent liées à une mutation inactivatrice du gène de l’ALA synthétase
en Xp11. Dans certains cas (AS liée à l’Xq13) on observe en outre une ataxie : la mutation
porte dur le gène d’un transporteur du fer dans la mitochondrie
Diagnostic différentiel
L’anémie hypochrome microcytaire des carences martiales, les AS secondaires (saturnisme),
plus exceptionnellement les dysérythropoïèses congénitales, et les très rares AS des
syndromes myélodysplasiques de l’enfant
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Traitement
Les AS sont souvent sensibles à la pyridoxine (mutation du gène ALAS2), et on ajoute des
folates pour pallier le déficit souvent associé (lié à une hyperconsommation)
Les saignées (phlébotomies) sont un bon moyen de limiter la surcharge martiale
Autres formes constitutionnelles rares
Syndrome de Pearson = cytopathie mitochondriale avec anémie macrocytaire,
pancytopénie, hémosidérose, surcharge en fer, atteinte pancréatique exocrine. La moelle
osseuse montre une vacuolisation des précurseurs érythroblastiques et granulocytaires (la
vacuolisation évoquant une souffrance mitochondriale)
Syndrome DIDMOAD = diabète insipide, diabète sucré, optic atrophy, deafness. On
retrouve une anémie mégaloblastique et sidéroblastique
La maladie de Wilson = maladie liée à un déficit en céruléoplasmine et une
accumulation de cuivre dans le foie (dégénérescence hépatique progressive) présente une
AH qui peut être associée à une AS
3. Les anémies sidéroblastiques acquises idiopathiques.
Font partie des syndromes myélodysplasiques (voir « les syndromes
myélodysplasiques »). Réfractaires à un traitement curatif, on les appelle Anémies
Réfractaires Sidéroblastiques Idiopathiques (ARSI)
Les SMD sont des maladies clonales de la cellule souche hématopoïétique.
Dans la classification OMS plusieurs classes de SMD peuvent présenter un excès (> 15%) de
sidéroblastes en couronne à la coloration de Perls.
Catégorie de SMD
Anémie Réfractaire
Sidéroblastique Idiopathique
pure (ARSI)
Cytopénie Réfractaire avec
Dysplasie Multilignées (CRDM)
Sidéroblastes
Caractéristiques principales
en couronne
Toujours > 15% Anémie isolée
Dysérythropoïèse pure (= sans
autre cytopénie ni signe de
dysplasie sur les autres lignées)
Pas d’excès de blastes
< ou > 15%
Anémie réfractaire avec excès de
blastes (AREB) de type I ou II
Classée provisoirement parmi les
syndromes
myéloprolifératifs/dysplasiques
SMD inclassables
SMD ou LAM secondaires (selon la
blastose médullaire)
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> 15%
< ou > 15%
< ou > 15%
Anémie associée à au moins une
autre cytopénie
Dysmyélopoïèse
Si > 1% blastes dans le sang et >
5% blastes dans la moelle
ARSI avec thrombocytose
(il existe très souvent une mutation
JAK2)
AR avec myélofibrose
Antécédents de chimioradiothérapie
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Il est important de séparer l’ARSI pure des autres SMD avec excès de sidéroblastes en
couronne : l’ARSI pure a une survie médiane de 76 mois et les autres formes une survie
médiane de 24 mois.
3.1. Anomalies de la synthèse de l'hème.
Au moins 3 mécanismes de perturbation de la synthèse de l’hème pouvant aboutir à
l’accumulation de fer dans la mitochondrie ont été proposés, sans qu’aucun soit définitif ou
majoritaire: défaut de transport ou de modification du fer avant son incorporation à l’hème,
déficit d’1 ou plusieurs enzymes ou cofacteurs de la synthèse de l’hème, anomalie
mitochondriale généralisée
3.2. Clinique
L’ARSI pure présente un tableau clinique dominé par l’anémie récidivante
Les autres SMD présentent des signes d’anémie et parfois d’infection ou d’hémorragie.
