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PREMIERE.FR 0ctobre 2011 Avec « Le Chagrin des Ogres », Fabrice Murgia attrape l’enfance par son côté le plus obscur et évoque l’acceptation d’être adulte sous la forme d’un enterrement métaphorique. Pour cette célébration cauchemardesque, une jeune fille en petite robe blanche et voile de mariée, gants, collants et chaussons immaculés, mène le bal de la narration en maîtresse de cérémonie adorable et terrifiante. Une énorme tache de sang lui balafre le visage et a éclaboussé sa robe. Serait-elle l’image de notre enfance bafouée par les adultes que nous sommes devenus ? ou l’enfance assassinée justement pour pouvoir devenir des adultes ? Sa présence obsédante et mystérieuse se fait le témoin omniprésent des deux histoires parallèles qui nous sont contées. « Le Chagrin des ogres » est la mise en perspective de ces deux histoires avec cet être imaginaire qui évolue dans un espace hors de notre temporalité, une sorte de subconscient antérieur, comme un résidu de l’enfance encore vivace. Ainsi, dans sa forme, le spectacle impose un onirisme à la fois inconfortable et envoûtant, mais sur le fond, ce sont deux faits divers sordides et bien réels qui ont inspiré cette fable dérangeante. Fabrice Murgia, l’auteur et le metteur en scène, s’est inspiré du témoignage de Bastian Bosse, ce jeune allemand qui s’est tué après avoir tiré sur des élèves de son lycée, ainsi que de l’histoire de Natascha Kampusch, cette jeune autrichienne kidnappée à l’âge de 10 ans et maintenu captive jusqu’à ses 18 ans. Deux situations extrêmes. Deux cas d’adolescence hors norme. Par un dispositif d’écriture et de mise en scène qui isole les deux (monologues confidences relayés par des vidéos en alternance) et les place en observation (comme deux cobayes de laboratoire), Fabrice Murgia envoie valser le soi-disant temps béni de l’enfance et observe deux façons d’en sortir pour le moins radicales. Si le texte n’évite pas quelques naïvetés (faiblesses de jeunesse), il a le mérite de n’être jamais complaisant, et l’ensemble percute par son esthétique surnaturelle, tranchant frontalement avec le réalisme cru des faits divers évoqués. En entrechoquant la violence des contes avec celle de notre monde, « Le Chagrin des ogres » se fait l’écho troublant d’une époque en crise psychologique. Marie Plantin