3.3. Biologie
Hémogramme
ARSI pure. Anémie isolée, normo-macrocytaire (95-110 fl), ou microcytaire (65-75 fl)
et hypochrome, avec anomalies morphologiques des hématies sur frottis (double population
normochrome et hypochrome ou double population normo-macrocytaire et microcytaire (voir
courbes produites par les automates), poïkilocytose, hématies ponctuées, corps de
Pappenheimer (= sidérocytes)
Absence d’anomalie des leucocytes et plaquettes (petite thrombocytose dans 20% des cas ;
voir plus loin)
Autres SMD. Anémie souvent non isolée, avec ou sans excès de blastes. Une double
population d’hématies (normo ou hypochrome d’une part et macrocytaire d’autre part) est
également fréquente dans ces situations
Granulocytes : nombre normal ou diminué, avec parfois dysgranulopoïèse, et éventuellement
quelques blastes.
Plaquettes : thrombopénie fréquente
Forme particulière : ARSI avec thrombocytose. Situation rare observée chez l’adulte,
se présentant comme une ARSI mais associée à une numération plaquettaire parfois très
élevée (> 1000 G/L) ; classée provisoirement parmi les SMP/dysplasiques
Myélogramme
Dans l’ARSI pure on retrouve une hyperplasie érythroblastique (40-60%) avec
dysérythropoïèse (cytoplasmes réduits, ou lacunaires, ponctuations basophiles) ; absence de
dysplasie des autres lignées, pas de blastose
Autres SMD. Dysmyélopoïèse d’importance variable, non limitée aux érythroblastes,
avec ou sans excès d’érythroblastes. % de blastes variable (6 – 9% = AREB – I, ou 10 – 19%
= AREB – II)
La coloration de Perls: le fer est visualisé en présence de ferrocyanure de potassium sous
forme de grains verts dans les érythroblastes (= sidéroblastes). Dans diverses formes d'AS,
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les mitochondries ont accumulé du fer et vont se regrouper autour du noyau: = sidéroblastes
en couronnes (voir le document consacré à « la coloration de Perls »).
Biochimie.
Absence de signes spécifiques aux ARSI pures ou aux autres SMD
Augmentation modérée de la bilirubine libre: petite hémolyse + érythropoïèse inefficace
Fer: sérique très augmenté, avec saturation élevée de la sidérophiline
Ferritinémie très augmentée: en relation avec l'importance de la surcharge ferrique.
Anomalies de diverses enzymes du globule rouge (variables selon les cas)
Au niveau mitochondrial: diminution de l'activité δ aminolévulinate synthétase (ALA), et parfois
déficit en ferrochélatase. Des mutations au niveau de l’ADN mitochondrial ont été rapportées
Anomalies cytogénétiques
Rares dans les ARSI pures; présentes dans 30-60% des autres SMD. Le mécanisme de la
dysérythropoïèse sidéroblastique n’est pas clairement défini (anomalies de l’ADN nucléaire
conférant un avantage prolifératif du clone sidéroblastique ?)
4. Les anémies sidéroblastiques secondaires ou réversibles
4.1. Anémie sidéroblastique de l'alcoolisme
L'anémie associée à l'alcoolisme a généralement des causes multiples. La synthèse
de l'hème est perturbée par l'éthanol. On retrouve des anomalies du métabolisme de la
vitamine B6 de manière constante. Cependant, le rôle direct de la carence en vitamine B6
dans les anémies sidéroblastiques n'est pas certain. L'éthanol pourrait avoir un effet direct sur
les diverses étapes de la biosynthèse de l'hème, ou sur le métabolisme des mitochondries.
Hémogramme :
Hémoglobine : 6 à 10 g/dl ; VGM normal ou augmenté
Sur le frottis sanguin on trouvera souvent des érythrocytes circulants dysmorphiques, avec
double population de GR, et on peut observer des corps de Pappenheimer et des hématies
ponctuées chez un tiers des patients (ces deux derniers aspects sont plus fréquemment
observés dans les cas d'hypofonction ou d'absence de rate et correspondent à des
sidérocytes)
Dans la moelle :
L'hématopoïèse est mégaloblastique, résultant d'une carence en folates le plus
souvent, mais il y a une vacuolisation des proérythroblastes évoquant une souffrance
mitochondriale. Le nombre de sidéroblastes en couronnes varie de 10 à 70% et typiquement il
porte sur des érythroblastes tardifs. La surcharge en fer médullaire est nette (tout comme on
observe un excès de ferritine circulante avec une saturation de la transferrine sérique
augmentée)
Le retrait de l'alcool est suivi d'une disparition des sidéroblastes en couronnes dans un
délai de quelques jours à quelques semaines. La récupération de l'anémie est souvent plus
longue. La surveillance du nombre de réticulocytes circulants est un bon test.
4.2. Les médicaments
Les agents antituberculeux, comme l'isoniazide qui interfère avec le métabolisme de la
vitamine B6 et diminue la synthèse de l'ALA, ou la rifampicine.
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La cyclosérine peut avoir les mêmes effets.
L'incidence d'anémies sévères est très variable : l'anémie peut s'installer de un à dix mois
après le début du traitement à l'isoniazide ; elle est modérément sévère, avec érythrocytes
dimorphiques. Les sidéroblastes en couronnes sont présents de façon constante dans la
moelle.
Cette anémie est réversible rapidement et complètement à l'arrêt du médicament, ou bien en
ajoutant au traitement de fortes doses de pyridoxine.
Le chloramphénicol (et le thiamphénicol): ce médicament perturbe les enzymes
mitochondriales comme les cytochromes A, A3 et B et donc la respiration mitochondriale.
Divers cytostatiques peuvent générer une anémie sidéroblastique (par exemple l’imurel). A
long terme ils peuvent induire un SMD ou une LAM secondaire. Les sels d’arsenic et diverses
chimiothérapies perturbent le métabolisme de la mitochondrie par un mécanisme inconnu
4.3. L'hypothermie
L'hypothermie peut entraîner une hypoplasie érythroblastique avec sidéroblastes en
couronnes, tout comme une thrombopénie de type périphérique (nombre normal de
mégacaryocytes dans la moelle)
4.4. Le saturnisme (intoxication par le plomb)
Physiopathologie.
Le plomb agit sur les groupes sulfhydryles de diverses enzymes : au niveau de l’hématopoïèse
les ALA déhydrase et ferrochélatase voient leur action inhibée, avec défaut d’incorporation de
fer dans l’hème. L’anémie est parfois sidéroblastique
Le plomb inhibe également l’activité de la pyrimidine 5’ nucléotidase et donc la dégradation des
pyrimidines. Ceci entraîne une petite hémolyse et l’agrégation des ribosomes plus ou moins
dégradés dans le cytoplasme des érythroblastes et produit les hématies ponctuées.
Clinique.
Le plomb exerce des effets toxiques à trois niveaux : rein, tissu hématopoïétique, système
nerveux central. Avec un traitement précoce et approprié, les effets sur le rein et
l’hématopoïèse sont réversibles alors que ceux sur le SNC le seront plus difficilement
Classiquement l’intoxication est souvent aiguë chez l’enfant (absorption de composants à
base de plomb) et une atteinte abdominale et neurologique centrale est retrouvée ; elle est
plutôt chronique chez l’adulte (professionnel, environnement), avec douleurs abdominales,
neuropathie périphérique, parfois pigmentation des gencives
Biologie
Anémie discrètement hémolytique, normochrome normocytaire ou discrètement microcytaire,
avec un nombre normal ou augmenté de réticulocytes. On retrouve des hématies ponctuées
sur l’étalement sanguin. Le nombre de leucocytes peut être légèrement augmenté.
Le myélogramme n’est pas pratiqué ; parfois il a été décrit un excès de sidéroblastes
L’élévation du plomb dans le sang et les urines est majeure pour le diagnostic et la mise en
place du traitement. On peut également doser l’ALA
Traitement. Chélateur du plomb (BAL)
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4.5. Situations pathologiques acquises diverses
Myélofibrose idiopathique (ou splénomégalie myéloïde chronique)
Leucémies aiguës myéloïdes primitives (surtout érythroleucémie) ou secondaires ou avec
dysplasie multilignées
Carence en pyridoxine : rare, observée surtout chez les sujets âgés
L’absorption excessive de zinc peut induire une séquestration du cuivre dans les entérocytes :
ce déficit induit un défaut de fonctionnement de la cytochrome C oxydase mitochondriale et
peut induire secondairement une AS.
La synthèse de l'hème dans les érythroblastes n'est perturbée que dans quelques cas de
porphyries, et l'anémie peut être présente ou non (parfois quelques sidéroblastes médullaires)
La vacuolisation des érythroblastes a été rapportée au cours d’états hyperosmolaires, dans le
déficit en phénylalanine
(M Zandecki, janvier 2007)
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